Image : Elizabeth Arrott

Le régime syrien s’est effondré. Bachar al-Assad a fui le pays. Son armée a été désarmée et son gouvernement a capitulé. Ce vide est comblé par des milices locales et des seigneurs de guerre qui ont pris le contrôle de différentes localités à travers le pays. 

Néanmoins, malgré tous les discours sur un gouvernement de transition inclusif, c’est l’organisation islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS) qui a indéniablement émergé comme puissance dominante. À sa propre surprise, ainsi qu’à celle de ses bailleurs de fonds à Ankara, l’assaut islamiste a déferlé sur la Syrie avec facilité.

Encore une fois sur les « rebelles » syriens

Il est difficile de ne pas se pincer le nez en lisant ce que la presse occidentale écrit sur la Syrie. Les mêmes médias qui dénoncent régulièrement la « barbarie » de groupes tels que le Hamas et le Hezbollah présentent HTS et ses alliés de façon favorable comme des « rebelles ».

En réalité, HTS descend des fous furieux de l’État islamique qui ont ravagé l’Irak et la Syrie entre 2014 et 2019. Ses différences avec l’État islamique sont de nature purement tactique, alors que sur toutes les questions de principe, ils partagent la même idéologie réactionnaire. 

Le groupe et son chef Abu Mohammad al-Jolani ont monté en puissance en prenant le contrôle de la province d’Idlib, au nord-ouest du pays, où le mouvement était contenu par les forces d’Assad et leurs alliés. C’est grâce à la protection militaire et au soutien économique de la Turquie qu’il a pu survivre.

Mais comme les soutiens d’Assad, l’Iran et la Russie, sont occupés par la guerre à Gaza et au Liban, ainsi qu’en Ukraine, il est clair que les islamistes ont saisi l’occasion qui leur était offerte de s’emparer de nouveaux territoires. Le président turc Erdogan y a vu une nouvelle occasion d’étendre son influence en Syrie, sur laquelle il nourrit depuis longtemps de grands desseins. 

Il ne fait cependant aucun doute que la CIA et le Mossad devaient également être au courant des préparatifs de l’offensive et qu’ils l’ont soutenue tacitement ou activement. 

Le régime Assad et ses bailleurs de fonds

Les islamistes ont détourné la révolution syrienne naissante de 2011, ce qui a initialement sauvé le régime. Face à la terreur du fondamentalisme islamique, les Syriens se sont ralliés à Assad, qui était soutenu par les milices alliées à l’Iran et par l’armée de l’air russe. Aujourd’hui, ces mêmes forces djihadistes suscitent la passivité, voire sont accueillies favorablement par de larges couches de la population. Comment cela est-il possible?

L’insurrection jihadiste alimentée par l’Occident et la guerre civile qui s’en est suivie ont considérablement aggravé la situation des masses syriennes. L’industrie a été décimée et la Syrie a été découpée en régions contrôlées par différentes puissances impérialistes. La dislocation de l’économie a été dévastatrice.  

Mais l’impérialisme occidental a essentiellement perdu la guerre civile. Toutes les grandes villes et les zones industrielles sont restées aux mains d’Assad.

Cependant, l’Occident, considérant la Syrie comme une nation hostile soutenue par l’Iran, a imposé une série de sanctions impitoyables au pays. Pendant ce temps, les catastrophes s’accumulaient en Syrie, d’abord sous la forme de la crise bancaire libanaise – en partie due aux sanctions américaines –, de la pandémie de COVID-19, de sécheresses désastreuses et d’un tremblement de terre dévastateur à Alep en 2023.

Le fier peuple syrien a, dans une large mesure, été réduit à vivre une existence pitoyable et démunie – plus de 90% des Syriens vivent en dessous du seuil de pauvreté. 

Le capitalisme syrien ne pouvait pas fournir d’issue à cette impasse. La corruption rampante et la décomposition ont infesté l’État syrien, qui est devenu un spectre ne survivant que grâce au soutien militaire de l’Iran et de la Russie. 

La victoire des islamistes n’a rien à voir avec leur force, mais plutôt avec l’extrême pourriture et la faiblesse du régime Assad. Comme une pomme pourrie, il est tombé dès la première secousse.

Voici un exemple de ce qui se passe lorsque la lutte contre l’impérialisme reste confinée dans les limites du capitalisme. Les plans de l’impérialisme américain pour assujettir la Syrie ont été vaincus. Mais la classe capitaliste syrienne s’est montrée totalement incapable de résoudre les problèmes du pays. Au contraire, elle a trouvé plus rentable de voler les masses.

La Russie et l’Iran, qui se sont longtemps présentés comme des anti-impérialistes et des défenseurs d’une Syrie laïque, se sont finalement enfuis sans combattre. Les forces russes se sont repliées sur la côte pour défendre les bases navales et les installations militaires. Les milices iraniennes se sont retirées en Irak. Les intérêts de l’Iran et de la Russie en Syrie étaient ceux de leurs classes capitalistes respectives, et non ceux des masses syriennes ou du Moyen-Orient. 

La lutte contre l’impérialisme 

Aujourd’hui, une nouvelle joute cynique a commencé pour la redivision de la Syrie et de la région dans son ensemble. Les guerres d’Israël contre Gaza et le Liban, soutenues par l’Occident, ont bouleversé le fragile équilibre qui venait d’émerger au Moyen-Orient. Il est impossible de prédire la direction que prendront les forces en présence.

La Turquie en sort clairement renforcée, tandis que l’Iran et la Russie ont été affaiblis. Cette situation enhardira probablement les forces anti-iraniennes en Irak et au Liban, qui restent tous deux très instables. La Jordanie, le Golfe et l’Égypte sont toujours des poudrières qui n’attendent qu’une étincelle pour exploser. 

Le fait que les impérialistes préfèrent entraîner la région sur la voie de la barbarie plutôt que de concéder leur domination témoigne de l’extrême cynisme des impérialistes. Tant que cette force réactionnaire ne sera pas éradiquée, elle continuera à répandre son poison dans tout le Moyen-Orient et au-delà.