Alors même que le Front commun intersyndical organise la grève et que le gouvernement lui répète qu’il n’a pas d’argent pour satisfaire ses modestes demandes, et que les libéraux vont de l’avant avec un colossal programme d’austérité, la multinationale d’origine québécoise Bombardier vient de recevoir un cadeau de un milliard de dollars US de la part de ce même gouvernement. Ce geste, qui peut être correctement qualifié «d’aide sociale aux entreprises», montre que l’hypocrisie de Couillard et sa bande atteint des sommets tout simplement inégalés. Comme si cela n’était pas assez, les libéraux québécois demandent à leur contrepartie fédérale d’égaliser leur contribution.

Le milliard sera investit dans une société en commandite consacrée uniquement à la gamme d’avion CSeries, un projet lancé par Bombardier afin de tenter de briser le duopole de Boeing et Airbus dans les avions de 100 à 160 sièges. Dans cette nouvelle société, le gouvernement va posséder 49.5% des actions, laissant les 50.5% restant à Bombardier. Le Premier ministre Couillard et son ministre des Finances, Jacques Daoust, ont défendu bec et ongles l’entente, soulignant l’importance de l’industrie aérospatiale pour le Québec qui fournit des milliers d’emplois bien rémunérés, et arguant qu’elle est un chef de file dans la recherche et le développement technologique parmi les industries canadiennes.

«Qu’est-ce qui est plus risqué, le faire ou ne pas le faire?», a affirmé Jacques Daoust, lorsqu’il a annoncé l’entente aux côtés d’Alain Bellemare, PDG de Bombardier. «On parle de 40 000 emplois, avec une moyenne salariale deux fois supérieur à la moyenne québécoise. On ne peut pas simplement laisser l’industrie partir.»

Ce sauvetage survient alors que Bombardier connaît d’importantes difficultés, ayant enregistré des pertes de 4.9 milliards de dollars au troisième trimestre (plus que la valeur totale du programme des CSeries), 3.2 milliards étant attribuables à une dépréciation des actifs du programme des CSeries. Le programme a coûté à lui seul 6 milliards jusqu’à présent, alors que l’estimation initiale était de 3.4 milliards. Il a maintenant besoin d’un 2 milliards additionnel afin de voir le jour.

De plus, les avions CSeries sont presque trois ans en retard par rapport à la date de mise en marché initialement estimée, les premiers devant être livrés en 2016. Le délai du programme a permis aux compétiteurs, Airbus et Boeing, de travailler sur leurs avions et les doter de machines similaires à celles promises par les avions CSeries. L’un des attributs principaux des CSeries est leur efficacité énergétique, mais maintenant, à cause de la chute drastique des prix du pétrole, cela n’a plus autant d’attrait pour les investisseurs. Bombardier a perdu beaucoup de temps, ce qui, combiné au doute entourant la viabilité du programme, fait en sorte que la compagnie n’a pas reçu une seule commande pour le CSeries depuis plus d’un an. Même si les commandes reprenaient avec la complétion du programme, Bombardier prévoit que le retour sur investissement ne se fera pas avant 2020 ou 2021!

Mais ce n’est pas que le programme des CSeries qui est en difficulté. Bombardier a également été largement incapable d’honorer ses ententes avec la Société des Transports de Montréal (STM) et sa contrepartie torontoise, la Toronto Transit Commission (TTC) pour la production de wagons de métro. Les 468 nouveaux wagons commandés par la STM pour 1.2 milliards de dollars devaient être livrés l’an passé mais à cause de délais, aucun de ces wagons n’est encore en service. Le gouvernement québécois n’a pas perdu de temps avant de donner 31.5 millions de dollars à Bombardier pour continuer la production. À Toronto, la TTC a seulement reçu 10 des 204 wagons promis au prix de 851 millions de dollars. Voilà l’efficacité et la compétence du capitalisme en action!

L’aide sociale aux entreprises

Les travailleur-euses québécois ont toutes les raisons d’être indignés face à cette entente. Tandis que le gouvernement met en place des coupures drastiques dans des services essentiels comme la santé, l’éducation et les travaux publics, invoquant l’urgence de l’équilibre budgétaire et la réduction de la dette, il n’a aucun problème à emprunter un milliard pour le donner à Bombardier. Les professeur-es en grève de Montréal ont condamné avec raison l’entente, soulignant l’hypocrisie du gouvernement et demandant pourquoi de l’argent peut être trouvée pour des entreprises privées, mais pas pour les professeur-es et les écoles. Mais, sachant que le lobbyiste de Bombardier est nul autre que l’ex-ministre des Finances libéral, Raymond Bachand, on ne peut guère se surprendre d’un tel cadeau de la part de leurs amis du pouvoir.

Pour couronner le tout, Bombardier a les mains complètement libres avec cette entente. Il n’y a pas de supervision gouvernementale, pas de restructuration de l’administration de l’entreprise, et aucun recours pour la province si l’investissement échoue. C’est un fait bien connu que les difficultés de Bombardier sont largement dues aux mauvaises décisions de la famille Bombardier-Beaudoin, qui a la main haute dans l’entreprise. Il est vrai que Pierre Beaudoin a quitté son poste de PDG il y a quelques mois et a été remplacé par Alain Bellemare, mais ce n’était là qu’un changement superficiel. L’entreprise est dotée d’un actionnariat à deux paliers où les Bombardier-Beaudoin contrôlent 85% des actions de type «A» qui ont 10 fois le nombre de votes que les actions de type «B». Au total, ils détiennent environ 54% des droits de vote dans l’entreprise.

Tous les grands journaux canadiens commentant le sujet au cours des dernières semaines, incluant le National Post de droite, ont remarqué que Bombardier a pu compter sur toutes sortes de prêts et de subventions depuis sa fondation. Un exemple saillant de ce fait est le programme des CSeries lui-même. Quand Bombardier a décidé de lancer le programme, elle a approché les gouvernements du Canada, des États-Unis et du Royaume-Uni pour des fonds. Bombardier a seulement accepté de lancer le programme une fois qu’elle ait sécurisé une subvention de 350 millions de dollars de la part du gouvernement fédéral.

Il est important de noter ici que Bombardier n’est pas la seule entreprise qui vit au crochet de l’État. En fait, lorsqu’il a annoncé l’entente, Couillard a ouvertement fait référence au sauvetage du secteur automobile en Ontario par l’État, disant «je dois rappeler à tous que l’aéronautique est aussi important pour le Québec que l’industrie automobile l’est pour l’Ontario. Beaucoup d’efforts ont été déployés pour supporter l’industrie automobile lorsqu’elle était en difficulté et il est totalement approprié que nous fassions la même chose.» Ce grotesque exemple d’aide sociale à l’entreprise ne devrait pas nous surprendre. Il s’agit en fait d’une pratique courante, particulièrement dans les industries de haute technologie, qui requièrent de gros investissements et impliquent de hauts risques.

Quoi qu’il en soit, le sauvetage de l’industrie automobile en Ontario n’est pas un très bon exemple d’argent bien investi. Sur les 13.7 milliards dépensé par les gouvernements fédéral et ontarien pour sauver l’industrie, seulement 10.2 milliards ont été rapatriés lorsque les actions ont été revendues plus tôt cette année. Cela équivaut donc à une perte de 3.5 milliards d’argent des contribuables pour sauver des entreprises privées. Sans surprise, l’état-major de General Motors a continué d’engranger des millions l’an passé. Une situation similaire existe au sein de Bombardier, où leur état-major s’est mis 23 millions de dollars dans les poches l’année dernière seulement. En plus, Bombardier fut prise la main dans le sac l’année dernière alors qu’elle acheminait des centaines de millions de dollars dans des paradis fiscaux afin d’éviter de payer des impôts au Québec.

Bien sûr, il est possible que d’ici quelques années, les CSeries génèrent un profit. Mais si nous suivons l’exemple du secteur automobile ontarien, ni le gouvernement du Québec ni les travailleur-euses ne verront un seul sous de ces profits hypothétiques.

L’exemple de l’Ontario, et celui de Bombardier qui se retrouve maintenant sur le respirateur artificiel, montrent la vraie nature du capitalisme et lèvent le voile sur ce que le «libre marché» et le «néolibéralisme» sont vraiment : laissez le marché décider, mais lorsque nous échouons, vous devez sauver nos profits!

Quelle est la solution?

Nous faisons face ici au chantage de Bombardier. Donnez-nous des milliards, ou des milliers de bons emplois seront perdus. Plusieurs se demandent alors : que faire? Devrions-nous laisser couler Bombardier et perdre une industrie de haute technologie qui fournit des milliers d’emplois bien payés aux Québécois-es et Canadien-nes? La réponse est, bien sûr, non.

Nous avons vu depuis plusieurs années une situation où les gouvernements risquent de l’argent des fonds publics pour des entreprises privées tandis que celles-ci récoltent tous les profits. L’aide gouvernementale a été requise plusieurs fois pour relever Bombardier. La direction de Bombardier a démontré encore et encore son parasitisme et son incompétence, étant incapable de respecter de simples délais et demandant à chaque fois une nouvelle assistance gouvernementale.

L’expérience du secteur manufacturier en Ontario montre que malgré tous les plans de sauvetage, la plupart des usines furent de toute façon fermées et des centaines de milliers d’emplois ont été perdus. Avec la récession au Canada et le ralentissement général de l’économie mondiale, rien n’indique que les choses vont s’améliorer dans l’avenir. La seule manière durable de protéger les emplois et l’industrie est de nationaliser Bombardier sous contrôle démocratique des travailleur-euses! C’est seulement en prenant le contrôle des mains de ces milliardaires parasitaires que nous pouvons éviter cette forme de chantage.

Mais l’enjeu principal ici est que non seulement Bombardier, mais le capitalisme lui-même qui est incapable de se relever de la «Grande Récession» de 2009. Des grandes entreprises et des institutions financières massives font faillite, et même des économies nationales entières font faillite. Sous le capitalisme, le futur de l’humanité est très sombre.

Le capitalisme, malgré ce qu’en disent ses défenseurs les plus acharnés, est incapable de faire avancer la technologie et l’industrie plus loin. Des milliards sont perdus et des centaines de milliers d’emplois se perdent dû aux forces incontrôlables du marché. Les conséquences pour la société sont très graves. Il est grand temps de retirer l’industrie et la technologie des mains de la classe capitaliste paralysée et de les redonner aux masses ouvrières. C’est seulement sur une base socialiste que nous seront capable de faire rouler l’économie pour les besoins des humains plutôt que pour les profits de quelques-uns.

Le gouvernement du Québec doit annuler le sauvetage et se soumettre aux justes demandes des travailleur-euses du secteur public. Bombardier peut jouer un rôle vital dans une économie socialiste respectueuse de l’environnement, produisant des trains et des autobus pour un réseau de transport public gratuit afin de nous débarrasser de la polluante et inefficace économie basée sur la voiture individuelle. Cela serait possible à travers la nationalisation des grands leviers de l’économie et leur intégration dans un plan de production socialiste. Plutôt que d’utiliser les profits pour remplir les poches des entreprises, nous partagerions la richesse et élèverions le niveau de vie de tous.