Élections fédérales 2019 : Nous sommes tous perdants

Après cette campagne électorale fédérale pénible, les résultats sont finalement sortis : tout le monde y perd. Les libéraux ont une image ternie et ont maintenant le record du gouvernement minoritaire avec le plus faible mandat de l’histoire. Malgré la faiblesse des libéraux, les politiques d’austérité proposées par les conservateurs étaient impopulaires et ils n’ont […]

  • Alex Grant
  • mar. 22 oct. 2019
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Après cette campagne électorale fédérale pénible, les résultats sont finalement sortis : tout le monde y perd. Les libéraux ont une image ternie et ont maintenant le record du gouvernement minoritaire avec le plus faible mandat de l’histoire. Malgré la faiblesse des libéraux, les politiques d’austérité proposées par les conservateurs étaient impopulaires et ils n’ont pas pu faire les gains qu’ils espéraient. Le Nouveau Parti démocratique a perdu près de la moitié de ses sièges et les verts n’ont pas réussi leur percée. Le seul parti qui peut se réjouir est le Bloc québécois. Mais par-dessus tout, c’est la classe ouvrière qui a perdu lors de cette élection. Aucune des options politiques ne suscite l’enthousiasme des électeurs.

Le chef libéral Justin Trudeau a été porté au pouvoir en 2015 avec la prétention d’apporter le beau temps. Mais les « voies ensoleillées » libérales se sont assombries à mesure que les gens sont devenus désabusés face aux échecs et à l’hypocrisie du parti au gouvernement. Trudeau promettait d’établir de nouvelles relations avec les peuples autochtones. Mais une fois au gouvernement, il n’a rien fait pour mettre fin aux conditions misérables qui règnent dans les réserves et au manque d’eau potable qui les afflige. À la place, il a dépensé 4,6 milliards de dollars sur un oléoduc qui met en danger l’environnement et brime la souveraineté autochtone. Il a promis la transparence, mais il a plutôt réalisé des ententes secrètes pour protéger les grandes entreprises, ce que le scandale SNC-Lavalin a mis en lumière. Il a affirmé que l’élection de 2015 serait la dernière sous le mode de scrutin uninominal à un tour, mais il a rompu cette promesse. Pour couronner le tout, les multiples cas de « blackface » révélés par les médias sont devenus emblématiques de son image ternie.

Avec 33% d’appuis, Trudeau n’a même pas gagné le vote populaire. Avec cette faible minorité, il va tenter de bâtir un gouvernement dans les prochaines semaines, mais la direction qu’il prendra n’est pas claire.

Les conservateurs sont aussi profondément déçus. Cette élection constituait pour eux l’occasion parfaite pour profiter de la faiblesse des libéraux. Maintenant, la grogne règne face au leadership d’Andrew Scheer. Il a mené sa campagne sur le thème des réductions d’impôts à la pièce, un calque des campagnes de l’ancien premier ministre conservateur Stephen Harper. Elles devaient s’ajouter à des coupes budgétaires proposées de 58 milliards de dollars, y compris 18 milliards économisés en repoussant des investissements dans les infrastructures. Sans surprise, les électeurs n’étaient pas chauds à l’idée de ponts en ruine et de projets de transport repoussés, et n’ont pas donné au parti un mandat pour gouverner.

C’est la résurgence du Bloc québécois qui a faussé les plans de tous les partis. Après près d’une décennie de crise existentielle, le Bloc est redevenu une force majeure de la politique fédérale. Mais est-ce que cela signifie que les Québécois se sont retournés vers l’indépendance? Ce n’est pas aussi simple. Le mouvement nationaliste au Québec a récemment souffert d’une série de scissions et de reculs, et l’appui à l’indépendance dans la population en général n’a jamais été aussi bas depuis des générations. Yves-François Blanchet, le chef bloquiste, a donc dû minimiser cette question durant toute la campagne, et a même affirmé à un jour des élections que l’indépendance « n’est pas le mandat que beaucoup de Québécois nous confient ». Blanchet s’est plutôt fait le porte-parole du gouvernement de la CAQ, surfant sur la popularité de celui-ci. Le Bloc s’est servi du même nationalisme identitaire qui a porté la CAQ au pouvoir. Seule une approche de classe audacieuse aurait pu couper court à cette vague nationaliste. Malheureusement, le NPD ne l’a pas offerte.

Le NPD a commencé la campagne en plein marasme, avec environ 10% d’appui. Certaines personnes parlaient même de la possibilité que le parti soit surpassé par les verts et qu’il entre en déclin prolongé. Après la « vague orange » des élections de 2011, le parti a pris la direction de la droite, avec des conséquences fâcheuses. En 2013, il a retiré les références au socialisme et à la propriété sociale de sa constitution, et a fait campagne à droite des libéraux en 2015. La baisse de popularité du parti a été exacerbée après que des gouvernements néo-démocrates provinciaux, notamment celui de Rachel Notley en Alberta, aient capitulé devant les intérêts des barons du pétrole et des autres grandes entreprises.

Le chef du parti, Jagmeet Singh, a fait campagne sur une plateforme plus à gauche qu’en 2015. Cependant, bien que cela ait probablement permis d’éviter au parti d’être complètement réduit à néant, ce fut trop peu, trop tard. Des déceptions se sont fait sentir, notamment lorsque Singh n’a pas clairement exprimé son opposition à l’oléoduc LNG, qui est promu par le gouvernement néo-démocrate de Colombie-Britannique. La bureaucratie du parti a également bloqué certains candidats de gauche, notamment l’ancien dirigeant syndical ontarien Sid Ryan. Cela a sapé l’enthousiasme de la base et a probablement contribué au fait que le NPD n’a gagné aucun siège à Toronto.

Pendant un moment vers la fin de la campagne, et notamment suite aux débats, il a semblé que Singh connaissait une remontée. La plateforme du NPD contenait des réformes importantes, comme un programme national d’assurance-médicaments, des investissements importants dans le logement social, la construction des installations de filtration d’eau pour les réserves et un impôt sur la fortune de 1% pour ceux qui possèdent plus de 20 millions de dollars. Singh a combiné ces réformes à un message simple, disant qu’il allait prendre le bord des gens ordinaires plutôt que des riches et puissants. Lors du débat en anglais, il a sorti la réplique de la soirée lorsqu’il a attaqué le bilan environnemental des libéraux et conservateurs, affirmant que les électeurs n’avaient pas à choisir entre « Monsieur Délai et Monsieur Déni ». Cela a vraisemblablement aidé Singh à sauver les meubles, et certains sondages ont même accordé 20% des intentions de vote au NPD, mais le parti n’a pas été capable d’atteindre ce chiffre le jour du vote.

Soit les sondages avaient tort à propos du NPD, soit les jeunes n’ont pas été suffisamment motivés pour aller voter, soit le leitmotiv libéral du vote stratégique a encore une fois permis de couper l’herbe sous le pied du NPD au dernier moment.

Le soi-disant « vote stratégique » est un fléau pour le NPD, puisqu’il encourage les gens à soutenir les libéraux pour battre les conservateurs. Cela crée un cycle qui ne sert qu’à renforcer la droite. Le refus de Singh de rejeter la formation d’une coalition avec les libéraux a aussi aidé à présenter ces derniers comme un choix plus acceptable aux yeux de gens qui auraient autrement voté pour le NPD. Mais la plus grande trahison à cet égard a été celle de la direction d’Unifor et du Congrès canadien du travail, qui ont encouragé le vote stratégique – une stratégie qui ne peut mener qu’à la défaite. Ces bureaucrates ont pavé la voie à la victoire des libéraux, le même parti qui a retiré le droit de grève au syndicat des postiers il y a moins d’un an.

Le vote stratégique est un sous-produit du système électoral uninominal majoritaire à un tour, et le fait que Trudeau ait brisé sa promesse d’y mettre fin, pour ensuite profiter de ce système, est particulièrement scandaleux. Dans ce contexte, certaines personnes à gauche disent que le  NPD devrait demander la mise en place de la représentation proportionnelle comme condition pour ne pas faire tomber le gouvernement libéral minoritaire. Toutefois, ce serait une grave erreur. Si l’appareil du parti priorise la représentation proportionnelle au détriment d’enjeux comme l’assurance-médicaments, le logement ou l’eau polluée dans les réserves autochtones, cela serait perçu comme un choix motivé par l’intérêt direct du parti. Imaginez devoir dire aux collectivités autochtones qu’elles vont devoir attendre pour avoir de l’eau potable parce que les politiciens veulent quelques sièges supplémentaires! La seule façon pour le NPD de se renforcer en attendant l’inévitable chute des libéraux est de présenter des revendications claires, répondant aux besoins de la classe ouvrière et facilement compréhensibles pour la majorité de la population. Si les libéraux refusent d’appliquer ces revendications, ils doivent être renversés. 

Si le NPD devient la cinquième roue du carrosse dans un gouvernement libéral minoritaire en le soutenant sans rien recevoir en retour, ou encore pire, si le parti entre dans un gouvernement de coalition avec des ministres tenus à la solidarité ministérielle, le parti sera alors détruit lorsqu’une nouvelle élection surviendra dans un an ou deux. Plutôt que de tourner autour du pot en travaillant pour des réformes partielles, le NPD doit susciter l’enthousiasme des travailleurs et de la jeunesse en dénonçant le système en entier. Cinquante-huit pour cent des Canadiens ont affirmé soutenir le socialisme, et ce nombre est encore plus grand chez la jeunesse. Mais la direction du NPD ne parle pas de remplacer le capitalisme par le socialisme. Cet échec a nourri le désintérêt général et a réduit la participation. Seulement 66% de la population a voté à cette élection, ce qui représente un recul de 3% par rapport à 2015.

L’économie mondiale se dirige tout droit vers une nouvelle récession et le Canada se trouve en situation dangereuse, étant donné la faiblesse de ses fondations économiques. Le Canada possède l’une des pires bulles immobilières au monde, la dette des ménages s’élève à 170% du revenu, l’Alberta ne peut pas vendre son pétrole à un prix raisonnable sur le marché, et l’industrie manufacturière est en crise alors que de plus en plus d’usines ferment leurs portes. Lorsque la récession frappera, le Canada y fera face avec un gouvernement libéral minoritaire faible et discrédité qui pourrait tomber à tout moment. Seule la classe ouvrière peut offrir une solution à la crise, mais elle doit renouveler son leadership pour y arriver. C’est la tâche qui se pose à nous.