Un coup d’œil rapide sur les résultats des élections laisserait suggérer que les libéraux surfent sur vague de popularité, ayant obtenu leur plus grand nombre de votes depuis 1994. Cependant, cela serait une mauvaise analyse du sentiment général dans la société québécoise d’aujourd’hui. La majorité des québécois ne votèrent pas nécessairement pour les libéraux, mais plutôt contre le PQ. Comme mentionné dans notre article pré-électoral, le PQ fut propulsé dans les sondages en grande partie en raison de sa « Charte des valeurs québécoises ». Ce geste démagogique permis au Parti québécois de se présenter comme le défendeur des « valeurs communes », et cela retentit à un certain niveau pour une partie des travailleurs québécois. Toutefois, il y avait des limites à cette manœuvre, et l’appel du PQ ne tint que pour un temps.
Que s’est-il passé pour le PQ?
Aucun mouvement national ne peut unir des classes économiques avec des intérêts diamétralement opposés indéfiniment. Lors des dernières années, le mouvement nationaliste au Québec fut en crise précisément pour cette raison – alors que la crise s’enfonce, les gouvernements sont forcés de suivre l’agenda des grandes entreprises contre les intérêts des travailleurs. Au fil des années, le PQ est devenu de plus en plus un ardent défenseur de l’austérité capitaliste, précisément pour prouver à la classe dirigeante québécoise que le parti est un défenseur du système « fiscalement responsable ». La direction du PQ a fait tout son possible pour distancer le parti des syndicats provinciaux et accepter plusieurs gens d’affaires dans ses rangs.
L’été dernier, le gouvernement du Parti québécois a mis de l’avant la « Charte des valeurs québécoises », une politique qui était supposée renforcer un comportement et un code vestimentaire séculaires dans la fonction publique, mais qui était une véritable tentative d’attaquer les immigrants et les minorités culturelles. Toutefois, les symboles tels que le crucifix à l’Assemblée nationale et la prière catholique dans les conseils municipaux étaient exempts de cette répression. Le véritable motif de la Charte était de distraire la colère des travailleurs québécois des promesses électorales non tenues du PQ. Pauline Marois et le reste du PQ espéraient que les travailleurs québécois ne remarqueraient pas la servilité du gouvernement au programme économique du patronat québécois, tandis que le gouvernement Marois continuait essentiellement les mêmes politiques que le gouvernement Charest. Pour quelques mois le plan a marché, alors que les appuis du PQ montèrent dans les sondages à des niveaux qui n’avaient pas été vu depuis quelques années. Comme nous l’écrivions précédemment, la plupart des sondages plaçaient le PQ avec une avance considérable, proche de former un gouvernement majoritaire en début de campagne. Cependant, la Charte paru brusquement moins attrayante venu lorsque vint le temps des élections.
Le point tournant de la campagne a été quand Marois a annoncé la candidature de Pierre-Karl Péladeau, ennemi juré des syndicats, dans la circonscription de Saint-Jérôme. Presqu’immédiatement, l’appui au PQ s’est mis à chuter dans les sondages. Entre le début de la campagne et le jour des élections, le PQ a perdu 15 points dans les sondages. Les syndicats ont presqu’universellement condamné cette nomination, malgré le fait qu’ils ont traditionnellement donné leur support au PQ. Québec solidaire en a donc profité pour souligner son engagement à renforcer les lois du travail afin d’empêcher les hommes d’affaire comme Péladeau de mettre leurs employés en lock-out et d’utiliser des briseurs de grève pour écraser les syndicats.
Alors que le PQ continuait à perdre des plumes et qu’il devenait de plus en plus clair que les libéraux allaient gagner les élections, Marois a tenté de soulever l’héritage de corruption des gouvernements libéraux. Toutefois, l’hypocrisie de Marois et du PQ était évidente. Par exemple, elle s’en est prise au chef libéral Philippe Couillard en dénonçant le fait qu’il a déjà eu un compte de banque dans le paradis fiscal de Jersey Island, une chose « inacceptable » selon elle. QS lui a donc demandé pourquoi Péladeau avait 60 de ses compagnies enregistrée au Delaware, un autre paradis fiscal, y compris Vidéotron, Archambault et Sun Media. Autre exemple, Marois a soulevé le fait que 18 anciens ministres du gouvernement Charest, éclaboussé par la corruption, étaient candidats pour le Parti libéral. Toutefois, deux jours avant le vote, La Presse, citant des documents ayant fait l’objet d’une fuite, révélait un système frauduleux d’enchères impliquant des firmes d’ingénierie qui misaient sur des contrats publics avant de faire des dons au PQ. Ces manigances se sont passées alors que Pauline Marois et François Legault (maintenant leader de la CAQ) étaient ministres au PQ. Les Québécois n’ont visiblement pas écouté les appels à lui faire confiance lancés par l’ex-Première ministre.
De plus, les tentatives du PQ de se présenter comme le parti qui défendrait les « vraies valeurs québécoises » sont tombées dans l’oreille d’un sourd. Sébastien Dallaire de la firme de sondage Léger a bien résumé l’effet de la Charte : « Même s’ils aimaient l’idée, et qu’une majorité de Québécois était en faveur de celle-ci, elle n’était pas une priorité. » Comme nous l’avons dit maintes fois par le passé, la question nationale n’est plus l’enjeu principal qui préoccupe les Québécois.
Le slogan de campagne des libéraux, « Ensemble, on s’occupe des vraies affaires », venait réveiller ce sentiment chez les travailleurs québécois. L’ex-Premier ministre et stratège libéral Daniel Johnson a ainsi résumé la stratégie de campagne de Couillard : « Son plan était de parler d’emplois, d’économie, de santé et d’éducation. C’est ça que les gens voulaient entendre, plutôt que les autres plateformes et lignes de parti. » Cette stratégie d’orienter le discours vers des enjeux pragmatiques est ce qui a permis la victoire des libéraux, en parlant de ce qui préoccupe le plus les Québécois. Pendant les débats, Couillard a martelé Marois chaque fois qu’elle a ramené la Charte avec des lignes telles que « Combien d’emplois allez-vous créer ? » ou « Combien d’infirmières allez-vous embaucher? » Les publicités négatives des libéraux ont aussi souligné les emplois perdus sous le règne du PQ.
Bien sûr, les libéraux seront incapables remplir leurs promesses populistes. Couillard n’agira pas différemment de ses prédécesseurs du PQ et appliquera les diktats du marché. Il gouvernera de la même manière impitoyable et sournoise que Jean Charest et Pauline Marois. Malheureusement, aucun parti n’a été capable de dévoiler l’hypocrisie des libéraux aux yeux des masses. Québec solidaire a bien réussi à gagner un troisième siège à l’Assemblée nationale en prenant Sainte-Marie-Saint-Jacques. Toutefois, le parti n’a augmenté son pourcentage du vote que de 1,5%, ce qui a laissé bien des membres de QS incrédules. Avec un PQ discrédité et le souvenir du désastre libéral encore frais, il est à se demander pourquoi QS a été incapable de prendre avantage du mécontentement populaire. QS avait plus que jamais l’opportunité de battre les deux partis sur la gauche et de prendre la tête du mouvement anti-austérité; quelque chose est certainement allé de travers. Même Amir Khadir l’a admis : « Notre organisation est-elle mal structurée? Nos efforts mal concentrés? La communication de notre programme déficiente? Le problème est-il notre programme lui-même? Il y a un examen à faire. » (Journal de Montréal, 8 avril 2014)
Il faut être francs : la stratégie adoptée par le leadership de QS a échoué. L’idée que les travailleurs québécois finiraient par être dégoutés par les politiques de droite du PQ et donneraient inévitablement leur soutien à une option souverainiste plus gauchiste n’a pas donné de bons résultats. Sur l’île de Montréal, les libéraux ont raflé la majorité des sièges par une marge encore plus grande qu’à la dernière élection. Il faut s’interroger sur la raison pour laquelle les libéraux réussissent si bien à Montréal, pourtant l’épicentre de manifestations contre le Parti libéral. Les travailleurs de Montréal en ont assez du débat fédéralisme-souverainisme. Le gens de Montréal ont voté pour les libéraux en se pinçant le nez parce qu’ils ne voyaient pas d’alternative. QS s’est simplement présenté comme une version gauchiste du PQ, faisant du pouce sur ses discours sur la Charte et la souveraineté. La position de QS sur la Charte était simplement « nous avons besoin d’une meilleure Charte » plutôt que « la Charte est un écran de fumée pour cacher l’austérité », comme l’a bien dit l’ASSÉ. Une position socialiste sur la Charte est qu’il est impossible d’imposer bureaucratiquement des « valeurs » sur une société. Toute tentative de ce faire ne peut être que réactionnaire et, dans le contexte actuel, il s’agissait d’une distraction évidente.
Malheureusement, QS est toujours vu comme un parti marginal, peu crédible ni sérieux aux yeux de la plupart des travailleurs. Il n’a pas été bénéfique pour le parti que ses messages de campagne aient été parfois vagues et mélangeants, et que les enjeux sensés toucher les travailleurs et les jeunes aient été choisis à l’aveuglette. Plutôt que de canaliser la colère des travailleurs et des jeunes suite aux promesses brisées et aux attaques continuelles sur leurs conditions de vie, QS a appelé à voter par « amour » et « avec sa tête » dans ses slogans. D’un autre côté, l’attitude combative de Couillard a plu à beaucoup de gens qui cherchent une alternative à la crise du capitalisme. QS s’est continuellement emmêlé dans des débats sur l’indépendance, la possibilité d’un prochain référendum et la Charte. Comme nous l’avons mentionné plus haut, les enjeux qui importent à la majorité des travailleurs et des jeunes sont l’emploi, la santé et les services sociaux. Seule une politique de classe exposant le vrai agenda des trois partis capitalistes, c’est-à-dire de mettre le fardeau de la crise sur les épaules de la classe ouvrière, aurait pu amener les travailleurs à délaisser le PQ, les libéraux et la CAQ. En échouant à clairement poser le débat comme une lutte d’intérêts de classe, QS a permis au débat de s’embourber et laissé les électeurs choisir ce qu’ils considéraient être le moindre mal.
L’austérité est à l’agenda – préparons-nous à la riposte!
Malgré le fait que les libéraux aient gagné avec leur plus grand nombre de votes depuis 20 ans, ce gouvernement sera l’un des plus haï de l’histoire du Québec. Le souvenir du gouvernement de Jean Charest, qui avait haussé les frais de scolarité et adopté une loi anti-démocratique pour écraser le mouvement de 2012, est encore frais dans bien des esprits. Les quatre prochaines années seront riches en coupes et en soulèvements populaires. Le mouvement des travailleurs sera-t-il prêt pour ce défi? Avec les libéraux formant à nouveau un gouvernement majoritaire et le PQ en déroute, Québec solidaire est en bonne position pour gagner l’appui du mouvement afin d’en être la voix au parlement. Les syndicats seront dans la ligne de mire du gouvernement et devront passer à l’action. Ils ne pourront plus rester les bras croisés.
Les syndicats constituent la première ligne défensive des travailleurs contre l’austérité du gouvernement libéral. Plus que jamais, les syndicats doivent s’unir avec Québec solidaire pour former un authentique parti des travailleurs. Les travailleurs québécois ont été trop longtemps divisés et forcés de voter pour des partis qui s’attaquent à leurs conditions de vie, par manque de meilleure alternative. Créons cette alternative : le mouvement des travailleurs et QS doivent s’unir pour donner la possibilité à tous les travailleurs et aux jeunes qui veulent sincèrement riposter aux attaques du gouvernement et à l’agenda de la classe dirigeante de le faire.