Le 7 octobre dernier, Jean-François Lisée a été élu comme nouveau chef du Parti Québécois, au second tour avec 50,63% des voix contre Alexandre Cloutier (31,7%), Martine Ouellet (17,67%) et Paul Saint-Pierre-Plamondon, exclu au premier tour. Le député de Rosemont et ancien ministre des Relations internationales du précédent gouvernement péquiste de Pauline Marois s’est dit vouloir rallier les militants du parti autour du projet de souveraineté et conçoit que son principal ennemi est maintenant le gouvernement libéral de Philippe Couillard. Mais à quoi devons-nous vraiment nous attendre du PQ sous la chefferie de Lisée?

Déjà la façon dont celui-ci a mené sa campagne nous permet de voir une facette particulière du nouveau chef, qui n’est pas sans rappeler certaines manœuvres utilisées par Donald Trump, le candidat populiste de droite américain, pour susciter les passions et orienter les débats sur des questions identitaires. Alors qu’il partait avec une vingtaine de points de retard sur Cloutier, les déclarations outrancières aux sous-entendus racistes de Lisée ont touché une corde sensible chez une partie des membres du parti et lui ont permis une remontée spectaculaire. Rappelons ainsi que M. Lisée a soulevé un tollé alors qu’il affirmait, le 16 septembre dernier, que l’imam Adil Charkaoui, leader du Collectif québécois contre l’islamophobie et associé dans l’opinion publique québécoise à la « radicalisation islamique », appuyait la candidature d’Alexandre Cloutier, ce qui  a été démenti. Il s’agissait d’une tentative non subtile de créer un lien entre les positions de son adversaire et l’« islam radical » et d’amener le débat sur le terrain de l’islamophobie, dans le but certain de rallier une frange raciste de l’électorat du PQ. Lisée a joué sur le terrain de la division et de la haine.

Le « débat identitaire »

Outre la mauvaise foi de Jean-François Lisée lors de la campagne, ce sont également les positions du nouveau chef du PQ que nous pouvons rapprocher de celles de Marine Le Pen et du Front national en France. Au même moment qu’avait lieu la course à la chefferie du PQ au Québec, se tenait en France l’absurde débat au caractère profondément islamophobe sur le port du burkini et qui a fait irruption sur la scène québécoise. Celui qui allait devenir le nouveau chef du Parti québécois s’est alors prononcé en faveur d’une discussion sur l’interdiction de la burqa et du niqab dans l’espace public. « Nous avons un ennemi déclaré, [le groupe] État islamique, qui recrute ici des gens pour poser des bombes. Notre seul choix est de débattre de l’interdiction de la burqa avant qu’un djihadiste s’en serve pour cacher ses mouvements pour un attentat, ou après », a-t-il déclaré, et a ajouté : « Il faut au contraire promouvoir l’égalité et faire naître chez la femme voilée la conscience que ses contraintes familiales et religieuses l’excluent de l’accès à l’égalité. Qu’elle doit donc faire le choix de s’en libérer. »

Bien qu’il dise vouloir « débattre » du sujet, de tels propos ne laissent aucun doute sur le fait qu’il soit en faveur de l’interdiction. Il a profité de cette polémique pour faire miroiter la menace imminente que représenterait l’ « islam radical » pour les Québécois, se servant de la peur suscitée dans les médias et auprès de la population. Cela n’est pas sans rappeler le discours sécuritaire de l’extrême-droite que nous retrouvons en Europe et qui s’accompagne d’un repli identitaire très marqué. Le nationalisme de Lisée va dans ce sens, alors que celui-ci envisage  de remplacer le cours d’Éthique et culture religieuse par un cours d’Éthique et citoyenneté québécoise. M. Lisée semble d’ailleurs avoir une vision bien particulière de ce qu’est un « citoyen québécois » et quels immigrants peuvent correspondre à cette conception. En effet, il dit vouloir favoriser une « immigration parfaite », et affirme vouloir se concentrer sur la « qualité de l’immigrant ». Il a mentionné la France, la Belgique et l’Espagne, pays qui semblent correspondre aux critères de « qualité » d’immigration!

Mais la xénophobie du nouveau chef n’est toutefois pas en décalage avec la vision générale du parti, lequel a très bien montré vers quel côté il penchait de plus en plus, celui de la droite nationaliste identitaire. L’odieux projet de Charte des valeurs québécoise, toujours à l’ordre du jour du PQ, était déjà le signe d’une islamophobie nettement présente au sein du parti, comme La Riposte socialiste l’a déjà souligné. Des membres du PQ avaient d’ailleurs rencontré Marine Le Pen l’an dernier lors de son passage à Montréal. La chef du parti français d’extrême-droite avait alors affirmé que  « le PQ est divers et varié et pas monolithique. Il y a des gens au sein du PQ qui ont des contacts avec nous, il y en a qui regardent beaucoup ce que nous faisons. »

Quant à M. Lisée, s’il s’était par le passé prononcé en partie contre le projet de Charte des valeurs québécoises, car il trouvait qu’il allait trop loin, les choses ont changé puisqu’il est maintenant ouvert à l’interdiction complète de la burqa et du niqab dans l’espace public.

Mais n’était-ce peut-être que la dernière carte qu’il restait possible de jouer pour un candidat aspirant à diriger un parti qui n’a plus rien de progressiste et qu’on tente de maintenir sur le respirateur artificiel. Le PQ n’a effectivement plus la cote. Son discours nationaliste ne parvient plus à rejoindre la jeunesse québécoise, laquelle est davantage concernée par la crise du capitalisme et se radicalise massivement vers la gauche, et cherche une alternative à un système économique en décrépitude. Diviser les travailleurs-euses et la jeunesse sur des questions identitaires semble le seul recours qu’il reste au parti pour obtenir des votes. 

Rupture ou continuité?

Lisée s’est présenté comme un outsider dans la course. En plus de se dire « partisan de la gauche efficace », le futur chef du PQ s’est même comparé à Bernie Sanders : « C’est quelqu’un qui a des cheveux blancs, c’est quelqu’un qui est audacieux, c’est quelqu’un qui parle à la jeunesse, c’est quelqu’un qui a des idées pour transformer les choses, c’est quelqu’un qui voit la réalité en face et qui propose des façons de la changer.»

Mais plutôt qu’un outsider – il est d’ailleurs un ténor péquiste depuis longtemps – Lisée s’avère n’être qu’une figure type du nationalisme identitaire raciste qui domine le PQ actuellement. Et le voile « gauchiste » qu’il veut revêtir ne peut nous faire oublier qu’il a lui-même été directement impliqué dans les gouvernements péquistes de Parizeau et Bouchard, artisans de l’austérité des années 90, ainsi que de Marois comme ministre en 2012-2014. De plus, Lisée est dans la continuité du PQ de la Charte des valeurs. Ses simagrées sur l’immigration, le burkini et Adil Charkaoui le montrent. De même, Lisée a mentionné, au cours de la campagne à la chefferie du parti, qu’il ne voulait pas se priver, une fois élu, des conseils économiques de Pierre-Karl Péladeau, l’ancien chef du parti. Il semble donc plutôt curieux pour l’auteur de Comment mettre la droite K.-O. en 15 arguments de fraterniser avec des telles figures éminemment de droite. Plutôt curieux aussi pour un gauchiste qu’à l’été 2013, alors qu’il était ministre, il ait appuyé la loi spéciale de retour au travail contre les travailleurs-euses de la construction. Si Lisée affirme vouloir former un « ostie de bon gouvernement », il y a lieu d’être sceptique sur ce que cela peut bien signifier en 2016. Tout autour du monde, la bourgeoisie demande aux gouvernements qu’ils imposent l’austérité. Et c’est ce que le PQ a fait lors de ses 18 mois de gouvernement de 2012 à 2014.

La dérive du PQ ne devrait surprendre personne. Ce n’est que la continuation d’un processus qui s’est développé sur des décennies. Si le parti est parvenu pendant une certaine période à canaliser la colère d’une partie de la jeunesse et des travailleurs-euses québécois dans la lutte indépendantiste, force est de constater que ce n’est plus le cas, et que le parti s’éloigne toujours plus de l’auréole « progressiste » qu’il persiste à vouloir montrer. Après la défaite de la grève du Front commun en 1972, le mouvement ouvrier au Québec est entré dans une période de déclin. Cela a permis au PQ de prendre les reines du mouvement et d’unir la classe ouvrière dans une coalition nationale avec des éléments bourgeois et petit-bourgeois. Mais de telles coalitions ne peuvent durer éternellement. Éventuellement, les pressions du système capitaliste entrainent un retour à la tension entre ces classes; les capitalistes sont forcés d’attaquer les travailleurs-euses tandis que les travailleurs-euses doivent riposter. C’est l’une des raisons principales de la dérive identitaire du PQ.

Le mouvement nationaliste a été victime de scissions à gauche comme à droite au cours des dernières années, peinant à garder l’appui de la classe ouvrière. Pour stopper l’hémorragie, la direction du PQ n’a d’autre choix que tenter désespérément de maintenir cette « unité nationale » entre classes antagonistes en jouant la carte de la défense de « l’identité québécoise ». À mesure que les travailleurs-euses et les jeunes abandonnent le mouvement souverainiste et le vident de tout caractère progressiste, le nationalisme du PQ se dévoile dans toute sa pureté raciste.

Ni Couillard ni Lisée : les travailleurs et travailleuses ont besoin de leur propre parti!

Élection après élection, la pression est mise sur les Québécois-es pour qu’ils votent pour le PQ pour stopper les libéraux. Mais, à l’inverse, il y a aussi beaucoup de Québécois-es qui sont dégoûtés avec raison par la xénophobie du PQ, et ne verront que dans le PLQ l’option qui peut bloquer ce parti. Ce faisant, la pression est encore et toujours mise pour un vote en faveur du « moindre mal ». Mais aucune des ces options n’en est réellement une pour la classe ouvrière. Tant le PQ que le PLQ sont des partis de l’austérité, ce que leurs gouvernements successifs ne cessent de nous montrer. Alors que Jean-François Lisée parle d’ « unité » des forces souverainistes, il nous faut comprendre qu’un tel discours, qui est celui du PQ depuis ses débuts, ne participe concrètement que de la division des travailleurs-euses sur une ligne identitaire, qui est maintenant devenue éminemment raciste. La véritable unité dont les travailleurs-euses ont besoin, c’est l’unité de la classe ouvrière contre les partis des patrons, qu’ils soient souverainistes ou fédéralistes. Les travailleurs-euses québécois doivent avoir leur propre parti qui puisse répondre à leurs aspirations, c’est-à-dire un parti uni sous un programme socialiste. Toutes les forces anti-austérité authentiques doivent rejeter l’appel à l’unité de Lisée et doivent lutter pour construire un tel parti. Telle est la seule manière concrète d’émanciper la classe ouvrière québécoise.