Le 22 août dernier, à leur réveil les néo-démocrates ont appris la nouvelle de la perte de leur chef de parti Jack Layton. Nous avons assisté dès lors à un immense élan d’émotion au sein des militants du parti et même de la classe ouvrière dans son étendue. C’est que dans ces temps de crise et d’austérité, Jack Layton était vu comme étant quelqu’un qui représentait quelque chose de différent. Il semblait se situer dans le chemin vers la justice sociale et à l’abri de la course vers le bas. L’espoir et l’optimisme étaient maîtres mots de Jack et c’est exactement ce que les travailleurs et les jeunes sont à la recherche à l’heure actuelle. La Riposte salut le passage d’un combattant qui manquera à des millions de gens.

Jack a fait l’annonce l’an dernier qu’il était diagnostiqué d’un cancer à la prostate. Soutenu par des béquilles et d’une canne ensuite, M. Layton n’a jamais démontré de fatigue dans la direction du NPD vers sa victoire historique aux élections fédérales de cette année. Nous avons été les témoins d’un changement tectonique dans la politique canadienne lorsque le NPD a balayé le Bloc québécois, décimé les libéraux de Michael Ignatieff et gagné 103 sièges pour devenir pour la toute première fois l’opposition officielle.

Le mois dernier, aminci et parlant d’une voix rauque, M. Layton a fait part d’un nouveau diagnostique de cancer et qu’il quitterait temporairement ses fonctions de chef de parti. Nycole Turmel devait prendre sa place à la direction du parti provisoirement jusqu’à son retour, retour que nous ne connaitrons pas.

La mort de Jack Layton est presque poétique dans toute sa tragédie. Après avoir porté le parti le plus près d’une formation au gouvernement de toute l’histoire, il ne pourra pas maintenant avoir l’opportunité de voir le combat crucial pour le pouvoir qui se livrera dans la période à venir. Cependant, tel un symbole de ce que les néo-démocrates peuvent atteindre, il sera à tout jamais inscrit à l’héritage du parti au côté de Tommy Douglas.

Jack Layton est devenu politiquement actif dans l’atmosphère polarisée de la Révolution tranquille et le mouvement étudiant des années 1960 à l’Université McGill de Montréal. Il est vite devenu un militant dans un groupe de gauche appelé le Front d’action politique (FRAP) et a aussi étudié auprès du professeur Charles Taylor, un néo-démocrate confirmé qui a joué un rôle certain dans les vues gauchistes de M. Layton. Taylor rejette et rejetait déjà l’idée d’un consensus politique, il enseignait que nous devons prendre position selon nos convictions et comme il a écrit à l’époque : « Au cours des dernières années, le centre dans la politique canadienne est devenue nettement encombré. L’opposition frontale dramatique entre « oui » et « non » a été remplacée par un dialogue évasif du « oui » et « nous verrons. »

Nous sommes entièrement en accord avec ce concept. Il n’y a pas plus grand mythe en politique que le soi-disant centre serait la position la plus représentative, que la vérité se doit d’être toujours quelque part entre gauche et droite. L’enseignement que la possession d’une idéologie n’est pas un péché mortel, mais plutôt un signe de principes personnels, c’est ce qui a poussé M. Layton vers les néo-démocrates et loin des libéraux de Trudeau. Ceci est devenu encore plus explicite et clair lorsque Trudeau a invoqué la Loi sur les mesures de guerre et a attaqué le peuple québécois durant la Crise d’octobre en 1970; seul le NPD s’est opposé vivement à cette action draconienne.

M. Layton déménagea ensuite à Toronto à la fin de ses études et amorça sa carrière politique dans sa ville adoptive à l’Université Ryerson comme chargé de cours et resta un militant infatigable. En 1982, il surmonte la faible probabilité et est élu comme conseiller municipal. Il devient rapidement une sorte de chef de l’opposition non officiel se tenant impétueusement contre les coupures au logement, s’attaquant au problème de l’itinérance et en faveur d’une réponse plus forte à la crise du sida. En 1991, il se lance dans un ultime essai à la direction de la mairie qui échouera. Plus tard dans les années 1990, il se porta à deux reprises aux élections fédérales avec le NPD, les deux tentatives essuyèrent une défaite. C’est finalement en 2003 qu’il gagna enfin la reconnaissance nationale.

Lors de l’élection fédérale de 2000, le NPD reçu un dur coup ne recevant que 8,5% du vote populaire et il se vit réduit à 13 sièges au Parlement. Plusieurs fidèles blâmèrent alors cette défaite sur la dérive vers la droite que connaissait alors le NPD sous l’ancien chef Alexa McDonough. Le mécontentement au sein du parti et des militants à l’extérieur du parti a conduit à la création de l’Initiative de nouvelles politiques (NPI) en 2001 qui comptait le Premier ministre de la Colombie-Britannique Libby Davies et Svend Robinson dans ses membres. Le NPI cherchait à embrasser les nombreux jeunes militants qui n’étaient pas à l’intérieur du parti, mais qui s’étaient radicalisés grâce aux luttes d’antimondialisation à Seattle et dans la ville de Québec. Il visait à ragaillardir la base du parti. Le NPI a été défait à la convention fédérale de 2002, mais pas avant d’avoir remporté un soutien de plus de 40% parmi les délégués du parti. En 2003, lors de la course au leadership, avec le support de ces membres au NPI, ainsi qu’avec l’approbation de l’ancien chef Ed Broadbent, Jack Layton a facilement remporté sur son adversaire principal Bill Blaikie, le candidat de l’establishment du Parti. À l’exception de Davies et Robinson, Blaikie avait le soutien illimité de l’assemblée parlementaire du caucus. Toutefois, Layton en aparté balaya tous les autres candidats lors de la première ronde et écrasa Blaikie par plus de deux fois son nombre de votes totaux. M. Layton a bondi au siège de la direction avec 53,5% des voix et un mandat pour le changement étant perçu comme le représentant des idéaux du NPI des membres de la base.

Il serait un mauvais service à l’homme que d’idéaliser son héritage, tout en réalisant de grandes choses, des développements tout autant négatifs que positifs sont survenus lors de son mandat. Alors qu’il posait pour un portrait, Oliver Cromwell aurait dirigé l’artiste de cette façon : « Peignez-moi comme je suis, les verrues et tout! » Sous le leadership de Layton, le changement fondamental vers la gauche que le NPI avait tant espéré ne s’est pas concrétisé. Layton, allant à contre courant des enseignements que son ancien mentor lui avait inculqués est devenu un chercheur de consensus. Il a tenté d’orienté un accord entre les membres de la base et la bureaucratie du parti, par moment, se penchant davantage vers l’un ou l’autre. À plusieurs reprises, cela a voulu dire survoler les divisions au sein du parti avec des discours sur l’« unité », mais une union entre idées opposées ne peut pas être maintenue artificiellement ou éternellement.

Dès qu’il est devenu chef, Jack Layton a été soumis à des pressions tenues de la part de l’establishment qui cherchait à dresser une ligne du parti soigneusement sélectionnée et approuvée de petits groupes concertés, un chemin de la moindre résistance. À certains moments, cela a entraîné des renversements significatifs dans les politiques. L’un des cas les plus notables est sans nul doute lorsque M. Layton s’est initialement opposé à la Loi sur la clarté des principes. Après avoir été violemment critiqué pour cela par les médias anglo-chauvinistes et corporatifs, il capitula sous la pression bureaucratique en 2006 et devant public renversa sa position au grand dam des militants du parti tout spécialement ceux du Québec.

Toutefois, sur une note plus positive, M. Layton a habilement réussi à arracher des concessions du gouvernement minoritaire de Paul Martin en redirigeant près de 6.4 millions de dollars de réductions d’impôts de grandes entreprises vers des programmes sociaux. Cela fut un gain significatif qui a amélioré la qualité de vie de la classe ouvrière de par le Canada sans lier de façon décisive le NPD aux libéraux discrédités.

Cependant, les négociations avec les libéraux ont aussi donné l’illusion à la direction du NPD que le changement pourrait être atteint uniquement par la manœuvre parlementaire, la plus grande erreur de Jack Layton. À l’hiver 2008, avec un gouvernement minoritaire de Harper et un parti libéral très affaibli sous les rênes de Stéphane Dion, Layton a négocié un accord pour porter au pouvoir un gouvernement de coalition libéral-NPD pour renverser Harper. Tout comme Fightback (version anglaise de La Riposte) a écrit à ce moment, cela aurait été une gaffe massive. Si cela avait vu le jour, cette coalition aurait sauvé le libéralisme canadien de l’effondrement et absolument dévaluer le NPD aux yeux de la population en quête de changement. Le NPD fédéral aurait fait partie du régime d’austérité que les libéraux auraient mis de l’avant (une même austérité que celle qui règne présentement sur nous avec M. Harper). À ce moment, nous avons appelé à la démission de Jack Layton pour empêcher que cette coalition soit formée. Une telle tournure des évènements aurait pu conduire à la destruction du NPD en tant que parti travailliste au Canada. L’épisode s’est résulté par l’éviction de Stéphane Dion remplacé par Michael Ignatieff un chef libéral anti-coalition qui ironiquement a sauvé le NPD et le leadership de Jack Layton. Tels sont les dangers à chercher à «s’amasser au centre ».

Lors de la convention fédérale de 2006 à Québec, la presque totalité des délégués au congrès ont appuyé fermement une résolution visant à rappeler les troupes canadiennes d’Afghanistan. Jack Layton s’était alors aussi levé de son siège pour parler en faveur de la résolution. Malheureusement, la bureaucratie du parti s’est efforcée à édulcorer le contenu par après. Malgré cela, la majorité des canadiens en sont venus à croire le NPD comme s’élevant pour « le retrait des troupes, » tout spécialement au Québec. M. Layton s’est vu affubler du surnom « Jack le taliban » pour ses positions anti-guerre de la part des médias corporatif et a mérité les éloges pour ne pas avoir reculé. Ceci est une leçon pour les futurs leaders du NPD que de ne pas plier sous les pressions des grandes compagnies.

Ce n’est pas avec surprise que nous avons vu Jack gagner une popularité toujours plus grandissante et un degré supérieur de « solvabilité de confiance » plus qu’aucun autre chef des partis confondus. Contrairement à la coquille vide ou plutôt au robot froid qu’est Stephen Harper et au pompeux et condescendant Michael Ignatieff, Jack Layton n’a jamais ressenti un malaise a parlé avec la classe ouvrière canadienne. Par ailleurs, Jack a montré ses forces personnelles et toute son énergie au travers de sa campagne couronnée de succès et est resté au parlement même lorsque le NPD a prolongé le débat la loi spécial des conservateurs qui imposait le retour au travail chez Postes et finalement, le tout en combattant le cancer.

Le discrédit du libéralisme, la crise économique, le dégoût du statu quo politique (au Québec surtout) et le leadership populaire de Jack Layton; tout s’est combiné plus tôt cette année en cette élection qui est maintenant qualifiée d’historique. Le balayage virtuel du Bloc québécois et la décimation du parti Libéral a amorcé l’arrivée d’une nouvelle ère pour le Canada et le NPD. Jack Layton mérite à juste titre le crédit d’avoir porté le NPD à sa popularité d’aujourd’hui.

La bureaucratie du parti a récemment renouvelé ses tentatives pour pousser Layton et le NPD plus loin vers la droite. Ceci à son paroxysme à la convention fédérale de Vancouver où une ambiance de fête à fait place à un combat entre les membres de la base et l’establishment du parti sur la question d’enlever le mot « socialisme » de la constitution du NPD. La tentative de changer les principes sous-estimés du parti a écoué et M. Layton a parlé du débat à la presse comme étant simplement une question « d’étiquette. » Toutefois, un éditorial pour le Globe and mail de la part du président du parti, Brian Topp, écrit quelques temps après la convention est venu contester cette affirmation. Topp a défendu les mesures d’austérité prises par le gouvernement PASOK grecque contre la classe ouvrière grecque. Est-ce la direction que le parti espère nous donner que de se courber aux moindres besoins et demandes des patrons et banquiers?

Avec la perspective de pouvoir à l’horizon, les fissures et divisions au sein du parti sont appelées à devenir plus distinctes. Le ministre fédéral conservateur James Moore a fait une observation astucieuse à la convention de Vancouver. Il a dit : « La moitié du parti souhaite devenir libéral, l’autre moitié souhaite devenir socialiste. » Layton était capable de garder ces deux ailes unies. Avec le décès de Jack, qui sera maintenant capable d’assumer ce rôle? En période de changements et de crises, cette tâche devient pratiquement impossible. Le NPD ne peut pas se diriger vers deux directions en même temps. Et avec une venue au pouvoir au beau milieu d’une crise capitaliste, une voie doit être choisie. Il n’y a pas de place au « centre. »

C’est une tragédie terrible que Jack Layton ne puisse jouir du succès auquel il a travaillé si dur pour le NPD. Malgré ses erreurs, une chose est bien claire ; peu de gens se sont battus aussi courageusement et de façon si tenace pour la justice sociale autant que Jack Layton. Nous joignons ici nos plus sincères condoléances et non seulement pour la famille Layton, mais pour la famille du NPD dans son étendue et le mouvement du travail canadien qui a été profondément secoué par cette terrible perte.

M. Layton a écrit une lettre émouvante dans ses tout derniers jours et l’un des passages les plus touchants selon notre point de vue était son appel à la jeunesse canadienne :

Alors que ma carrière politique s’achève, j’aimerais vous transmettre toute ma conviction que vous avez le pouvoir de changer ce pays et le monde. Plusieurs défis vous attendent, de l’accablante nature des changements climatiques à l’injustice d’une économie qui laisse tant d’entre vous exclus de la richesse collective, en passant par les changements qui seront nécessaires pour bâtir un Canada plus solidaire et généreux. Votre énergie, votre vision et votre passion pour la justice sont exactement ce dont ce pays à aujourd’hui besoin. Vous devez être au cœur de notre économie, de notre vie politique, et de nos plans pour le présent et pour l’avenir.

Ceci devrait être un appel à l’action pour les jeunes travailleurs et étudiants à se joindre au NPD pour s’assurer qu’il deviendra le véhicule de l’exhortation de Jack Layton.  L’éducation gratuite, un service de garde universel, un transport en commun gratuit, un programme massif de construction de logements sociaux; voici ici que quelques demandes qui pourraient renverser l’exclusion ressentie par les jeunes canadiens. Comme Layton aimait dire : « Ne laissez personne vous dire que c’est impossible! »

Jack Layton manquera cruellement au peuple canadien, mais la lutte continue. Nous devons tous aller de l’avant dans le combat contre l’austérité d’Harper sans lui. Nous devons tous chérir les racines d’activisme et de justice sociale de Jack de ses jours à Montréal et au conseil municipal de Toronto et s’en servir tel un modèle pour l’avenir de notre parti. Sur cette base, l’ordre du jour des conservateurs peut être vaincu et le monde d’espoir et d’optimisme que Jack envisageait peut être construit.