Cet été, le Parti vert du Canada a été placé devant le NPD en troisième place dans un sondage pour la première fois. Dans le contexte du mouvement mondial pour contrer la crise climatique, les partis verts dans le monde commencent à attirer l’attention, et le Canada ne fait pas exception. Certains y voient une option « progressiste » devant les partis traditionnels. Mais le Parti vert canadien représente-t-il vraiment une solution de rechange viable aux partis capitalistes qui règnent sans partage depuis les débuts de la Confédération? Un regard plus attentif aux propositions et à l’histoire du parti permet de démystifier cette idée. Nous avons traduit cet article publié sur le site de Fightback (marxist.ca) le 8 mai dernier, suite à la victoire des verts dans une élection partielle en Colombie-Britannique. Il survole l’histoire et le programme du parti, et fournit une analyse marxiste de la montée du parti.

Largement ignoré par l’électorat pendant 36 ans, le Parti vert du Canada a peut-être maintenant raison de célébrer. Le 6 mai dernier, le candidat vert Paul Manley a remporté l’élection partielle de Nanaimo en Colombie-Britannique, devançant de 12 points le candidat conservateur arrivé au deuxième rang. Manly rejoint donc Elizabeth May à Ottawa. La chef du Parti vert, première (et seule) députée du Parti vert, a été élue pour une première fois en 2011. Le parti, qui n’avait aucun siège avant cela, que ce soit à Ottawa ou dans l’une des provinces, en compte maintenant une douzaine. Les verts forment maintenant l’opposition officielle à l’Île-du-Prince-Édouard, en plus de faire partie du gouvernement de coalition en Colombie-Britannique. De petit groupe éclectique et marginal, le Parti vert s’est transformé en quelques années en un joueur important de la politique canadienne. Comment expliquer cette montée des verts?

Dur dur d’être un vert

Depuis sa fondation en 1983, le Parti vert a vécu dans les marges de la politique canadienne. Durant la majeure partie de cette période, le parti était composé d’un mélange parfois instable de militants écologistes, de capitalistes «verts», de socialistes confus et d’une variété de petits-bourgeois se sentant exclus des partis principaux. Élue à la chefferie en 2006, Elizabeth May reflète bien ce mélange insolite, et a su préserver l’unité de son groupe d’individus disparates.

Le manifeste de 145 pages du parti est à son image. Cet assemblage étrange et surprenant comprend des propositions allant de la semaine de 35 heures, à l’augmentation des pouvoirs de la GRC, l’interdiction de la chasse aux phoques, l’atteinte de l’équilibre budgétaire en passant par des mesures pour limiter la croissance de la population. Pour ces raisons, et étant donné l’instabilité de sa base sociale, il a langui dans les bas-fonds des sondages pendant des décennies, ne demeurant qu’une curiosité de la politique canadienne.

Combler le vide 

La montée des verts, cependant, a peu à voir avec le parti lui-même. Aux yeux de beaucoup d’électeurs, la plus grande qualité du Parti vert n’est pas sa plateforme (qui serait difficile à cerner), mais le fait que les verts ne sont ni les conservateurs, ni les libéraux, ni le NPD. Chacun de ces partis a été au pouvoir et a donc brisé des promesses, perdant ainsi la confiance de l’électorat. N’ayant jamais formé le gouvernement, les verts peuvent donc se targuer d’avoir les mains propres. Bien que les électeurs ne soient pas complètement séduits par leur plateforme, ils se disent qu’il s’agit au moins de quelque chose de nouveau.

À Nanaimo, après n’avoir reçu que 20 pour cent des votes en 2015, les verts en ont reçu 37 pour cent en 2019 – une augmentation de 17 points. Quant à eux, les libéraux et les néo-démocrates ont vu leur part du gâteau réduite de 12,5 et 10 pour cent respectivement par rapport à 2015. Les électeurs ne se sont pas seulement tournés vers les verts; ils ont également délaissé les partis traditionnels. Le fait que le NPD et les verts aient fait campagne sur des plateformes similaires rend cette conclusion évidente. 

Un tableau similaire se dessine à l’échelle nationale. Les libéraux au pouvoir perdent des appuis depuis 2016, une tendance accélérée par le scandale SNC-Lavalin, qui a été révélé en février. Ces jours-ci, le parti oscille entre 25 et 30 pour cent dans les sondages, alors que le taux de désapprobation de Trudeau se situe à plus de 60 pour cent. La désillusion envers les libéraux ne s’est toutefois pas transformée en un vent de popularité pour les conservateurs et le NPD. Un sondage Angus Reid datant du 3 mai dernier révélait que tous les chefs des partis principaux avaient une cote de popularité négative – la seule exception étant… Elizabeth May. 

Comment expliquer tout cela? Les libéraux, qui avaient suscité beaucoup d’espoir au début de leur mandat, apparaissent maintenant sous leur vrai jour : un parti de menteurs, de tricheurs et de laquais des grandes entreprises. L’affaire SNC-Lavalin a signalé la fin des illusions qui pouvaient demeurer envers le Parti libéral. Le NPD n’a toutefois pas su offrir une solution de gauche au régime désastreux de Trudeau. Il peut être difficile de dire où se situent les néo-démocrates sur un enjeu donné. Le chef Jagmeet Singh peine à tirer profit de la colère des travailleurs, ce qui pousse beaucoup de gens à se demander si le NPD offre quoi que ce soit de neuf. Ironiquement, le nouveau député vert Paul Manly a tenté de faire campagne sous la bannière des néo-démocrates il y a plusieurs années, mais sa candidature avait été rejetée par le parti sous prétexte qu’il appuie la libération de la Palestine. Comme Manly, beaucoup de gens se sont tournés vers les verts, les voyant comme la seule option viable. Qu’en est-il réellement?

Les verts : pas une option viable

Les verts ont charmé des milliers d’électeurs avec leurs promesses de mesures pour contrer les changements climatiques et les inégalités, et surtout, en se présentant comme une rupture avec les politiciens traditionnels. Cependant, une étude plus approfondie de leur plateforme révèle qu’il n’y a rien là de bien excitant.

Pour beaucoup de gens, le dévouement des verts à lutter contre les changements climatiques constitue leur principale raison de les appuyer. Leurs propositions pour ce faire, consistant en d’énormes subventions aux entreprises vertes ainsi qu’en un système de marché du carbone de style « dividende et commission » qui encouragerait « les investissements dans les technologies vertes de la part du secteur privé », ne divergent néanmoins pas tellement de celles des libéraux. Sans surprise, May a applaudi le plan libéral de tarification du carbone lorsqu’il a été annoncé, affirmant que la mesure était calquée sur la sienne. Comme nous l’avons déjà expliqué, l’approche de Trudeau ne fait que très peu pour contrer les changements climatiques tout en mettant le fardeau sur la classe ouvrière plutôt que sur les entreprises polluantes.

Le Parti vert partage aussi des idées avec les conservateurs, par exemple la « responsabilité budgétaire », les « budgets équilibrés » et les « solutions axées sur le marché », principes qui sont mis bien en évidence dans les plateformes des deux partis. Bien que les verts prononcent de belles paroles sur les enjeux autochtones et sur l’immigration, leur plateforme réclame une augmentation des ressources pour la GRC, le Service canadien du renseignement de sécurité et la sécurité frontalière et une meilleure « intégration » de ces trois organismes.

À quoi ressemblerait un gouvernement des verts? Sans surprise, la coalition NPD-Vert qui est au pouvoir en Colombie-Britannique montre des signes qui ne sont pas trop encourageants. Sur la plupart des questions, les verts ont occupé la droite de la coalition, notamment en s’opposant à un projet de loi qui faciliterait la syndicalisation en plus d’avoir initialement été en désaccord avec la hausse du salaire minimum à 15 dollars de l’heure. À l’Île-du-Prince-Édouard, le chef Peter Bevan-Baker a déclaré qu’il ne rejetterait pas l’idée de former un pacte avec le nouveau gouvernement conservateur, affirmant que « toutes les options seraient envisagées ».

Le NPD inapte

Le Parti vert n’offre pas de solution aux problèmes des travailleurs, mais cela n’a pas réduit leur attrait. Les verts ne gagnent pas en popularité grâce à leurs idées, mais bien malgré elles. Les politicards du NPD maudissent la montée des verts, sermonnant les indécis à propos du fait que les verts ne sont pas « de gauche ». Soit, c’est vrai. Mais ces petits malins ne reconnaissent pas leur propre rôle dans la montée du Parti vert. 

Comment se fait-il que les verts arrivent à se présenter comme une solution de rechange de gauche aux partis traditionnels? La réponse saute aux yeux : c’est parce que les néo-démocrates n’ont pas su le faire. En effet, ils ont failli misérablement à cette tâche. En l’absence de toute option de gauche crédible de la part du parti travailliste canadien, un nombre de gens grandissant se disent que « les verts feront l’affaire! » Les promesses vides d’Elizabeth May sont aussi bonnes pour eux que celles de quelque autre politicien que ce soit. Étant donné qu’elle n’a pas encore eu la chance de les briser, ses promesses pourraient même paraître plus alléchantes aux yeux de ces électeurs.

Nul parti ne garde ses appuis éternellement. Le NPD pourrait rallier les ouvriers canadiens et endiguer son hémorragie s’il adoptait un programme socialiste militant. Sans cela, le parti de la « vague orange » risque de se noyer dans une pataugeoire verte.