Ce document a été adopté par le Congrès national de Révolution (la section française de la Tendance marxiste internationale) qui s’est tenu du 21 au 23 juin 2019.


Depuis notre dernier Congrès national, en juin 2017, la situation sociale et politique française a évolué à grande vitesse. Deux ans après l’élection de Macron, il préside le gouvernement le plus fragile et le plus discrédité depuis Mai 68. En décembre dernier, le mouvement des Gilets jaunes plaçait le pays au seuil d’une crise révolutionnaire. Depuis, il fait preuve d’une endurance extraordinaire. Il marque un tournant dans le cours de la lutte des classes en France. Il aura un impact majeur sur la vie politique et syndicale. Ce document de Perspectives lui accorde donc une place centrale.

Depuis deux ans, d’autres événements et processus importants se sont déroulés au sommet de l’Etat, dans les partis (de droite et de gauche), dans le mouvement syndical et dans la jeunesse. En dernière instance, tous ces développements – y compris, bien sûr, le mouvement des Gilets jaunes – s’enracinent dans la crise du capitalisme. Aussi commencerons-nous par analyser la situation économique aux niveaux mondial, européen et français. Cependant, nous ne répéterons pas dans le détail ce qu’en disent nos Perspectives mondiales 2018 et nos dernières Perspectives pour la France (2015 et 2017), car cela n’a pas besoin d’être corrigé. Ici, on se concentrera sur les tendances économiques les plus fondamentales – et sur quelques éléments nouveaux, dans la mesure où ils sont susceptibles d’avoir un impact sur la situation politique et sociale.

Le marxisme n’est pas un déterminisme mécaniste qui, partant de l’économie, déduirait tout le reste. Il suffit d’imaginer pareille « science » pour en saisir l’absurdité. La vie politique et sociale obéit à des lois relativement indépendantes de la conjoncture économique. C’est à partir d’une analyse concrète, dialectique, de l’ensemble des processus en cours, et de leurs interactions, que la théorie peut s’approcher de la dynamique réelle de l’histoire. Celle-ci, cependant, est toujours plus riche et plus complexe que les meilleures prédictions théoriques. Des perspectives sont indispensables pour s’orienter : pas moins, mais pas plus. Elles ne doivent pas se substituer à l’analyse des processus réels. Et si ces derniers contredisent nos perspectives, elles doivent être corrigées.

Le spectre d’une nouvelle récession mondiale

La récession mondiale de 2008-2009 marquait le début d’une crise organique du capitalisme, dont nous ne sommes pas sortis. Ce n’est pas l’une des nombreuses crises « cycliques » que le capitalisme a traversées, depuis deux siècles, et qui font partie de sa respiration naturelle, comme l’expliquait Marx. Le cycle croissance-récession est inhérent au système capitaliste : chaque récession prépare les éléments de la prochaine phase de croissance – et inversement.

Une crise organique, par contre, manifeste l’impasse historique du capitalisme. Elle n’est pas une simple récession cyclique entre deux phases de croissance. Elle ouvre toute une époque de profond marasme économique, avec ses phases de faible croissance, de stagnation et de rechute dans la récession. Sur le plan social et politique, les conséquences en sont colossales. Alors que, dans certaines circonstances, une crise cyclique peut quasiment passer inaperçue (si elle est faible, brève et suivie d’une forte reprise), une crise organique ouvre nécessairement toute une époque de profonde instabilité politique et sociale. Ainsi, la crise organique des années 30 a déterminé une succession de révolutions et de contre-révolutions (France, Allemagne, Espagne, etc.), ainsi qu’une énorme intensification de la lutte des classes aux Etats-Unis (entre autres).

La crise qui a éclaté aux Etats-Unis, en 1929, a rapidement gagné le reste du monde capitaliste et s’est prolongée jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, une nouvelle guerre mondiale est exclue à court et moyen termes, pour des raisons que nous avons développées ailleurs [1] – et dont la principale est qu’une nouvelle conflagration mondiale présuppose une défaite décisive de la classe ouvrière internationale. La Seconde Guerre mondiale n’aurait pas été possible sans la défaite des travailleurs allemands (Hitler), espagnols (Franco) et français (faillite du « Front Populaire »). Or aujourd’hui, loin d’être au seuil de défaites décisives, la classe ouvrière mondiale commence à se mobiliser à une échelle massive.

Il y a une autre différence entre la crise organique actuelle et celle des années 30. Entre 1929 et 1934, le PIB de nombreux pays s’est effondré. Il a chuté de 25 % aux Etats-Unis et de 22 % en France. Comparée à la Grande Dépression des années 30, la crise de 2008 a été rapidement amortie (dès 2010). Aux Etats-Unis, la récession a duré un peu plus d’an – et le PIB n’a chuté « que » de 5 %. Il y a à cela différentes raisons qu’il n’est pas nécessaire d’analyser ici en détail. Il suffit de souligner que, d’une part, la forte croissance chinoise a permis de limiter les dégâts : entre 2010 et 2015, les investissements chinois ont soutenu 42 % de la croissance mondiale [2]. D’autre part (et surtout), des politiques monétaires extrêmement souples ont été mises en œuvre par les grandes puissances. Pour éteindre l’incendie, les Banques Centrales et les gouvernements ont inondé l’économie mondiale de liquidités. Les taux d’intérêt ont été réduits à près de 0 %. Le rachat de dettes pourries par les Banques Centrales a pris des proportions inouïes.

Tout ceci a eu au moins deux conséquences. Premièrement, les dettes publiques des Etats ont explosé. Par exemple, la dette publique des Etats-Unis a bondi de 68 % du PIB en 2008 à 100 % du PIB en 2012 (et 108 % en 2019). L’addition, bien sûr, est présentée aux travailleurs, aux jeunes, aux retraités et aux chômeurs, sous la forme de coupes drastiques dans les dépenses publiques. Deuxièmement, la bulle spéculative qui avait explosé, en 2008, a été regonflée. La dette mondiale (publique et privée) est passée de 208 % du PIB mondial en 2008 à 230 % du PIB mondial aujourd’hui. Sur la même période, la dette souveraine mondiale est passée de 30 000 milliards à 63 000 milliards de dollars [3]. C’est insoutenable.

La crise de 2008 n’a été amortie qu’au prix de préparer une nouvelle et plus profonde récession. Les leviers utilisés dans la foulée de 2008, pour sortir de la crise, ne sont plus disponibles. Dans un article publié le 7 avril dernier, le Financial Times évoquait le « ralentissement synchronisé » de l’économie mondiale, ces derniers mois, et citait l’économiste Eswar Prasad : « Les hauts niveaux de dette publique vont probablement limiter la capacité des économies les plus importantes à contrer le ralentissement économique aux moyens de stimulants fiscaux ». Il ajoutait : « Dans les pays où les taux d’intérêt sont déjà proches de zéro, il n’est pas possible d’assouplir davantage la politique monétaire. De manière générale, de tels assouplissements présentent désormais des risques significatifs – sans garantie de résultats positifs. » [4] Or ce qui est vrai dans le contexte du ralentissement actuel l’est aussi, a fortiori, dans l’hypothèse d’une nouvelle récession mondiale. Soit dit en passant, cette situation réduit à néant la viabilité des politiques de « relance keynésienne » qui constituent l’alpha et l’oméga des programmes des réformistes de gauche, en France et ailleurs.

En outre, il n’est plus possible de compter sur la forte croissance chinoise pour limiter l’impact d’une nouvelle crise mondiale. Au contraire : l’économie chinoise s’est transformée, dialectiquement, en une source d’inquiétude majeure sur les marchés mondiaux. Le ralentissement économique de la Chine est d’autant plus redouté qu’il s’accompagne d’un endettement colossal de l’Etat et du secteur privé. En janvier dernier, la dette totale de la Chine (publique et privée) s’élevait à 30 000 milliards de dollars, soit 254 % du PIB du pays [5].

Enfin, les fortes tensions protectionnistes entre la Chine, les Etats-Unis et l’Europe ne sont pas en voie de s’apaiser. L’OMC a révisé à la baisse la croissance du commerce mondial en 2019, de 3,7 % à 2,6 %. Derrière les sourires et les déclarations pacifiques des dirigeants américains, européens et chinois, chacun se prépare à l’intensification de la guerre commerciale. Or, comme nous l’avons souvent rappelé, c’est précisément une flambée de mesures protectionnistes qui, dans les années 30, a transformé la récession en Grande Dépression. Il n’en irait pas autrement cette fois-ci.

La conscience de classe

Nul ne peut dire précisément où et quand éclatera la prochaine crise. L’actuel « ralentissement synchronisé » qui touche l’UE, les Etats-Unis et la Chine, pourrait bien la précipiter. Mais on ne peut l’affirmer avec certitude, car l’économie n’est pas une science exacte permettant ce type de prédictions. Trois choses semblent claires, par contre : 1) Une nouvelle récession mondiale est inévitable à plus ou moins court terme ; 2) Les capitalistes et leurs gouvernements auront le plus grand mal à en limiter l’intensité et les conséquences sociales dévastatrices, cette fois-ci ; 3) Elle aura un impact rapide et profond sur la conscience des jeunes et des travailleurs du monde entier.

Ce dernier point est très important au regard des perspectives pour le développement de la lutte des classes. Ce qui nous intéresse au premier chef, dans les processus économiques, c’est leur impact sur la conscience des masses. La crise de 2008 n’a pas immédiatement provoqué une radicalisation de notre classe. Rien d’étonnant à cela. Dans un premier temps, la plupart des travailleurs espéraient que la crise serait temporaire. Les dirigeants réformistes du mouvement ouvrier – qui, à la différence des marxistes, n’avaient pas anticipé la crise – ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour renforcer les illusions des travailleurs. Au fil des années, cependant, un nombre croissant de salariés a compris que cette crise était différente des précédentes, qu’elle ouvrait une période d’austérité et de contre-réformes permanente. La radicalisation politique des travailleurs a commencé à s’exprimer clairement en Grèce (Syriza), en Espagne (Podemos), en Grande-Bretagne (Corbyn), en France (Mélenchon), en Belgique (PTB) et aux Etats-Unis (Sanders), pour ne citer que les exemples les plus connus. En France, le mouvement des Gilets jaunes marque le réveil spectaculaire des couches les plus exploitées et opprimées de la population.

Tout cela est acquis, c’est-à-dire enregistré dans la conscience collective de la jeunesse et du mouvement ouvrier. Aussi, face à une nouvelle récession mondiale, ils ne réagiront pas de la même manière que face à la crise de 2008. Leurs illusions dans la viabilité du système capitaliste, qui sont déjà très entamées, le seront encore plus. Pour autant, cela ne signifie pas que la lutte des classes se développera en ligne droite – et que la masse des travailleurs se tournera vers le programme du marxisme révolutionnaire. Le processus sera plus complexe, marqué par toutes sortes de contradictions, d’étapes intermédiaires, de flux et de reflux.

Une récession ne favorise pas la lutte gréviste pour de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail. Mais une vague de fermetures d’entreprises pourrait aboutir à des occupations, qui mettront la question de la propriété au centre de l’attention. La lutte des classes prendra un caractère plus politique. Ceci dit, une amélioration temporaire de la conjoncture, à un certain stade, pourrait susciter une grande vague de grèves. Il est impossible d’anticiper le rythme et les formes précises des événements, qui dépendent de nombreux facteurs. Par contre, on peut prévoir que la crise donnera une puissante impulsion à la radicalisation et à la polarisation politiques qui se développent depuis plusieurs années.

La radicalisation politique des masses favorisera la croissance de nos forces, en particulier dans la jeunesse. Mais dans un premier temps, ce sont les différentes variétés de réformistes et de « populistes » de gauche qui en bénéficieront le plus. Lorsque les masses rejettent le capitalisme en crise, elles ne se tournent pas immédiatement vers le socialisme révolutionnaire. D’une part, les forces du marxisme sont beaucoup trop faibles pour constituer une alternative immédiate. D’autre part et surtout, les masses n’abandonneront leurs illusions réformistes que sur la base de leur propre expérience. Avant de se tourner vers la conquête du pouvoir, elles devront passer par la douloureuse école du réformisme de gauche et de ses « solutions », c’est-à-dire de son impuissance à transformer la société.

Le marasme européen

L’intégration européenne est allée plus loin que notre Internationale ne l’avait cru possible. C’est lié au fait que la crise mondiale du capitalisme a elle-même éclaté plus tard que nous ne l’anticipions. Mais désormais que cette crise a éclaté, l’UE est en proie aux tendances centrifuges que nous avions annoncées. Les intérêts contradictoires des classes dirigeantes nationales passent au premier plan. L’heure n’est plus à de nouvelles étapes de l’intégration européenne, mais aux premières étapes de sa désintégration. La crise des réfugiés – qui a suspendu, de facto, les accords de Schengen – en est une illustration frappante. Des frontières internes à l’UE ont été rétablies, pendant que se menaient d’écœurantes négociations sur les quotas de réfugiés à répartir entre les différents pays d’Europe.

La « crise de l’euro » – qui a éclaté en 2010 – est censée être « derrière nous » depuis l’été 2015, c’est-à-dire depuis la capitulation de Tsipras, en Grèce. C’est du moins ce que répètent la plupart des dirigeants européens. Mais c’est une mauvaise plaisanterie. La BCE a jeté toute orthodoxie monétaire par-dessus bord et a temporairement noyé la crise dans un océan de liquidités, à coup de dizaines de milliards d’euros par mois (« assouplissement quantitatif »). Mais cela n’a réglé aucun des problèmes fondamentaux. La croissance européenne est faible. Même l’économie allemande ralentit nettement, désormais. Plusieurs banques européennes sont très fragiles, notamment les banques italiennes. Les dettes publiques de la plupart des Etats européens restent très élevées – et sont donc susceptibles de précipiter une nouvelle crise de la monnaie unique, en particulier dans le contexte d’une récession. Une profonde crise économique exercera des pressions colossales sur les structures de l’UE, qui pourrait finir par se disloquer au milieu des récriminations mutuelles.

Dans les années 90, nous expliquions qu’en imposant une même politique monétaire à des économies de taille différente et qui évoluent dans différentes directions, l’UE allait créer de nouvelles contradictions. C’est désormais un fait reconnu par les observateurs bourgeois les plus lucides. En juin dernier, The Economist écrivait : « D’un instrument de convergence, la monnaie unique s’est transformée en un facteur de division entre pays européens ». Précisément. Et de ce point de vue, le problème demeure entier. Le projet d’unifier l’Europe sur la base du capitalisme reste ce qu’en disait Lénine : une « utopie réactionnaire ». Une utopie parce que c’est impossible, compte tenu des rivalités entre bourgeoisies européennes. Et une utopie réactionnaire parce que la tentative d’y parvenir se fait au détriment des travailleurs du continent.

Il est vrai que les bourgeoisies européennes n’ont pas intérêt à la dislocation de l’UE : elles ont trop à y perdre. Elles préfèrent se pendre ensemble que séparément. Dès lors, elles s’efforcent de résoudre les contradictions internes à l’UE en attaquant la classe ouvrière, en intensifiant les politiques d’austérité et de contre-réformes, comme on l’a vu très clairement dans le cas de la Grèce. Mais cela ne peut qu’accroître le rejet de l’UE par les peuples, stimuler la lutte des classes et aggraver l’instabilité politique du continent. La crise de l’UE accélère la polarisation politique.

Last but not least, le Brexit a plongé la Grande-Bretagne dans une crise politique sans précédent. Mais il exacerbe aussi les tensions internes à l’UE, chaque classe dirigeante ayant son idée – liée à ses intérêts – sur ce qu’il est souhaitable d’accorder au gouvernement britannique. Le nouveau délai pour un accord (31 octobre 2019) est un compromis bancal et qui ne règle rien. Aucune solution n’est en vue au sein de l’actuel Parlement britannique. L’organisation d’un deuxième référendum serait un pari extrêmement risqué, car s’il confirmait le résultat du premier, il rendrait un « Brexit dur » inévitable. Dans tous les cas, la « démocratie » britannique en sortirait encore plus discréditée qu’elle ne l’est déjà. La participation de la Grande-Bretagne aux prochaines élections européennes – trois ans après le référendum ! – est une situation inédite et loufoque, qui porte un nouveau coup à la crédibilité des establishments britanniques et européens.

Au fond, le Brexit n’est ni dans l’intérêt des sections décisives de la bourgeoisie britannique, ni dans l’intérêt du capitalisme européen. Coupée du « marché commun » européen, l’économie britannique plongerait dans la récession. Mais l’économie européenne en serait affectée, elle aussi, car la Grande-Bretagne est un poids lourd du marché commun. Aussi feront-ils tout pour éviter ce scénario. Mais ils ne pourront pas effacer le vote du 23 juin 2016, qui ne cessera de hanter la vie politique britannique et européenne.

Sur la base du capitalisme, une sortie de la France de l’UE n’aurait rien de progressiste, contrairement à ce que s’imaginent certains partisans du « Frexit ». Nous rejetons le nationalisme bourgeois comme le « fédéralisme » bourgeois – et tous les arrangements intermédiaires. Il n’y aura pas de solution aux problèmes des travailleurs de France et d’Europe sur la base du capitalisme, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’UE. Inversement, la victoire de la révolution socialiste dans un pays d’Europe, et ses répercussions sur tout le continent, ouvriraient la voie à la seule alternative progressiste à l’UE capitaliste : une Fédération socialiste des Etats Européens. Ce mot d’ordre de la IIIe Internationale est toujours le nôtre.

La crise du capitalisme français

Depuis plusieurs décennies, la dynamique du capitalisme français se caractérise avant tout par son déclin relatif : il n’a cessé de perdre des parts de marché au profit d’autres grandes puissances (en particulier l’Allemagne et la Chine). Cela se traduit notamment par un déficit commercial chronique et qui ne cesse de se creuser, ces dernières années : 45,7 milliards d’euros en 2015, puis 48,1 milliards en 2016, puis 57,8 milliards en 2017, et enfin 59,9 milliards en 2018. Sur la même période, l’Allemagne, premier concurrent de la France en Europe, a accumulé d’énormes excédents budgétaires, compris entre 228 milliards d’euros (2018) et 260 milliards d’euros (2016). A eux seuls, ces chiffres résument le problème de compétitivité du capitalisme français, qui recule sur tous les marchés : mondial, européen et même intérieur.

Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, le Gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, estimait récemment que l’économie française « résiste mieux » aux pressions de la conjoncture mondiale parce qu’elle est « moins exposée au commerce international » que d’autres puissances. Autrement dit, la force du capitalisme français résiderait dans son déclin sur le marché mondial. C’est ce qui s’appelle voir le verre à moitié plein.

Le Medef et les politiciens bourgeois expliquent sans cesse que le déclin du capitalisme français découle de « charges sociales » et d’un « coût du travail » trop élevés, entre autres « rigidités » du marché du travail. En un sens, c’est exact. Sous le capitalisme, le coût horaire du travail est un élément central de la course aux profits et aux parts de marché. Pour accroître la compétitivité du capitalisme français, la bourgeoisie doit prendre des mesures brutales visant à baisser les salaires, augmenter le temps de travail et accroître l’intensité de chaque heure travaillée.

Les capitalistes n’investissent pas pour le plaisir, mais seulement s’ils escomptent un « retour sur investissement ». Pour cela, il faut que le marché puisse absorber les marchandises produites. C’est le cœur du problème. Faute de champs d’investissement profitables, les capitalistes n’investissent pas. Voilà pourquoi le déclin du capitalisme français s’accompagne de records en termes de dividendes versés aux actionnaires. Le 14 mai 2018, Le Figaro signalait que « les groupes du CAC 40 ont redistribué à leurs actionnaires les deux tiers de leurs bénéfices depuis le début de la crise [de 2008], au détriment des investissements et des salariés (…) C’est deux fois plus que dans les années 2000 ». Aucun autre pays n’en fait autant : la bourgeoisie française est championne du monde du parasitisme. Autre expression de ce parasitisme : les capitalistes ont détruit plus d’un million d’emplois industriels depuis 2001, en France.

Pendant que les entreprises du CAC 40 versent des dizaines de milliards d’euros à leurs actionnaires, chaque année, les gouvernements successifs coupent dans les dépenses sociales, les retraites, la santé publique, la Fonction publique, etc. Les deux mouvements sont liés, bien sûr, puisque l’argent public ainsi « économisé » se retrouve dans les caisses du grand patronat, sous la forme d’« allègements de charge » et de « plans » divers, type CICE. Et que font les grandes entreprises de toutes ces subventions publiques directes ou indirectes ? Elles le versent, pour partie, à leurs actionnaires. Au final, c’est un transfert massif de richesses du Travail vers le Capital.

Dans le même temps, la destruction de la santé publique et du système des retraites ouvre un champ d’investissements profitables au secteur privé (mutuelles et assurances privées, etc.).

La plupart des contre-réformes de ces 10 dernières années ont été menées au nom de la « croissance ». Or elle est anémique. Après 1,1 % en 2015 et 2016, elle a connu un « pic » à 2,2 % en 2017, avant de retomber à 1,6 % en 2018. Pour 2019, la Banque de France table sur 1,3 %. Elle n’est pas plus optimiste pour 2020. Ces taux de croissance sont incompatibles avec une baisse significative du chômage – lequel a flambé en 2008 et 2009, puis a augmenté moins vite, mais régulièrement, jusqu’en 2017. Une croissance aussi faible est aussi incompatible avec une baisse importante des déficits publics. La dette publique passera prochainement – peut-être dès 2019 – la barre des 100 % du PIB. Or la charge de la dette (les intérêts que paye l’Etat français) est historiquement faible. Si les taux d’intérêt venaient à augmenter, la dette publique s’envolerait.

Avant même qu’une nouvelle récession mondiale ne frappe l’économie française, les conditions de vie de la masse de la population continueront de se dégrader, sous le double effet d’une croissance faible et des nouvelles attaques du gouvernement. La possibilité d’une reprise forte et durable – qui ferait nettement baisser le chômage et pousserait les salaires à la hausse – est exclue dans les années qui viennent. Quant aux contre-réformes et mesures d’austérité, le gouvernement Macron ne peut pas ne pas les engager, malgré le volcan menaçant des Gilets jaunes. Le gouvernement y survira-t-il ? C’est une autre question. Elle préoccupe la bourgeoisie, certes. Mais de son point de vue de classe, cette question est moins décisive que l’impérieuse nécessité de remettre en cause toutes les conquêtes sociales du mouvement ouvrier. Compte tenu de la crise du capitalisme français, de son déficit de compétitivité, la bourgeoisie ne peut pas tolérer la moindre « pause » dans le rythme des contre-réformes. Il en va de ce qu’elle a de plus précieux au monde : ses marges de profits. Et si Jupiter doit y succomber, ainsi soit-il, « merci et au revoir ».

Le gouvernement Macron

Le gouvernement est déterminé à lancer des attaques brutales contre les retraites, l’assurance chômage et la Fonction publique. Une nouvelle « loi Travail », pour détruire ce qu’il reste des « 35 heures » (entre autres), sera sans doute à l’ordre du jour, de même qu’une nouvelle offensive contre l’assurance maladie. Dans la cervelle éthérée d’un député LREM, cela ne semble pas devoir poser de sérieux problèmes. Mais dans le monde réel, une telle politique est impossible à mettre en œuvre sans provoquer des mobilisations sociales de très grande ampleur – et que les directions syndicales ne parviendront pas toujours à contrôler, comme le montre le mouvement des Gilets jaunes.

Tout avait pourtant si bien commencé, pour Macron ! Sa marche de la Victoire sur l’esplanade du Louvre, au son de l’Hymne à la joie, présageait d’un mandat miraculeux : un long fleuve tranquille de régressions sociales. Sur les plateaux de télévision, les journalistes réactionnaires piaffaient d’impatience et d’admiration. Sur la scène internationale, Macron sauvait la planète en quelques mots, multipliait les pirouettes diplomatiques, ringardisait les dirigeants du monde entier – bref, faisait briller la France de son propre éclat. A coup sûr, un tel prodige allait facilement venir à bout de toutes les résistances sociales, dans le pays !

C’est bien ce qui sembla se passer, au début. A l’automne 2017, la deuxième loi Travail suscita des mobilisations beaucoup moins importantes que la première, en 2016. L’ISF, auquel même Chirac et Sarkozy n’avaient pas osé toucher, fut supprimé pour les plus fortunés des fortunés. On sait comment cette provocation, un an plus tard, est revenue frapper le gouvernement, comme un boomerang. Mais dans les douze premiers mois de son mandat, Macron enchaînait les mauvais coups et volait de victoire et en victoire : loi Travail, « réforme » de la SNCF, sélection à l’université : autant de mesures réclamées de longue date par le Medef, mais que les précédents gouvernements n’avaient pas osé engager, car ils craignaient la mobilisation des jeunes et des travailleurs.

Cependant, comme nous l’expliquions à l’époque, la « force » du gouvernement Macron était plus apparente que réelle. D’une part, Macron n’avait recueilli que 24 % des suffrages exprimés (18 % des inscrits) au premier tour de la présidentielle, et n’avait facilement remporté le deuxième tour que grâce au rejet massif du Front National. D’autre part, et surtout, la principale « force » du gouvernement résidait dans la faiblesse des directions du mouvement syndical. Dans le cas des dirigeants de FO et de la CFDT, parler de faiblesse n’est même pas correct, puisqu’ils ont purement et simplement capitulé. Ils ont soutenu la deuxième loi Travail, malgré son caractère évidemment réactionnaire, et portaient un regard bienveillant sur le programme général du gouvernement. Quant à la CGT, la confédération la plus combative, sa direction refusait de tirer les leçons des grandes mobilisations de 2010 (retraites) et 2016 (loi Travail), qui avaient démontré de façon limpide qu’une succession de « journées d’action », même massives, ne pouvait pas faire reculer le gouvernement. Si des journées d’action n’avaient pas fait reculer Sarkozy et Hollande, par quel miracle pouvaient-elles faire reculer Macron ?

Seul le développement d’un puissant mouvement de grèves reconductibles était susceptible de jeter le gouvernement sur la défensive. Mais cette perspective n’était pas même évoquée par la direction de la CGT – sans parler de la préparer systématiquement, ce qui implique un gros travail d’agitation et de mobilisation, dans les entreprises et la Fonction publique. Face à la pluie de mauvais coups qui s’abattaient sur la jeunesse et le salariat, Philippe Martinez n’avançait qu’une seule stratégie, toujours la même : des journées d’action. Inévitablement, celles-ci mobilisaient de moins en moins de monde, car si Martinez faisait semblant de ne pas en comprendre l’inefficacité, les travailleurs, eux, avaient eu maintes occasions de la constater. Ils étaient de moins en moins disposés à participer à des manifestations dont ils savaient d’avance qu’elles ne changeraient rien.

La faiblesse invite à l’agression. Au lendemain de l’adoption de la deuxième loi Travail, fin 2017, le gouvernement avait tout intérêt, de son point de vue, à forcer son avantage et intensifier son offensive. Il se sentait assez confiant pour lancer deux attaques simultanées : l’une contre les cheminots (« réforme » de la SNCF), l’autre contre la jeunesse étudiante (Parcoursup). C’était risqué. Sur les plateaux de télévision, certains journalistes s’inquiétaient, soulignant qu’il n’était peut-être pas judicieux d’attaquer en même temps la jeunesse et les travailleurs, a fortiori à l’occasion du 50e anniversaire de Mai 68 ! De fait, la lutte prit une certaine ampleur. La grève « perlée » des cheminots fut très suivie, dans un premier temps. Une dizaine d’universités se mobilisèrent fortement.

Cependant, la question du rapport de force nécessaire, pour faire plier le gouvernement, restait posée dans les mêmes termes : à eux seuls, les étudiants et les cheminots mobilisés ne pouvaient pas vaincre. La grève « perlée » des cheminots n’avait elle-même de sens qu’à condition de se transformer rapidement en grève reconductible (quotidienne). Mais pour s’engager dans un mouvement plus dur, les cheminots avaient besoin de voir d’autres secteurs du salariat s’engager dans le combat gréviste. De même, beaucoup d’étudiants comprenaient que leur seule chance de victoire résidait dans une généralisation du mouvement. Au final, les regards se tournaient vers les directions confédérales des syndicats, à commencer par celle de la CGT. Mais celle-ci n’avait rien d’autre à proposer que de nouvelles – et vaines – journées d’action. La France insoumise organisa des mobilisations politiques de masse, mais sans mettre la question de la grève reconductible au cœur des débats. Dès lors, le gouvernement pouvait tenir, en tablant sur la fatigue de cheminots et sur la volonté des étudiants de passer leurs examens. C’est ce qu’il fit, à grand renfort de propagande anti-cheminots et de répression policière. Le mouvement reflua. En juin 2018, Macron pouvait engranger une nouvelle victoire – et envisager paisiblement l’avenir.

C’était sans compter sur les frasques de son ami Benalla. Cette affaire a marqué un tournant dans la situation politique du pays, et ce moins en raison des faits eux-mêmes que de la panique, des divisions et des mensonges flagrants que leur révélation a suscités au plus haut niveau de l’Etat. L’affaire Benalla a fragilisé le gouvernement, à commencer par Macron lui-même. Les démissions de Gérard Collomb et de Nicolas Hulot l’ont confirmé. Une telle situation est toujours un encouragement à passer à l’offensive, pour les masses. Dans ce cas aussi la faiblesse invite à l’agression. A sa manière, l’affaire Benalla a contribué à préparer l’explosion sociale du 17 novembre 2018.

Le mouvement des Gilets jaunes

Nous avons souvent expliqué que le conservatisme des directions syndicales constitue un obstacle relatif – et non absolu – au développement d’un vaste mouvement de grèves reconductibles. De fait, un tel mouvement avait commencé dans plusieurs secteurs en 2010 et 2016, contre la volonté des directions syndicales. En outre, la perspective d’une grève générale illimitée partant de la base, sans impulsion des sommets syndicaux, est conforme aux traditions révolutionnaires du mouvement ouvrier français (Juin 36 et Mai 68). Ce sont précisément ces traditions qui effrayent les dirigeants syndicaux (au moins autant que la bourgeoisie), et qui expliquent leur réticence à organiser de véritables grèves générales, même de 24 heures. N’oublions pas que la grève illimitée de Mai 68 a commencé par une grève générale de 24 heures, convoquée par les directions syndicales. Au lieu de 24 heures, la grève a duré plusieurs semaines. Pour tenter de se prémunir contre un nouveau Mai 68, les dirigeants ont rayé le mot « grève générale » de leur vocabulaire. En janvier dernier, Philippe Martinez a même tenté de le théoriser : « Une grève générale, ça ne veut rien dire ! C’est un mythe. Même en 1968, il n’y a pas eu d’appel à la grève générale. » Conclusion de Martinez : comme en Mai 68, l’actuelle direction de la CGT n’organisera pas de grève générale.

Mais comme en Mai 68, cela n’empêchera pas une grève générale illimitée de se développer, tôt ou tard. Cependant, le mouvement des Gilets jaunes a montré que, faute d’une lutte sérieuse organisée par les syndicats, l’exaspération des masses finit par trouver un autre canal d’expression. L’obstacle des directions syndicales a été contourné en contournant les syndicats eux-mêmes, qui n’ont joué aucun rôle dans l’émergence des Gilets jaunes. D’où les formes inédites de ce mouvement.

L’extraordinaire endurance du mouvement – malgré les manœuvres, les calomnies, la répression policière et judiciaire – est la confirmation du fait qu’il s’agit d’une étape décisive dans le développement de la lutte des classes en France. Il marque le réveil politique des couches les plus profondes de la société, qui en général ne participaient pas (et, souvent, ne pouvaient pas participer) aux journées d’action syndicales. La présence massive des femmes, dans ce mouvement, est le signe sûr de sa profondeur. Il marque une rupture irréversible dans le cours de la vie sociale et politique. En bref, c’est le prélude d’un processus révolutionnaire qui se développera sur plusieurs années, avec des flux et des reflux.

L’hétérogénéité sociale et politique de ce mouvement était évidente, d’emblée, et d’ailleurs inévitable. En 1916, Lénine expliquait : « Quiconque attend une révolution sociale “pure” ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution. (…) La révolution socialiste en Europe ne peut pas être autre chose que l’explosion de la lutte de masse des opprimés et mécontents de toute espèce. Des éléments de la petite bourgeoisie et des ouvriers arriérés y participeront inévitablement : sans cette participation, la lutte de masse n’est pas possible, aucune révolution n’est possible. Et, tout aussi inévitablement, ils apporteront au mouvement leurs préjugés, leurs fantaisies réactionnaires, leurs faiblesses et leurs erreurs. Mais objectivement, ils s’attaqueront au capital, et l’avant-garde consciente de la révolution, le prolétariat avancé, qui exprimera cette vérité objective d’une lutte de masse disparate, discordante, bigarrée, à première vue sans unité, pourra l’unir et l’orienter, conquérir le pouvoir, s’emparer des banques, exproprier les trusts haïs de tous (bien que pour des raisons différentes !) et réaliser d’autres mesures dictatoriales. »

Cette citation caractérise bien la nature du mouvement des Gilets jaunes – et aussi, au passage, les « révolutionnaires en parole » contemporains qui ont fait la fine bouche face à la « confusion » du mouvement. Mais Lénine souligne aussi quel rôle doit jouer « l’avant-garde consciente de la révolution », en de telles circonstances. De ce point de vue, il y a un abîme entre les tâches que Lénine fixe à cette avant-garde et le rôle effectivement joué, ces six derniers mois, par la direction officielle du mouvement ouvrier français. La direction de la CFDT a condamné le mouvement, le caractérisant de « totalitaire ». La direction de FO était surtout occupée par sa propre crise interne. La direction de la CGT a tout fait pour se tenir à distance du mouvement – au lieu d’y intervenir pour, comme l’écrivait Lénine, « l’unir et l’orienter » dans le sens d’une lutte décisive contre le capitalisme. En fait, elle avait peur de ce mouvement de masse spontané, radical et qu’elle ne contrôlait pas. Elle avait peur de son potentiel révolutionnaire.

Le 6 décembre, au plus fort de la première phase du mouvement, la direction de la CGT signait avec d’autres syndicats un « communiqué commun » dénonçant la « violence » des manifestations (mais pas de la police !) et demandant au gouvernement d’ouvrir de « réelles négociations ». Ainsi, les syndicats en question condamnaient le mouvement des Gilets jaunes, ou au minimum refusaient de l’appuyer sérieusement, mais voulaient bien en profiter pour « négocier » avec le gouvernement… Ce communiqué a provoqué l’indignation des militants de la CGT qui, sur le terrain, s’efforçaient d’intervenir dans le mouvement des Gilets jaunes.

Dans les semaines qui ont suivi le 17 novembre, le mouvement s’est rapidement orienté vers la gauche, à travers ses revendications : hausse des salaires et des retraites, restauration de l’ISF, défense des services publics, etc. Ceci a favorisé l’implication d’un nombre croissant de militants de gauche et syndicaux, tout en provoquant la désertion des dirigeants de droite qui – tel Laurent Wauquiez – faisaient mine de l’appuyer initialement. La tentative des Républicains et du RN de donner un contenu réactionnaire au mouvement s’est soldée par un échec. Certes, le mouvement a conservé une grande hétérogénéité politique. Mais si l’on fait abstraction de la petite minorité de militants d’extrême droite qui n’ont cessé d’y intervenir, le caractère de classe dominant du mouvement est clair : il s’agit d’un soulèvement des couches les plus exploitées et les plus opprimées de la population contre la « démocratie » des riches et leur président.

La montée en puissance du mouvement, fin novembre et début décembre, a placé le pays au seuil d’une crise révolutionnaire. Tous les éléments d’une telle crise étaient réunis : la division au sommet de l’Etat, l’exaspération et la mobilisation des masses, le soutien écrasant de la population (y compris des couches inférieures de la petite-bourgeoisie). Cependant, pour qu’une crise révolutionnaire se développe, il manquait une mobilisation vigoureuse de la classe ouvrière sous la forme d’un grand mouvement de grèves. Mais c’est précisément ce que les directions syndicales – CGT comprise – voulaient éviter à tout prix.

Cet énorme décalage entre la combativité des Gilets jaunes et le conservatisme des directions syndicales est l’une des contradictions centrales de la période actuelle. Beaucoup de militants syndicaux le comprennent. Mais cette contradiction ne peut pas être levée sur la base de simples « appels » à la grève générale. On l’a vu avec la journée du 5 février, dont les principaux représentants des Gilets jaunes voulaient faire le point de départ d’une grève générale illimitée. Cet appel a été relayé par des structures et des militants syndicaux, ainsi que par la FI. Mais il n’a pas été suivi d’effet. La passivité des directions confédérales est ici un obstacle très concret. Dans les entreprises, les travailleurs ne se lancent pas à la légère dans un mouvement de cette nature, a fortiori s’ils constatent que les directions confédérales s’y opposent. Par exemple, les différentes catégories de travailleurs qui, ces dernières années, se sont engagées dans la grève reconductible (dockers, salariés des raffineries, cheminots…) ont en mémoire l’échec de leurs mouvements, qui ne s’était pas étendu à d’autres secteurs du salariat. Ils ne sont pas disposés à repartir dans un mouvement dur s’ils n’ont pas de garantie qu’il s’étendra à d’autres catégories de travailleurs.

Un autre problème, c’est l’absence d’une direction homogène, identifiée et dotée d’une stratégie et d’un programme offensifs. Beaucoup de travailleurs sympathisent avec l’idée de destituer Macron ou de dissoudre l’Assemblée nationale. Mais ils se demandent : « pour mettre qui, à la place, et sur la base de quel programme politique ? » Le mouvement des Gilets jaunes n’apportait pas de réponse claire à cette question. Il serait absurde de le lui reprocher. La responsabilité retombe, là encore, sur les dirigeants officiels du mouvement ouvrier – y compris sur la direction de la FI, qui a adopté une attitude « suiviste » à l’égard de ce mouvement.

La direction de la FI craignait d’être accusée de « récupérer » le mouvement. Mais il ne s’agit pas de récupérer ; il s’agit de convaincre et de mobiliser – bref, de tenter de diriger la lutte contre un ennemi de classe qui, lui, ne reste pas inactif. La direction de la FI aurait pu expliquer la nécessité de structurer le mouvement (par un système de délégués élus et révocables) et de mettre à l’ordre du jour un mouvement de grèves illimitées. Elle aurait dû exercer beaucoup plus de pression sur la direction de la CGT – et donner ainsi une expression au mécontentement de beaucoup de militants syndicaux. Elle aurait dû mettre la dissolution de l’Assemblée nationale au centre de ses revendications, tout en expliquant que le « pouvoir au peuple » suppose que les travailleurs le prennent et engagent la transformation socialiste de la société. Bref, en tant que principale force d’opposition de gauche, la FI avait la responsabilité de tenter « d’unifier et d’orienter » le mouvement, comme l’écrivait Lénine. Mais elle n’a rien fait de tel. Son « suivisme » est une conséquence de son réformisme.

Les représentants des Gilets jaunes

Le mouvement des Gilets jaunes est une très bonne illustration du fait que, de nos jours, les directions syndicales jouent un rôle central dans la sauvegarde du capitalisme. Le Figaro en lâchait l’aveu, le 12 décembre dernier : « la CGT a canalisé pendant un siècle le mécontentement populaire. La crise des “gilets jaunes” a montré combien ce savoir-faire était précieux. Et combien la crise générale du syndicalisme était problématique. »

Ce qui effraye la classe dirigeante et le gouvernement, c’est qu’aucun dirigeant « responsable » et « raisonnable » ne contrôle le mouvement. Les « Gilets jaunes constructifs » et autres mascarades à usage médiatique n’ont aucune espèce d’influence ou d’autorité. Ceux qui en ont – Ludowsky, Drouet, Nicolle, Rodriguez, Boulo, etc. – donnent des sueurs froides au gouvernement, parce qu’ils ne se montrent pas disposés à jouer la fiction de la « concertation sociale » (dont les dirigeants syndicaux font leur pain quotidien). Bien sûr, le gouvernement fera tout pour les corrompre – et on ne peut exclure que, dans tel ou tel cas, il y parvienne. Mais alors, l’autorité du « représentant » en question s’effondrera, comme s’est effondrée l’autorité d’Ingrid Levavasseur, par exemple.

Certains, à gauche, fouillent le parcours politique des figures dirigeantes des Gilets jaunes, à la recherche d’idées réactionnaires et de zones d’ombre. « Pour qui ont-ils voté, ces 10 dernières années ? Quelle est leur position sur tel ou tel sujet ? » Mais cela passe à côté de l’essentiel : les forces et les faiblesses des représentants des Gilets jaunes sont à l’image du mouvement que, précisément, ils représentent. Et le plus remarquable, ce ne sont pas leurs faiblesses, mais plutôt leurs forces : leur détermination et leur défiance radicale à l’égard du régime. Ils ne lui demandent pas la permission de lutter ; ils ne se soumettent pas aux limites de la « légalité ». La révolution socialiste, en France, sera dirigée par des éléments de cette trempe, qui formeront aussi l’armature du parti révolutionnaire.

La spontanéité du mouvement fait sa force ; mais c’est aussi sa principale faiblesse. Elle impose des limites à ce qu’il peut accomplir. La succession ininterrompue de samedis jaunes, pendant plus de cinq mois, est un fait sans précédent qui déstabilise et divise le régime. Mais il ne reculera pas face à des manifestations hebdomadaires. Il ne peut pas reculer, comme nous l’avons expliqué plus haut, car la bourgeoisie ne peut pas faire des concessions sérieuses en termes de salaires, de retraites, etc. Elle ne céderait que si son pouvoir était directement menacé, donc si elle craignait de tout perdre, comme c’était le cas en Juin 36 et en Mai 68. Or cela suppose le développement d’un grand mouvement de grèves illimitées, que le mouvement des Gilets jaunes – en l’état – n’est pas en mesure d’organiser (bien qu’il pourrait le provoquer). Et compte tenu de l’attitude des directions syndicales en la matière, la bourgeoisie ne se sent pas immédiatement menacée.

L’impact du mouvement

Il n’est pas exclu que le mouvement reprenne une courbe ascendante, dès la rentrée de septembre, et pousse Macron à dissoudre l’Assemblée nationale. Si le mouvement reflue, au contraire, il ne sera pas pour autant suivi d’une longue période de stabilité sociale. Comme l’écrivait Jérôme Sainte-Marie dans Le Figaro du 2 janvier : « Toute réforme libérale qui apparaîtrait comme exigeant des sacrifices immédiats peut faire repartir la mobilisation. Ces prochains mois, Macron va devoir diriger le pays sous cette menace permanente de blocage. » Comme on le sait, au lieu de « diriger le pays », Macron a organisé un « grand débat » et y a lui-même copieusement participé. Mais ce qu’écrivait Jérôme Sainte-Marie, début janvier, est toujours vrai – non seulement pour les prochains mois, mais aussi pour les prochaines années. L’agenda de Macron ne comprend rien d’autre que des contre-réformes « exigeant des sacrifices immédiats » des plus pauvres, au profit des plus riches. Et le « grand débat » a même compliqué la tâche de Macron, au final, puisqu’il doit désormais nous expliquer que les contre-réformes en sont le résultat. La manœuvre tourne à la mauvaise farce.

Ceci dit, il est impossible de prévoir quelle sera la pérennité du mouvement des Gilets jaunes. La lutte des classes peut très rapidement passer d’une forme à l’autre. Les Gilets jaunes n’ont pas remplacé les forces politiques et syndicales qui, malgré tous leurs défauts, ont un certain enracinement social. C’est d’abord vrai des syndicats, qui restent les organisations les plus puissantes du pays, potentiellement. Or ces organisations – à commencer par la CGT – sont profondément impactées par l’expérience de ces derniers mois. Les militants syndicaux réfléchissent à ce qui se passe et s’efforcent d’en tirer les leçons.

En quelques semaines, le mouvement des Gilets jaunes a jeté le gouvernement sur la défensive, l’obligeant à renoncer à l’augmentation de l’écotaxe prévue pour janvier 2019, puis à faire quelques autres concessions mineures (CSG sur les petites retraites et « prime d’activité »). C’est peu, en termes de concessions réelles, mais c’est bien plus que le résultat – absolument nul – des dizaines de journées d’action syndicale organisées depuis 2010. Surtout, on a tous pu constater l’ambiance de panique qui régnait au sommet de l’Etat, en décembre. Il faut comparer cette ambiance à la célèbre fanfaronnade de Sarkozy : « désormais, quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit. »

Cette expérience aura pour conséquence d’accroître la remise en cause, par les militants syndicaux, de la stratégie des directions confédérales – laquelle consiste à « négocier » la régression sociale avec les gouvernements, tout en ponctuant ces « négociations » de vaines journées d’action. L’attitude scandaleuse des directions syndicales face au mouvement des Gilets jaunes nourrira cette remise en cause. De manière générale, l’extraordinaire combativité de ce mouvement sera une source d’inspiration pour les luttes à venir. Quant à l’argument habituel des directions syndicales, selon lequel « les gens ne veulent pas se battre », il sera beaucoup plus difficile à défendre. Le problème, ce n’est pas la combativité des masses ; c’est la stratégie des directions syndicales. Cette vérité fera son chemin dans l’esprit de centaines de milliers de militants politiques et syndicaux.

Enfin, le mouvement des Gilets jaunes a balayé la muraille de Chine que les dirigeants syndicaux (et les politiciens réformistes) ont érigée entre lutte syndicale et lutte politique. Ce mouvement a spontanément formulé et articulé des revendications « immédiates » (retraites, salaires…), très politiques (démission de Macron, dissolution de l’Assemblée nationale) et démocratiques (RIC). Ce faisant, il a donné une leçon à Philippe Martinez, qui, en pleine mobilisation du printemps 2018, expliquait que le renversement du gouvernement n’était pas de son ressort, car lui faisait du syndicalisme et non de la politique… Cette leçon ne sera pas perdue pour tout le monde.

La crise du capitalisme provoque une crise du réformisme – et donc, aussi, une crise du syndicalisme « gestionnaire », corporatiste et prétendument apolitique, car il se condamne à gérer la régression sociale. Incapables d’empêcher cette régression, les dirigeants syndicaux se félicitent d’en ralentir le rythme. Les travailleurs ne peuvent pas l’accepter indéfiniment. Les luttes de masse auront un caractère de plus en plus politique. Les luttes défensives auront tendance à se transformer en luttes offensives, et celles-ci à remettre en cause le « système » en général – et non seulement telle ou telle contre-réforme. C’est précisément ce qu’ont fait les Gilets jaunes : passer à l’offensive. C’est aussi ce qu’ont fait les travailleurs de nombreuses entreprises, ces dernières années, notamment dans les secteurs de la santé, de la logistique et de l’hôtellerie. Des grèves longues et très combatives y ont éclaté pour arracher des conditions de travail et des rémunérations plus dignes. Ces grèves dures doivent être interprétées comme l’annonce d’une radicalisation de la lutte des classes.

L’évolution du rapport de force aux dernières élections professionnelles semble contredire ce qui précède, puisque la CFDT a progressé au détriment de la CGT. Les commentateurs bourgeois triomphent : « c’est la victoire du syndicalisme modéré » ! En réalité, on est très loin d’un séisme électoral. Dans la Fonction publique, la CGT recule de 1,3 % des voix (par rapport à 2014), pendant que la CFDT recule (elle aussi) de 0,3 % des voix, le tout sur fond d’abstention croissante. Cela représente une évolution de 40 000 voix au profit de la CFDT, sur plusieurs millions d’agents de la Fonction publique. Il est difficile d’y voir une vague d’enthousiasme pour le « syndicalisme modéré ». L’évolution est du même ordre dans le secteur privé.

Voici comment Philippe Martinez, lui, interprétait les résultats des dernières élections professionnelles : « la CGT n’évolue pas assez vite. La CGT doit proposer de changer le monde, mais elle doit d’abord être capable de peser sur le quotidien, et c’est là où nous avons perdu beaucoup de nos capacités. Si nous sommes passés deuxièmes, c’est parce que nous sommes parfois trop idéologiques et pas assez concrets. Nous devons redevenir le syndicat de la feuille de paie et du carreau cassé. » Problème : tant que le capitalisme ne sera pas renversé, il y aura toujours plus de carreaux cassés et de pression sur les salaires. Voilà pourquoi il faut lier la lutte pour des revendications immédiates à la lutte contre le système capitaliste. Et cette lutte doit prendre d’autres formes que la vaine succession de journées d’action – qui n’ont rien de « concret », puisqu’elles ne servent à rien.

Au fond, Martinez propose que la CGT se rapproche des méthodes de la CFDT – et de son « idéologie », car la CFDT en a une, elle aussi : c’est l’idéologie de la collaboration de classe. Ce virage à droite de la CGT ne lui serait même pas bénéfique sur le plan électoral : l’original (CFDT) serait préféré à la mauvaise copie.

Cette déclaration de Martinez reflète la pression croissante de la bourgeoisie sur toutes les directions syndicales. Mais la classe ouvrière exercera une pression inverse et toujours plus forte. En conséquence, la polarisation interne à la CGT ne cessera de s’intensifier. Sous la pression de la base, les dirigeants locaux et fédéraux seront placés devant l’alternative suivante : virer à gauche – ou perdre leur place au profit de dirigeants plus combatifs. Les UD et fédérations qui font figure d’opposition interne (UD 13, FNIC, Info’Com, etc.) seront de plus en plus nombreuses. Cela finira par trouver une expression au plus haut niveau de la confédération. Le même processus se développera dans les autres syndicats, CFDT comprise, à des rythmes et des degrés divers. Il sera alimenté par des luttes et des grèves très combatives, à l’échelle des entreprises.

Cependant, ce processus peut prendre un certain temps. Or les masses, elles, ne peuvent pas attendre que les syndicats virent à gauche pour se mobiliser. Il est donc tout à fait possible qu’à l’instar du mouvement des Gilets jaunes, de nouvelles vagues de luttes se développent à l’extérieur des organisations syndicales, au moins initialement. Mais du fait des limites de ces luttes (comme celle des Gilets jaunes), et face à la nécessité d’une mobilisation des travailleurs dans les entreprises, à travers des mouvements de grève, les organisations syndicales seront appelées à jouer un rôle central dans le développement de la lutte des classes à l’échelle nationale.

La France insoumise et les autres forces de gauche

Nous avons critiqué, plus haut, l’attitude « suiviste » de la France insoumise (FI) à l’égard du mouvement des Gilets jaunes. Cependant, cela ne change rien à la position dominante de la FI, à gauche. Ce que nous considérons comme des erreurs – d’un point de vue marxiste – n’est pas forcément perçu comme tel par la masse des jeunes et des travailleurs. D’un point de vue opportuniste et électoraliste, l’attitude de la FI était cohérente. Elle est apparue comme l’organisation la plus en phase avec le mouvement des Gilets jaunes et ses principales revendications.

Cependant, les élections européennes ont bien montré les limites de cette stratégie. Une crise de la FI – qui couvait de longue date – a éclaté au grand jour. Pour autant, est-ce que la domination de la FI, à gauche, est remise en cause ? On ne peut l’affirmer sur la base des seuls résultats des élections européennes, sur fond d’abstention massive. Mais c’est tout de même un très sérieux avertissement, pour la direction de la FI.

La domination de la FI, à gauche, était le prolongement de l’énorme succès de la campagne de Mélenchon à la présidentielle de 2017, succès qui reposait sur une rupture nette avec le PS et une certaine radicalité programmatique. Cette dynamique a été confortée par la crise et la décomposition du reste de la gauche. Le changement de direction du PCF ne marque pas un virage à gauche sur le plan du programme et des idées ; en termes d’alliances électorales, il marque même un virage à droite. Comme le PCF, Benoît Hamon cherche un espace entre le PS et la FI. Mais dans un contexte de polarisation politique croissante, cela ne mène nulle part. Quant au PS, c’est désormais une addition de généraux divisés et sans armée. Sur les plateaux de télévision, on dirait des fantômes du passé débitant de vieilles formules creuses. Enfin, les Verts sont très divisés et, surtout, virent à droite. Tous (PS, PCF, Generation.s, Verts) parlent sans cesse de s’unir, mais sans jamais y parvenir – sauf lorsqu’il s’agit d’attaquer la France insoumise. Dans ce petit jeu, ils sont parfois rejoints par le NPA.

Bien sûr, le processus de polarisation politique – vers la droite et vers la gauche – n’est pas homogène et mécanique. Une partie de l’ancien électorat du PS lui demeure fidèle ; une autre partie se tourne vers Génération.s. C’est le cas, en particulier, dans les classes moyennes et les couches supérieures du salariat. Par ailleurs, une partie des électeurs de Mélenchon en 2017 s’en détournent pour différentes raisons. Autrement dit, l’espace que se disputent le PS, Hamon, les Verts et le PCF existe bel et bien. Il peut même donner l’impression de grandir le temps d’un sondage ou d’une élection intermédiaire (exemple : le score des Verts aux européennes). Mais cela ne change rien à la tendance politique la plus fondamentale, qui n’est pas favorable aux positions intermédiaires et modérées. Tant que la FI apparaîtra comme la grande force de gauche la plus radicale et la plus anti-système, elle conservera son avantage sur toutes les autres.

Nous ne pouvons pas prévoir ce que deviendront toutes ces organisations à long terme (dans 15 ou 20 ans). Par exemple, le déclin du PS et du PCF est-il irréversible ? C’est tout à fait possible. Mais cela dépend d’un certain nombre de facteurs que nous ne pouvons pas anticiper. Cela dépend, notamment, de ce que deviendra la FI, qui va au-devant de grandes turbulences. Il est inutile de spéculer sur les différentes possibilités à long terme. Pour notre orientation et notre travail, il nous suffit de comprendre que dans l’immédiat, compte tenu de la crise du capitalisme et de la polarisation politique, la FI est la mieux placée pour cristalliser l’opposition de gauche à la politique du gouvernement. En conséquence, elle est aussi la mieux placée, à ce stade, pour constituer la force dominante d’un futur gouvernement de gauche.

Ceci étant dit, les erreurs et vacillations des dirigeants de la FI peuvent entraver ou ralentir ce processus. Le résultat des élections européennes l’a bien montré. Ces 12 derniers mois, la FI a lancé des « campagnes » et des « référendums citoyens » sur des thèmes – comme le nucléaire et la gestion de l’eau – qui sont déconnectés des préoccupations et des luttes du moment, dans la jeunesse et le salariat. Par ailleurs, la campagne électorale des européennes a manqué de clarté et, surtout, de radicalité. Or en 2017, c’est précisément la radicalité de Mélenchon qui avait déterminé le succès de sa campagne. Cette radicalité est indispensable pour gagner les couches les plus exploitées de la population, qui bien souvent s’abstiennent, aux élections, ou sont tentées par la démagogie « anti-système » du RN. Les sondages soulignent qu’entre 30 et 40 % de la population rejette tous les partis. C’est surtout dans la conquête de ces couches sociales que se jouera la lutte pour le pouvoir, ces prochaines années.

La désorganisation de la FI, à tous les niveaux du mouvement, est un autre obstacle à sa progression. C’est la conséquence du refus de doter la FI de structures organisationnelles stables, démocratiques et reconnues de tous : celles d’un parti. Mélenchon justifie ce refus par le rejet des logiques fractionnelles propres aux partis. Mais des luttes fractionnelles peuvent se développer à l’intérieur d’un mouvement ; simplement, elles échappent alors totalement au contrôle des militants.

Si la FI s’était transformée en un parti, dans la foulée de l’élection présidentielle, elle disposerait aujourd’hui d’une force militante réelle (active) beaucoup plus importante. Les « groupes d’action » de la FI suffisent à organiser les éléments les plus militants et les plus convaincus. Mais pour intégrer des couches de militants plus larges, il faut des structures centralisées aux plans local et national, ainsi que des mécanismes démocratiques clairs. En l’absence de telles structures, la grande majorité des forces militantes mobilisées en 2017 ne participent plus aux « groupes d’action », dont beaucoup ne fonctionnent plus. Dans la perspective des prochaines élections présidentielles et législatives, cette question pourrait s’avérer décisive. Elle sera posée par de nombreux militants et sympathisants de la FI, dont beaucoup constatent les carences propres aux structures lâches d’un « mouvement ».

La FI connaîtra inévitablement une polarisation interne entre une gauche et une droite, comme ce fut le cas dans Podemos, en Espagne. Ce sera forcément le cas si la FI accède au pouvoir, mais cela peut arriver avant. En dernière analyse, cette polarisation reflétera les pressions contradictoires des différentes classes. Elle trouvera sans doute une expression au plus haut niveau du mouvement. Si la FI devient un parti, l’expression démocratique de la base pourrait pousser la FI vers sa gauche et inciter de nombreux jeunes et salariés à y adhérer.

Les prochaines élections présidentielles – ou législatives, en cas de dissolution – seront encore plus polarisées que ne l’étaient celles de 2017. Il y aura bien une tentative de reconstituer un « centre » autour de LREM, d’une partie des Républicains et de débris du PS, mais ses chances de victoires seront limitées par le rejet massif du gouvernement sortant. Le soi-disant « centre » sera concurrencé par un pôle d’extrême droite (autour du RN), d’un côté, et par la FI, de l’autre – du moins si celle-ci n’est pas sabordée par ses dirigeants, ce qu’on ne peut exclure. Cette polarisation serait encore plus nette dans le contexte d’une nouvelle récession mondiale. Beaucoup d’observateurs et politiciens bourgeois le comprennent et le redoutent. C’est ce qui explique l’acharnement des grands médias contre la FI, ainsi que les perquisitions dont elle a fait l’objet, en octobre dernier. Dans les années qui viennent, ces attaques contre la FI ne vont pas diminuer, mais, au contraire, s’intensifier. Plus que Mélenchon lui-même, la bourgeoisie craint les masses qui, à l’avenir, pourraient soutenir la FI.

Après des années de gouvernement Macron, le potentiel électoral d’une opposition de gauche « radicale » sera encore plus important qu’en 2017. Mais si ce potentiel ne trouve pas d’expression adéquate, il ne pourra pas se réaliser – et c’est alors le RN qui captera le mieux le rejet du « système » et du statu quo.

Il faut bien comprendre le sens de notre « soutien critique » à la FI. Nous ne disons pas que le réformisme de gauche de la FI est un obstacle à son ascension électorale. A ce stade, les masses ont toujours beaucoup d’illusions dans la viabilité du réformisme. Pour comprendre les limites du réformisme, elles devront passer par la douloureuse expérience d’un gouvernement de gauche dirigé par la FI – ou par toute autre force politique de ce type. Ce que nous expliquons, précisément, c’est que le réformisme de gauche ne permettra pas de régler les problèmes des masses.

Les deux principales organisations gauchistes – LO et le NPA – sont incapables de comprendre la dynamique à l’œuvre autour de la FI. Elles oscillent sans cesse entre sectarisme et opportunisme. En fait, elles combinent ces deux erreurs d’une façon caricaturale : elles rejettent péremptoirement la FI, mais elles défendent un programme tout aussi réformiste (ou à peine plus radical). Ceci impose des limites à leur futur développement.

La jeunesse et les femmes

La crise organique du capitalisme frappe de plein fouet la grande majorité des jeunes. Le chômage et la précarité sont devenus une étape « normale », incontournable, de leur entrée dans la vie active, quand ce n’est pas leur unique perspective à long terme. L’éducation publique est attaquée. Les logements dignes et bon marché sont toujours plus inaccessibles. Faute d’argent, un nombre croissant de jeunes renoncent à des soins médicaux. Dans les quartiers les plus pauvres, le racisme et le harcèlement policier viennent compléter ce sinistre tableau.

La jeunesse s’inquiète beaucoup, à juste titre, de l’avenir que lui réserve le système capitaliste. La crise économique n’en finit pas et menace même de s’aggraver. Les guerres se multiplient. Les institutions bourgeoises, ses médias et toute la société officielle transpirent le mensonge, le cynisme, l’égoïsme et la corruption. La jeunesse y est particulièrement sensible. Elle est révulsée par le racisme, le sexisme, l’homophobie et toutes les formes d’oppression. Comme si tout cela ne suffisait pas, elle comprend que ceux qui dirigent le monde l’exposent à des catastrophes écologiques toujours plus graves, au point de menacer la survie de l’espèce humaine.

Dans ce contexte, on doit s’attendre à de puissantes mobilisations de la jeunesse. Les mobilisations étudiantes de 2018 et les récentes « grèves pour le climat » en sont les premières manifestations. La radicalisation de la jeunesse connaîtra des phases d’accélération brutale. En outre, la nouvelle génération sera très ouverte aux idées révolutionnaires. Depuis qu’ils ont l’âge de s’intéresser à la politique, tous ceux qui ont moins de 25 ans, aujourd’hui, n’ont connu que la crise. Ils n’ont pas connu le stalinisme, l’effondrement de l’URSS et la vague de propagande réactionnaire des années 90. Ils accueillent les discours sur « la supériorité de l’économie de marché » avec un profond scepticisme.

Il est vrai que beaucoup de jeunes se méfient des partis et des organisations, fussent-ils révolutionnaires. On peut les comprendre, lorsqu’on voit l’état des syndicats et des partis de gauche. Mais l’expérience vivante de la lutte leur démontrera l’implacable nécessité des organisations en général – et d’une organisation révolutionnaire en particulier. Une fois qu’ils l’auront compris, les meilleurs éléments de la jeunesse mettront tout leur dévouement et tout leur enthousiasme à construire le parti révolutionnaire.

Dans le Programme de transition, Trotsky écrivait : « l’époque du déclin capitaliste porte les coups les plus durs à la femme, tant comme salariée que comme ménagère. » 80 ans plus tard, c’est toujours vrai. La crise du capitalisme aggrave toutes les formes d’exploitation et d’oppression des femmes : chômage, précarité, pauvreté, inégalité salariale, dépendance financière, destruction des services publics, machisme, violences, agressions sexuelles…

Des mobilisations massives des femmes sont à l’ordre du jour. Le mouvement des Gilets jaunes en est une illustration frappante. De même, en Espagne, les 8 mars 2018 et 2019 ont été marqués par des grèves et des manifestations de masse dirigées par des travailleuses, des chômeuses et des étudiantes. Les travailleuses comprennent le lien entre l’oppression qu’elles subissent et le système qui les exploite. Sur les ronds-points et les manifestations, les femmes Gilets jaunes ne discutaient pas des 50 nuances de féminisme bourgeois et petit-bourgeois. Elles organisaient la lutte aux côtés des hommes de leur classe – contre le gouvernement des riches.

La crise du capitalisme et le développement de la lutte des classes mineront l’influence des féminismes bourgeois et petit-bourgeois, qui se caractérisent par un refus de prendre des positions de classe – et donc d’apporter une réponse concrète pour en finir avec les oppressions que vivent les femmes. Cependant, cela ne signifie absolument pas qu’il y aura moins de luttes contre l’oppression des femmes. Au contraire, ces luttes peuvent prendre un caractère massif et très radical. Beaucoup de jeunes femmes s’éveilleront à la vie politique à travers de telles luttes. Nous devrons y intervenir de façon énergique – avec nos idées et notre programme marxistes, sans la victoire desquels l’émancipation des femmes sera impossible.

La droite et l’extrême droite

La crise du capitalisme a détruit l’équilibre politique sur lequel avait reposé le pouvoir de la bourgeoisie française, pendant des décennies. Cet équilibre, c’était « l’alternance », au gouvernement, de la droite traditionnelle et de la social-démocratie (PS). Lorsque les masses parvenaient à chasser la droite du pouvoir, le PS utilisait son autorité sur la classe ouvrière pour mener une politique conforme aux intérêts fondamentaux de la bourgeoisie. En conséquence, le PS décevait les travailleurs et préparait le retour de la droite au pouvoir. Et ainsi de suite. Dans ce dispositif, la direction du PCF jouait un rôle important : canaliser la colère et les pressions de l’avant-garde ouvrière – et, ainsi, protéger le flanc gauche du PS.

Aujourd’hui, le PCF ne canalise plus rien. Le PS a fait 6 % de voix à la présidentielle de 2017 et n’est plus une alternative au pouvoir en place. Quant aux Républicains, ils n’ont pas accédé au deuxième tour de la présidentielle, pour la première fois de leur histoire, et traversent depuis une crise majeure – dont les élections européennes ont marqué une nouvelle étape. Le cycle de l’alternance a déraillé. En 2017, Macron en a profité pour faire « le casse du siècle », selon l’expression de Gérard Collomb. Mais la victoire du « centre », en mai 2017, ne doit pas masquer le fait majeur de cette élection : la progression des « extrêmes » (la FI et le FN). En 2017, Mélenchon a recueilli 3 millions de voix de plus qu’en 2012 – et Marine Le Pen 1,3 million de voix de plus (au premier tour).

Le résultat des élections européennes a énormément aggravé la crise interne des Républicains. Une partie significative de l’électorat de Fillon en avril 2017 a voté pour LREM ; une autre partie a voté pour le RN. En conséquence, un certain nombre d’élus et dirigeants se tournent vers l’une des deux options – surtout vers LREM, à ce stade, mais le RN ne sera pas en reste. Il est possible, par exemple, qu’un certain nombre d’élus Républicains s’engagent dans des alliances avec le RN aux prochaines élections municipales. Quoi qu’il en soit, la bourgeoisie est obligée d’envisager la possibilité d’alliances entre la droite traditionnelle et le RN, en vue d’un futur gouvernement de coalition.

Les dirigeants du RN y sont disposés, bien qu’ils ne puissent pas le dire ouvertement. A la différence de Jean Marie Le Pen, Marine Le Pen et sa clique veulent accéder aux plus hautes responsabilités gouvernementales. Ils veulent le pouvoir ; ils ont accumulé une base électorale qui leur permet d’y prétendre. Mais ils savent qu’ils ne peuvent pas y parvenir sans alliances avec la droite traditionnelle. En conséquence, on voit le RN abandonner les éléments de son programme qui contredisent les intérêts fondamentaux de la bourgeoisie française. Il ne défend plus (ne fait plus semblant de défendre) la retraite à 60 ans, l’augmentation du SMIC et autres mesures de ce type. Il a abandonné ses appels à « sortir de la zone euro », car la grande bourgeoisie française n’a aucun intérêt à sortir de la zone euro. Marine Le Pen le sait et, en femme « de principe », elle en change. C’est cette évolution qui a précipité le départ de Florian Philippot et d’une petite minorité de frontistes attachés à la démagogie « sociale » et anti-UE.

Ce processus de « normalisation » du RN est activement soutenu par les grands médias bourgeois [6]. Mais il est plein de contradictions. D’une part, malgré les efforts des commentateurs bourgeois, le RN est toujours détesté par des millions de jeunes et de travailleurs. Plus il s’approchera du pouvoir, plus l’opposition à ce parti ultra-réactionnaire pourrait prendre des formes explosives, en particulier dans la jeunesse. D’autre part, en abandonnant sa démagogie sociale, anti-UE et « anti-système », le RN risque de perdre une partie de son électorat le plus populaire – au profit, notamment, d’une alternative de gauche au « système », à l’UE et aux politiques d’austérité, c’est-à-dire au profit de la France insoumise. Mais cela suppose que celle-ci soit à la hauteur de l’enjeu – ce qui, encore une fois, est loin d’être acquis. Si la FI ne vire pas à gauche, si elle ne renoue pas avec une radicalité sociale et « anti-système », elle favorisera la victoire de la droite aux prochaines élections nationales.

Il est impossible d’anticiper les développements précis, concrets, de la situation politique, laquelle se caractérise avant tout par une polarisation et une instabilité croissantes. Par le passé, l’incertitude se réduisait à la question : qui, du PS ou de l’UMP, va remporter les élections ? Aujourd’hui, personne ne peut dire qui va remporter les prochaines élections présidentielles et législatives. Pour la bourgeoisie française, l’idéal serait une nouvelle victoire du « centre », c’est-à-dire de la droite soi-disant « modérée » (qui ensuite, au pouvoir, mène une politique d’austérité drastique). Mais après l’expérience du gouvernement Macron, c’est loin d’être acquis. D’où la possibilité que se constitue un pôle de la droite « radicale », dans lequel le RN jouerait un rôle central.

Démocratie bourgeoise et bonapartisme

Le RN ne vise pas l’instauration d’un régime dictatorial (ni a fortiori fasciste), mais sa participation à un gouvernement réactionnaire dans le cadre de la démocratie bourgeoise (comme Salvini en Italie). Il n’y a pas d’autre voie vers le pouvoir, pour le RN. Si Marine Le Pen renouait avec les provocations fascistes de son père, les médias bourgeois cesseraient immédiatement de la cajoler. A ce stade, la bourgeoisie ne peut pas s’orienter vers un régime de type dictatorial (bonapartiste), car cela provoquerait une explosion sociale d’une telle puissance qu’elle menacerait le capitalisme lui-même. Par ailleurs, la bourgeoisie n’a pas besoin, pour le moment, de s’orienter vers un régime bonapartiste : pour mener sa politique, elle peut s’appuyer sur la passivité ou la complicité active des dirigeants du mouvement ouvrier (en particulier des syndicats).

Avant que la bourgeoisie ne s’oriente vers le bonapartisme, la classe ouvrière aura eu plusieurs occasions de prendre le pouvoir. Mais en attendant, le développement de la lutte des classes pousse la bourgeoisie à prendre des mesures policières et judiciaires toujours plus sévères. A cet égard, la répression du mouvement des Gilets jaunes marque une étape significative. Cette répression est beaucoup plus dure que celle – déjà exceptionnelle – du mouvement de 2016 contre la loi Travail. Mais la classe dirigeante en paye un prix. D’une part, cela crée d’importantes tensions au sein de la police, sachant que de nombreux policiers sympathisent avec les revendications des Gilets jaunes. D’autre part, la répression policière et judiciaire révèle la réalité de l’Etat bourgeois à des millions de jeunes et de travailleurs. Elle creuse le gouffre entre le gouvernement et les masses, qu’elle radicalise.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le processus de prolétarisation de la société s’est poursuivi sans trêve : il est inhérent aux lois de l’économie capitaliste. Comme l’écrivait Marx dans le Manifeste du Parti Communiste « la bourgeoisie produit ses propres fossoyeurs » en la personne des salariés. Le poids social du salariat n’a jamais été aussi important qu’aujourd’hui (comme son niveau technique et culturel, d’ailleurs). Les réserves sociales de la réaction – en particulier la paysannerie – ont fondu comme neige au soleil. Le rapport de force entre les classes s’est énormément modifié au profit du salariat. Voilà pourquoi la bourgeoisie ne pourra pas rapidement imposer une dictature bonapartiste : les travailleurs ne le permettront pas. En conséquence, les crises sociales auront un caractère plus « prolongé », avec des flux et des reflux pendant toute une période.

Or, s’il est clair que la bourgeoisie ne peut pas supprimer la démocratie à court terme, celle-ci subira toutes sortes de limitations et d’entorses plus ou moins profondes, dans le vif des combats. On le voit clairement avec la répression policière et judiciaire des Gilets jaunes. Les perquisitions menées contre la FI en sont un autre exemple. Les lois liberticides se succèdent, sous prétexte de « lutter contre le terrorisme » ou « contre les casseurs ». La démocratie bourgeoisie n’est pas abolie, certes, mais une marge de manœuvre toujours plus grande est ménagée à l’arbitraire policier et judiciaire. Autrement dit, des éléments de bonapartisme se développent dans le cadre de la démocratie. Les dirigeants syndicaux ferment les yeux ou protestent mollement, ce qui encourage la bourgeoisie à aller un peu plus loin. Mais les masses – et la jeunesse, en particulier – se mobiliseront contre cette remise en cause systématique de nos droits démocratiques.

Construire les forces du marxisme

L’histoire démontre que les travailleurs ne peuvent pas prendre et conserver le pouvoir sans un parti révolutionnaire suffisamment fort et enraciné. Ceci a d’importantes implications du point de vue des perspectives. L’absence d’un parti révolutionnaire – autrement dit, la faiblesse des forces du marxisme – signifie que les travailleurs ne pourront pas prendre le pouvoir à court terme. La lutte des classes passera par une série d’étapes marquées par de grandes offensives, auxquelles succéderont des défaites et des phases de reflux, voire même de réaction. Celles-ci, cependant, ne seront que le prélude à de nouvelles et plus puissantes offensives. L’impasse du capitalisme obligera les travailleurs à reprendre sans cesse le chemin de la lutte. Tout l’enjeu, pour les marxistes, est d’intervenir dans ce processus pour construire leurs forces.

Notre travail d’aujourd’hui et de demain doit être replacé dans cette perspective à plus long terme. Nous savons où nous allons, ce que nous construisons, ce qui est possible dans l’immédiat – et ce qui ne l’est pas. Nous posons les fondations d’un vaste édifice. La solidité de ces fondations dépend avant tout de notre attitude à l’égard de la théorie marxiste, sans laquelle la plus puissante des organisations est condamnée à la faillite. La formation théorique de nos camarades est l’une des clés, sinon la clé, de nos succès futurs. Elle est la condition sine qua nond’interventions efficaces dans la jeunesse et le mouvement ouvrier.

Les grands événements ne manqueront pas, dans les années qui viennent. La radicalisation de la jeunesse nous ouvrira la possibilité de grandir plus rapidement. Pendant toute une période, cependant, les événements seront « plus grands que nous », pour ainsi dire : nous n’aurons pas les forces pour en déterminer le cours. Mais si nous menons correctement notre travail de recrutement et de formation, nous développerons sans cesse notre capacité d’intervenir dans les événements – et, en retour, d’en bénéficier pour construire nos forces, notre influence et notre autorité. Le parti révolutionnaire ne sera pas construit autrement.

Adopté par le Congrès national, le 22 juin 2019.


[1Perspectives mondiales 2018.

[2China: the approaching storm

[3] La dette publique menace l’équilibre mondialLe Figaro du 25 mars.

[4] Global economy enters ‘synchronised slowdown’. Le Financial Times du 7 avril.

[5L’économie mondiale n’a jamais été aussi endettéeLe Figaro du 4 janvier

[6La lepénisation des grands médias, dans le n° 33 de Révolution.