Cet article a été publié en anglais le 21 avril 2017 sur le site Web In Defence of Marxism.


L’isolationniste Trump a effectué un changement de cap. Plutôt que sa promesse de demeurer hors du conflit au Moyen-Orient, il a profité de l’indignation suscitée par une attaque chimique sur des civils dans la région de Khan Shaykhun en Syrie pour envoyer 59 missiles de croisière contre une base aérienne du gouvernement syrien. La Maison-Blanche a rapidement déclaré que cette action envoyait un message clair non seulement à Assad, mais au monde entier.

Le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et les autres États serviles ont immédiatement salué cette attaque « décisive » mais « équilibrée » des États-Unis sur le régime syrien en riposte à son ignoble utilisation d’armes chimiques. Cependant, seules les agences de sécurité américaines affirment avoir des preuves montrant qu’Assad est responsable de l’utilisation de ces armes, soit les mêmes agences qui juraient que Saddam Hussein avait des armes de destruction massive.

La Russie a répondu rageusement à cette attaque au missile des États-Unis et, de concert avec l’Iran, l’autre principal allié international d’Assad, a mis en garde contre toute frappe américaine supplémentaire.

Tandis que Washington et les régimes occidentaux qui lui sont soumis ont blâmé le gouvernement syrien, la Russie a insisté sur le fait que les pertes civiles étaient dues à une fuite de gaz neurotoxique provenant d’une décharge d’armes chimiques appartenant aux rebelles, fuite provoquée par une frappe aérienne des forces syriennes.

Pour déterminer la version des faits la plus probable, nous devons poser la question : à qui profite cet incident?

Pour commencer, la ville affectée n’a aucune importance militaire. Assad était en voie de gagner la guerre en Syrie, donc pourquoi prendrait-il la peine d’utiliser délibérément des armes chimiques, provoquant inutilement des représailles américaines? Assad aurait tout à perdre à agir de la sorte. Les forces d’opposition djihadistes ont accès à des armes chimiques et les ont déjà utilisées. Elles jubilaient devant le bombardement américain. Un ancien ambassadeur britannique en Syrie a averti que cela signifiait que davantage d’attaques chimiques seraient organisées en mettant le blâme sur Assad, afin d’amener les États-Unis à attaquer des cibles gouvernementales.

 Malgré des affirmations des États-Unis selon lesquelles le bombardement serait un acte unique, cette action militaire a envoyé une onde de choc tout autour du monde. Vladimir Poutine et le président iranien, Hassan Rouhani, ont émis une déclaration commune : « Les actions agressives des États-Unis contre un État souverain, violant le droit international, sont inacceptables. »

Le régime de Pyongyang, qui a provoqué Washington avec un essai de missile ce mois-ci, a également condamné l’attaque. Kim Jong Un, le dirigeant nord-coréen, a parlé d’un « acte d’agression impardonnable » qui justifiait son besoin de développer son arsenal nucléaire. Cet acte va simplement affermir le régime de Pyongyang et renforcer sa détermination à développer sa capacité nucléaire. Il a vu ce qui est arrivé à Saddam, il a vu le changement de régime en Iraq et en a tiré la conclusion qu’il fallait s’armer et se défendre avec ses propres armes de destruction massive.

Afin d’intensifier la pression, le Pentagone a déployé un groupe de porte-avions près de la péninsule coréenne, un acte décrit comme une « démonstration de force » par un officier militaire américain. Cela s’est fait dans un contexte où Rex Tillerson, le secrétaire d’État américain, a déclaré que l’ère de la « patience stratégique » des Américains à l’endroit de la Corée du Nord était terminée. Il n’a pas manqué d’insister sur le fait que les États-Unis considéraient toutes les options, incluant les frappes militaires.

Mais tout cela n’est que du bluff. La Corée du Nord est un État stalinien très instable, dirigé par un dictateur et qui s’est doté de l’arme nucléaire. Contrairement à la Syrie, les États-Unis ne peuvent pas user de missiles contre la Corée du Nord, de peur de provoquer des représailles mortelles. Si elle est attaquée, la Corée du Nord pourrait facilement envoyer des missiles avec des bombes nucléaires à Tokyo et en Corée du Sud, et également détruire les bases militaires américaines dans la région. Le programme nucléaire et balistique nord-coréen est très épars et s’étend jusque sous terre et sous l’eau. Il est extrêmement improbable que le programme en entier puisse être détruit avec une seule vague de frappes, ce qui laisserait immédiatement entrevoir la perspective d’une riposte nucléaire.

Les États-Unis doivent prendre en compte cette réalité. La Corée du Nord n’est certainement pas comparable à la Syrie, qui était plus ou moins sans défense face à l’agression américaine. La Syrie s’est effondrée et n’est pas capable de riposter. La Corée du Nord est un tout autre cas. Même une soi-disant frappe chirurgicale par l’administration américaine entraînerait des conséquences désastreuses, ne fût-ce que sur ses alliés.

La NBC a rapporté qu’une révision récemment complétée par les États-Unis de leur politique envers la Corée du Nord incluait des options comme de placer des armes nucléaires américaines en Corée du Sud et d’assassiner Kim Jong Un, le dirigeant nord-coréen. Cela ressemble aux tentatives américaines de déstabiliser Cuba et d’assassiner Castro, des tentatives ayant lamentablement échoué. Ce serait une voie dangereuse qui provoquerait à coup sûr Pyongyang.

Les actions unilatérales des États-Unis en Syrie vont engendrer des craintes surtout en Chine, et pas seulement parce que Donald Trump dînait avec Xi Jinping alors que les bombes pleuvaient, mais à cause du discours de plus en plus ferme de la part de l’administration américaine. La menace – et c’est de cela qu’il s’agit – que Trump fasse cavalier seul en Corée du Nord sera prise très au sérieux par la Chine. Ceci étant dit, la Chine n’a pas intérêt à changer sa politique d’appui à la Corée du Nord. La chute du régime de Pyongyang, ou la dévastation de son économie, enverrait une vague de réfugiés en Chine, avec tous les bouleversements que cela comporterait. Cela pourrait aussi ouvrir la porte à la réunification éventuelle de la Corée, ce qui voudrait dire davantage de troupes et de bases militaires américaines juste à la frontière de la Chine elle-même. Le régime chinois ne saurait tolérer une telle situation. C’est pourquoi la Chine a décidé de relever le défi lancé par Trump et a placé 150 000 troupes sur sa frontière avec la Corée du Nord.

Joe Detrani, ancien membre de la haute direction à la CIA qui a eu à traiter avec des représentants de la Corée du Nord, a affirmé que Kim s’inquiéterait peut-être pour sa sécurité, mais qu’il ne changerait pas sa politique. « Son père, Kim Jong Il, est littéralement allé se cacher après la première Guerre du Golfe, pendant laquelle les États-Unis avaient utilisé des forces aériennes énormes pour détruire l’armée iraquienne », a-t-il dit. « Kim Jong Un pourrait faire de même… Cela ne va cependant pas le dissuader de renforcer son programme nucléaire et balistique. »

Le gouvernement chinois a néanmoins mis en garde la Corée du Nord, à travers le Global Times, un journal du Parti « communiste » chinois, de la gravité de la situation et d’éviter une autre provocation avec ce qui serait son sixième essai nucléaire.

« Si la Corée du Nord devait mener un sixième essai nucléaire, la possibilité que cela devienne un facteur décisif poussant Washington à prendre part à une aventure militaire ne peut pas être exclue », peut-on lire dans un éditorial du journal. « Il est vital que la Corée du Nord ne se trompe pas dans son évaluation de la situation à l’avenir. De nouveaux essais nucléaires provoqueront une réaction sans précédent de la part de la communauté internationale, menant peut-être à un tournant. »

Non seulement la Chine est-elle inquiète, mais c’est encore plus le cas pour les dirigeants à Séoul et à Tokyo. Trump a été forcé de s’entretenir par téléphone avec le premier ministre japonais Shinzo Abe et Hwang Kyo-ahn, actuel président sud-coréen, pour parler des frappes en Syrie et de la situation dans la péninsule nord-coréenne. Il n’est pas étonnant que ces derniers soient inquiets. Même si les États-Unis étaient en mesure d’éliminer d’un coup le programme nucléaire de la Corée du Nord, celle-ci possède tout de même un formidable arsenal d’artillerie classique. Elle pourrait lancer une offensive dévastatrice sur Séoul, la capitale sud-coréenne, une ville de 10 millions d’habitants située à 45 kilomètres de la frontière nord-coréenne. Le Japon serait lui aussi vulnérable à des tirs de missiles, tout comme le seraient les bases américaines dans la région.

Ce changement apparent dans la politique étrangère de Trump a certainement eu des répercussions à l’international. L’aversion initiale de Trump à l’endroit d’une intervention au Moyen-Orient, un élément clé de sa campagne présidentielle, semble avoir été rejetée. Trump, plus instable que jamais, semble reculer. Quelles sont les raisons de cette apparente volte-face en Syrie? Le changement – même s’il est temporaire – est certainement un reflet des problèmes auxquels Trump fait face à l’échelle nationale, lui qui doit affronter une pression croissante due aux relations de ses associés avec Moscou. En retour, cela reflète l’influence du « deep state » (« l’État profond ») américain, celle des branches des services secrets, intrinsèquement hostiles à la Russie. En réaffirmant le pouvoir des États-Unis sur la scène mondiale, Trump espère détourner l’attention de ses opposants politiques – cependant, au prix de se soumettre à leur politique étrangère. Cela pourrait aussi expliquer l’annonce survenue seulement deux jours avant les frappes en Syrie que Steve Bannon, stratège en chef du président et principal défenseur de la politique nationaliste « America First » (« L’Amérique d’abord ») à la Maison-Blanche, perdait son siège sur le Conseil de sécurité nationale. Le général Michael Flynn, qui partage plusieurs des instincts radicaux de Bannon, a aussi été renvoyé de son poste de chef du conseil de sécurité en février.

Cependant, ces reculs de Trump ont déjà entrainé des problèmes dans sa base de soutien, qui est hostile à de nouvelles aventures en politique étrangère. Ses supporters disent qu’il doit être tenu responsable et maintiennent la pression pour renverser cette aventure indésirable. Ann Coulter, auteure de In Trump We Trust, a exprimé sa consternation dans un tweet demandant : « Pourquoi s’impliquer dans une nouvelle catastrophe musulmane? » Cela pourrait expliquer le recul de Trump, qui a tenu à clarifier que les États-Unis « n’allaient pas en Syrie », ce qui n’a fait qu’ajouter à la confusion.

En réalité, tout le verbiage de Washington sur les lignes rouges franchies, dans les conditions actuelles, n’est que du vent. Le bombardement de la Syrie a empiré la situation en augmentant partout les tensions. Malgré le langage ferme, les États-Unis devront composer avec l’arsenal nucléaire de la Corée du Nord, comme ils ont du faire avec d’autres pays auparavant. Au bout du compte, ils vont également devoir en arriver à une entente avec la Russie au Moyen-Orient. Ils n’ont pas réellement de choix. La Russie tient le gros bout du bâton en Syrie, avec une influence et une présence militaire, ce que les États-Unis n’ont pas.

À court terme, la tentative de Washington d’intensifier la pression sur la Russie afin qu’elle cesse d’appuyer le président Assad va se terminer par une douche froide. Tillerson, en visite à Moscou, n’a pas pu faire sa loi. Au contraire, les États-Unis ont été froidement rabroués. Les relations entre les États-Unis et la Russie se sont détériorées, ou même ont été gravement endommagées, suite à l’action américaine unilatérale en Syrie. Sans la Russie, les États-Unis n’ont aucune influence dans la région. Le discours des États-Unis selon lequel le problème en Syrie est l’appui donné par la Russie à un « régime meurtrier » va simplement mettre de l’huile sur le feu. Tillerson ne se fera pas d’amis chez les Russes avec ses allégations selon lesquelles Moscou n’était pas nécessairement complice de l’attaque chimique, mais du moins « incompétente ». Pour l’instant, les Russes ont tourné le dos aux Américains et ont augmenté leur appui à Assad.

En réalité, les Américains se sont tirés dans le pied. La situation expose aussi les limites du pouvoir américain. Ils sont impuissants, tout comme l’Occident en général.

La discrète rencontre des puissances du G7 a reconnu ces faiblesses. Même Tillerson a été forcé de modérer son langage. Et le bouffon Boris Johnson, le secrétaire d’État aux Affaires étrangères du Royaume-Uni, a vu son appel à plus de sanctions contre la Russie et la Syrie être brutalement rejeté. « Cette question n’a été mentionnée par personne, sauf Boris Johnson », a déclaré le ministre des Affaires étrangères français. Humilié, il fut traité comme un vilain écolier à qui on demande se s’asseoir en silence dans le coin de la classe. Dans un geste d’impuissance, « Boris the Plonker » (« Boris l’idiot ») a annulé une visite à Moscou, affirmant laisser le soin à Tillerson de livrer un « message clair et coordonné ». Ce boycott reflète simplement le poids minime du Royaume-Uni dans les affaires internationales. Johnson, reflétant la position britannique, est un simple caniche des États-Unis et est terrifié à l’idée de faire un faux pas, craignant le coup de pied de l’Oncle Sam. Son isolement au sein du G7 montre à quel point le Royaume-Uni est complètement déconnecté en matière de diplomatie internationale.

Les Britanniques sont comme des roquets : ils jappent fort, mais ne font peur à personne. Même leur secrétaire d’État de la Défense, Michael Fallon, a tenté de renforcer sa propre importance en accusant la Russie d’être directement complice du bain de sang en Syrie. « Ce dernier crime de guerre a été commis sous leur autorité », a grondé Fallon. « Au cours des dernières années, ils ont eu toutes les occasions de tirer les leviers et de mettre fin à la guerre civile. Par procuration, la Russie est responsable de chaque mort civile de la semaine dernière. »

Mais cette fanfaronnade est complètement vide. Ils en payeront le prix.

Avec l’anticonformiste Trump dans la Maison-Blanche, des revirements dans la politique étrangère américaine sont inévitables.  Avançant sans vraiment avoir de réflexion stratégique, il est comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Il s’est aliéné l’Europe en menaçant de mettre des bâtons dans les roues de l’OTAN. Il a scandé « l’Amérique d’abord », ce qui fait planer la menace d’une période de protectionnisme. Il a ouvertement affronté la CIA et les services de sécurité, une première dans l’histoire. Il a mis le Parti républicain sens dessus dessous. Dans un contexte où les relations internationales sont déjà très instables, il ne fait qu’ajouter de l’huile sur le feu.