Le Parti conservateur du Québec a maintenant une députée à l’Assemblée nationale. La députée d’Iberville Claire Samson, ayant été éjectée du caucus caquiste, a rejoint le parti de l’ancien animateur de radio-poubelles Éric Duhaime. Que signifie l’arrivée sur la scène politique québécoise d’un parti libertarien, anti-masque et flirtant avec l’extrême droite?
Qu’est-ce que le PCQ?
Le Parti conservateur du Québec, fondé en 2009, était pratiquement inconnu jusqu’à récemment, n’ayant obtenu que 1,46% aux élections provinciales de 2018. Toutefois, la situation a été transformée lorsqu’en avril ses membres ont élu Éric Duhaime comme nouveau chef. Celui qui s’est bâti une carrière médiatique à cracher sa haine de tout ce qui bouge est venu donner une visibilité sans précédent au parti.
Le PCQ compte maintenant 14 000 membres, pas si loin derrière les 20 000 de Québec solidaire. Les derniers sondages le placent autour de 7% dans les intentions de vote, talonnant le Parti québécois à 11%. Ses appuis concentrés lui donnent même une chance de l’emporter dans la région de Québec, où il se trouve maintenant en deuxième position.
Sous son ancien chef Adrien Pouliot, le parti se positionnait dans la mouvance libertarienne classique, attaquant les dépenses gouvernementales, les services publics et le « gros gouvernement ». Maintenant avec Duhaime à la barre, il va tenter de créer une sorte de mouvement trumpiste québécois, en mobilisant un discours populiste de droite.
Duhaime a surfé sur la vague du mouvement anti-masque et « covidiot » au Québec. Il a notamment organisé une manifestation anti-masque à Québec l’été dernier, et a multiplié les dénonciations de ce qu’il appelle « l’extrémisme sanitaire » sur les ondes des radios de Québec.
Pour émuler Trump, Duhaime utilise un discours anti-establishment démagogique qui prétend s’attaquer aux « élites ». Lors de sa polémique récente avec Patrick Lagacé de La Presse, il dénonçait les « élites médiatiques et politiques qui nous regardent de haut ». Il prétend se préoccuper du sort des « pauvres travailleurs de PME québécoises ».
En réalité, tout comme chez ses amis d’extrême droite à Rebel Media, auquel Éric Duhaime a été contributeur, ce langage populiste cache un mépris profond de la classe ouvrière et des pauvres. En 2017, il avait défendu l’idée que le droit de vote soit accordé en fonction du revenu, disant qu’il souhaitait que « chaque dollar que tu mets à l’impôt, ça te donne un droit de vote. Si tu paies pas une cenne et tu ne fais que recevoir, bien tu fermes ta gueule, et tu n’as pas le droit de vote ». Voilà ce qu’il pense vraiment des « pauvres travailleurs ».
S’il se présente comme un champion des petites gens, le programme politique de Duhaime consiste à attaquer les syndicats et à couper dans tous les programmes sociaux qui rendent la vie plus ou moins tolérable pour les travailleurs. Et c’est sans compter ses nombreuses déclarations publiques sexistes et racistes.
Concurrence à droite
Il reste à voir si le PCQ réussira à survivre aux prochaines élections dans 15 mois, ou s’il s’écrasera misérablement comme le Parti populaire du Canada de Maxime Bernier, qui en est réduit à mettre en scène son arrestation au Manitoba dans l’espoir d’attirer l’attention.
Quoi qu’il en soit, l’arrivée du PCQ représente un nouveau développement sur la scène politique québécoise, qui a connu un bouleversement après l’autre depuis 10 ans. En quelques années, le Québec est passé d’une domination presque complète du PQ et du PLQ pendant presque 50 ans à un paysage politique fragmenté et dominé par les nouvelles formations. Le recul du PQ et des libéraux au profit de la CAQ et de QS reflétait avant tout le rejet des partis du statu quo qui ont imposé l’austérité, la privatisation et autres politiques pro-patronales depuis des décennies, le tout dans une corruption ambiante.
Le PCQ va ainsi certainement tenter de se tailler une place à la droite de la CAQ. Legault, après avoir mobilisé un discours nationaliste de droite anti-immigrants et islamophobe pour se porter au pouvoir, gouverne maintenant comme le Parti libéral le ferait. Son image de nouveau parti qui rompt avec l’establishment s’est ternie. La pandémie en a rajouté une couche : des milliers de gens sont en colère contre la gestion de la pandémie de la CAQ, et cette frustration est canalisée au moins partiellement par les conspirateurs et les anti-masque comme Duhaime. Des dizaines de milliers de personnes ont participé aux manifestations anti-masque et contre la « dictature » de la CAQ – et il y a fort à parier que nombre d’entre eux ont voté CAQ en 2018.
Il n’est pas inévitable que la colère contre la gestion terrible et incohérente de la pandémie par la CAQ profite aux covidiots et au PCQ. Mais malheureusement, la direction de Québec solidaire s’est rangée totalement derrière le gouvernement dans les premiers mois de la pandémie, puis s’est contentée de critiques modérées ici et là. Elle ne s’est pas opposée clairement au couvre-feu complètement inutile imposé pendant cinq mois. Elle ne s’est pas opposée au plan de retour en classe dangereux, se contentant de critiquer le manque de « transparence » du gouvernement. Cela laisse une petite niche au PCQ pour essayer de canaliser cette colère envers la CAQ vers la droite.
Ne laissons pas passer l’extrême droite!
Même si le PCQ finit par se révéler n’être qu’un pétard mouillé, le phénomène qu’il représente est là pour rester. La société capitaliste dans son ensemble vit une crise profonde. À peine capable de se remettre de la crise de 2008, l’économie mondiale a replongé encore plus profondément avec la COVID. Avec la pandémie, des milliers de travailleurs remettent en question les gouvernements qui ont priorisé les profits des grandes entreprises et imposé des mesures sanitaires incohérentes, souvent insuffisantes et contradictoires. L’ensemble de l’establishment est remis en question. Cette crise s’exprime politiquement par une polarisation vers la gauche et vers la droite.
Alors que les travailleurs, et particulièrement les jeunes, ne peuvent espérer au mieux qu’une stagnation de leur niveau de vie, la colère s’accumule. Les gouvernements capitalistes n’ont rien d’autre à offrir à la classe ouvrière que différents choix de couleurs de ceintures à se serrer. Les politiciens à la barre sont discrédités l’un après l’autre. Ainsi, pas surprenant que les partis dénonçant le statu quo gagnent en popularité.
Certains politiciens de droite, peu scrupuleux, cherchent à surfer sur ce sentiment de colère, mais d’une façon qui ne menace pas vraiment le système, car elle ne remet pas en question les fondements de la crise : la grande propriété privée et les profits des ultra-riches. À la place, sont désignés comme responsables les musulmans, les immigrants, les syndicats, les gauchistes, les féministes, les « wokes », etc., prétendument avec la complicité des médias. Voilà la clé du succès de Trump, et voilà ce que tente de reproduire Duhaime ici.
Pour combattre l’extrême droite, la gauche doit offrir une véritable solution de rechange à la société capitaliste pourrissante. Au lieu de chercher à se présenter comme des politiciens « fiables » et « responsables » (aux yeux des capitalistes), la gauche doit rompre ouvertement avec le statu quo et avec l’ensemble de l’establishment capitaliste. Québec solidaire devrait se faire la voix des travailleurs écrasés par la crise économique et sanitaire. Il faut expliquer que c’est le capitalisme lui-même qui est à la racine de cette crise, et proposer une solution de rechange socialiste. Il s’agit de la meilleure façon de couper l’herbe sous le pied des débiles trumpistes comme Duhaime.