L’économie française est en pleine croissance ! Dans la presse, à la télévision, dans les discours des hommes politiques et les analyses des « experts », le message est partout le même.

Pour le gouvernement et les dirigeants du Parti Socialiste, il est d’autant plus important de vanter le redémarrage de l’économie que celui-ci tend à justifier leur ralliement à l’économie de marché. Pourquoi remettre en cause le capitalisme, puisque celui-ci a « retrouvé la croissance » ?

Premièrement, il convient de souligner l’importance toute relative de cette « embellie » que l’on nous annonce à cor et à cri comme une merveilleuse nouvelle. Il est vrai que la croissance du PIB s’accélère depuis à peu près un an. Toujours est-il que le taux de croissance annuel pour 1999 sera nettement inférieur (2,4% contre 3,1%) à celui de 1998 ! Pire encore, les prévisions les plus optimistes pour l’évolution du PIB en l’an 2000 ne dépassent pas la barre de 2,8%, et restent par conséquent en dessous de la performance de 1998.

Ce constat suffit à lui seul pour rendre compte de l’aspect propagandiste du tapage sur ce thème. Le discours médiatique cherche à renforcer artificiellement la confiance de la population en l’avenir et à émousser son indignation face aux difficultés croissantes qu’elle rencontre dans sa vie quotidienne.

Deuxièmement, dans une économie capitaliste, et surtout à notre époque, la croissance du produit intérieur brut ne signifie nullement une amélioration des conditions de vie de la population. Ce qui importe n’est pas tant la croissance de la masse des richesses que la répartition de celle-ci entre les différentes classes sociales.

Or, toutes les statistiques le confirment, la répartition des richesses en France, et partout en Europe, s’opère au détriment de la majorité de la population. Les inégalités s’aggravent dans tous les domaines, même en période de croissance relativement forte, surtout depuis le milieu des années 80.

La pauvreté n’a jamais été si grave en France depuis les années 30. Aujourd’hui, près d’un citoyen sur six vit dans la pauvreté, selon les seuils établis par le gouvernement, et ceci malgré l’apport des différentes allocations sociales.

Dans les entreprises, le manque d’effectifs par rapport aux charges de travail se fait sentir plus que jamais. Les salariés doivent travailler toujours plus en échange de moins. En même temps, les acquis sociaux tels que l’éducation nationale, les retraites ou encore la sécurité sociale sont gravement menacés. Tandis que 100000 emplois risquent d’être supprimés dans les hôpitaux, la santé de la population se détériore, notamment en milieu défavorisé. Les études réalisées par l’INSEE, le CREDOC et bien d’autres institutions établissent un lien évident entre la santé des citoyens et la détérioration des conditions de logement, la baisse des revenus des foyers et l’appauvrissement alimentaire.

Ce qui importe n’est pas tant la croissance de la masse des richesses que la répartition de celle-ci entre les différentes classes sociales

Concernant l’emploi, autre « point positif » inscrit à l’actif du capitalisme, les statistiques masquent la réalité. Alors que des milliers d’emplois sont supprimés chaque mois, d’autres, apparemment en plus grand nombre, sont créés. En conséquence, le nombre de chômeurs officiellement enregistrés baisse. Mais sept sur huit des emplois crées sont des emplois précaires. Les entreprises suppriment des emplois en interne et « embauchent » par intérim, ou en CDD. En réalité, de la baisse des statistiques du chômage, même en phase de croissance économique, traduit avant tout un développement très important d’emplois précaires.

De manière générale, nous assistons à une concentration des richesses au sommet de la société et à une dégradation des conditions de vie du plus grand nombre. Le PIB, c’est-à-dire la somme des valeurs créées par le travail, peut donc croître au détriment de la population.

Pour comprendre ce phénomène, il suffit de regarder ce qui se passe réellement dans les entreprises. Prenons les exemples de Renault, d’Alcatel, de Michelin, ou encore d’Elf. Toutes ces entreprises augmentent leur production. En même temps, elles augmentent considérablement leurs bénéfices. Mais cela ne profite nullement aux salariés de ces entreprises. Bien au contraire, cette « croissance » a été accomplie précisément au détriment des salariés, en augmentant la productivité et en supprimant massivement des emplois. C’est un processus analogue qui est à l’œuvre dans l’ensemble de l’économie.

La croissance actuelle du PIB français, très modeste par rapport à la flambée extraordinaire des valeurs boursières, s’explique essentiellement par la croissance du marché américain, qui a favorisé une forte augmentation des exportations françaises. Mais la croissance de l’économie américaine ne durera pas indéfiniment. Elle se transformera en récession tôt ou tard. La hausse des taux d’intérêt et des prix de certaines matières premières indiquent que la phase de croissance de l’économie américaine tire à sa fin. Une baisse de la demande et de la production aux États-Unis aura des répercussions très importantes dans le monde entier, y compris en Europe. C’est pourquoi, au lieu de louanger le « dynamisme » et la « croissance » du capitalisme français, il vaudrait mieux se poser la question suivante dans toute sa brutalité : si, même en période de croissance, le capitalisme impose la régression sociale, qu’en sera-t-il lors de la prochaine récession ?