La dette provinciale du Québec a gonflé tel un ballon et de façon incontrôlée pendant des années. Cette problématique se manifeste souvent durant les débats politiques au sein de la sphère publique avec la question suivante : « Où allons-nous trouver l’argent pour ça ? » Ainsi donc, il est important pour tout activiste sérieux et impliqué dans le mouvement de bien comprendre cette question afin d’être correctement armé si jamais il fait face à cette question.
Comme dans la plupart des pays, différentes propositions sont mises de l’avant, mais étant donné que les gouvernements se trouvent dans une mauvaise situation financière, le problème se voit réduit à ceci : « Qui paye ? Les travailleurs ou les patrons ? »
La dette brute du Québec s’élève à 193 milliards de dollars, soit 54,2 % du PIB en 2013, augmentant de façon constante chaque année. Il est certain que le lorsqu’on regarde la situation en Europe, où les dettes gouvernementales sont à ce point boursoufflées qu’elles oscillent entre 90 à 160% du PIB, 54,2 % ne semble pas poser un problème si sérieux que cela. Cependant, la problématique devient plus urgente quand on prend la peine de regarder plus en profondeur. Premièrement, ce 54,2 % ne prend pas en compte la part de dette fédérale que la province entretient : en faisant cela, le ratio saute à environ 100%, un nombre supérieur à ceux de la plupart des nations européennes ! Alors, qu’est-ce que cela signifie ?
Plus importante que la taille de la dette ou son ratio face au PIB est la capacité de la nation endettée à repayer la dette. Uniquement pour le service de la dette, le gouvernement du Québec met de côté 11,8% des recettes fiscales budgétaires. En termes d’argent, cela veut dire que le gouvernement provincial dépensera approximativement 8,6 milliards de dollars en service de la dette cette année ! Pour mettre ces nombres en perspective : pour complètement éliminer les frais de scolarité dans la province, cela ne coûterait qu’environ 700 millions de dollars. Ce qui veut dire qu’avec le montant d’argent qui est déboursé pour repayer la dette, l’éducation gratuite pourrait être offerte douze fois !
Mais ce nombre est aussi trompeusement bas. Malgré que la dette du Québec ait quasiment doublé entre 2000 et 2012, le coût du service de la dette a baissé, passant de 14,8% à 10,9% des revenus du gouvernement. Ce sont les taux d’intérêts historiquement bas (et indéfendables) qui expliquent ce phénomène. Mais qu’arrivera-t-il quand les coûts d’emprunts augmenteront inévitablement ? Lenka Martinek, éditrice en chef du New Daily Insights à BCA Research, une firme de recherche financière dont le siège social se trouve à Montréal, estime qu’une augmentation de 2% des taux d’intérêts ferait en sorte qu’il faudrait dépenser 1,3 millards de dollars de plus pour l’entretient de la dette. Et ce scénario ne comprend pas le ralentissement de l’économie.
Récemment, le Ministère des Finances du Québec a été forcé de réduire ses attentes déjà plutôt basses par rapport à la croissance du PIB pour les prochaines années. Cela signifie inévitablement moins de revenus pour le gouvernement à travers les impôts, ce qui par conséquent augmente le pourcentage du budget qui est alloué au service de la dette.
Alors, non seulement ce taux d’intérêt historiquement bas va augmenter, mais il y a aussi une menace constante qui pèse de la part des agences de notation internationales de baisser la cote du Québec. François Legault, le chef du parti Coalition Avenir Québec (CAQ) a partagé ses inquiétudes : « À part les provinces maritimes, il n’y a aucune province qui a une cote de crédit aussi pire que celle de la province du Québec… On a vraiment besoin de faire quelque chose. Nous ne pouvons pas permettre une baisse de notre cote. »
Il y a du vrai dans ce que Legault a dit. Si on remonte aussi loin qu’en 1996, Lucien Bouchard, qui était alors Premier ministre du Québec, avait pris un vol secret vers New York au cours d’une nuit pour supplier une agence de notation de ne pas baisser la cote du Québec. La condition qui lui a été donné est qu’il devait maintenir une politique de déficit zéro afin de ne pas voir la cote de crédit revue à la baisse. Ce scénario nous semble un peu trop familier.
Si la cote de crédit du Québec venait à être abaissée, le service de la dette deviendrait encore plus coûteux. Celui-ci va absorber une part encore plus large des revenus du gouvernement et coûter des milliards, de l’argent qui autrement pourrait être utilisée pour rendre l’éducation gratuite, rendre les transports publics gratuits, rendre les services de pension gratuits ainsi qu’améliorer le service de santé publique et plusieurs autres choses qui ont un impact direct sur le niveau de vie de la population.
L’austérité fonctionnera-t-elle ?
Pendant des années, les capitalistes québécois ont eu envie de faire ce que leurs comparses du Canada anglais ont réussi à accomplir. Ils cherchent à lacérer les services sociaux, à privatiser les soins de santé, mettre à pied des travailleurs du secteur public et privatiser les entreprises de services publics telles qu’Hydro Québec. Ils ont salivé en regardant les profits engrangés par leurs amis anglophones dans les autres provinces grâce à la vague de privatisation de sociétés d’État et l’abaissement du taux d’imposition des compagnies. Ils s’aperçoivent des opportunités majeures qui se présentent au Québec de faire pareil et ils ont année après année tenté de faire avancer les choses en leur faveur en utilisant des mesures similaires. La seule chose qui les a gardés en laisse est le pouvoir de la classe ouvrière qui a été capable de repousser ces attaques au Québec. La crise économique a ajouté un élément d’urgence à ce projet. Le modèle économique keynésien du Québec basé sur le financement par le déficit et un État-providence relativement fort n’est plus abordable désormais pour la bourgeoisie et il une quantité suffisante d’indices le démontrent.
Ultimement, la pression écrasante de la bourgeoisie québécoise visant à jeter le vieux « modèle québécois » keynésien et à adopter des mesures monétaristes plus en accord avec le marché reflète la réalité d’un système économique en crise qui ne peut plus se permettre d’accorder des concessions à la classe ouvrière.
La communauté québécoise des affaires ainsi que le parti Libéral et la CAQ insistent que davantage de coupes sont nécessaires dans le secteur public pour atteindre la marque du déficit zéro d’ici l’an prochain. Ils insistent aussi sur le fait que si cela n’est pas fait, la dette va continuer d’enfler de façon incontrôlée et dévorera une part encore plus grande des revenus budgétaires, ce qui éventuellement plongera le gouvernement dans une crise en tout point similaire à ce qu’on peut voir chez certaines nations européennes. Sauf que ces coupes ne doivent en aucun cas toucher les capitalistes ! Selon eux, les subventions et les allègements fiscaux accordés aux corporations doivent être augmentés, parce que si cela n’est pas fait, les compagnies n’investiront pas ici. Le gouvernement du Parti québécois a abandonné toute idée de taxer les riches et offre maintenant un d’imposition de 0%, sur une période de 10 ans, aux corporations qui investiront au-delà de 300 millions de dollars au sein de la province. Tout ceci est fait dans le but d’attirer plus d’investissements et de remettre l’économie sur pied.
Mais est-ce que l’austérité va vraiment nous sortir de la crise des finances publiques ? Avec l’expérience de la Grèce en tête, Jacques Létourneau, président de la Confédération des Syndicats Nationaux (CSN), la seconde plus grande organisation des travailleurs a affirmé : « Les effets des mesures d’austérité au Canada risquent d’avoir un impact sur la création d’emplois en causant la perte de 120,000 à 130,000 emplois en 2014 et 2015. Le résultat a été une économie plus lente qui a mené à des coupes dans les services, et lorsque vous coupez les services, vous coupez des emplois. »
Les mesures poursuivies par la bourgeoisie afin de ramener les finances du gouvernement à l’ordre ont de dangereuses conséquences pour l’économie. Si les capitalistes ne peuvent pas faire de profit sur un investissement, ils n’investiront pas et l’économie ne croitra pas. Le congédiement de travailleurs, les coupures dans les pensions et une augmentation des frais de scolarité universitaires sont toutes des choses qui endommagent le marché de la consommation. Comme nous en avons été témoin en Grèce, les mesures d’austérité ont seulement exacerbé la crise puisqu’elles ont diminué la demande, rendant encore plus difficile pour les compagnies de vendre leurs produits à profit. Plusieurs observateurs et politiciens ont pris cela en note mais la bourgeoisie a désespéramment besoin de trouver une solution. Selon le Guardian : « Le Fond Monétaire International a admis qu’il avait échoué à se rendre compte des dommages que l’austérité ferait à la Grèce alors que l’organisation basée à Washington faisait le bilan des erreurs qui ont été faites durant le sauvetage de ce pays fauché de la zone Euro. Sous le poids de telles mesures – appliquées sans ménagement et le plus fortement sur le pays le plus pauvre – l’économie, ont-ils dit, était toujours prompte à plonger dans une spirale d’effondrement économique. »
Taxer les riches ?
En opposition à l’austérité mise de l’avant par les partis du grand capital, le mouvement ouvrier et la gauche proposent comme solution de taxer les riches, les institutions financières et les grandes entreprises. Même le PQ s’est permis quelques commentaires sur ce sujet, promettant des « changements majeurs » à la politique des redevances minières du Québec, ainsi qu’une augmentation de taxes pour ceux dont le revenu dépasse 130,000 $ par année.
En opposition à la hausse des frais de scolarité, la CLASSE a aussi argumenté en faveur de l’augmentation des taxes lors de la grève étudiante de l’an dernier. Leur proposition était une taxe de 0,14% augmentant à 0,7% en 2016, sur les gains en capital des institutions financières, qui aurait permis d’amasser le montant de 400 millions requis pour éliminer complètement les frais de scolarité.
La position du parti de gauche Québec Solidaire s’approchait de celle de la CLASSE. En 2012, QS assurait que le gouvernement pourrait recevoir 775 millions de dollars de plus de la part des compagnies minières et manufacturières en augmentant les taxes sur l’eau, 340 millions en redevances minières, 443 millions en augmentant les taxes des individus gagnant plus de 115,000$ et 818 millions en imposant une taxe sur les gains en capital de 100% sur les individus et les entreprises non-agricoles. La solution de QS était donc d’augmenter les taxes sur les compagnies, les individus riches et les institutions financières.
Mais la solution est-elle aussi simple que d’augmenter les taxes des riches ?
Après avoir analysé les perspectives financières et économiques du Québec, CraigWright, vice-président senior et économiste en chef de la banque Royale du Canada, a déclaré « Après une augmentation substantielle au Québec sur les deux dernières années, les intentions d’investissement en capital diminuent. Ce sera le facteur clé qui ralentira la croissance économique de la province cette année »
Des déclarations comme celle-ci inondaient la communauté d’affaires durant et après l’élection provinciale de l’année dernière, menaçant les politiciens de ne pas augmenter les taxes ou sinon ils se rétracteraient sur l’investissement et emmèneraient leur argent ailleurs, sabotant essentiellement l’économie. Après la perte de centaines de milliers d’emplois dus à la fermeture d’usines dans les secteurs manufacturiers et du textile, ce n’est pas une menace en l’air. La compétition à l’échelle mondiale n’a jamais été plus féroce et les capitalistes individuels sont forcés de déplacer leur capital là où il est le plus profitable de le faire.
D’après Yves-Thomas Dorval, président du conseil du patronat du Québec, le plus grand lobby du grand capital au Québec, « Quand le taux de taxation marginal atteint plus de 50%, il y aura une réaction, et ça ne sera pas bon pour l’économie du Québec. Le faire rétroactivement serait ajouter l’insulte à l’injure. »
Avec la crise du système, l’investissement a ralenti parce que les compagnies ne voient plus de raison d’investir. La thésaurisation est à un niveau jamais vu, alors que les compagnies s’assoient sur de grandes piles d’argent, niant voir les opportunités favorables d’investissement. Dans une telle situation, augmenter les taxes des riches aurait l’effet de décourager encore plus l’investissement, et de causer une halte dans l’économie. Cette mesure aurait vraisemblablement l’effet de diminuer les revenus en taxes du gouvernement, car les compagnies n’investiraient plus et renvoieraient des travailleurs pour éviter les taxes elles-mêmes. De plus, on a pu voir dans certains pays européens que les taxes implémentées sur les riches ont diminué les revenus du gouvernement car les gens ont simplement décidé d’emmener leur argent dans des pays où les régimes de taxation sont moins exigeants, en plus d’utiliser toutes les méthodes d’évasion fiscale possibles.
La solution socialiste à la crise
Les Marxistes ne s’opposent pas à l’augmentation des taxes sur les riches et les corporations majeures. Par contre, ce n’est pas une mesure qui, seulement par elle-même, pourra résoudre le problème si la production reste privatisée. Sans nationaliser les industries majeures, l’augmentation des taxes exacerbera la crise car les capitalistes refuseront d’investir. On ne peut contrôler ce qu’on ne possède pas. Si les capitalistes menacent de saboter l’économie, la population ouvrière doit prendre les leviers les plus importants de l’économie dans ses propres mains. La taxation progressive, en combinaison avec une économie nationale planifiée, est la seule voie rationnelle
La racine du problème est le système capitaliste, qui est présentement dans une grave crise mondiale. Il n’y a pas de place pour de vraies réformes à long terme tant que l’austérité est envisagée comme solution. Ce n’est pas causé par de mauvaises intentions, mais par la nécessité concrète qu’a le grand capital québécois de remettre les finances publiques en état pour attirer l’investissement dans un marché global très difficile. Ils ont des mesures drastiques à appliquer pour rétablir l’équilibre économique, mais même l’austérité menace le marché en ôtant l’argent des poches des travailleurs et de la jeunesse. Cela, comme nous l’avons vu en Europe, peut mener à une spirale économique descendante qui empirera les choses.
Ces tentatives de stabiliser la situation économique du Québec déstabilisent déjà l’équilibre social. Les travailleurs et la jeunesse n’accepteront pas ces attaques sans réagir. Les traditions militantes des travailleurs québécois et des étudiants sont ressuscitées, alors que les gens commencent à tirer des conclusions de plus en plus révolutionnaires. Le mouvement étudiant de l’an dernier en est un exemple fantastique. Il n’y a pas besoin de nous serrer la ceinture pendant que les capitalistes s’engraissent. Cela ne veut pas dire que les gens de la classe ouvrière ne sont pas prêts à faire des sacrifices. Mais des sacrifices pour quoi ? Des sacrifices pour ces gangsters corrompus ? Dans la période qui s’en vient, les travailleurs et la jeunesse du Québec continueont à faire d’énormes sacrifices dans le combat pour protéger leur propre niveau de vie. C’est notre tâche en tant que marxistes de comprendre les bases réelles de ce problème pour y trouver une solution efficace à long terme.
La seule solution est de nous sortir du système capitaliste qui nous force à accepter l’austérité. Nous devons placer les leviers principaux de l’économie sous propriété et contrôle démocratique, pour que les décisions ne soient pas faites pour le profit d’une minorité, mais pour les besoins d’une majorité. Socialisme ou Austérité !