Le premier ministre du Québec, François Legault, a dévoilé le Conseil des ministres de la Coalition avenir Québec le 18 octobre dernier. Il a lancé au passage un traditionnel discours politique vide affirmant que la « marque de commerce » du parti sera « la proximité, l’humanité et l’ouverture ». Dans le même état d’esprit, le gouvernement sera « proche du monde » et gouvernera « en essayant d’obtenir l’adhésion du plus grand nombre de Québécois ». Se vantant d’être le parti du « renouveau » politique, la CAQ offre un conseil paritaire (13 hommes, 13 femmes) et des ministères importants sont donnés à des députés dans la trentaine.
Les travailleurs ne doivent pas se laisser berner par ce papier peint « jeune » ou « féministe ». Le cabinet de la CAQ n’annonce rien de bon pour eux et un simple regard sur sa composition sociale permet de s’en apercevoir. Des 26 ministres, on peut compter sur les doigts d’une seule main ceux qui ne viennent pas du milieu des affaires et de la gestion. Il avait par ailleurs déjà été souligné dans les médias que 32 des 74 députés caquistes venaient du milieu patronal.
Regardons quelques grands noms de ce Conseil, à commencer par Simon Jolin-Barrette à qui revient la tâche de réduire le nombre d’immigrants entrant dans la province et de légiférer sur le port des signes religieux dans le secteur public. Outre ces fonctions, ce jeune avocat proclame qu’il « rêve d’un Québec ambitieux, avec de la vision […] où le travail ne serait pas vu comme un fardeau dont il faudrait se défaire bien avant l’âge de 65 ans » et se plaint que les travailleurs québécois ne valorisent pas la semaine de 60 heures de travail contrairement à leurs homologues américains. Bref, les paresseux travailleurs devraient tout simplement se sentir gâtés d’avoir le privilège de se vendre à perte d’âme aux capitalistes! C’est Jean Boulet qui aura l’honneur douteux de défendre cette vision chez la classe ouvrière en tant que ministre du Travail. Il est reconnu comme un avocat patronal par les syndicats. Il a notamment représenté les patrons de l’usine Delastek lors d’une grève qui a duré 1073 jours durant laquelle le patronat a usé de diverses tactiques comme l’embauche de briseurs de grève, l’intimidation et l’exploitation de travailleurs migrants dans l’usine en grève sous le prétexte de les former pour d’autres usines.
En ce qui concerne les trois ministères liés à la gestion de l’économie, qui avaient été donnés en 2014 par Philippe Couillard à trois anciens du secteur bancaire, Legault démontre encore sa volonté de « renouveau » politique en y mettant… trois anciens haut-placés de la Banque Nationale. Il s’agit de Pierre Fitzgibbon (ministre de l’Économie), Éric Girard (ministre des Finances) et Christian Dubé (Conseil du Trésor). C’est ce trio d’anciens du secteur bancaire qui aura la tâche de couper 5000 postes dans la fonction publique par attrition, notamment.
Éric Girard confirme son « préjugé favorable » au secteur privé en affirmant que « le gouvernement doit donner un cadre réglementaire et économique qui permet à l’entreprise privée d’évoluer et de croître ». Parions que ce préjugé favorable au secteur privé se reflétera à un stade ou à un autre dans une incrustation du privé dans les services publics. Des têtes d’affiche de la CAQ ont par le passé signifié leur ouverture au modèle des garderies privées et à la fin du monopole de la SAQ (c’est-à-dire une ouverture au secteur privé), entre autres.
Pour un parti qui est censé incarner un changement politique, il est très difficile de voir où ce changement a eu lieu! Nous ne pouvons douter du fait que ce gouvernement en est un qui continuera ce que les libéraux ont entamé avant eux, soit d’attaquer les acquis et les conditions de vie des travailleurs et des jeunes.
Cependant, les dirigeants du mouvement ouvrier ne semblent pas prêts pour ce qui nous attend. Par exemple, les représentants de la campagne 5-10-15 (en faveur du salaire minimum à 15$, de cinq semaines de vacances et 10 congés maladie) menée par les syndicats et les groupes communautaires ont affirmé qu’ils voulaient « ouvrir le dialogue » avec le gouvernement. De même, le président de la CSN, Jacques Létourneau, y est allé d’une déclaration molle, saluant « la connaissance en relations de travail » du nouveau ministre et affirmant qu’il « doit s’assurer que l’équilibre soit maintenu » entre les patrons et les syndicats. S’attendre à un « dialogue » et à un « équilibre » entre patrons et travailleurs avec la CAQ est naïf à souhait. La direction syndicale devrait plutôt être en train de préparer la riposte face aux attaques qui viendront. Fort de sa majorité, la CAQ n’aura que faire des plaintes des dirigeants syndicaux qui ne seront pas accompagnées d’une mobilisation de masse.
Un « gouvernement féministe »
Ce qui est intéressant, c’est que la CAQ a pris soin d’ajouter un voile de jeunesse et de « féminisme » à son Conseil des ministres. La ministre de la Condition féminine, Sonia LeBel, s’est déclarée féministe sans hésiter une seule seconde. Ce symbolisme est très utile à la CAQ pour se donner une image de « changement ». Martine Desjardins, ancienne candidate du PQ et leader étudiante en 2012, a même applaudi le « gouvernement féministe » de Legault, soulignant que Legault lui-même se dit féministe.
Au Québec, le féminisme est victime de son propre succès. L’establishment politique, que ce soit à « gauche » ou à droite, a largement accepté le féminisme. Les marxistes ont toujours pris une part active dans la lutte pour l’émancipation des femmes. Cependant, nous avons toujours expliqué que cette lutte ne peut être détachée de la lutte des classes contre le système capitaliste. En traitant ces luttes comme des questions séparées, la question de l’oppression des femmes devient une simple lutte libérale qui peut facilement être cooptée par les conservateurs et les libéraux (de droite comme de « gauche» ) qui l’utilisent pour des buts hypocrites et pernicieux.
Legault sait très bien que la présentation d’un Conseil des ministres paritaire sera populaire puisque cela fait des années qu’on nous répète qu’avoir plus de femmes en position de pouvoir est une bonne chose en soi. Cependant, nous voudrions bien savoir en quoi avoir 50% de femmes sur le Conseil réduira l’impact du programme de la CAQ sur les travailleuses et les jeunes femmes qui en seront victimes. Toutes les études démontrent que les femmes sont les premières victimes des mesures d’austérité et de privatisation dont les dirigeants de la CAQ sont partisans. Il n’y a pas un atome de progressisme dans le fait d’avoir un Conseil des ministres paritaire.
Cela démontre que la lutte pour l’émancipation des femmes ne peut être dissociée de la lutte des classes. Le capitalisme est un système qui a intérêt à nous diviser en entretenant toutes les formes d’oppression. Les marxistes se battent pour un mouvement de masse englobant toute la classe ouvrière (qui est en majeure partie composée de femmes et d’autres groupes opprimés) afin de lutter contre l’oppression. La lutte commune des travailleurs et des travailleuses contre le capitalisme crée une solidarité de classe qui peut permettre de surmonter toutes les divisions. L’abolition du capitalisme jettera les bases qui permettront de faire disparaître l’oppression une fois pour toutes.
Avoir plus de femmes dans un gouvernement capitaliste raciste ne rapproche personne de l’émancipation. Nous devons unir tous les travailleurs, les travailleuses et les opprimés dans une lutte de classe contre ces hommes et ces femmes au gouvernement. Les méthodes du mouvement ouvrier, soit les manifestations et les grèves, nous offrent la voie à suivre pour stopper les attaques qui viendront.