Depuis les derniers mois, la popularité du Parti conservateur du Québec (PCQ) monte en flèche. Avec les manifestations du soi-disant Convoi de la liberté, tout indique que la montée de l’extrême droite n’est pas qu’un feu de paille. Cela suscite la démoralisation et la confusion chez beaucoup de gens. Comment expliquer ce phénomène?
La montée du PCQ et le phénomène qu’elle représente
Alors qu’il est chef du PCQ depuis moins d’un an, Éric Duhaime réussit déjà à se démarquer des autres partis. Il occupe maintenant la deuxième place dans les intentions de vote dans certains sondages, dépassant ainsi Québec solidaire et le Parti libéral. Le parti a maintenant 50 000 membres, alors que QS en a autour de 20 000.
Pour ce qui est de la CAQ, sa popularité est en baisse depuis les derniers mois. Ce n’est pas surprenant, étant donné la gestion atroce de la pandémie par François Legault, qui s’est vue de nouveau avec le variant Omicron. Il a imposé un autre couvre-feu inutile et une taxe « antivax », tout en laissant le virus se répandre dans les milieux de travail et les écoles.
Face à ces mesures répressives qui visent les individus et laissent les patrons tranquilles, la colère s’est accumulée. Éric Duhaime a réussi à capitaliser sur cette colère dans un discours délirant contre les mesures sanitaires.
On pourrait ainsi penser que les gains du PCQ ne sont attribuables qu’au contexte de la pandémie. C’est du moins ce que suggèrent les médias et les autres partis. Éric Duhaime ne serait que le représentant des gens qui s’opposent aux mesures sanitaires, et une fois la fin de celles-ci, sa popularité se dégonflera aussi vite qu’elle s’est gonflée. Pourtant, le PCQ continue à grimper dans les sondages, et ce malgré la levée du passeport vaccinal et de la plupart des mesures sanitaires.
La pandémie à elle seule ne suffit donc pas à expliquer l’émergence du PCQ et de l’extrême droite. Il faut plutôt voir l’émergence du PCQ comme le symptôme d’une colère profonde contre le statu quo dans un système en crise.
Les conditions de vie des travailleurs s’aggravent année après année. L’inflation au pays dépasse maintenant le seuil du 5%, une première en 30 ans. Les services publics s’effondrent. Les inégalités de richesses atteignent des niveaux stratosphériques. Une crise du logement fait rage.
Pourtant, les partis traditionnels n’ont rien fait pour améliorer la situation. Il est donc normal que les gens fassent de moins en moins confiance aux politiciens et leurs vieilles promesses électorales. La population a raison d’être de plus en plus en colère contre l’establishment et de vouloir du changement. La droite populiste réussit à rejoindre ces gens en prétendant parler au nom du « peuple ordinaire ».
D’ailleurs, la montée de la droite populiste n’est pas unique au Québec. L’élection de Trump avait représenté, d’une façon déformée, un gros doigt d’honneur à l’establishment de Washington. C’est la même chose qu’on voit actuellement avec Pierre Poilièvre et Maxime Bernier au Canada, Eric Zemmour et Marine Le Pen en France, et qu’on a vu au Brésil avec Bolsonaro.
C’est cette même volonté d’en finir avec le statu quo et les partis traditionnels qui explique la victoire de la CAQ en 2018. Maintenant que celle-ci révèle qu’elle sert les mêmes intérêts que le Parti libéral et le Parti québécois, les gens se tournent vers le PCQ comme solution. Le phénomène du populisme de droite était déjà bien présent avant la pandémie, et est là pour rester tant et aussi longtemps que la gauche n’offrira pas sa solution anti-establishment.
Un programme contre les syndicats et le mouvement ouvrier
Les sympathisants au PCQ perçoivent en Duhaime une solution de rechange au statu quo parce que ce dernier prétend s’attaquer aux « élites » et aux médias.
Toutefois, le PCQ n’offre pas plus de solutions aux problèmes des travailleurs que la CAQ, le PQ ou le PLQ. Malgré qu’il prétend parler au nom du peuple lorsqu’il dénonce les mesures sanitaires, il est clair qu’Éric Duhaime n’hésiterait pas à attaquer la classe ouvrière et défendre les intérêts des patrons une fois au pouvoir.
Un survol de son programme donne d’ailleurs un avant-goût du genre de plats que nous concocterait le PCQ au pouvoir. Il prévoit la fin du financement des CPE et l’abolition des garderies à 8,50 dollars. Loin de reconnaître la crise du logement, il propose la déréglementation du marché locatif au profit des propriétaires. Alors que la privatisation progressive du système de santé au fil des ans est en partie à blâmer pour le gâchis de la pandémie, Duhaime souhaite ouvrir la porte au privé encore plus. On peut aussi mentionner les frais d’hydroélectricité, que le parti propose d’augmenter.
En plus de ces attaques sur les services publics et les droits des locataires, Duhaime s’attaquerait aux organisations de la gauche. Il déteste les syndicats, ce qu’il dit clairement dans son livre intitulé Libérez-nous des syndicats. Il a la même haine pour la démocratie étudiante, que le programme du PCQ prévoit de restreindre. Rappelons-nous qu’il avait comparé les carrés rouges à des « terroristes » en 2012.
Malgré son discours populiste et ses prétentions d’être anti-establishment, le contenu de classe du PCQ est identique à celui de la CAQ, du Parti libéral, et du PQ, soit un parti au service des patrons et contre les travailleurs. Aucune des solutions qu’il propose ne réglera les problèmes qui affligent les travailleurs.
La classe ouvrière a besoin de son propre parti
Il peut être tentant de se laisser démoraliser face à cette montée rapide du PCQ. Toutefois, il faut garder en tête que les gens donnent leur appui à Duhaime non parce qu’ils sont nécessairement à droite, mais surtout parce qu’ils veulent du changement.
Or, en raison de l’absence d’une solution radicale à gauche, cette soif de changement s’exprime dans la droite populiste du PCQ.
En fait, les sentiments sont majoritairement à gauche. On l’a vu avec les énormes manifestations pour le climat à Montréal. Jamais la droite ne serait capable de mobiliser 500 000 personnes. Cela se voit aussi dans un sondage qui a révélé qu’au Québec, 38% de la population souhaite sortir du capitalisme, alors que 25% s’oppose à cette idée.
Ainsi, on n’assiste pas à la montée unilatérale de la droite, mais à la polarisation politique de la société et à l’effondrement du centre.
La montée du PCQ n’était pas inévitable. Ce qu’il manque pour combattre le populisme anti-establishment de la droite est un parti qui défend clairement les intérêts des travailleurs et offre une solution de rechange radicale au capitalisme en crise, pour canaliser la colère ambiante hors des canaux de droite.
Malheureusement, le seul parti qui pourrait y arriver actuellement, Québec solidaire, peine à jouer ce rôle. Dès le premier confinement, QS a joué le jeu de l’unité nationale avec la CAQ et sa gestion pro-patronale de la crise sanitaire, au lieu de défendre les intérêts des travailleurs face à la pandémie. Ainsi, quand les sentiments d’unité nationale apparus au début de la pandémie se sont essoufflés, beaucoup de gens ont vu Québec solidaire comme complice de la gestion criminelle de la pandémie par le gouvernement. En l’absence d’une critique à gauche de cette mauvaise gestion, les incertitudes des travailleurs en pleine crise économique se sont exprimées dans des mouvements contre les mesures sanitaires.
De plus, la direction du parti tend depuis quelque temps à modérer son discours afin de paraître plus « raisonnable » en vue des prochaines élections. QS s’éloigne ainsi de plus en plus de ses racines pourtant anticapitalistes.
On l’a bien vu au dernier congrès du parti. Des dirigeants du parti n’ont pas hésité à critiquer des amendements et résolutions visant à attaquer la classe capitaliste, dont certains qui proposaient d’avoir recours à la nationalisation de certaines industries. Ils se sont même opposés à la proposition de réaliser la gratuité scolaire dans un premier mandat. Cela marque un tournant majeur pour un parti dont le co-porte parole est l’ancien leader de la plus grande grève étudiante de l’histoire du Québec, qui militait justement pour la gratuité scolaire.
La modération de QS se perçoit aussi dans les nouveaux candidats du parti. Agissant comme les partis traditionnels, la direction du parti est allée chercher des candidats hors du parti et a plutôt courtisé des médecins, avocats et autres professionnels. Elle est aussi allée chercher des anciens bloquistes, comme Shophika Vaithyanathasarma. Le candidat dans Richmond, Philippe Pagé, en plus d’avoir été attaché politique du député bloquiste André Bellavance en 2015, a participé à la campagne à la chefferie du PQ de Pierre-Karl Péladeau.
Pas étonnant dans ce contexte que peu de gens voient QS comme une solution pour lutter contre le statu quo.
Une solution socialiste contre la montée du PCQ!
Nous ne devons pas nous démoraliser de la popularité du Parti conservateur du Québec, mais en chercher les leçons pour les tâches du mouvement ouvrier.
Il faut répondre au discours populiste délirant de Duhaime par un discours anticapitaliste capable de réellement régler les problèmes des travailleurs.
Les gens qui vont voter pour le PCQ ne sont pas tous des « covidiots » réactionnaires. Le potentiel existe pour canaliser la colère des travailleurs et jeunes radicalisés dans un programme socialiste. Mais pour cela, la gauche doit cesser de craindre de présenter des solutions radicales aux maux du capitalisme. Au contraire, les problèmes du capitalisme en crise exigent des solutions radicales, et les travailleurs et la jeunesse en ont assez des demi-mesures qui protègent le statu quo. Tant qu’une voix à gauche ne s’élèvera pas pour lutter ouvertement contre le système capitaliste, les démagogues d’extrême droite continueront à attirer à eux les nombreux mécontents.