Depuis mai dernier, cinq sondages de suite ont placé le Parti québécois en troisième place derrière le PLQ et la CAQ. Plus encore, le PQ est maintenant en deuxième place parmi les francophones, et n’est premier dans aucune catégorie démographique. Depuis la défaite du référendum de 1995, le PQ a connu toutes sortes de difficultés. Les récents développements, de l’élection jusqu’à la démission de PKP, en passant par le débat toxique sur la « question identitaire », les tentatives de séduire Québec solidaire et les difficultés dans les sondages, montrent que les turbulences au sein du parti se sont approfondies. Que signifient ces développements au sein du PQ?

La question du référendum

L’élection de Jean-François Lisée en octobre dernier a marqué le début d’une nouvelle ère au Parti québécois. En effet, Lisée a gagné sur la promesse de ne pas tenir de référendum sur la souveraineté avant 2022. C’est la première fois qu’un chef du PQ se fait élire sur une telle promesse.

En fin stratège, le nouveau chef comprend que la population québécoise se désintéresse de l’éternel débat fédéralisme-souverainisme. Mais ce seul fait que le PQ remette à plus tard sa « raison d’être » démontre la gravité de la crise qui sévit au parti. Comme le mentionnait Sébastien Bovet de Radio-Canada : « C’est dans cette période de transition que le PQ se trouve. Pas de référendum avant 2022? Pas de convergence? Pas de charte des valeurs? Alors quoi? Comment le PQ version 2017 se définit-il? Quelle est son identité? »

La question du référendum temporairement écartée, le PQ de Lisée doit trouver une nouvelle façon de gagner des appuis qui sont visiblement en baisse. L’une de ses armes de prédilection dans cet objectif, c’est la fameuse « question identitaire ».

La question identitaire : « indispensable », ou « pas une priorité »?

La course à la chefferie du PQ de l’été dernier avait donné l’impression que Lisée ferait de « l’identité québécoise » son cheval de bataille. Il avait proposé d’ouvrir une campagne pour décourager le port de signes religieux pour les fonctionnaires. Il avait bassement attaqué son rival Alexandre Cloutier pour ses liens imaginaires avec l’imam Adil Charkaoui. Puis, il avait surfé sur la vague islamophobe en affirmant que le Québec, « comme toutes les autres sociétés, […] devra débattre, bientôt, de l’interdiction de la burka, du niqab et du burkini dans l’espace public. » Il affirmait qu’un gouvernement péquiste ouvrirait un débat sur cette question. En habile opportuniste, Lisée a instrumentalisé le débat sur la question identitaire pour gagner la course à la chefferie du PQ.

Cependant, une semaine après sa victoire, il a affirmé qu’il modérerait ses positions pour trouver un terrain d’entente avec les autres ténors du parti. Ainsi, d’un mois à l’autre, parfois d’une semaine à l’autre, Lisée change de discours sur la question identitaire.

Le 17 novembre, Lisée affirmait que les questions identitaires « ne sont pas une priorité ». Et pas plus tard que la semaine suivante, le 24 novembre, il durcissait sa position en proposant d’interdire le port de signes religieux aux enseignant-es et aux éducatrices. Cela coïncidait avec une campagne publicitaire de la CAQ contre le port du tchador.  À nouveau en février dernier, Lisée affirmait que le « débat » sur la question identitaire était indispensable. Alors, est-il « indispensable » ou n’est-il « pas une priorité »? Lisée et le PQ semblent ne pas savoir sur quel pied danser en ce qui a trait à cette question.  

Mais ces retours ponctuels à la « question identitaire » promue par l’aile droite du parti, malgré la débâcle de la Charte en 2014, sont dus d’abord au fait que le PQ perd de plus en plus de terrain à sa droite au profit de la CAQ. L‘un des récents sondages mentionnés plus haut met même la CAQ en première place des intentions de vote, avec 32%, une première depuis janvier 2012.

Le PQ, avec la question de « l’identité québécoise », tente de garder son flanc droit et de stopper l’hémorragie vers la CAQ. Mais si le PQ manoeuvre pour protéger sa droite, son flanc gauche est lui aussi menacé par Québec solidaire.

Le PQ et Québec solidaire

Depuis ses tout débuts, Québec solidaire a toujours été vu comme venant marcher sur les plates-bandes du PQ. D’où les tentatives incessantes du PQ au cours des dernières années pour convaincre QS de conclure une forme ou une autre d’alliance ou de pacte électoral. Mais force est de constater que la pression sur QS pour monter dans le bateau du PQ a augmenté significativement au cours de la dernière période.

Depuis l’élection de 2014, où QS avait récolté 7,6% des voix, le parti a généralement maintenu autour de 10% des intentions de vote selon les différents sondages. L’arrivée de Gabriel Nadeau-Dubois chez QS en mars dernier avait fait grimper ce chiffre à 12-14%.

Devant cette menace montante, l’attitude du PQ a été de faire le beau devant QS et de manœuvrer pour mettre de la pression sur le parti pour qu’il s’allie à lui. Le PQ a même été jusqu’à refuser de présenter un candidat dans Gouin lors de la récente élection partielle dans ce comté où GND se présentait. Cette manoeuvre, cependant, n’a berné personne : le PQ aurait presque assurément essuyé une défaite contre GND et n’avait rien à perdre à le laisser l’emporter.

Peu de temps avant le congrès de QS de mai dernier, Lisée allait même jusqu’à lancer une forme « d’ultimatum » à QS, l’enjoignant à prendre sa décision tout de suite et à ne pas la repousser au congrès de novembre. Cependant, il précisait qu’il ne se départirait pas de son programme identitaire, et qu’il n’y aurait pas de ministre de QS dans un gouvernement péquiste. Belle « convergence », en effet!

Au final, les membres de QS ont rejeté par une large majorité toute alliance avec le PQ lors de son congrès du 20-22 mai. Il n’en fallait pas plus pour que le PQ sorte l’artillerie lourde, notamment par la bouche du journal Le Devoir, qui s’est fait le porte-parole des péquistes frustrés et a publié un déferlement d’articles, d’éditoriaux et de lettres d’opinion attaquant QS. Lisée, quant à lui, a affirmé que QS a « refusé de mettre le bien commun au-dessus de son intérêt partisan ». Il semble donc que le bien commun aurait été… le bien du PQ!

En réalité, si le PQ rage autant contre QS, c’est parce que le parti refuse d’être sa bouée de sauvetage. Il rage car QS lui gruge de plus en plus de votes à gauche. Cela est confirmé par le sondage Mainstreet du 21 juin dernier, qui place QS à 18% contre 22% pour le PQ, et qui les place à égalité à Montréal, avec 19% des intentions de vote. Cela met potentiellement Jean-François Lisée lui-même en danger dans sa circonscription de Rosemont.

Lors du Conseil national du PQ les 11 et 12 juin derniers, Lisée a affirmé vouloir effectuer un « virage vert » et sortir le Québec du pétrole – Lisée aimerait sans doute faire oublier que le parti a autorisé l’exploration pétrolière sur l’île d’Anticosti en 2014. QS ayant rejeté clairement le piège que lui tendait le PQ, celui-ci tente maintenant de lui couper l’herbe sous le pied en présentant un visage vert pour séduire l’électorat de gauche. Les derniers sondages semblent montrer que la manœuvre n’a pas encore porté fruit.

La crise du nationalisme : le sol se dérobe sous les pieds du PQ

Le PQ tente d’allier des positions identitaires à tendance xénophobe à des positions vaguement à gauche, dénonçant parfois l’austérité des libéraux et promettant un réinvestissement de l’État dans l’économie. Il rage contre QS contre qui il perd à gauche, et mousse son programme identitaire quand vient le temps de s’attaquer à la CAQ, qui lui vole de plus en plus de votes à droite. Le PQ zigzague ainsi de droite à gauche et de gauche à droite, alors que le sol se dérobe sous ses pieds.

Ces zigzags sont le reflet de la crise du nationalisme au Québec. Pendant des décennies où la lutte des classes était dans un creux de vague, le PQ a réussi à coopter le mouvement ouvrier dans une « coalition nationale » en vue de faire la souveraineté du Québec. Le véritable caractère de cette coalition s’était clairement révélé avec les attaques vicieuses de René Lévesque sur la classe ouvrière organisée en 1982-1983, et avec le projet de déficit zéro de Lucien Bouchard en 1996. La « coalition » révélait ce qu’elle était réellement, soit une coalition où la classe ouvrière est soumise aux diktats du capitalisme québécois; le bref passage de PKP à la tête du parti aura suffi pour en faire l’irréfutable démonstration. Au cours de la dernière période, sous les coups répétés de la crise du capitalisme, cette « coalition » s’effrite de plus en plus alors que le parti perd des appuis à sa gauche et à sa droite. Cela reflète la polarisation de classe croissante, qui rend de plus en plus impossible d’unir des classes aux intérêts opposés dans une coalition nationale.

En point de presse en décembre dernier, Lisée admettait qu’il menait un combat sur deux fronts : « Je suis sur tous ces fronts-là à la fois pour arrêter la division du vote mais, au contraire, créer une coalition plus large autour du Parti québécois pour avoir un gouvernement majoritaire. » Cela augure mal pour l’opportuniste Lisée : selon les derniers sondages, entre 39 et 46 % des votes sont accaparés par la CAQ et QS.

René Lévesque lui-même comprenait qu’après l’indépendance, le PQ se diviserait en deux, avec un parti à droite et l’autre à gauche, autrement dit que le parti se diviserait sur des lignes de classe. L’histoire a pris un autre tournant : sans avoir fait l’indépendance du Québec, le PQ, porte-étendard du mouvement nationaliste, perd de plus en plus de terrain à sa gauche et à sa droite. Autrement dit : des scissions de classe commencent à survenir au sein du mouvement nationaliste.

Cela montre aussi que nous voyons se dessiner les contours d’une société québécoise de plus en plus polarisée. Sous le coup de la crise du capitalisme, de plus en plus de gens rejettent les partis traditionnels et les politiciens qui défendent le statu quo et le « centre ». Cette polarisation croissante de la population, à droite comme à gauche, est un processus mondialisé. Au Québec, le PQ est la première victime de cette polarisation. Mais l’autre parti traditionnel, le PLQ, est tout autant sinon plus haï et discrédité, et si une véritable solution de rechange était proposée aux deux partis de l’austérité, le PLQ pourrait lui aussi subir une sévère correction.

Alors que la crise du capitalisme va se développer, la lutte des classes continuera de déchirer le PQ. La grève étudiante de 2012, la grève du secteur public en 2015 et la récente grève de la construction ne sont que quelques exemples du fait que la lutte des classes effectue un retour. De nombreuses personnes seront sans doute déçues de voir la CAQ et les libéraux dominer les sondages. Mais, la table est mise pour un énorme virage à gauche s’il existe une véritable force représentant la classe ouvrière.

La montée de QS représente une occasion fantastique. Le refus de QS de s’allier au PQ ouvre la porte à la montée du parti comme expression de la colère grandissante des travailleur-euses et des jeunes au Québec. C’était la bonne décision : le PQ se meure, laissons-le mourir! Cependant, pour QS, il ne sera pas suffisant de se dire vaguement « à gauche » ou « progressiste » : afin de canaliser le mécontentement des travailleur-euses, le parti doit parler un langage clair et audacieux, et attaquer clairement l’establishment capitaliste. QS se doit de se constituer en parti de la classe ouvrière.

Afin de tirer profit de la montée de la lutte des classes pour défaire les partis de l’austérité, QS doit continuer de rejeter toute alliance ou coalition avec le PQ et lutter avec audace, en parole et dans les faits, pour un programme socialiste. C’est la seule façon de réellement inspirer et susciter l’enthousiasme des millions de travailleur-euses et de jeunes au Québec qui détestent l’establishment et cherchent une solution au statu quo capitaliste.