Ce que tout le monde attendait a été confirmé le 9 mars dernier : Gabriel Nadeau-Dubois a annoncé sa candidature pour le poste de député de la circonscription de Gouin et pour celui de porte-parole masculin de Québec solidaire. Il a affirmé vouloir se débarrasser de la « classe politique » qui gouverne depuis 30 ans et qui « a trahi le Québec ».

Dans les jours qui ont suivi l’annonce de GND, 5 000 personnes ont joint le parti, ce qui représente une augmentation du nombre de membres de 50 %. De plus, les intentions de vote pour le parti sont passées de 9 à 14 %. Dans le contexte mondial actuel de crise du capitalisme, d’austérité et de diminution des conditions de vie, beaucoup de travailleur-euses et de jeunes ont en mémoire la grande grève étudiante de 2012, ce mouvement qui a fait trembler la classe dirigeante, et cherchent à s’impliquer et à trouver une solution de rechange à notre statu quo pourri. Il n’y a pas de doute que les travailleur-euses et les jeunes sont enthousiastes à propos de la venue de GND au parti et veulent qu’il poursuive ce que la jeunesse a commencé en 2012.

L’hystérie des médias bourgeois

Il n’y a pas que les gens à gauche qui voient en GND la personnification du spectre de 2012. La bourgeoisie et ses porte-parole dans les médias ont déversé toute leur haine et leur bile sur GND depuis son annonce, montrant que les blessures subies en 2012 ne sont pas cicatrisées.

Des articles plus méprisants les uns que les autres ont été écrits sur la venue de GND à Québec solidaire. Réjean Parent, ancien dirigeant de la Centrale des syndicats du Québec et maintenant chroniqueur au Journal de Montréal, a écrit :

« Dans la foulée de sa tournée ‘‘Faut se parler’’ [sic], j’ai momentanément crû que l’étudiant révolutionnaire avait acquis un certain pragmatisme qui l’amènerait sur un terrain politique plus réaliste, mais je me suis royalement fourvoyé. Digne de la tradition marxiste-léniniste latente chez Québec solidaire, Gabriel a choisi de ne faire aucun compromis sur ses objectifs qu’il a élevés au rang de principes […] »

Denise Bombardier, quant à elle, écrivait ce matin :

« QS, c’est une vision qui nous ramène à une époque où Staline, Mao, Castro et leurs émules entraînaient leurs peuples à la débâcle. »

Un autre chroniqueur du JdeM, un certain Michel Hébert, a lui aussi joué aux McCarthy avec l’ancien leader étudiant :

« Gabriel Nadeau-Dubois compte d’ailleurs aussi sur les ‘‘mal pris’’. Peut-être réussira-t-il à leur faire croire qu’ils sont des révolutionnaires. Cette imposture a fait le succès des bolcheviques… »

Joseph Facal, ancien péquiste, se demande ce que GND réserve à son Parti québécois :

« La deuxième question posée par l’arrivée de Gabriel Nadeau-Dubois est : critiquera-t-il davantage le gouvernement Couillard ou le PQ?

Il répondra sans doute : les deux.

Dans les faits, on a souvent eu l’impression, dans le passé, que les militants de QS détestaient plus le PQ que le PLQ. […] Pour l’extrême gauche, la gauche modérée a toujours été l’ennemi principal, parce que c’est cette dernière qui lui barre la route et la marginalise.

C’est ainsi depuis Marx et Lénine. »

Si GND subit des attaques aussi virulentes des politiciens et des chroniqueurs de droite, c’est parce qu’ils ne lui ont pas pardonné et ne lui pardonneront pas 2012.

« La classe politique a trahi le Québec »

La réaction du Parti québécois à l’arrivée de GND est particulièrement intéressante. Bien que Jean-François Lisée s’est gardé de commenter en long et en large l’entrée de GND à QS, les anciens ténors du parti l’ont fait pour lui. Pour eux, les propos de GND sur la « classe politique » qui aurait « trahi le Québec » sont inacceptables.

Bernard Drainville et Bernard Landry se sont sentis particulièrement attaqués par GND, eux qui n’aiment visiblement pas être mis dans le même panier que les libéraux. Landry a affirmé que GND « vient d’insulter grossièrement René Lévesque, Jacques Parizeau, Camille Laurin et autres ».

Drainville, du haut de sa nouvelle tribune radiophonique, a exprimé sa frustration :

« Je suis très déçu, pis passablement en beau joual vert de lire votre déclaration d’à matin […] Moi, je fais partie de la classe politique des trente dernières années. J’ai donné 10 ans de vie publique, moi! [D]e me faire dire par Gabriel Nadeau-Dubois que j’ai “trahi” le Québec là… Je suis vraiment en beau calvaire! Ce n’était pas nécessaire ça, Gabriel Nadeau-Dubois, de commencer votre carrière politique officielle avec QS avec une déclaration comme celle-là. »

Pourtant, nous ne devrions pas oublier que le PQ de René Lévesque a vicieusement utilisé des lois spéciales contre les travailleur-euses du secteur public, que c’est le PQ de Lucien Bouchard qui a donné le coup d’envoi à la course au déficit zéro, et que le PQ de Pauline Marois a donné des congés fiscaux aux grandes entreprises en plus d’aller de l’avant avec sa propre hausse des frais de scolarité. GND a bien raison de mettre les « bleus » dans le même panier que les « rouges ».

Les libéraux, quant à eux, ont à nouveau tenté de soutirer à GND une condamnation de la violence de 2012. « Si Québec solidaire veut faire oublier que Gabriel Nadeau-Dubois reste celui qui a toujours refusé de condamner les actes de violence des carrés rouges lors du conflit étudiant, les Québécois, eux, ne l’oublieront pas », a affirmé le responsable des communications de Philippe Couillard.

La réaction de la bourgeoisie et de ses divers représentants ne devrait pas surprendre. Plus que tout, la bourgeoisie n’a pas pardonné GND pour son rôle dans le tremblement de terre de 2012. Elle craint une répétition de ces événements; elle craint que les masses n’entrent encore une fois sur la scène politique.

GND a aussi raison lorsqu’il affirme que les gens sont écœurés du statu quo, et qu’ils en ont marre que « bleus » comme « rouges » se plient aux intérêts des banquiers et des grandes entreprises. Mais que doit-on faire pour réellement rompre avec le statu quo?

Notre lutte est une lutte de classes!

Il faut admettre que depuis 2011-2012, GND a considérablement dilué son discours politique et utilise de plus en plus un langage confus et vague. Pourtant, dans un très bon discours donné en octobre 2011, à l’aube de la grève étudiante, GND affirmait ceci :

« Ces gens-là sont peu nombreux, ces gens-là contrôlent tout et veulent toujours contrôler plus, ces gens-là ont des intérêts communs, ces gens-là ont un projet politique commun. Il fut un temps au Québec au Canada, il n’y a pas si longtemps de ça, qu’une minorité comme ça qui contrôle les institutions politiques et économiques d’un pays, qui partage des intérêts communs, il n’y a pas si longtemps on appelait ça une classe, et il faut arrêter d’avoir peur des mots. Il faut nommer ces gens-là par leur nom; ces gens-là c’est la classe dominante, ces gens-là c’est la bourgeoisie. La lutte contre la hausse des frais de scolarité, la lutte des indigné-es à travers le monde doit être nommée par son nom. Il s’agit d’une lutte de classes. » (Mes italiques, JA)

C’est ce genre discours radical et clair qui a amené des centaines de milliers d’étudiant-es à prendre la rue il y a cinq ans. Mais aujourd’hui, Nadeau-Dubois utilise un vocabulaire différent et ne s’en prend plus qu’à la vague « classe politique ». Pourtant, il ne faut pas avoir peur des mots : c’est toujours la bourgeoisie, aujourd’hui comme il y a six ans, qui est responsable des maux des travailleur-euses. Il n’y a aucune raison de changer de terminologie pour décrire la classe dominante.

Également, nous avons vu GND reculer sur sa déclaration d’adhésion à Québec solidaire. Après avoir déclaré que la classe politique avait « trahi le Québec », plutôt que de défendre cette idée, il a décidé de rectifier le tir, se pliant à la pression de ses critiques : « Quand je parle de trahison, cela ne veut pas dire que rien de bon n’a été fait depuis 30 ans, encore moins que tous les députés ont individuellement été des traîtres », a-t-il dit sur son compte Facebook. Pourtant, ce que les travailleur-euses et les jeunes ont retenu du GND de 2012, c’est le jeune étudiant radical qui défendait la jeunesse québécoise et pointait du doigt les « élites », mettant bien mal à l’aise les politiciens et les chroniqueurs bourgeois. Toujours selon le récent sondage du Devoir, 50 % des Québécois-es sont en accord avec l’idée que la classe politique a trahi le Québec. Il ne faut pas s’excuser de pointer du doigt le PQ et le PLQ pour leur rôle de premier plan dans la lente destruction des acquis de la classe ouvrière québécoise, et il n’y avait pas de raison de reculer sur ce point.

De même, GND s’est notamment mis sur la défensive lorsqu’on lui a posé à plusieurs reprises la question de la violence lors du conflit de 2012. Mais de quelle violence les libéraux et leurs laquais parlent-ils? De la violence policière qui a fait perdre un œil à deux militants? De l’arbitraire policier qui a vu 3 500 personnes être arrêtées? Du poivre, du gaz, de la matraque qui ont servi à attaquer brutalement les étudiant-es? GND devrait là aussi passer à l’offensive et attaquer les partis de l’establishment pour leur défense passive ou active de cette monstrueuse violence d’État.

Le piège de « l’unité des souverainistes »

GND a parlé à maintes reprises de son « projet de société ». Cependant, il a jusqu’à maintenant été avare de détails concernant ledit projet de société. En réalité, la seule proposition proprement politique de GND jusqu’ici a été de fusionner avec Option nationale. Nous croyons que c’est là un recul important.

Option nationale est un minuscule parti qui, bien qu’ayant eu un certain attrait dans les premiers temps suivant la scission avec le PQ, est en voie d’être réduit à l’insignifiance politique. Les 0,7 % du vote obtenu lors des élections provinciales de 2014 témoignaient du fait que la « saveur du mois » que fut ON lors de sa fondation n’a presque plus de goût. Et selon le sondage du Devoir de cette semaine, le parti récolterait moins de voix que le minuscule Parti conservateur du Québec et que le Parti vert!

Une fusion avec ON serait dangereuse puisqu’elle signifie que QS aurait à mettre l’accent davantage sur le nationalisme plutôt que des politiques de classe. Tout cela à un moment où les Québécois-es se détournent de l’interminable débat fédéralistes-souverainistes et cherchent des solutions de classe à leurs problèmes de classe. De plus, ON est très clairement à la droite de QS. Lorsque le parti fut fondé, l’une des raisons pour laquelle il ne s’est pas joint à QS était le caractère « anticapitaliste » présumé de ce dernier. Rappelons que Sol Zanetti, chef d’ON, pas plus tard qu’en 2016, appelait Jean-Martin Aussant à retourner au PQ lutter pour ses idées, ce qu’il a d’ailleurs fait! Avec des alliés comme ça…

Aussi, GND continue avec ce même discours sur la possibilité d’alliances « ponctuelles » avec le PQ. Pourtant, GND parle d’une classe politique ayant trahi le Québec, « qu’elle soit rouge ou bleue ». Comment justifier, alors, de laisser la porte ouverte à une alliance avec les « bleus »? GND parle des « différences » avec le PQ, mais sans jamais nommer ces différences. Comment convaincre la jeunesse et les travailleur-euses de cette idée sans jamais l’expliciter?

Nous avons déjà expliqué qu’en laissant la porte ouverte à une alliance, ne serait-ce que « ponctuelle », avec le PQ, et en mettant l’accent sur les politiques nationalistes, QS est simplement vu comme l’aile gauche du Parti québécois. Afin d’aller de l’avant, il faut être clair et rompre une fois pour toutes avec le PQ.

Les dangers de la modération

Malheureusement, la direction de QS a eu tendance, au cours des dernières années, à modérer son discours afin de ne pas paraître trop « radical ». Nous croyons que c’est précisément ce discours de plus en plus modéré qui a fait stagner QS. Au Québec, la dernière période en a été une de profonde turbulence, d’instabilité politique, de mouvements de masse, de grèves, etc. Pendant que les travailleur-euses et les jeunes se sont radicalisés et cherchent des idées à gauche, la dilution du message du parti le fait apparaître comme vague et peu crédible aux yeux de ces travailleur-euses et de ces jeunes. C’est la seule raison permettant d’expliquer le fait que QS n’ait pas pu canaliser la colère palpable au sein de la société au cours des dernières années.

Pour ce qui est de GND, malgré qu’il ait affirmé clairement « être de gauche » et vouloir aider les « mal pris », les seules propositions qu’il a mises de l’avant, outre l’idée d’une fusion avec ON, sont d’avoir une équipe solide composée de candidatures d’importance hors de Montréal et au sein des communautés culturelles, et de s’inspirer de Bernie Sanders… non pas pour son message politique et son contenu, mais pour son utilisation des nouvelles formes de militantisme à l’aide des nouvelles technologies médiatiques.

Avec ce manque d’idées et de politiques concrètes, GND entretient le flou quant à ce que QS défend, et, à vrai dire, il est difficile de dire à qui le parti s’adresse véritablement. En effet, GND semble s’adresser à la classe politique, lui disant que lui, il va faire les choses différemment.

À qui devrait-on s’adresser? Plutôt que d’utiliser le langage de la classe politique, qui embrouille la politique avec des déclarations vagues afin que les masses ne puissent comprendre ce qu’ils défendent vraiment, nous devons utiliser un langage clair et audacieux en s’adressant aux travailleur-euses et à la jeunesse. De plus en plus d’entre eux réalisent que le capitalisme n’a rien à leur offrir, et cherchent une alternative à ce système. Plutôt que de leur parler dans une langue vague et inaccessible avec des discours modérés, il faut s’adresser clairement à la classe ouvrière, qui forme la majorité de la société, et lui offrir une alternative au capitalisme.

De même, sans renier ses actions de 2012, GND explique qu’il a changé depuis. « J’étais très bon pour dire ce que je ne voulais pas. Je suis meilleur aujourd’hui pour dire ce que je veux », a-t-il dit à Guy A. Lepage sur le plateau de Tout le monde en parle. « Je ne renie pas mon engagement dans le mouvement étudiant. Mais oui j’ai changé. J’ai pris de la maturité », a-t-il ajouté.

C’est une idée répandue au Québec que celle qui veut que la contestation et le « radicalisme » soit l’apanage du mouvement syndical ou étudiant, tandis qu’il faut se « modérer », « mûrir », être « moins radical » afin de se présenter dans un parti politique.

Comme Amir Khadir l’affirmait l’an passé, la direction du parti croit que l’étiquette radicale est un obstacle pour QS :

« Nous réalisons qu’il y a des obstacles importants devant nous, il y avait la perception (au début) que nous étions radicaux. En fait, nous sommes réformistes. Nous sommes à l’Assemblée nationale car nous acceptons le principe de réforme. »

Cette perception que le radicalisme est un obstacle ne pourrait être plus éloignée de la vérité. GND a fait plusieurs références à Bernie Sanders dans la dernière semaine. Cependant, il s’est contenté de parler de la forme et des méthodes de militantisme de Sanders et ses partisans. Nous passons ici à côté de l’essentiel : le contenu du discours et le langage clair du sénateur indépendant. Malgré toutes les limites du programme et de la perspective de Sanders, ce qui lui a permis d’acquérir de la popularité fut son discours radical, son étiquette socialiste, sa dénonciation du 1 % et son appel à une « révolution politique contre la classe des milliardaires ». Le succès de Sanders démontre clairement la soif des travailleur-euses pour des solutions radicales.

La simple entrée de GND à Québec solidaire a été un coup d’éclat pour le parti. Les jeunes se rappellent de lui comme d’un leader étudiant attaquant sans gêne les défenseurs du statu quo. Les milliers de personnes qui ont joint le parti et les milliers d’autres qui regardent en direction de GND et de QS le font davantage en ayant en tête son rôle passé plutôt que ce qu’il dit aujourd’hui. Cela peut donner un élan à QS pendant une période, mais à un certain stade les travailleur-euses et les jeunes demanderont un véritable contenu.

Il importe maintenant de faire revivre la tradition de 2012, mais à une échelle supérieure. Si QS veut devenir une force auprès des travailleur-euses et de la jeunesse radicalisée, il se doit d’adopter un clair discours de classe, à l’image du discours que GND tenait en 2011-2012. C’est seulement en devenant une voix et un véhicule pour la classe ouvrière que QS pourra briser son isolement et mettre fin à la domination des partis bourgeois. Dans ce processus, La Riposte socialiste argumentera en faveur d’un programme socialiste comme seul programme pouvant mettre fin au pouvoir des grandes entreprises et à l‘austérité.