Des milliers de manifestants se sont violemment heurtés aux autorités dans le district du Linshui, à l’est du Sichouan. Les manifestants demandaient à ce que le tracé d’une future ligne de TGV passe par Linshui. Ils ont été accueillis par des matraques et des balles en caoutchouc, on signale plusieurs centaines de personnes blessées par la police et les unités tactiques. Le fait que les autorités aient eu la main si lourde sur la répression est révélateur de l’instabilité du régime.
Les habitants du Linshui avaient dans un premier temps été informés qu’une nouvelle ligne de train passerait par leur district. Ils ont été furieux d’apprendre que cette ligne passerait en fait par la cité voisine de Guangan, lieu de naissance de Deng Xiaoping et préfecture de la région. Cette manifestation était inhabituelle de par son soutien à un projet de développement. En général, les manifestations en Chine se forment contre le vertigineux amas de nouveaux projets (souvent perçus comme préjudiciables aux communautés locales) que le gouvernement a lancé afin de maintenir l’économie à flot.
Environ 20 000 manifestants sont descendus dans la rue pour réclamer cette ligne de train. Une lettre écrite par un habitant de Linshui, adressée aux autorités de l’Etat, déclarait : « Il y a deux voies de chemin de fer qui passent par Guangan. Nous sommes le seul district de la région qui n’ait rien. » Les 12 000 kilomètres de lignes de TGV que le gouvernement a construit ces sept dernières années ont souvent amené des investissements induits et du tourisme dans les zones à travers lesquelles ils sont passés. Malgré les vastes projets de développement mis en place depuis 2008, ce développement a été inégal et beaucoup de communes ont été laissées de côté. C’est pour ces raisons que les habitants de Linshui veulent si désespérément une ligne de TGV.
La manifestation a débuté pacifiquement, mais bientôt, la police a commencé à frapper les manifestants au hasard, à coups de bâton. Cela a provoqué une violente résistance de la part des manifestants, jusque tard dans la nuit. On raconte que des voitures de police ont été incendiées et que les manifestants ont lancé des pierres contre les unités tactiques de la police. On rapporte encore, sans confirmation, que plusieurs manifestants seraient morts.
Cet élan militant de résistance est l’expression de l’humeur sous-jacente en Chine, aujourd’hui. Un autre fait de ce genre s’est produit dans la province du Guangdong le mois dernier, lorsqu’une manifestation contre la construction d’un incinérateur est devenue violente, en réponse à l’extrême agressivité de la police.
Ces explosions locales surviennent dans un contexte de montée en puissance du militantisme des travailleurs. La Chine a récemment connu une hausse du taux de grève. Selon les données collectées par le Bulletin du Travail Chinois, il y a eu 1378 grèves et manifestations ouvrières en 2014, soit plus du double de l’année 2013 (656) et plus du triple de l’année précédente (382). Il y a eu un important tournant lors du dernier trimestre 2014, avec 569 grèves enregistrées, ce qui représente une accélération par rapport au trimestre précédent et quatre fois plus que le même trimestre l’an passé.
Avec le ralentissement de l’économie en Chine, de plus en plus de travailleurs sont jetés dans la lutte, se battant pour leurs salaires, leurs avantages sociaux et leurs retraites. Bien que la Chine ait repoussé le krach de 2008 au moyen d’une vaste politique de stimulation keynésienne via des projets d’infrastructures massifs, cela n’est qu’un pansement sur la crise. Maintenant, une crise de surproduction se profile. En 2014, la Chine a connu sa croissance la plus faible depuis 1990, lorsque le taux d’utilisation de sa capacité productive est tombé sous les 70 %. Selon les estimations officielles, l’économie chinoise a besoin de grandir de 7,2 % chaque année pour s’assurer que les 10 millions de nouveaux travailleurs qui arrivent sur le marché du travail aient tous un emploi. Mais il est prouvé que cela est impossible, ce qui ouvre la voie à de nouveaux troubles. Tant que l’économie mondiale continue de ralentir, la Chine ne verra que de nouveaux problèmes arriver, alors que ses exportations décroîtront.
Même durant la phase d’expansion économique en Chine, beaucoup étaient déçus et en colère du fait que la prospérité bénéficia de façon disproportionnée à l’élite. Les Chinois ordinaires voyaient l’hypocrisie des politiciens soi-disant communistes conduisant des Bentley dans les rues. Les bureaucrates consultaient très rarement les communautés où les projets de développement se faisaient, causant de nombreuses manifestations.
La corruption qui entoure ces projets de développement monte tout droit jusqu’au sommet de la caste politique chinoise. L’ancien ministre des Chemins de fer, Liu Zhijun, a touché plus de 100 millions de dollars en pot-de-vin et est maintenant emprisonné. Il est fort possible que ce soit les pots-de-vin qui aient mené au changement de plan fait au préjudice de Linshui.
Toute cette corruption et ces privilèges chez les officiels du gouvernement exposent la pourriture absolue de ce régime aux yeux des travailleurs et des jeunes. Mélangez cela au déclin économique et vous aurez la recette pour des troubles massifs en Chine. Les manifestations à Linshui, où des milliers de personnes se sont rebellées activement et violemment contre l’Etat, en sont une expression.
L’establishment est tout à fait conscient de l’instabilité de la situation. Il est également conscient du fait qu’il ne sera pas capable d’accorder de concessions significatives à la classe ouvrière dans cette époque de crise du capitalisme. C’est pourquoi les récentes manifestations en Chine ont rencontré une répression aussi agressive. La répression d’Etat ne démontre pas la force du capitalisme chinois, mais sa faiblesse. Le même phénomène peut s’observer à travers tout le monde capitaliste, où les gouvernements en crise attaquent les droits démocratiques et font de plus en plus appel à des « détachements d’hommes en arme » pour tenir les mouvements de masse à distance.
Un autre exemple de cette répression d’Etat a eu lieu en avril 2014, durant la grève de Yue Yuen, un producteur de chaussures chinois. Plus de 40 000 ouvriers ont fait grève lors d’un conflit sur les retraites et les avantages sociaux, faisant de la grève de Yue Yuen la plus grande grève de l’histoire chinoise récente. La réponse de la classe dirigeante fut une répression immédiate. La police a cogné les travailleurs et est entrée dans les usines avec des chiens policiers pour exiger que chacun retourne au travail.
Les habitants de Linshui désirent la prospérité économique et ils vont être déçus durant la prochaine période. A la longue, le même état d’esprit militant que celui vu à Lanshui s’exprimera à travers tout le pays. Cela signifie que la classe ouvrière chinoise, la plus grande classe ouvrière du monde, prend le chemin des luttes de masse. Quand ce Goliath sera relâché, aucune répression d’Etat ne pourra l’arrêter.