Le 9 avril dernier, le chef de la communauté autochtone d’Attawapiskat, dans le nord de l’Ontario, a décrété l’état d’urgence en raison de la désastreuse vague de suicides qui secoue la communauté. Uniquement depuis le début du mois d’avril, on y dénombre 11 tentatives de suicide, alors qu’il y en avait déjà eu 28 au mois de mars. Au cours des sept derniers mois, 100 personnes ont fait une tentative de suicide dans la communauté. Quelques jours après avoir décrété l’état d’urgence, un pacte de suicide entre 13 jeunes, dont un enfant de 9 ans, a été déjoué. L’hôpital local étant toutefois débordé, la moitié des jeunes ont été envoyés à la prison pour les garder sous surveillance en attendant de pouvoir recevoir des soins. Le 15 avril dernier, cinq autres jeunes ont tenté de mettre fin à leur jour dans la communauté de 2000 habitants.

Cette tragédie n’est en fait que la pointe de l’iceberg. D’autres communautés de la Nation Nishnawbe Aski, dont fait partie Attawapiskat, font face à une vague de suicides. Ce fléau touche également des communautés au Nunavut, au Québec, et dans l’ouest du pays. À Kuujjuaq, dans le nord du Québec, cinq jeunes Inuits âgés entre 15 et 20 ans se sont suicidés entre les mois de décembre et mars. L’année dernière, les réserves d’Uashat et de Maliotenam, près de Sept-Îles, ont également fait face à la même crise suite au suicide de cinq personnes et à d’autres tentatives échouées. Également, la Première Nation crie Pimicikamak de Cross Lake au Manitoba a déclaré l’état d’urgence en mars après que six membres de la communauté se soient enlevés la vie depuis la mi-décembre, dont cinq adolescents. Cette communauté a aussi mis sous surveillance 170 enfants après la découverte de pactes de suicide. En fait, le suicide touche de manière beaucoup plus importante les Autochtones au pays. Ceux-ci sont affectés par un taux de suicide de quatre à six fois supérieur à celui que l’on retrouve chez les autres Canadiens et de quinze à vingt fois supérieur chez les Inuits.

L’état d’urgence décrété le 9 avril dernier a finalement mis le problème à l’ordre du jour du Parlement canadien. Un débat d’urgence fut tenu à la Chambre des communes et la ministre fédérale de la Santé a assuré l’envoi de 18 spécialistes à Attawapiskat afin de gérer cette crise. Le ministre de la Santé de l’Ontario, Éric Hoskins, s’est rendu sur les lieux et a discuté de la crise avec les dirigeants sur place. Le gouvernement ontarien s’est engagé à fournir jusqu’à 2 millions de dollars pour y envoyer des psychologues, infirmières et autres professionnels de la santé.

Or, cette intervention gouvernementale ne pourra être plus qu’un bandage sur une plaie béante. Il est vrai que les communautés autochtones font face à un manque criant de ressources en santé mentale pour se pencher sur le problème. Toutefois, même si les ressources étaient suffisantes pour prévenir les nombreux cas de suicides, ceci ne parviendrait pas à s’attaquer au cœur du problème qui affecte les Autochtones au pays. La gravité des problèmes de santé mentale chez les Premières nations et les Inuits est en fait un symptôme de la détresse profonde de ces communautés auxquelles le capitalisme n’offre aucun avenir.

Des conditions de vie misérables sur les réserves

La communauté d’Attawapiskat, installée dans un des pays les plus riches au monde, n’a pas de médecin installé à temps plein et aucun spécialiste en santé mentale n’y est venu depuis plus de neuf mois. En 2011, la Croix-Rouge a dû intervenir pour venir en aide à la population locale alors que l’état d’urgence avait été décrété en raison du manque de logements, ce qui forçait certaines familles à vivre dans des tentes et des cabanes non isolées. L’année suivante, la communauté faisait face à un grave problème d’eau contaminée. Pendant quatorze ans, la communauté n’avait pas eu d’institution scolaire jusqu’à l’inauguration d’une école en 2014. En plus, Attawapiskat est fréquemment aux prises avec des inondations printanières. Ce dénuement est caractéristique des conditions difficiles dans lesquels se trouvent les réserves autochtones au pays.

Selon une étude du Centre canadien en politiques alternatives, le revenu moyen d’un Autochtone en 2006 était de 18,962$, correspondant à 30% de moins que le revenu moyen de 27,097$ pour le reste des Canadien-nes. Le taux de chômage chez les Autochtones hors réserves se situait à 14,3% en 2010, près de deux fois la moyenne nationale qui se trouvait à 7,9%. La situation est encore pire pour les gens des Premières nations résidant sur les réserves, pour qui le taux de chômage s’élevait à 22% en 2011. Le racisme ainsi que l’éloignement des réserves des centres industriels signifie que l’accès à l’emploi, et qui plus est à des emplois de qualité, se trouve barré pour une grande partie des Premières nations et des Inuits. Il est aussi un fait notoire que le suicide, la pauvreté, le chômage, l’itinérance, les problèmes de santé physique et mentale, affectent davantage les Autochtones que le reste des Canadien-nes. Les Autochtones du pays ont également une plus courte espérance de vie, en plus d’avoir un plus bas niveau d’éducation. Alors que les écoles autochtones sont sous-financées, les jeunes sur les réserves sont grandement défavorisés par rapport aux autres jeunes du pays. La situation est encore pire pour les femmes qui, comme nous l’avons déjà souligné, sont trois fois plus susceptibles que les autres femmes au pays de subir de la violence et huit fois plus susceptibles d’être assassinées.

Le Canada est un des pays les plus riches au monde et maintient tout de même une partie de sa population dans une situation tiers-mondiste, alors que plusieurs communautés souffrent de manque d’eau potable et d’électricité et que la population est bien souvent forcée de vivre entassée dans des réserves. C’est notamment le cas de la réserve ontarienne de Neskantaga qui est aux prises avec un avis d’ébullition d’eau depuis plus de 20 ans! C’est en outre plus d’une dizaine de communautés qui, depuis plus de dix ans, vivent sans eau potable!

Face à ces faits, on comprend mieux ce qui a poussé ces jeunes à commettre un geste aussi grave. La société capitaliste est incapable de leur offrir un avenir, seulement capable de leur offrir la misère et la souffrance sous les coups du racisme, de la pauvreté, de la violence et de la destruction quotidienne de leur culture; ces jeunes ont donc choisi la seule solution qui semblait s’offrir à leurs problèmes. Pour beaucoup de gens, la situation appelle à plus d’investissements de la part du gouvernement dans les communautés autochtones. Nous le souhaitons aussi, toutefois les limites du système capitaliste posent obstacle.

Le mirage libéral

L’élection de Trudeau a suscité l’espoir de beaucoup de Canadien-nes, après les années noires sous Harper. Toutefois, il ne faut pas se laisser leurrer. Il semble d’ailleurs que le tout premier budget du gouvernement de Justin Trudeau rompt déjà avec sa promesse d’investir 2,6 milliards de dollars sur quatre ans en éducation pour les Autochtones. En effet, le budget fédéral prévoit plutôt que cette somme sera investie sur cinq ans, dont près de la moitié après la prochaine élection prévue en 2019. Aussi, certains comme Sheila North Wilson, grande chef des Premières Nations du Manitoba Keewatinowi Okimakanak (MKO), considèrent que la somme totale de 8,4 milliards de dollars sur cinq ans prévue dans le budget du gouvernement pour l’amélioration des conditions de vie des Autochtones est nettement insuffisante pour répondre aux besoins réels immédiats de la population.

Même si les libéraux réussissaient à tenir leurs engagements (ce qui dépend en grande partie de leur réélection en 2019, comme nous venons de le voir), la question demeure : qui va payer pour les réformes de Trudeau? Plus de 700 milliards de dollars dorment en ce moment dans les coffres des capitalistes canadiens. De telles sommes pourraient être investies pour venir en aide aux communautés autochtones et à la population en générale, mais cela ne pourra se produire tant qu’existe la propriété privée des moyens de production. De plus, comme nous l’avons déjà expliqué, ces investissements envisagés par le gouvernement de Justin Trudeau devront inévitablement être payés plus tard à coup de mesures d’austérité drastiques, au détriment des conditions de vie de l’ensemble des travailleur-euses canadiens et des communautés autochtones en particulier. Après tout, il ne faut pas se leurrer : le Parti libéral est le parti traditionnel de la bourgeoisie canadienne. Il y a tout lieu de s’attendre à ce que les intérêts privés l’emportent ultimement sur les « voies ensoleillées » proposées par Trudeau, qui plus est dans une situation économique mondiale tout sauf stable et prospère.

Le Parti libéral au pouvoir, malgré qu’il se prétende davantage préoccupé par la situation que le gouvernement conservateur qui l’a précédé, reste un parti bourgeois à la solde des intérêts capitalistes. Avant le règne conservateur, les libéraux au pouvoir n’ont rien fait pour améliorer la situation des Autochtones au Canada, malgré rapports et enquêtes. La Commission royale d’enquête de 1996 rapportait que la marginalisation des Autochtones est systématique au Canada et appelait le gouvernement fédéral à investir massivement dans des services et infrastructures dans les communautés autochtones. Vingt ans plus tard, la situation a peu changé. Aucun gouvernement, ni libéral ni conservateur, n’a véritablement suivi les recommandations de la Commission.

Il va de soi que nous devons soutenir toutes les mesures qui aident les Autochtones à faire face aux nombreux problèmes auxquels ils sont confrontés. Toutefois, il faut comprendre que sous le capitalisme, toutes les réformes ont un caractère temporaire et instable, et sont particulièrement menacées lorsque la situation économique se détériore. Plus encore, le problème est véritablement systémique, étant ancré dans les fondements de l’envahissement colonial et perpétué sous le capitalisme par la marginalisation et l’inégalité. L’État, sous le capitalisme, est un organe au service des intérêts des capitalistes qui, en dernière analyse, n’ont que faire des Autocthones et du traitement qui leur est réservé; ainsi s’explique le non respect presque systématique des traités. Et pourquoi en serait-il autrement? Les considérations de la course aux profits sont tout naturellement prioritaires devant les besoins criants des Premières Nations et Inuits et de la population en général; il en va ainsi sous le système capitaliste. En ce moment, des milliards sont investis dans l’achat d’avions de chasse et dans le renforcement des corps policiers. De telles sommes pourraient être massivement investies pour venir en aide aux communautés autochtones et à la population en général, mais cela ne pourra se produire tant qu’existe la propriété privée des moyens de production et la logique du profit qui en découle.

Ripostons aux horreurs du capitalisme par la solidarité de classe!

Face à la vague de suicides qui afflige des communautés dans tout le pays, des mouvements de protestation et de solidarité se forment, notamment devant les bureaux du Ministère des Affaires autochtones et du Nord du Canada, réclamant de meilleures conditions de vie pour les Autochtones du pays. Ceci exprime ainsi leur résistance et leur persévérance pour défendre leurs intérêts, comme nous l’avions déjà vu avec le mouvement Idle no More. La Riposte soutient la lutte des Autochtones pour la défense de leurs terres et de leurs droits qui sont bafoués depuis plus de 400 ans.

Les nombreux cas de suicides qui placent les communautés autochtones en état de crise, de même que les conditions dégradantes qui affligent les Autochtones au pays expriment la faillite du système capitaliste agonisant – ce même système qui exploite économiquement l’ensemble des travailleur-euses de partout. L’exploitation et l’oppression sont le lot de l’immense majorité de la population pour le profit d’une infime minorité.

Les travailleur-euses non-autochtones n’ont donc pas d’intérêts opposés à ceux des Autochtones, en dépit des préjugés racistes qui sont, par le biais de la propagande médiatique, véhiculés auprès de la population, et qui ne servent qu’à isoler les Autochtones du reste de la société. Les capitalistes tirent profit de la marginalisation des Autochtones qui maintient la division de tous les travailleur-euses, tout comme ils tirent profit du racisme, de l’homophobie, du sexisme. Pour la classe dirigeante, cette division des travailleur-euses est nécessaire afin d’éviter que ceux-ci s’unissent contre leur oppresseur commun, la classe capitaliste.

Mais face à cette division, nous devons riposter par la solidarité et l’unité des travailleur-euses, toutes nationalités et origines ethniques confondues, dans la lutte contre le racisme et contre ce gouvernement capitaliste et les grandes corporations qui tirent profit de cette horrible situation.

Pour assurer cette unité, une campagne de solidarité doit être organisée au sein du mouvement ouvrier canadien pour lutter contre toute discrimination envers les Autochtones. De manière plus concrète, une telle campagne doit dénoncer la violation par le gouvernement des traités signés avec les peuples autochtones, défendre leur droit à la terre et aux ressources et soutenir leur droit de décider démocratiquement de leur destinée.

Le Canada est un pays très riche en ressources naturelles et financières. Absolument rien ne peut légitimer que les communautés autochtones, même dans les régions les plus reculées, soient mises à l’écart de cette richesse. Mais il apparaît clair que ce n’est pas en demandant à Ottawa de signer des plus gros chèques qu’on pourra redonner espoir à ces populations exclues du système capitaliste. Dans cette perspective, le contrôle démocratique par les travailleur-euses Autochtones et non-Autochtones sur les industries et ressources naturelles fournirait les assises matérielles pour une économie planifiée qui répondrait aux besoins de l’ensemble de la population et distribuerait les ressources en conséquence. Une telle transformation socialiste de l’économie permettrait à tous les travailleur-euses, autochtones et non-autochtones, d’organiser la société afin d’améliorer significativement les conditions de vie de tous – élimination du chômage, système de santé et d’éducation universels et accessibles, diminution de l’écart du niveau de vie entre les milieux urbains et les régions éloignées, etc.

Mais ceci n’est possible que si les travailleur-euses s’unissent, car c’est seulement ensemble, Autochtones et non-Autochtones, que nous avons le pouvoir de renverser le système capitaliste et de construire une société socialiste, basée non plus sur l’appropriation privée et l’exploitation des êtres humains, mais qui sera au contraire basée sur un contrôle démocratique collectif de l’économie, répondant aux besoins réels de la population, ce qui inclue a fortiori les besoins fondamentaux des Autochtones. L’amélioration considérable des conditions de vie de l’ensemble de ceux-ci jettera les bases pour la reprise d’un réel contrôle de leur propre destinée, qui n’est certes pas possible sous les conditions de misère qu’impose le capitalisme.