Le dernier mois a été dur pour le premier ministre François Legault et son fidèle acolyte, l’infatigable et fatiguant Simon Jolin-Barrette. Tout a commencé à la fin du mois d’octobre par l’annonce d’une attaque importante envers les travailleurs et étudiants étrangers, la réforme du Programme de l’expérience québécoise (PEQ), qui rendait l’accès à la résidence permanente plus difficile pour de nombreux nouveaux arrivants. Dans le but de « mieux arrimer l’immigration aux besoins du marché du travail », Jolin-Barrette, ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, a établi une liste de domaines qui seraient admissibles au PEQ. Pour les travailleurs et étudiants d’autres domaines moins prioritaires (lisons : moins profitables), il faudrait se mettre sur de longues listes d’attente, et peut-être même retourner dans son pays d’origine entre temps.
La riposte ne s’est pas fait attendre. Signe de la véritable gaffe que venait de faire le ministre, il a essuyé tour à tour les critiques des milieux étudiants, des travailleurs étrangers, des directions d’universités et même des milieux d’affaires. Les travailleurs et les jeunes ont rapidement organisé des manifestations pour dénoncer les mesures. Secouée par la réponse, la CAQ a plié et a ajouté une clause de droits acquis qui protégerait les étudiants et travailleurs étrangers déjà présents dans la province avant le 1er novembre. Mais ce n’était pas suffisant pour faire taire la critique, car dans les milieux étudiants et dans les réseaux sociaux, on s’organisait pour faire tomber la réforme en entier. Au début, on aurait cru que la bataille serait ardue : Legault, refusant coûte que coûte de s’avouer vaincu, brandissait les quelques commentaires de mononcle sur sa page Facebook comme bouclier. « Je pense que si vous regardez sur mon Facebook, par exemple, je dirais que 90% des gens sont d’accord avec ce que nous faisons, » a-t-il affirmé. Mon François, si seulement le Québec était uniquement composé de tes 80 000 « likes », tu l’aurais pas mal plus facile.
Mais la réalité est toute autre, et Legault a finalement demandé à Jolin-Barrette de reculer complètement. La réforme du PEQ a été suspendue, et le ministre a dû présenter ses excuses sur la place publique. « J’ai voulu aller rapidement », a-t-il annoncé. C’est donc dire qu’il s’apprêtait à chambouler la vie de milliers de personnes avec une mesure gribouillée sur un coin de table.
La CAQ prise entre deux chaises
Il faut être clair : le problème n’est pas simplement le manque de professionnalisme de Jolin-Barrette, mais le caractère de classe du gouvernement et de son programme. La CAQ est un parti patronal dont les intérêts sont aux antipodes de ceux des travailleurs québécois. Elle nous l’a rappelé en multipliant les affirmations antisyndicales jusqu’à tout récemment.
Comme nous l’avions expliqué peu après son élection, la CAQ doit d’abord sa victoire à la frustration que vit la majorité de la population québécoise face au système actuel, qui se traduit en un rejet des partis traditionnels. Pour profiter de cette frustration, la CAQ soulève les sentiments xénophobes dans la population afin de canaliser la colère de nombreux travailleurs québécois vers des boucs émissaires. Sa politique envers les personnes immigrantes en est un exemple parfait : le parti avait fait de la réduction de l’immigration une de ses politiques-clés lors de la campagne électorale de 2018, puis il a continué sur sa lancée en attaquant les minorités religieuses avec l’infâme loi 21. Ces mesures profitent en dernière analyse uniquement aux patrons, puisqu’elles divisent la classe ouvrière sur des bases religieuses et ethniques.
Mais il y a un petit problème avec la stratégie de la CAQ : elle tente de concilier les intérêts patronaux avec des mesures populistes qui, sur certains enjeux, ne vont pas dans le même sens. Dans une situation de pénurie de main-d’œuvre, les représentants du patronat québécois ne sont pas intéressés par des mesures qui vont faire diminuer l’afflux d’immigrants dans la province. C’est pour cette raison purement financière, et pour cette raison uniquement, que la Fédération des chambres de commerce du Québec s’était opposée à la réforme du PEQ. Cela ne veut évidemment pas dire que ces patrons se sont finalement trouvé une conscience progressiste : au contraire, si la situation du marché de l’emploi venait à se modifier, ceux-ci changeraient leur fusil d’épaule et n’auraient aucun scrupule à renvoyer tous ces gens dans leur pays d’origine. Ainsi, la CAQ fait du contorsionnisme politique parce qu’elle se trouve dans la drôle de position de devoir tenir ses promesses xénophobes de baisse des seuils d’immigration, tout en plaisant aux patrons, qui s’y opposent.
La lutte se poursuit
Récemment, le ministre Jolin-Barrette s’est présenté à la Chambre de commerce de Montréal afin de mieux ajuster la réforme de l’immigration aux intérêts patronaux. Il a promis de tenir des consultations auprès des gens d’affaires. Michel Leblanc, le président de la Chambre, s’est dit réjoui que le gouvernement ait fait marche arrière après les critiques du patronat. La chicane est finie : ministre et patrons marchent à nouveau main dans la main! Il ne s’agit donc nullement d’une victoire. Sans aucun doute, la CAQ reviendra à la charge avec une deuxième mouture de son projet de réforme de l’immigration, maintenant avec la bénédiction de ses maîtres.
Sous le capitalisme, les hommes d’affaires voient les personnes immigrantes comme un simple réservoir de main-d’œuvre, comme des chiffres dans leurs livres de comptes. Pendant ce temps, les médias et les partis populistes nous assurent que nous devons fermer nos frontières pour éviter de devoir partager les quelques miettes auxquelles nous avons droit. En réalité, il n’y a aucun réel problème avec le nombre d’immigrants au Québec : nous possédons bien assez de ressources pour que tout le monde puisse vivre dignement. Mais ces énormes richesses dorment dans les banques et sont réservées à la production pour le profit. Le mouvement ouvrier doit revendiquer que les immigrants aient exactement les mêmes droits que les étudiants et travailleurs nés ici. Nous devons nous opposer à toute mesure qui tend à faire des immigrants des citoyens de seconde zone ou à leur bloquer l’accès aux études ou au marché du travail. La solidarité ouvrière ne pourra en être que renforcée.