Le tant attendu projet de loi sur la laïcité a finalement été déposé à l’Assemblée nationale. Il contient comme prévu une interdiction du port de signes religieux pour de nombreux emplois au sein de l’État, notamment pour les enseignants. Le ministre en charge du dossier, Simon Jolin-Barrette affirme que le projet de loi 21 est la « suite logique de la Révolution tranquille et de la déconfessionnalisation du système scolaire québécois ». Cette affirmation est fausse d’un bout à l’autre. Malgré qu’on retirera le crucifix de l’Assemblée nationale, on laisse les écoles confessionnelles tranquilles, elles qui sont largement subventionnées par l’État. Le projet de loi 21 est avant tout une attaque en règle envers les minorités religieuses québécoises déjà victimes de tant de racisme depuis le débat sur les accommodements raisonnables d’il y a douze ans. S’attaquer au droit à l’emploi de quelques individus portant des signes religieux n’a rien à voir avec la lutte héroïque des années 60 contre l’emprise de la religion catholique au Québec.

Dans son allocution publiée sur Facebook le 31 mars dernier, le premier ministre François Legault a dit : « Il est temps de fixer des règles parce qu’au Québec, c’est comme ça qu’on vit. » Le message sous-jacent est clair : le « on » dont il parle est la majorité québécoise francophone, et les minorités religieuses doivent se plier à « nos » règles. C’est ce qu’a expliqué le chroniqueur de droite conservateur Mathieu Bock-Côté dans un article où il commentait ces propos : « Manière comme une autre de dire : à Rome, on fait comme les Romains. Et au Québec, on respecte le mode de vie des Québécois. » Le groupe d’extrême droite islamophobe La Meute a d’ailleurs applaudi le projet de loi de la CAQ, affirmant que « Les revendications de La Meute, c’est exactement le programme de la CAQ et c’est là-dessus qu’il a été élu. »

Lorsque questionné sur ce que les étudiantes en enseignement qui portent un signe religieux devraient faire, Legault a répondu avec mépris : « Il y a d’autres emplois de disponibles. » Les mesures de la CAQ créeront un climat où la marginalisation des musulmanes en particulier sera accentuée. Même la clause grand-père (qui protège les quelques employés actuels portant un signe religieux), présentée comme un compromis, créera un climat de suspicion où toute personne qui porte un signe religieux sera vue comme contrevenant à la loi, même si elle est protégée par cette clause.

À qui profite le PL21?

Une question n’est jamais posée dans tout ce « débat » sur la laïcité : qu’est-ce qui est accompli avec l’interdiction des signes religieux? À qui profitent ces mesures?

La classe ouvrière et les jeunes n’ont aucun intérêt à priver de droits les minorités religieuses, quelles qu’elles soient. Aucun travailleur ne gagne à ce qu’une discrimination à l’embauche vise un groupe ou un autre de la classe ouvrière. Les divisions sur des bases religieuses, ethniques ou autres nuisent à la solidarité de classe nécessaire pour riposter en commun contre les patrons.

La CAQ, de son côté, a tout intérêt à mousser le « débat » sur les signes religieux et à imposer des mesures discriminatoires. Ce gouvernement de patrons, le plus à droite de l’histoire récente du Québec, veut gagner l’appui d’une partie de la population québécoise, d’une partie des travailleurs, en se présentant comme le défenseur de cette fameuse « identité québécoise » et de « nos valeurs ». Il souhaite nous distraire et nous diviser afin de mieux faire avaler des mesures d’austérité le temps venu. Quoi de mieux pour y arriver que de s’en prendre aux minorités ciblées sans arrêt depuis le vieux débat sur les accommodements raisonnables? La CAQ a beau dire que le projet de loi vise les signes religieux de toutes les religions, ce sont les minorités religieuses, et les musulmanes en particulier, qui subissent le climat de racisme et d’islamophobie entretenu par ces mesures.

Depuis l’annonce du projet de loi, la confusion règne quant à l’application des nouvelles règles. Rien dans le projet de loi n’indique qu’il y aura des sanctions pour ceux qui refusent de s’y soumettre. Cependant, le 2 avril, Geneviève Guilbault, ministre de la Sécurité publique, a affirmé qu’il serait possible de porter plainte à la police. Elle a été rabrouée par François Legault, qui a affirmé, au sujet de la manière d’appliquer la loi, que « c’est sûrement pas (sic) le temps de prononcer des mots qui représentent des moyens qui pourraient être utilisés »! Ainsi, le gouvernement n’a aucune idée de comment il fera appliquer la loi. Ce n’est certainement pas sa priorité, puisque le gros du travail est déjà accompli; créer un climat de division afin de marquer des points politiques, le tout sur le dos de la minorité musulmane en particulier. Le mouvement ouvrier doit s’opposer de toutes ses forces à ce projet de loi discriminatoire qui sème la division.

Le rôle des médias

Heureusement pour Legault et la CAQ, ils ont pu compter sur leurs amis des grands médias pour appuyer leur projet de loi. Et ce n’est pas nouveau : depuis douze ans, les médias ont soigneusement entretenu le « débat » sur la laïcité et les signes religieux. On a monté des cas de signes religieux en épingle, fait grand bruit sur tel ou tel accommodement insignifiant afin de créer un climat de crise. C’était d’ailleurs l’une des principales conclusions du rapport Bouchard-Taylor en 2008 : la « crise » des accommodements raisonnables était d’abord une « crise des perceptions ». Mais qui a bien pu entretenir la perception que les signes religieux étaient une menace à « l’identité québécoise »? Laissons parler le rapport Bouchard-Taylor lui-même : « l’emballement médiatique et le phénomène de la rumeur ont contribué à la crise des perceptions ».

Les chroniqueurs du Journal de Montréal et du Journal de Québec ont joué un rôle particulièrement réactionnaire dans ce processus. Presque chaque jour, les Bock-Côté, Richard Martineau, Lise Ravary et compagnie nous cassent les oreilles avec le soi-disant problème de la laïcité et des signes religieux. Ils agitent le spectre du « retour du religieux », de l’Islam en particulier.

Bock-Côté, chaque semaine, agite nerveusement la menace à l’identité québécoise, parlant de la « désintégration identitaire qui se révèle par la multiplication des signes religieux ostentatoires ». Il va même jusqu’à s’approprier le terme « catho-laïcité », un terme utilisé pour désigner ceux qui défendent supposément la laïcité tout en acceptant des manifestations du catholicisme au sein de l’État, comme le crucifix à l’Assemblée nationale.

Ce battage médiatique n’a rien de nouveau. En 2010, l’animateur de radio et auteur Éric Duhaime affirmait qu’Amir Khadir, l’ancien député de Québec solidaire, avait un « agenda islamique caché ». En juin 2016, lorsque des racistes avaient laissé une tête de porc ensanglantée devant le Centre culturel islamique de Québec, tout ce que Duhaime trouvait à dire est « En quoi c’est de la haine? » Ces exemples pourraient être multipliés par centaines.

Combinées à la propagande médiatique incessante, les déclarations incendiaires des politiciens ont jeté de l’huile sur le feu pendant tout ce temps. Par exemple, Jean-François Lisée, en novembre 2015, demandait à des militants du PQ s’ils auraient aimé qu’il y ait des « hidjabs partout » en garderie, et se plaignait qu’à cause des libéraux, il y aurait « des signes religieux autour de votre enfant ». Pendant sa course à la chefferie du PQ en 2016, Lisée proposait d’ouvrir une discussion sur l’interdiction du burkini, de la burqa et du niqab dans l’espace public!

Le zèle des médias et des politiciens a grandement contribué à entretenir un climat d’islamophobie pendant des années, ce qui s’est traduit par une montée des actes haineux et des actes islamophobes au Québec. Le plus triste exemple de ces actes est la tuerie de la mosquée de Québec perpétrée le 29 janvier 2017.

Cependant, pendant tout ce déferlement de propos aussi absurdes que réactionnaires de la part des médias, du PQ, de la CAQ et des libéraux, il n’y a presque pas eu de contre-discours. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre pourquoi une majorité de Québécois est en faveur d’une forme quelconque d’interdiction des signes religieux.

Heureusement, de nombreux syndicats s’opposent aux intentions discriminatoires de la CAQ. Le conseil central de la CSN a pris position contre toute interdiction du port de signes religieux, de même que le Conseil central du Montréal métropolitain (CCMM-CSN). La Fédération autonome de l’enseignement et la Fédération des enseignantes et enseignants du Québec se sont également positionnées contre le projet de loi 21. Le Conseil régional FTQ Montréal métropolitain a également participé à une conférence de presse dénonçant le projet de loi.

De plus, à son récent Conseil national, Québec solidaire a vu ses militants voter par une large majorité pour se positionner contre toute interdiction de signes religieux pour les employés de l’État. QS devient le premier parti significatif au Québec à prendre cette position. Catherine Dorion, députée de QS, a affirmé dans un discours le 29 mars dernier : « Ce n’est pas les musulmans qui sont partout dans les couloirs à mettre du gros cash pour influencer nos gouvernements, c’est le capitalisme qui couche dans le lit de nos gouvernements! » Ce type de discours va dans la bonne direction. Nous devons dénoncer la discrimination et le racisme, et pointer vers les vrais coupables des problèmes de la société – les capitalistes et leur système. C’est la meilleure façon de couper court aux divisions entretenues par les partis capitalistes et leurs médias.

Pour un mouvement de désobéissance civile de masse!

Legault a bien fait comprendre qu’il ne veut pas faire de compromis. « Ça fait onze ans qu’on parle de ce sujet-là, je pense que tout a été dit, pas mal tout a été dit, les positions sont claires en tout cas des quatre partis, je pense qu’il est temps qu’on tourne la page », a-t-il affirmé. Il a même évoqué l’utilisation du bâillon afin de limiter le débat parlementaire sur la question.

Il est clair que ce projet de loi ne pourra pas être stoppé au parlement. La lutte devra être menée sur un autre terrain : dans les rues et sur les milieux de travail. Déjà, des manifestants ont formé une chaîne humaine autour d’une école de Westmount le 3 avril dernier en riposte au projet de loi. Aussi, deux commissions scolaires de Montréal, la Commission scolaire English-Montreal et Lester B. Pearson, ont annoncé qu’elles n’allaient pas appliquer la loi. Également, l’Association des municipalités de banlieue (qui regroupe 14 municipalités montréalaises) a laissé entendre qu’elle pourrait désobéir à la loi.

Ces initiatives vont dans la bonne direction. Nous devons étendre ce mouvement de désobéissance à toutes les municipalités, toutes les commissions scolaires et tous les syndicats.

Tous les syndicats qui ont pris position contre la discrimination de la CAQ doivent maintenant traduire leurs paroles en acte et se mobiliser pour la défense des minorités religieuses. Nous devons développer un plan concret pour désobéir à toute tentative d’application de la loi. Cela peut prendre la forme de grèves en solidarité avec des employés visés ou encore des manifestations de masse. Nous ne devons pas laisser un seul de nos camarades travailleurs subir de discrimination basée sur la religion ou sur quoi que ce soit d’autre.

La principale force pouvant stopper le PL21, c’est le mouvement ouvrier organisé. Il est temps d’utiliser les immenses ressources et le potentiel de mobilisation des syndicats pour stopper cette première attaque de la CAQ contre la classe ouvrière et les opprimés.

Une attaque contre un est une attaque contre tous!

Luttons contre le racisme, luttons contre la CAQ!