Quatre ans après la tristement célèbre Charte des valeurs québécoises du Parti québécois, le Parti libéral de Philippe Couillard vient d’adopter son propre projet de loi sur la « neutralité religieuse de l’État ». Entre autres, le projet de loi interdira à quiconque reçoit ou donne un service public de se couvrir le visage. En clair, cela signifie que la burqa et le niqab seront interdits. Cette loi démontre clairement l’hypocrisie des libéraux et montre que, tout comme la CAQ et le PQ, ils n’ont aucun problème à utiliser l’islamophobie à des fins politiques.

L’hypocrisie des libéraux

Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que le « débat » autour des accommodements religieux et de la laïcité a créé un climat propice à l’islamophobie et au racisme. La CAQ et le PQ en particulier ont tenté au cours de la dernière période de se faire du capital politique en s’attaquant aux minorités religieuses d’une façon ou d’une autre. Il y a un peu plus d’un an, Jean-François Lisée soulignait l’importance cruciale d’un débat sur l’interdiction du burkini, de la burqa et du niqab dans l’espace public, tandis que François Legault de la CAQ lançait une offensive contre le tchador. La tuerie de Québec en janvier dernier fut le plus tragique témoignage de ce climat raciste et islamophobe créé et entretenu par les grands partis.

Avec la montée du nationalisme identitaire et des positions racistes du PQ et de la CAQ, les libéraux se sont positionnés comme les défenseurs des immigrants et des minorités opprimées. En août dernier, suite à la manifestation de La Meute à Québec, Philippe Couillard y était allé d’une déclaration pour le moins surprenante : « Dans ce conflit-là, où dans cet affrontement [entre] les gens qui prônent subtilement ou non le racisme et la xénophobie, et ceux qui [s’y] opposent (…), il faut choisir son camp. J’ai choisi le mien, c’est celui de m’opposer au racisme et à la xénophobie ». Un peu plus et il prenait sa carte de membre du Black Bloc.

Également, en juillet dernier, les libéraux ont lancé une consultation sur le racisme systémique, qui devait se mettre en branle en septembre, mais qui a traîné de la patte. La ministre de l’Immigration d’alors, Katherine Weil, avait affirmé que la « lutte au racisme et à la discrimination est une priorité ». Les libéraux seraient-ils donc dans le camp des antiracistes?

Le projet de loi 62 maintenant adopté révèle leur vrai visage. En plus de ce projet de loi, ils ont maintenant renoncé à la consultation sur le racisme systémique. Questionné sur l’existence du racisme systémique, le ministre de l’Immigration David Heurtel a affirmé qu’il n’est « pas là pour vous dire exactement qu’est-ce qui existe, qu’est-ce qui n’existe pas ». Avec la CAQ qui monte dans les sondages et l’humiliation subie lors de l’élection partielle de Louis-Hébert au profit de la CAQ le 2 octobre dernier, les libéraux changent leur ton de manière opportuniste. Nous voyons ainsi qu’ils n’en ont rien à faire de l’oppression des immigrants et des minorités religieuses, et ne se portent à leur défense que lorsqu’ils peuvent les utiliser de manière opportuniste afin de faire des gains politiques. Inversement, lorsqu’ils croient pouvoir gagner des votes en s’attaquant à eux, ils changent de discours comme on change de sous-vêtements.

Le projet de loi 62

Le projet de loi initial, déposé à l’été 2015, avait pour but de sanctionner la neutralité religieuse de l’État québécois. Il prévoyait interdire à quiconque donne ou reçoit un service public de se couvrir le visage, incluant les universités et les écoles. Pourtant, prétendant porter sur la « neutralité religieuse de l’État », le projet de loi protège ouvertement les symboles catholiques, notamment le crucifix installé à l’Assemblée nationale. Il est assez ironique d’accorder un traitement préférentiel à la religion catholique dans une loi qui prétend défendre la neutralité religieuse!

Mais en août dernier, des amendements ont été ajoutés, qui font que la loi s’appliquera également aux municipalités, aux communautés métropolitaines, ainsi qu’aux transports publics. En clair, cela signifie qu’une femme portant la burqa ou le niqab ne pourra pas prendre l’autobus! C’est ce qu’a confirmé la ministre de la Justice Stéphanie Vallée, qui a affirmé que « pour prendre le transport en commun, il faut avoir le visage découvert ».

« Des raisons de communication, d’identification et de sécurité » ont ainsi été invoquées pour justifier cette interdiction de se couvrir le visage. Avec l’Halloween qui approche, les personnes déguisées et masquées devront donc utiliser le taxi ou leurs voitures pour se déplacer! Il faudra également s’attendre à ce qu’on nous demande d’enlever notre foulard, nos lunettes embuées et notre tuque lorsque nous prendrons l’autobus en février! Mais, soyons sans crainte, cette loi ne vise certainement pas les pauvres Québécois qui gèlent en hiver ou les jeunes qui célèbrent Halloween. Sous couvert de motifs sécuritaires, de communication et d’identification (qu’est-ce que cela a à voir avec la neutralité religieuse?), on attaque à nouveau les musulmanes sur lesquelles on s’acharne depuis des années. Les libéraux révèlent ainsi leur dégoûtante hypocrisie.  Vraiment, cette loi n’a rien à envier à la Charte des valeurs.

Diviser pour mieux régner 

Le débat sur les signes religieux n’est toutefois pas tombé du ciel et il est tout à fait logique pour la classe dominante de l’entretenir. Au cours de la dernière période, la lutte de classes a fait un retour au Québec. Il semble que presque à chaque année, il y a une grève majeure des étudiants, des travailleurs du secteur privé ou du secteur public, ou encore un quelconque mouvement de masse progressiste.

Suite au magnifique Printemps érable de 2012, la classe dominante était terrifiée. Il n’est pas surprenant que le PQ, en tant que parti bourgeois, ait réintroduit ce débat empoisonné avec sa Charte des valeurs lors de son court passage au pouvoir en 2012-2014. Ce débat était très utile pour détourner les gens du fait que le PQ s’était mis au service des patrons en continuant les politiques d’austérité du gouvernement libéral tant détesté de Jean Charest.

En 2015, les travailleurs et travailleuses du secteur public sont entrés sur la scène, et ont tenu la plus grande grève générale d’un jour dans l’histoire de la province, avec près d’un demi-million de travailleurs y participant. Dès lors, pourquoi ne pas débattre sans cesse des vêtements religieux que les gens portent? Cela est bien sûr préférable pour les capitalistes, qui ne veulent pas que l’on parle du fait que peu importe le parti au pouvoir, les attaques sur les travailleurs et les jeunes se multiplient, tandis que les grandes entreprises reçoivent des congés fiscaux et se font renflouer leurs coffres aux frais des travailleurs.  

Le « débat » sur les signes religieux est depuis des années l’un des outils privilégiés utilisés par l’establishment pour détourner l’attention des politiques d’austérité et des autres mesures impopulaires, et pour diviser la classe ouvrière sur des lignes religieuses ou « identitaires ». Le projet de loi 62 ne fait pas exception. Selon un sondage, 87 % des Québécois sont en faveur de celui-ci. Est-ce que cela veut dire que les Québécois sont tous racistes, ou que les Québécois sont plus racistes que les autres, comme on entend parfois? Non, cette idée est complètement stupide. Seulement, l’establishment politique en entier entretient le débat sur la laïcité et sur le « problème » complètement artificiel des signes religieux. Pour cela, il se sert du souvenir de la lutte pour la séparation de l’Église et de l’État qui reste encore profondément ancré dans la conscience d’un grand nombre de Québécois, héritage de la Révolution tranquille. Cette vieille lutte, qui s’est menée à l’origine contre l’Église catholique réactionnaire et ses alliés de la classe dirigeante, a été depuis récupérée par cette dernière pour monter une partie de la population contre une autre. Ce débat aujourd’hui n’a plus aucun lien avec les luttes des années 60. Ces luttes pour la laïcité étaient dirigées contre l’emprise de l’Église catholique sur l’éducation et la santé, alors qu’elle était entièrement responsable des écoles et des hôpitaux. Et aujourd’hui, on essaie de nous faire croire qu’un débat sur le droit d’une centaine de femmes de prendre l’autobus est un débat sur la laïcité! Le jeu des libéraux, du PQ et de la CAQ est clair : ils n’ont que faire de la laïcité de l’État, tout ce qu’ils souhaitent, c’est aller chercher quelques votes de plus en cassant du sucre sur le dos de la minorité musulmane.

Cependant, la vague de solidarité suivant l’attaque terroriste à la mosquée de Québec en janvier dernier a montré que des centaines de milliers de Québécois en ont assez du racisme et de l’islamophobie. Il suffit de donner une direction claire à cette masse de gens qui souhaite combattre le racisme. Le mouvement ouvrier et sa direction doivent dénoncer ouvertement le racisme de l’establishment, et construire dès maintenant un mouvement de masse contre ces tentatives de nous diviser.

Non à l’islamophobie! Seule l’unité de la classe ouvrière peut vaincre le racisme!

Sans surprise, la CAQ et le PQ critiquent le projet de loi en affirmant qu’il ne va pas assez loin et qu’il aurait fallu être plus strict sur la question des signes religieux. De son côté, Jean-François Lisée a dénoncé la possibilité d’accommodements religieux, déclarant qu’ « à part Batman puis Spider-Man, tous ceux qui ont des raisons religieuses pourront avoir le visage couvert. C’est une farce. » Nathalie Roy, de la CAQ, a affirmé qu’ « une fonctionnaire a maintenant le droit de travailler en niqab, mais le soir quand elle rentrera à la maison, elle devra enlever son niqab pour monter à bord d’un autobus », laissant clairement entendre qu’il faudrait interdire le port du niqab au travail également pour les employées du secteur public.

Jusqu’à présent, Québec solidaire a répondu de manière très timide à ce projet de loi hypocrite et islamophobe. Les leaders du parti ont jusqu’ici dirigé leur critique sur le fait que le projet de loi ne s’attaque pas au crucifix de l’Assemblée nationale. À part cela, ils ont dit que le projet de loi est ridicule et inapplicable, affirmant que le gouvernement préfère « légiférer sur les vêtements portés par une minorité de Québécois et de Québécoises », sans toutefois souligner son caractère islamophobe. Malheureusement, QS est présentement en train de rater une occasion en or de démasquer l’hypocrisie des libéraux et d’affaiblir leurs appuis sur l’île de Montréal, et de se positionner comme le seul parti qui défend les minorités contre le nationalisme identitaire raciste. En réalité, QS est tombé dans le piège du débat sur la laïcité, qui est utilisé par nos trois partis mainstream pour attaquer cyniquement les minorités en vue de se faire du capital politique.

Mais la réalité est que cette loi et tout ce débat n’ont rien à voir avec la laïcité. Le but derrière cette loi, tout comme derrière tout ce débat, est de créer une atmosphère toxique de division au sein de la classe ouvrière afin de distraire et affaiblir le mouvement contre l’austérité, et pour rediriger la colère présente dans la société contre les immigrants, les minorités et les réfugiés, plutôt qu’elle soit dirigée contre les capitalistes. La pression sera mise sur les travailleurs et travailleuses de la fonction publique pour qu’ils appliquent la loi. Celle-ci donnera un passe-droit aux racistes qui pourront opprimer les musulmanes en public, ce qui ne peut que diviser le mouvement ouvrier.

Le projet de loi 62 n’est que le plus récent d’une longue liste d’épisodes racistes au Québec. Cela survient tout juste après l’hystérie médiatique contre les demandeurs d’asile haïtiens fuyant les politiques de Donald Trump, et après que la Couronne ait décidé de ne pas accuser de terrorisme le fanatique de droite Alexandre Bissonnette, l’homme ayant abattu 6 personnes en janvier dernier simplement parce qu’elles étaient de religion musulmane. C’est dans ce climat que les groupes comme La Meute, Storm Alliance et Atalante sortent de leur trou. Les attaques xénophobes dégoûtantes contre les immigrants en général et la communauté musulmane en particulier sont de plus en plus courantes.

Il faut mettre fin à tout cela. Nous ne pouvons pas compter sur la police, les tribunaux ou les médias. Après s’être positionnés de manière hypocrite comme les défenseurs des immigrants contre les nationalistes racistes, les libéraux ont encore une fois démontré qu’ils sont prêts à sacrifier ce qu’ils prétendent avoir comme principes au nom de l’opportunisme électoraliste. Cela nous montre de manière on ne peut plus claire que nous ne pouvons compter sur la bienveillance des partis capitalistes pour lutter contre le racisme. Il n’y a que nous, la classe ouvrière, qui pouvons vaincre le racisme, et nous devons le faire par nos propres méthodes.

Cette loi n’est qu’un bout de papier sur une feuille. Un mouvement de masse uni des travailleurs refusant d’appliquer cette loi la rendrait caduque. Nous ne pouvons pas les laisser nous diviser! Nous avons le devoir de nous porter à la défense des minorités cyniquement attaquées par l’establishment. Les syndicats ont un rôle fondamental à jouer dans ce mouvement.

Le dirigeant de la CSN, Jacques Létourneau, publiait en septembre dernier une lettre ouverte sur la montée du racisme, dans laquelle il affirmait que « le mouvement syndical a la responsabilité de contrer vigoureusement la croissance marquée de la haine et de l’intolérance. » Nous sommes d’accord avec cette affirmation : mais il est temps de passer de la parole aux actes!

La manifestation contre la haine et le racisme prévue pour le 12 novembre serait un bon début. Les syndicats doivent endosser la manifestation, et mobiliser en masse leurs membres afin d’en faire une démonstration de force du mouvement ouvrier. De plus, tous les travailleurs de la fonction publique devraient enjoindre leurs leaders à dénoncer le projet de loi.

Tandis que l’establishment s’en prend aux musulmanes, le mouvement ouvrier doit montrer l’exemple et battre ce projet de loi par ses propres moyens, soit en refusant purement et simplement d’appliquer la loi. En combinant ceci avec une campagne de désobéissance civile de masse de personnes refusant de retirer les vêtements qui couvrent leur visage, nous pouvons forcer le gouvernement à reculer.

C’est seulement ainsi que nous montrerons en pratique que les travailleurs ont beaucoup plus en commun que les différences que tentent d’exploiter la classe dominante et ses alliés politiques.

Non à l’islamophobie!

Les syndicats doivent défier le projet de loi 62!

Seule l’unité de la classe ouvrière peut vaincre le racisme!