Lundi le 18 août, des pompiers ont envahi l’hôtel de ville de Montréal et poursuivi le maire d’une salle à l’autre pour protester contre la récente attaque sur leurs pensions. Les policiers, dont les pensions sont aussi affectées, ont autorisé les pompiers à entrer et ont fermé les yeux sur les événements. Les municipalités du Québec sont en guerre avec leurs travailleurs et cette action montre l’orage potentiel qui menace dans cette lutte contre l’austérité.

Depuis la crise économique de 2008 le chaos mondial et l’instabilité politique ne cessent de grandir. La lutte des classes n’a jamais été aussi forte. Nous avons pu observer l’écroulement de l’économie grecque et espagnole à travers des programmes d’austérités entraînant tranquillement le reste de l’Europe à leur suite. Les grandes révoltes en Tunisie et en Égypte ont côtoyé la guerre civile en Syrie, quelques temps seulement avant que le génocide du peuple palestinien ne reprenne de plus belle dans la bande de Gaza. Tout récemment nous avons aussi pu voir le bras de fer impérialiste entre les États-Unis et la Russie en Ukraine. Plus proche de nous, il y a eu Occupy Wall Street, le printemps québécois, la grève des travailleurs d’Aveos, le mouvement Idle No More des Premières Nations, la grève sauvage des gardiens de prisons en Alberta, le lock-out de l’usine d’Arcelormittal. Maintenant, c’est la lutte des travailleurs municipaux contre le projet de loi 3 qui s’engage.

En effet, Pierre Moreau, ministre des affaires municipales, a déposé en juin dernier le projet de loi 3 sur les régimes de retraite. Ce projet de loi fait partie du programme d’austérité du parti libéral, bien décidé a serré la ceinture des travailleurs, afin de leur faire payer les dettes et les pertes dues à la crise économique. Il s’attaque aux régimes de retraite de plus de 65000 cols blancs, cols bleus, pompiers, policiers, professionnels et employés des sociétés de transports, unis sous la Coalition syndicale pour la libre négociation qui représente la quasi-totalité des employés municipaux syndiqués du Québec.

Le projet de loi impute tout le fardeau du déficit des régimes de retraite aux employés encore actifs et à celles et ceux déjà retraités, il impose la fin de l’indexation des retraites pour une durée indéterminée, le partage à parts égales des coûts des régimes, ainsi qu’une limite de ces coûts, qui doit être de 18% de la masse salariale – 20% dans le cas des policiers et des pompiers. Les municipalités devront également mettre en place un fonds de stabilisation correspondant à 10% des cotisations annuelles.

Ce projet de loi est une attaque directe au droit à la liberté de négociation. En effet, les rentes ont été négociées et convenues tant par les employeurs que les salariés, au moment de la signature de la convention collective. De plus, il faut aussi comprendre que les rentes émises à la retraite sont du salaire différé, soit une rémunération déjà consentie. Un tel projet de loi correspond donc à reprendre un salaire déjà payé, pour un travail déjà effectué. Par ailleurs, il est absurde de faire payer aux travailleurs un déficit qui est dû à la mauvaise gestion des régimes par la bureaucratie municipale.

Des manifestations ont déjà eu lieu à Québec, Montréal et Sherbrooke, démontrant la grogne qui règne chez les travailleurs municipaux. Parmi les autres moyens de pression employés, les policiers ont ressortis leurs classiques pantalons de camouflage bariolés, et les travailleurs répandent leurs autocollants aux slogans «Libre négo», dénonçant cette attaque sur le droit à la libre négociation, et «On n’a rien volé (nous)», en référence à la corruption dans le milieu municipal. Les cols blancs et cols bleus de Montréal menacent de déclencher une grève générale illimitée et disent n’avoir que très peu confiance en la commission parlementaire sur les régimes de retraites où l’UMQ, Denis Coderre, et Régis Labeaume ont réitéré leur appui inconditionnel au projet de loi 3.

Toutefois, au-delà des menaces et des moyens de pression symboliques, il ne faut pas avoir peur d’aller plus loin et de mettre les menaces à exécution. Le gouvernement libéral est agressif avec ce projet de loi bulldozer et semble avoir l’intention de l’imposer de force aux travailleurs. Il va se faire un devoir de répliquer à une grève trop dangereuse par une loi de retour au travail, mais les travailleurs doivent éviter de tomber dans le piège du droit bourgeois, et montrer qui possède le réel pouvoir économique et politique. Les travailleurs municipaux détiennent un rapport de force capable de mettre le gouvernement à terre, et nulle loi ne peut les en empêcher. Il faut se rappeler que les syndicats et les grèves ont longtemps été illégaux, et que c’est uniquement en enfreignant la loi à travers la lutte que les travailleurs ont pu gagner des réformes. Les travailleurs n’ont pas à se serrer la ceinture pour satisfaire la cupidité de la bourgeoisie et de leurs acolytes libéraux, alors que ceux-ci s’engraissent constamment à coup d’appels d’offre truqués, de surfacturation et autres manigances. Les travailleurs doivent maintenir la pression et même l’augmenter si la situation continue de stagner. Ils n’ont aucune raison d’accepter le plan d’austérité du gouvernement libéral et ont le pouvoir de le refuser s’ils luttent et se tiennent les coudes.

Dans un autre ordre d’idée, le goût des gaz lacrymogènes est encore frais dans la bouche de beaucoup de ceux qui ont été impliqués dans les manifestations étudiantes il y a deux ans, et la présence de la police fait ressortir des émotions fortes. Beaucoup au sein de la gauche ont exprimé leur hostilité face au mouvement, faisant une adéquation boiteuse entre le caractère répressif et réactionnaire de l’appareil policier et le reste du mouvement. Bien que nous comprenions cette réaction instinctive contre la police, et partagions leur aversion face à cette institution, il n’est pas sérieux d’élever un sentiment en position politique. La présence des policiers dans le mouvement possède un avantage stratégique indéniable, en ce qu’elle affaiblit la capacité du gouvernement à les utiliser pour réprimer les mouvements de travailleurs et de jeunes qui sont à venir. Ils vont certainement se rappeler de la manière dont Denis Coderre les a traités lorsqu’il aura besoin d’eux pour battre et arrêter les protestataires. Le fait qu’ils aient refusé d’agir contre l’occupation de l’hôtel de ville montre que les policiers ne sont pas des automates sans libre-arbitre et qu’ils peuvent, sous la pression des événements, mordre la main qui les nourrit et cesser pour un moment d’être une arme utile pour l’Etat capitaliste.

Par ailleurs, les travailleurs municipaux ne sont pas les seuls concernés par cette offensive du gouvernement libéral. En effet, cette loi bulldozer n’est qu’une des multiples manières pour Couillard de faire payer les Québécois pour la crise des capitalistes. Si les travailleurs municipaux subissent une défaite, ce sera une invitation pour le gouvernement et les corporations à continuer de plus belle avec des coupures encore plus agressives dans tous les secteurs. Il faut toutefois se rappeler que les travailleurs municipaux ne sont pas les premiers à avoir gouté à la médecine libérale. Les étudiants, il n’y a pas si longtemps, subissaient eux aussi les foudres de l’austérité sous la gouverne de Charest et appelaient (insuffisamment toutefois) à la solidarité des travailleurs. Ils doivent maintenant comprendre que la solidarité va dans les deux sens et se joindre aux travailleurs dans cette nouvelle lutte. Si la menace de grève générale est mise à exécution, l’ASSÉ devrait appeler les étudiants à s’y joindre en solidarité, afin d’en faire un mouvement plus large contre l’austérité, alliant d’autres revendications telles que la gratuité scolaire. Les principaux syndicats, la FTQ et la CSN, doivent aussi organiser des actions de solidarité et expliquer clairement la vérité sur la situation, c’est-à-dire que les autres travailleurs y passeront tous éventuellement si un message clair n’est pas envoyé à Couillard et aux autres larbins du capital. Ils doivent indiquer clairement qu’ils organiseront des grèves solidaires si le gouvernement ne recule pas. Les travailleurs possèdent le pouvoir de paralyser le système et de mettre un frein au projet de loi 3, mais pour cela, il faut s’organiser et riposter!

Le projet de loi 3 ne devrait surprendre personne : le climat économique n’est plus aux réformes sociales durement acquises durant les années d’après-guerre. L’heure est plutôt à l’austérité, et elle n’épargnera aucun secteur, aucun pays. Il suffit de lire les journaux de n’importe où sur la planète pour constater que les coupes ne sont pas une idée inventée par les libéraux. En effet, le capitalisme est un système chaotique dans lequel les crises économiques sont inévitables, de même que les coupes qu’elles entrainent. S’il n’arrive même plus à nous offrir des retraites décentes, une éducation abordable, et des services sociaux de qualité, c’est peut-être signe qu’il est temps de s’organiser, de lutter et de rompre avec ce système.

*La Coalition syndicale pour la libre négociation est composée du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP-Québec) et de son Conseil provincial du secteur municipal de même que de son Secteur du transport terrestre, de la Fédération des employées et employés de services publics (FEESP–CSN), de la Fédération indépendante des syndicats autonomes (FISA), de la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec, de la Fraternité des policiers et policières de Montréal, de l’Association des pompiers de Montréal, du Regroupement des associations de pompiers du Québec ainsi que du Syndicat des pompiers et pompières du Québec.