Nous vivons un moment charnière. Enfin, un syndicat défie les lois injustes. Les 760 travailleurs de la section locale 594 d’Unifor et le président national d’Unifor, Jerry Dias, tiennent bon dans le conflit avec la raffinerie Co-op à Regina et disent qu’ils n’obéiront pas à une injonction du tribunal contre les piquets de grève. Il s’agit d’un tournant décisif dans la lutte des classes au Canada. Il incombe à l’ensemble du mouvement syndical de se rallier en soutien d’Unifor dans cette lutte, et d’étendre le mouvement pour vaincre cette attaque effrontée.

Après six semaines de lock-out, l’impasse entre les travailleurs et la raffinerie Co-op a connu une escalade dramatique avec des violences policières le 20 janvier. Plus d’une douzaine de membres d’Unifor, y compris le président, Jerry Dias, ont été jetés à l’arrière d’un fourgon cellulaire pour avoir fait respecter leur piquet de grève. Depuis l’arrestation de Dias, le syndicat a lancé un appel à travers tout pays à venir le soutenir et s’engage à maintenir les piquets de grève. Les travailleurs défient héroïquement les injonctions des tribunaux visant à limiter le piquetage et risquent des centaines de dollars d’amendes.

L’importance de cette lutte ne devrait pas être minimisée. Le contrat social entre les travailleurs et les patrons, établi pendant le boom d’après-guerre, appartient au passé. En effet, la dernière fois qu’un dirigeant syndical bien en vue a été arrêté sur un piquet de grève au Canada remonte à 1979, lorsque le président du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, Jean-Claude Parrot, a refusé de se conformer à la loi de retour au travail. Au cours des 40 dernières années, les capitalistes et le gouvernement ont de plus en plus restreint le droit de grève. Après des décennies où les piquets de grève pouvaient être franchis sans obstruction, un dirigeant syndical a enfin montré qu’il était prêt à risquer l’emprisonnement pour tenir la ligne. « Nous défendons les retraites des travailleurs, nous défendons les droits des travailleurs, et voilà comment ils nous traitent ici », a déclaré l’un des dirigeants d’Unifor alors qu’il était traîné par la police aux côtés de Dias.

Comme nous l’avons écrit en 2018, le contrat social d’après-guerre est mort, et les travailleurs sont contraints à des confrontations violentes avec les patrons :

« La politique de guerre de classe des patrons, la crise du capitalisme et la logique du mouvement nous amènent à conclure que les grèves illégales et les occupations d’usine seront à l’ordre du jour, tôt ou tard. Les années 50 et 60 ne reviendront jamais. Il faut cesser de penser que cette période peut revenir. Dix années se sont écoulées depuis le krach de 2008, et nous nous trouvons supposément dans une période de reprise. Mais cette “reprise” n’a pas amélioré les conditions de vie de la classe ouvrière et une nouvelle récession mondiale est imminente. Les patrons ont décidé de revenir aux méthodes de lutte des années 30. Nous n’avons d’autre choix que de faire pareil.»

Le 22 janvier, deux jours après son arrestation, Jerry Dias a donné une conférence de presse dans un hôtel de Regina où il a déclaré :

« Lorsqu’on a affaire à un système qui s’oppose aux travailleurs, on a un choix à faire en tant que travailleurs. Nous pouvons accepter la situation et capituler. Ou nous pouvons dire que nous devons nous battre au sein d’un système qui est intrinsèquement mauvais. Et nos membres à Regina et notre syndicat ont choisi de ne pas accepter des règles qui désavantagent les travailleurs. »

Dans tout le pays, la désobéissance aux lois est un tabou pour les dirigeants syndicaux depuis trop longtemps. Enfin, cette attitude est remise en question de façon sérieuse. La lutte à Regina est donc devenue un moment décisif pour le mouvement syndical canadien, ainsi que pour la politique en général. Aujourd’hui plus que jamais, les travailleurs du Local 594 ont besoin du soutien de tous les syndicats et de tous les travailleurs à travers le pays, unis et rassemblés derrière eux. Une campagne active doit être menée pour étendre le mouvement en soutien aux travailleurs en lock-out et pour vaincre ces attaques.

Co-op veut briser le syndicat

Au cours des cinq dernières semaines, la raffinerie Co-op a montré qu’elle compte sur la police, les tribunaux et le gouvernement pour faire le sale boulot de briser le syndicat pour elle. L’enjeu au coeur du conflit est une attaque contre les retraites. Co-op veut clairement vider les pensions, en forçant les travailleurs à passer d’un régime de retraite à prestations définies, qui garantit un certain montant d’argent à la retraite, à un régime à cotisations définies, qui laisse l’épargne-retraite vulnérable aux caprices et aux fluctuations du marché. Mais le conflit représente également une lutte plus large. Comme l’a expliqué Dias dans son discours :

« C’est une entreprise qui dépense des centaines de millions de dollars dans des camps de briseurs de grève, en payant pour leur offrir des salaires plus élevés et pour les transporter par hélicoptère. Elle dépense beaucoup plus d’argent pour briser la solidarité de nos membres qu’il n’en coûterait pour parvenir à un accord… »

« Parce que voyez-vous, pour la classe ouvrière du Canada et du monde entier, toutes les règles sont à notre désavantage. Il est possible pour des entreprises qui gagnent 3 millions de dollars par jour de faire des promesses, puis de dire : « Ah, nous avons changé d’avis. » Et elles peuvent le faire en sachant que les lois désavantagent les travailleurs. Elles le font en sachant qu’elles peuvent faire venir des briseurs de grève par hélicoptère et montrer ainsi leur scandaleuse richesse. Les hélicoptères n’amènent pas seulement les briseurs de grève, mais c’est aussi une démonstration de pouvoir et une démonstration de la richesse des entreprises. C’est un symbole de tout cela. Et puis, bien sûr, elles savent que la police sera là pour s’assurer que les camions vont et viennent sans entraves, ce qui, d’une certaine manière, réduit la capacité des travailleurs à négocier librement. »

Il est devenu très clair que Co-op compte beaucoup sur l’aide de l’État (tribunaux, police, gouvernement provincial) pour passer outre les droits démocratiques des travailleurs d’Unifor. Cela a exercé une pression énorme sur les travailleurs, qui à leur tour a forcé les dirigeants d’Unifor à prendre des mesures qu’ils n’auraient pas prises par le passé. Par exemple, dans la lutte pour sauver GM Oshawa, Dias et l’exécutif national d’Unifor ont découragé les travailleurs d’enfreindre la loi avec des grèves sauvages et des occupations. Le résultat a été la perte de plus de 2000 emplois, comme nous l’avons expliqué. Maintenant, la pression des travailleurs et la réalité des échecs passés amènent les dirigeants syndicaux comme Dias à voir les limites du légalisme. Dias a ajouté : « Nous refusons de capituler comme condition préalable à un retour à la table des négociations. » Il a raison. Refuser de céder est la bonne attitude à adopter pour repousser les attaques.

On lâche rien

La situation à Regina n’est pas une lutte normale. Les travailleurs d’Unifor ont dit « assez, c’est assez », et bloquent physiquement l’entrée des camions à la raffinerie malgré une injonction et des menaces de la police, des arrestations, des violences et des amendes qui ont atteint 100 000 dollars. Mais ces travailleurs ne peuvent pas tenir les lignes seuls. Il est positif que le dirigeant du Congrès du travail du Canada, Hassan Yusuff, et le président national du SCFP, Mark Hancock, soient venus sur les lignes. Toutefois, davantage d’efforts sont nécessaires pour s’unir derrière ces travailleurs.

Co-op va intensifier la pression pour tenter de briser à nouveau le piquet de grève. Les patrons de la raffinerie continueront à compter sur la police de Regina pour le briser violemment et arrêter d’autres travailleurs. Le mouvement syndical canadien doit rejeter clairement et vigoureusement ce geste violent et honteux. Les travailleurs de Regina sont beaucoup plus nombreux que les policiers. Le jour des arrestations et de la violente tentative de rupture de la ligne, le 20 janvier, était aussi la journée annuelle de commémoration de Martin Luther King. Dans ce contexte, Dias a cité le grand militant pour les droits civiques : « Nous avons la responsabilité morale de désobéir aux lois injustes. »

Il est crucial que le mouvement syndical au Canada et au Québec retienne cet enseignement de Luther King. Les lois sont faites par le système capitaliste et appliquées dans l’intérêt des capitalistes. Cette lutte a naturellement défié la loi, car il est clair que la loi ne représente pas les intérêts des travailleurs. Par conséquent, la bataille de Regina ne peut être gagnée que sur le terrain et non devant les tribunaux.

Il doit y avoir un piquetage de solidarité de masse à Regina pour s’assurer que pas un seul camion n’entre ou ne sort de l’usine. Mais pour gagner, le mouvement ne peut pas s’arrêter là et doit se propager. Le syndicat a appelé à un boycottage des produits de Co-op, avec raison. Mais ce boycottage doit être appliqué concrètement et matériellement. Des piquets de solidarité doivent être organisés contre tout établissement lié à Co-op et une « mise à l’index » doit être déclarée afin que tous les travailleurs syndiqués refusent de toucher aux biens de Co-op. Les travailleurs de Postes Canada devraient refuser de toucher au courrier de Co-op, et les membres de la direction devraient être hués chaque fois qu’ils se montrent dans un restaurant ou un cinéma. Ils devraient faire face à la honte d’organiser des briseurs de grève pour détruire le gagne-pain de travailleurs et de leurs familles. Des piquets de solidarité pourraient être organisés pour mobiliser les travailleurs des industries connexes.

Il s’agit d’une lutte qui dépasse maintenant le cadre habituel des conflits de travail et qui symbolise toutes les limites juridiques imposées aux droits syndicaux. Il est crucial que les travailleurs emportent la victoire.