Alors que tous les travailleurs sont aux prises avec l’inflation et que ceux et celles du secteur public se font offrir un maigre 9% sur cinq ans, le gouvernement de la CAQ s’est dit que c’était le bon moment de se graisser la patte.
Le projet de loi 24, adopté le 6 juin dernier, va augmenter les salaires et les allocations des députés de l’Assemblée nationale de 30%. Suivant les propositions d’un rapport établi par un comité consultatif qui se dit « indépendant » composé de deux ex-députés et d’un spécialiste en ressources humaines, l’indemnité d’un député va passer de 101 561$ à 131 766$. Mais en comptant les allocations, leur salaire sera en fait de 151 119$. Pour les députés avec des responsabilités ou des postes particuliers (ministre par exemple) le revenu annuel total ira bien au-dessus de cela; à titre d’exemple, la rémunération annuelle totale du premier ministre atteindra 270 120$. Une telle rémunération est profondément absurde, alors que le salaire médian net au Québec n’était que de 35 100$ en 2020.
Cette augmentation de salaire indéfendable est rejetée par 74% des Québécois. Personne n’a échappé à l’hypocrisie d’une hausse aussi grossière en pleine négociation avec les travailleurs du secteur public. Pourquoi ne pas laisser ces travailleurs voter leur propre salaire eux aussi? Cet épisode met en lumière la pourriture de la démocratie sous le capitalisme, où les privilèges abondent pour les riches et leurs représentants, pendant que la classe ouvrière souffre.
Hypocrisie et mépris de classe
La majorité des parlementaires essaie tout de même de justifier son vol de fonds publics.
La CAQ a utilisé un argument très révélateur pour justifier la hausse d’indemnité : le parti veut attirer des gens « de qualité » au parlement! Laissons de côté le fait que la CAQ envoie le message que ses députés actuels ne sont pas vraiment « de qualité ». À 101 561$ par année, il n’est pas difficile de savoir qui sont ces gens qui ne seraient pas attirés par un si « bas » montant : on parle évidemment de banquiers, de patrons et de tous les autres parasites qui s’enrichissent sur le dos des travailleurs.
Le premier ministre François Legault essaie aussi de se justifier en affirmant qu’il pense à « un jeune père de famille qui veut offrir le plus possible à ses enfants. » On est en droit de se demander si Legault est au courant que bien des travailleurs ont aussi des enfants à qui ils aimeraient aussi pouvoir offrir le plus possible. Avec la CAQ, il est du lot des travailleurs d’être pauvres et du lot des bourgeois et de leurs larbins de vivre dans le luxe.
Cette attitude méprisante envers les travailleurs a encore plus été mise en évidence par la réponse du ministre de l’Éducation Bernard Drainville quand il s’est fait demander si les enseignants méritaient aussi de meilleurs salaires : « Tu compares vraiment la job d’enseignant à la job de député? Tu es en train de me dire que ça se compare? » Il a raison : le travail d’enseignant (et en fait pas mal n’importe quel travail en général) se compare très peu à celui de rester assis dans l’Assemblée nationale et de voter des lois écrites par la garde rapprochée du parti au pouvoir, ou de jouer la comédie en commission parlementaire. L’ex-députée caquiste Claire Samson nous avait donné un aperçu de l’ampleur de la tâche l’an dernier quand elle avait quitté son parti : « De tous les emplois que j’ai eus, et j’inclus quand j’avais 17 ans et que j’étais commis chez Miracle Mart, ou quand j’ai été serveuse chez Da Giovanni, le travail de député ici à l’Assemblée nationale, c’est la job où j’ai travaillé le moins dans ma vie. »
Le Parti libéral du Québec, naturellement, a aussi voté en faveur de la hausse. Le ciel est bleu, le gazon est vert et les libéraux sont à l’argent; tout est normal dans le monde.
L’ex-ministre libérale Lise Thériault siégeait sur le comité prétendument indépendant et a participé à la rédaction du rapport proposant l’augmentation salariale. Elle a aussi, soit dit en passant, participé aux gouvernements de Jean Charest et de Philippe Couillard qui ne se sont jamais gênés pour imposer des mesures d’austérités aux travailleurs. Thériault justifie la position du comité en parlant des longues heures que doivent donner les députés à leur travail : « Des activités le soir, des activités le matin, tu peux aller à un petit déjeuner, à un brunch, une soirée de Chevaliers de Colomb. » Clairement, le simple travailleur ne peut pas comprendre l’effroyable effort que demande la participation à un brunch!
Cette hausse de salaire grossière et l’empressement de la CAQ à l’adopter démontrent aux yeux de tous le profond mépris de classe du parti. Ces gens ne nous représentent pas. Il leur sera toujours aussi facile de prêcher l’austérité aux travailleurs et de blâmer les syndicats de « trop demander » à l’État quand ils n’auront jamais à vivre les conséquences de leur politique. Ils seront épargnés de l’effondrement du système de santé et de l’éducation qu’ils contribueront à empirer, eux qui enverront leurs enfants au privé et iront à la clinique privée au besoin. Ils vivront une belle retraite à même les fonds publics pendant que les travailleurs bûchent jusqu’à un âge avancé. Telle est la démocratie sous le capitalisme; une poignée de privilégiés au parlement qui imposent la misère au reste.
Opposition faible
La CAQ qui vote pour augmenter ses propres salaires en même temps d’offrir des baisses de salaire aux travailleurs du secteur public aurait dû être un cadeau livré sur un plateau d’argent pour Québec solidaire. Les députés du parti se sont, évidemment, opposés à la hausse. Le parti s’est saisi de l’enjeu et a même été accusé de « piraterie parlementaire » par la CAQ à cause de ses manœuvres visant à bloquer le projet de loi. Pourtant, le parti a tout de même réussi à trébucher. Au lieu de s’y opposer unilatéralement, le parti a semé la confusion, par exemple en demandant à ce que la hausse soit reportée à 2026; comme si le problème était que le temps n’était pas le bon. En plus, pour essayer de s’acheter une victoire parlementaire, le leader parlementaire du parti, Alexandre Leduc, a essayé « d’amoindrir » la hausse en la limitant à 10 000$ ou 20 000$. Il a été facile par la suite d’accuser le parti d’incohérence.
Pire encore, après que Leduc ait laissé entendre que les solidaires donneraient leur hausse à des organismes, Gabriel Nadeau-Dubois a ensuite rectifié le tir et expliqué que les députés de QS pourraient encaisser l’augmentation s’ils le souhaitent!
Ces maladresses risquent encore de profiter au Parti québécois. Le PQ a commencé par tergiverser sur la question et a dénoncé la « pression » que leur mettait la CAQ. Finalement, probablement après avoir réfléchi aux gains politiques qu’ils pouvaient faire, les députés péquistes ont décidé de se joindre à Québec solidaire pour demander à ce que la hausse de salaire soit repoussée à 2026. Plus encore, ils ont affirmé qu’ils limiteraient leur hausse à la moyenne d’augmentation que recevront les travailleurs du public; le reste ira à des œuvres de charité. Pour une énième fois, l’opposition molle de QS ouvre la porte pour que le PQ semble plus à gauche et connecté à l’humeur du mouvement ouvrier.
Pourquoi une hausse maintenant?
Politiquement, il peut sembler étrange que les députés de la CAQ augmentent leurs propres salaires en pleine négociation syndicale, en pleine crise d’inflation, quand il était évident que la majorité de la population allait être contre une telle augmentation de salaire. Mais l’autre élément de l’équation, c’est que pour une première fois depuis presque cinq ans, des fissures apparaissent dans le bloc caquiste.
En effet, le recul du parti sur le 3e lien alors que beaucoup de ses députés se sont fait élire sur l’enjeu a dû causer beaucoup de grogne à l’interne. Bernard Drainville s’est présenté devant les caméras en larmes, et une majorité des gens de Québec veulent la démission du député de La Peltrie Éric Caire, qui avait autrefois promis de démissionner si le troisième lien n’aboutissait pas. Le recul a été humiliant pour ces élus de la région, et le PQ a même devancé la CAQ dans les intentions de vote à Québec. Il a fort à parier que la hausse de salaire est aussi une tentative de calmer ces députés et ministres et d’acheter leur loyauté.
Pour une démocratie ouvrière
Cet absurde épisode politique expose la « démocratie » parlementaire pour ce qu’elle est réellement : une démocratie par et pour les riches. Les députés de l’Assemblée nationale, ladite « Maison du peuple », vivent dans un monde à part déconnecté de la vie de la majorité du peuple qu’ils sont supposés représenter.
Cette situation découle du rôle joué par l’État sous le capitalisme. En effet, l’État n’est pas un organe neutre; sa tâche principale est d’assurer le maintien de la propriété privée et de défendre les profits de sa classe capitaliste. Pour assurer la loyauté des hauts fonctionnaires de l’État et des élus au parlement à la classe dominante, il est nécessaire de leur garantir un niveau de vie privilégié qui les sépare des travailleurs, qui les rapproche de la classe qu’ils représentent et qui renforce leur intérêt à maintenir le statu quo capitaliste.
Les députés vont aux mêmes cocktails que les riches entrepreneurs; les riches vont aux événements de financement des partis; les vases communicants entre le privé et les hautes fonctions au sein de la bureaucratie d’État et du Salon bleu sont bien établis; tous ces procédés formels et informels renforcent le fait que les élus se détachent de la population et jouent le rôle de représentants de cette classe capitaliste qu’ils côtoient partout. La démocratie que nous avons n’est pas une démocratie neutre mais bien une démocratie qui défend le capitalisme; une démocratie bourgeoise.
Nous devons lutter pour remplacer ce simulacre de démocratie par une démocratie ouvrière, socialiste. Dans une telle démocratie, au lieu d’avoir des élus bourrés de privilèges dont ils profitent pendant tout un mandat sans remise en question, les élus seront révocables à tout moment si les travailleurs qu’ils représentent sont insatisfaits de leur travail, et leur salaire ne dépassera pas le salaire moyen d’un travailleur. Cela assurera que les travailleurs gardent toujours le contrôle de leurs représentants et que ces derniers aient les mêmes intérêts que ceux qu’ils représentent. De telles mesures permettront de faire fuir tous les opportunistes qui ne cherchent que du prestige et une vie confortable, plutôt que de les attirer, comme on voit sous le capitalisme. Les marxistes défendent de telles mesures aujourd’hui au sein du mouvement syndical, où nous luttons contre les privilèges bureaucratiques des dirigeants du mouvement – mais ces principes devraient s’appliquer à toute la société. Pour y arriver, c’est le capitalisme qu’il faut renverser, pour le remplacer par une société socialiste où toute l’économie sera sous le contrôle démocratique des travailleurs.