Les médias québécois sont en crise. Six des dix hebdomadaires possédés par Groupe Capitales Médias (GCM) ont déclaré faillite. Mais ce n’est que la pointe de l’iceberg. Devant une compétition mondiale grandissante à l’ère du numérique, les revenus en publicité et en abonnements ont chuté drastiquement, menant à une discussion sur l’avenir des médias dans la province.
Groupe Capitales Médias, qui possède les journaux Le Soleil, La Voix de l’Est, La Tribune, Le Nouvelliste, Le Droit et Le Quotidien est incapable de payer ses 26 millions de dollars de dettes. Afin d’assurer le bon fonctionnement de ces journaux d’ici la fin de l’année, le gouvernement de la CAQ a donné cinq millions de dollars en aide financière d’urgence à GCM. Cela s’ajoute aux dix millions offerts au conglomérat en 2017 par le gouvernement libéral d’alors.
Le 28 août dernier, l’Assemblée nationale a tenu une commission parlementaire sur l’avenir des médias. Lors de cette rencontre, La Presse, Le Devoir, Cogeco, CGM et Métro Média ont tous appelé à des subventions gouvernementales aux médias. Le président de La Presse, Pierre-Elliott Levasseur, a affirmé : « Mais s’il n’y a pas une aide rapide et structurante [du gouvernement], on met à risque la pérennité de La Presse. »
Les stations de radio font aussi face à une situation financière précaire. Cogeco, qui possède la station 98.5 FM à Montréal en plus de nombreuses stations à Gatineau, Sherbrooke, Québec et Trois-Rivières, affirme que les revenus en publicité des radios au Canada sont passés de 1,627 milliard de dollars en 2013 à 1,520 milliard de dollars en 2017. Cela s’explique par le fait que de plus en plus d’entreprises décident d’acheter de la publicité auprès des entreprises américaines géantes en ligne à la place.
Québecor se met à la chasse
Pierre Karl Péladeau, le milliardaire à la tête de l’empire médiatique Québecor, s’est évidemment mêlé à ce débat. PKP s’est positionné contre l’aide financière gouvernementale à La Presse, affirmant que le journal ne devrait pas « faire payer les contribuables pour ses lubies […] après l’échec patent de son modèle [d’affaires] ». Cet argument est plutôt hypocrite venant de PKP alors que Québecor reçoit plus de 14 millions de dollars en subventions gouvernementales en moyenne par année. Ces subventions comptent pour 91% de la marge de profit des magazines de Québecor en 2016.
Pour PKP, le modèle d’affaires de Québecor montre la voie à suivre. Il explique que la seule façon de sauver ces six journaux en faillite est si GCM se fond dans « l’écosystème » de Québecor. Qu’est-ce que cela signifie? Selon lui, le modèle d’affaires de Québecor lui a permis d’« optimiser ses processus de fabrication et assainir ses conventions collectives ». Le terme « assainir » a une signification simple pour Péladeau, lui qui a mis en lock-out ses employés du Journal de Montréal pendant deux ans en 2009-2011 alors qu’il consolidait son empire médiatique. Cette consolidation a fait qu’aujourd’hui Péladeau contrôle 77 journaux, 22 magazines et 13 maisons d’édition. Québecor possède aussi le Groupe TVA, le plus grand réseau de télévision en français en Amérique du Nord, qui possède une quinzaine de chaînes de télévision et quatre filiales.
Avant de prendre GCM sous son aile, Québecor souhaite que les conventions collectives soient renégociées pour licencier les deux tiers de leurs 350 employés permanents tout en refilant la facture des indemnités de départ au gouvernement québécois (ce que . De plus, PKP veut que le gouvernement annule la dette de dix millions de dollars que lui doit GCM et que les baux des bâtiments occupés par les journaux soient annulés, également aux frais du gouvernement. Pour les capitalistes, les subventions sont une bonne chose, pourvu qu’elles n’aillent pas aux compétiteurs.
Le capitalisme et la « liberté de presse »
Beaucoup de gens s’inquiètent de la possibilité que Québecor absorbe de plus en plus de médias et augmente sa domination du discours politique dans la province. Mais cela n’a rien de nouveau. Les journaux de Québecor comme le Journal de Montréal et le Journal de Québec ont joué un rôle central dans la construction d’une fausse crise sur la question de l’immigration et du soi-disant débat sur la laïcité qui domine le discours politique au Québec depuis des années. Leurs éditoriaux défendent jour après jour les politiques les plus réactionnaires du gouvernement de la CAQ.
C’est dans ce contexte que Catherine Dorion, députée de Québec solidaire, est intervenue en commission parlementaire pour raconter son expérience au Journal de Québec où elle a été censurée à de nombreuses reprises. Elle s’est fait dire explicitement qu’elle ne pouvait pas critiquer PKP ou quiconque travaillait pour le journal. Son supérieur l’a même appelée pour lui demander de retirer une publication sur sa page Facebook où elle critiquait l’absence de diversité d’opinion dans les médias traditionnels québécois. Elle a fini en demandant à PKP : « Comment pouvez-vous nous garantir qu’il n’y aura pas six journaux de plus où il va être tabou de vous critiquer, vous ou Québecor, qu’il n’y aura pas six journaux de plus qui vont faire la promotion de Helix, Vidéotron, du Centre Vidéotron et de toutes les autres affaires que vous possédez ? » Il n’avait rien à répondre.
Dorion en a ajouté : « La concentration de la presse est un danger pour la démocratie et Québecor [en] est clairement un exemple. » PKP n’a pas semblé impressionné par cet argument, affirmant que la concentration de la presse est un « faux problème ». Il a ensuite précisé sa pensée lorsqu’il a affirmé : « C’est peut-être mieux d’avoir une concentration de la presse que pas de presse du tout. »
Sans surprise, les journaux de Québecor ont publié une multitude d’articles attaquant Dorion, suite à quoi elle a répliqué : « Regardez aujourd’hui la réaction en opinion qui travaille chez Québecor […]. C’est unanime. Ils défendent tous leur boss. »
En réponse, le Journal de Montréal a publié un article expliquant que la censure idéologique des journalistes est une pratique normale des médias bourgeois. L’article cite la convention collective des employés de La Presse où il est dit que « les commentaires, analyses, chroniques ou autres écrits à l’exclusion des textes d’information ne doivent pas être hostiles à La Presse » et affirme qu’ « il est stipulé que les éditoriaux ne doivent pas être hostiles à La Presse ni à son orientation idéologique ». Mais voilà justement le problème. Ils le disent eux-mêmes : l’indépendance de la presse est une illusion sous le capitalisme.
Que faire?
Le débat actuel témoigne du caractère pourri de la soi-disant presse libre sous le capitalisme. Tandis que les défenseurs du capitalisme affirment que le libre marché mène à une presse libre, nous voyons précisément la tendance contraire. Comme dans toutes les autres industries, les plus gros mangent les plus petits et la concentration devient la norme. De plus, les différents capitalistes qui possèdent les médias ne sont aucunement « objectifs » et utilisent leur influence pour déterminer quelles opinions sont publiées et lesquelles ne le sont pas.
Cela démontre également la faiblesse du capitalisme québécois, un petit joueur dans la cour des grands. Historiquement, la bourgeoisie québécoise a utilisé l’État pour repousser le capitalisme anglophone dominant afin de se tailler une part du marché mondial. Les subventions gouvernementales à Québecor et aux autres médias au cours des années ne sont pas un phénomène nouveau; c’est ainsi que le capitalisme québécois a survécu au fil des années.
En réalité, dans ce débat, on nous présente une fausse dichotomie. Soit les contribuables donnent des millions de dollars aux médias privés, soit l’empire Québecor consolide davantage son emprise sur la nouvelle. Mais il ne faut pas qu’il en soit ainsi.
Sous le capitalisme, il y a toujours des limites aux opinions pouvant être émises ou non par les journalistes et chroniqueurs dans la presse de grande diffusion. Il est dans l’intérêt des grands capitalistes comme Péladeau de contrôler ce qui se dit et de façonner ainsi l’opinion publique. Il n’y aura pas de réelle liberté de presse tant que les médias fonctionnent comme des machines à profit.
Les travailleurs des médias savent très bien comment faire fonctionner les journaux, les stations de télévision et de radio. Les médias doivent être pris des mains des parasites bourgeois et placés sous le contrôle des travailleurs de ce domaine et de la classe ouvrière dans son ensemble. C’est seulement dans une société où le façonnement de l’opinion publique n’est pas une business qu’une liberté de presse véritable peut exister. C’est seulement sous le socialisme, où les médias seront sous le contrôle démocratique des travailleurs, que les gens pourront réellement faire entendre leur opinion dans les médias.