Le 24 février dernier, Québec solidaire organisait une manifestation pour réclamer la démission du ministre de la Santé, Gaétan Barrette. Plus de mille personnes se sont rassemblées à cette occasion au centre-ville de Montréal. Lors de cette manifestation, La Riposte socialiste a réalisé une entrevue avec Félix-Olivier Bonneville, infirmier à l’Hôpital Sainte-Justine et vice-président responsable de la catégorie du personnel en soins infirmiers et cardiorespiratoires à la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS), affiliée à la CSN.

Après des années de coupes drastiques dans le secteur de la santé, les travailleuses et les travailleurs de ce secteur ont commencé à exprimer leur colère. Au cours des dernières semaines, des infirmières ont dénoncé publiquement leurs conditions de travail inhumaines, de nombreux sit-ins ont eu lieu dans des hôpitaux du Québec, et une pétition a circulé afin de demander la démission de Barrette, qui a reçu plus de 54 000 signatures. La manifestation du 24 février est, selon nous, un premier pas qui doit mener vers une mobilisation plus large. M. Bonneville nous a parlé de la nécessité de« canaliser » cette colère qui gronde. Les infirmières et infirmiers, en particulier, ont une riche tradition de lutte combative, comme en témoignent les grèves illégales de 1989 et de 1999. Faire revivre ces traditions de grève dans le secteur de la santé sera la meilleure manière de canaliser l’énergie des travailleurs et travailleuses de la santé, et de l’orienter vers une lutte efficace contre Barrette, les libéraux et l’austérité!


La Riposte socialiste : Pourquoi êtes-vous venu manifester aujourd’hui?

Félix-Olivier Bonneville : Pas mal pour la même raison que tout le monde ici, je pense. Pour montrer notre mécontentement vis-à-vis monsieur Barrette et son ministère de la Santé. Il a pas mal détruit le système de la santé depuis les dernières années. On veut essayer de lui faire comprendre qu’il n’est plus le bienvenu.

LRS : Quel est l’état des troupes dans votre milieu de travail? Le moral, les conditions de travail?

FOB : Moi, je suis un infirmier de Sainte-Justine. On a un gros combat en ce moment pour retrouver notre autonomie. Le projet de loi 10 disait qu’on allait garder notre autonomie en tant qu’hôpital pédiatrique. On est le seul hôpital pédiatrique francophone… Pis même à ça, malgré le projet de loi 10, finalement il a décidé de faire une fusion des CA [Conseils d’administration]. Lui, il dit que c’est seulement administratif, mais ça reste qu’en ce moment il n’y a plus de CA distinct pour Sainte-Justine, donc on est pris avec le CHUM qui est un hôpital trois fois plus grand. Donc ça, ça crée pas mal d’inquiétude chez nos infirmières et nos médecins aussi. Il y a un gros mouvement avec les médecins et les préposés de Sainte-Justine, avec tous les employés de Sainte-Justine pour essayer d’avoir notre CA.

Oui, il y a le temps supplémentaire obligatoire, mais nous c’est davantage le système de garde qui a été implanté pour nous, les gens sont obligés de donner des disponibilités de garde, donc c’est un peu comme des TSO [temps supplémentaire obligatoire] mais c’est camouflé donc ça parait mieux au niveau de la gestion, mais au final le monde est obligé de rester plus longtemps que leur quart habituel, pis ils sont pas mal toujours tenus en otage avec ça. Il y a toujours les mêmes menaces : « il faut que tu sois là pour ton patient »; la même doctrine de menacer les infirmières : « si tu t’en vas, tu laisses ton patient en danger ». Donc, on joue sur la sensibilité des infirmières qui aiment leur job, et veulent défendre leurs patients.

LRS : Quelles sont les conséquences des réformes du ministre Barrette sur les patients?

FOB : À Sainte-Justine, il n’y a pas eu les grosses conséquences des CISSS [Centre intégré de santé et des services sociaux] et des CIUSSS [Centre intégré universitaire de santé et des services sociaux] qui eux se retrouvent avec des structures mammouths où il est très difficile d’avoir un gestionnaire qui doit s’occuper de plein de départements. On le voit là-bas; il est difficile de faire passer ton message, de faire comprendre qu’il y a un problème ici et il faut qu’on le règle. Mais si ton gestionnaire est obligé de gérer 5 ou 6 ou 20 sites, ben on se ramasse à avoir de la misère à régler les problèmes au niveau micro. T’sais, ils vont tout le temps essayer de gérer la finance, pis that’s it.

À Sainte-Justine, ce qu’on a vu, c’est aussi des compressions. Il y a la réforme Barrette, mais aussi les compressions libérales qui sont là depuis de nombreuses années. Il faut qu’on fasse plus avec moins. Il y a de l’économie de bout de chandelle, où est-ce qu’on essaye de gruger chaque 25 cents qu’on peut avoir, ce qui fait en sorte que souvent on ne va pas remplacer les agents administratifs ni les préposés, donc souvent ce sont les infirmières qui se ramassent avec cette job-là, qui sont surmenées, qui doivent donner des soins qui sont en-deçà de ce qu’ils aimeraient donner…. Les infirmières et les préposés vont se fendre en quatre pour faire une belle job mais au final ça reste des petites choses [qu’ils ne peuvent octroyer] comme de l’écoute des patients. Moi, je travaille en hémato-oncologie, j’ai des patients qui sont en fin de vie, quand tu n’as pas le temps de rester avec ton patient et de le rassurer, ben tu t’en retournes chez vous et tu sens que t’as pas fait une bonne job. C’est difficile moralement, on a plein d’assurances-salaire, on a du monde qui s’en vont parce qu’ils ne sont plus capable. C’est ce que ça donne sur le plancher.

LRS : Quel est présentement le moral des troupes? Au niveau de la lutte, est-ce qu’il y a une volonté d’une escalade des moyens de pression? Comment est-ce que vous envisagez cela?

FOB : Ben, veut veut pas, on voit qu’il y a une mouvance en ce moment, une montée de la grogne. Les gens sont motivés, ils veulent aller plus loin, veulent essayer de se battre et faire comprendre leur point. Je pense qu’il faut qu’on travaille avec eux autres pour trouver un moyen de canaliser tout ça. Et je pense que c’est ce qu’on essaye de faire à la Fédération. On essaye de trouver qu’est-ce qu’on peut faire, mais en même temps on est aussi limités par nos devoirs déontologiques. Donc on essaye de cheminer là-dedans pour pouvoir faire passer le message. On en parle le plus souvent qu’on peut, on essaye toujours de frapper sur ce clou-là, et de dire qu’il faut arrêter de sous-financer le système de santé. Ça passe par un réinvestissement dans le système de santé et par du respect de tes employés.

LRS : Vous avez mentionné que ce n’est pas seulement la loi 10, mais qu’il y a les compressions en général. Cela s’inscrit dans un contexte d’austérité massive depuis 3 à 4 ans. Selon vous, qu’est-ce qu’on peut faire pour lutter contre l’austérité et les libéraux?

FOB : Nous sommes en année électorale, donc il faudra se renseigner sur les autres partis politiques parce que ce n’est pas juste de changer de parti politique, des fois on peut se retrouver avec quelque chose qui ne soit pas nécessairement mieux. Donc il faut se renseigner sur les partis politiques, voir leur plateforme électorale, voir ce qu’ils comptent faire pour la santé. Mais ce n’est pas juste la santé, parce qu’il y a aussi l’éducation. C’est pas nécessairement mieux là non plus. Donc je pense que c’est bien important en période électorale de se renseigner, voir comment on peut voter dans le bon sens.

LRS : Est-ce que vous avez un petit mot de la fin?

FOB : Dehors Barrette!