Mercredi le 14 juin dernier, l’Université Concordia a accueilli le premier événement d’une série de trois, dans le cadre de l’Été rouge 2017, organisé par La Riposte socialiste. La conférence, donnée par notre camarade Jean-Léandre Cyr, et qui avait pour titre « Qui était Lénine? », a attiré une trentaine de personnes.
Lénine. Tout le monde connaît ce nom. Tout le monde connaît le personnage. Mais que savons-nous vraiment de lui? Tyran, dictateur, opportuniste. Caricaturé à l’extrême, Lénine a trop souvent été réduit à l’état de simple précurseur du stalinisme par des intellectuels bourgeois qui ne lui ont jamais pardonné d’avoir ébréché leur système. 100 ans après la révolution russe, les préjugés contre Lénine sont toujours aussi nombreux. La présentation de Jean-Léandre fut l’occasion de remettre les pendules à l’heure et d’expliquer ce que défendait vraiment cette figure marquante du mouvement révolutionnaire.
Sans surprise, la discussion s’est ouverte sur un constat bien familier : le capitalisme est en crise. Crise économique, crise sociale ou encore écologique, le capitalisme se trouve dans une impasse. Cette situation est ressentie par la majorité de la population et l’on voit fleurir de nouveau les idées du marxisme, qui n’ont pas pris une ride. Comme le souligna le présentateur, la contribution de Lénine au marxisme fut irremplaçable et mérite d’être étudiée par les militant-es d’aujourd’hui.
Jean-Léandre commença par replacer la vie militante de Lénine dans son contexte socio-économique. La Russie était un pays en retard économiquement, dominé par un État tsariste en apparence tout-puissant. La bourgeoisie était faible et dépendante de l’impérialisme étranger. La classe ouvrière, faible numériquement, grossit rapidement et devint très concentrée au sein des villes. Exploitée sans merci, la classe ouvrière devint très ouverte aux idées marxistes, mais les forces du marxisme restaient largement désorganisées.
Lénine, issu d’un milieu aisé, mais rapidement gagné aux idées marxistes, comprit très vite le besoin de créer une organisation révolutionnaire professionnelle et centralisée, capable de résister à la répression tsariste et d’unir les militant-es les plus énergiques, les plus dévoués et les plus conscients politiquement afin de donner une direction au mouvement ouvrier. Dans la conception de Lénine, cette organisation révolutionnaire devait se doter d’un journal révolutionnaire, qui porterait son idéologie et permettrait de diffuser largement les idées du marxisme auprès des travailleur-euses.
Jean-Léandre s’attaqua au mythe selon lequel la conception de l’organisation de Lénine était celle d’un parti monolithique, exempt de débats internes et de démocratie. Les bolcheviks avaient, bien entendu, un accord général sur les idées marxistes, mais une certaine unité idéologique est nécessaire à n’importe quelle organisation, qu’elle soit politique ou autre. Pourtant, les bolcheviks débataient constamment toutes les questions essentielles du mouvement ouvrier. Jean-Léandre expliqua que l’idée du centralisme démocratique défendue par Lénine n’était que la forme d’organisation naturelle du mouvement ouvrier : pleine liberté dans la discussion, unité dans l’action. Cela se voit lors d’une grève, par exemple. Si les travailleur-euses, après une discussion, décident de voter une grève, la décision devra être respectée et défendue par la force des lignes de piquetage. Le même principe s’appliquait au sein des bolcheviks.
Par la suite, Jean-Léandre a embarqué ses auditeurs dans un rapide survol des autres principales idées de Lénine et des bolcheviks. L’une des différences importantes entre bolcheviks et mencheviks – les deux factions au sein du Parti ouvrier social-démocrate de Russie – portait sur les perspectives pour la révolution russe.
En effet, les mencheviks clamaient qu’étant donné que les tâches principales étaient d’établir une démocratie bourgeoise et de libérer les paysans de la domination des propriétaires fonciers, c’était à la bourgeoisie de mener la révolution. Le rôle de la classe ouvrière devait être d’appuyer la bourgeoisie dans cette lutte. Les bolcheviks, Lénine en tête, considéraient plutôt que la bourgeoisie russe était déjà une force réactionnaire qui était incapable de lutter contre le tsarisme; elle préférait en venir à un compromis avec le tsar et les propriétaires terriens plutôt que de lutter ouvertement contre eux. Dans ce contexte, c’était à la classe ouvrière de s’allier à la paysannerie pour renverser le tsarisme, établir une démocratie et libérer la paysannerie. La révolution russe serait le coup d’envoi de la révolution socialiste en Occident. Sur le caractère réactionnaire de la bourgeoisie, l’avenir allait donner raison à Lénine.
L’une des contributions les plus importantes de Lénine est son analyse de l’impérialisme. En effet, il a montré dans son livre L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, que le capitalisme entraînait nécessairement la concentration du capital, la domination des banques et du capital financier, et la division de la planète entre les puissances impérialistes. Jean-Léandre a pris soin de souligner que cette analyse est d’autant plus valide aujourd’hui, à l’époque où une poignée de banques et les géants monopoles comme Monsanto dominent l’économie, et que les guerres impérialistes pour s’accaparer des sphères d’influence se poursuivent sans relâche.
La présentation s’est terminée avec un survol de la révolution russe de 1917 et de l’impact de Lénine et de ses idées sur les événements. Alors que le tsar avait été renversé par une insurrection des travailleur-euses de Petrograd en février, un gouvernement provisoire bourgeois s’instaura, à côté duquel la classe ouvrière créa des conseils ouvriers, les soviets, soit des organes de démocratie ouvrière. À son retour en Russie, Lénine publia ses célèbres Thèses d’avril. ll y affirmait que la tâche des marxistes était d’expliquer patiemment la nécessité que les soviets prennent le pouvoir des mains du gouvernement bourgeois pour pouvoir mettre fin à la guerre, donner la terre aux paysans, et fournir le pain à la classe ouvrière. Lénine expliqua que le gouvernement n’était pas à la hauteur de ces tâches, car la bourgeoisie avait les mains liées avec la guerre impérialiste de laquelle elle tirait d’énormes profits, et qu’elle préférait s’allier aux propriétaires terriens plutôt que de rendre la terre aux paysans. L’expérience de février à octobre 1917 montra qu’effectivement, la bourgeoisie était incapable de satisfaire les demandes des masses.
Les soviets apparaissaient donc comme les seuls organes de pouvoir pouvant mettre fin à la guerre et répondre aux aspirations de la classe ouvrière et des paysans. « Tout le pouvoir aux soviets! », clamait Lénine. Mais encore fallait-il qu’une bonne direction politique leur soit appliquée pour y arriver. Les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires (SR), à leur tête dans un premier temps, refusèrent de prendre le pouvoir des mains des capitalistes et d’établir un pouvoir basé sur les soviets. Les bolcheviks, ayant accepté les thèses de Lénine, gagnèrent de plus en plus de popularité. Par leur propagande patiente auprès des masses, et avec les hésitations des mencheviks et des SR, les travailleur-euses finirent par reconnaître les bolcheviks comme étant leur organisation, et obtinrent la majorité dans les soviets.
C’est ainsi qu’en octobre 1917, la classe ouvrière, bolcheviks en tête, se montra capable de prendre le pouvoir. Et Jean-Léandre n’a pas manqué de rappeler que, contrairement aux idées reçues, cette prise de pouvoir se fit de manière non violente, car le programme des bolcheviks était largement appuyé par la classe ouvrière et la paysannerie. Toutes les conditions étaient réunies pour que la classe ouvrière prenne le pouvoir. Il a fallu les bolcheviks pour y arriver.
Nationalisation des banques et de certaines industries, mise en place d’un contrôle ouvrier sur la production et de la journée de travail de 8h, légalisation de l’avortement, facilitation du divorce, droit de vote pour les femmes, la terre aux paysans… La Russie soviétique mit en place, en quelques mois, des réformes qui prirent des années, voire des décennies à être implantées dans les pays capitalistes.
C’est alors que la classe bourgeoise montra son vrai visage! Non seulement elle tenta de saboter l’économie du pays, mais elle oublia soudainement, comme prise d’amnésie, les antagonismes nationaux qui justifiaient la guerre jusqu’alors. Allemands, Français, Anglais, Tchécoslovaques, et même Canadiens… tous s’associèrent pour écraser la révolution! Les impérialistes du monde entier mirent le pied sur la Russie, plongeant le pays dans une guerre civile sans merci. Défendu par l’Armée rouge, le régime soviétique l’emporta… mais célébra sa victoire sur un champ de ruines. La Russie avait été complètement détruite par la guerre, et les masses, épuisées et affamées, quittèrent les soviets et cessèrent de s’impliquer politiquement.
En parallèle, les révolutions socialistes dans le reste de l’Europe avaient échoué. Or, Lénine savait que la révolution russe, sans l’appui de révolutions victorieuses au moins en Europe, ne pourrait pas entamer seule la marche vers le socialisme. Ce sont ces conditions objectives difficiles qui ont fait que le régime soviétique se bureaucratisa de plus en plus, un processus qui finit par trouver en Staline sa personnification. Lénine tenta de s’y opposer et même d’écarter Staline de sa position de tête dans l’État. Mais la maladie l’empêcha de mener la lutte jusqu’au bout. Les derniers écrits de Lénine furent censurés par la bureaucratie stalinienne. Il serait cependant exagéré de dire que Lénine aurait pu empêcher la bureaucratisation, qui avait ses racines dans les conditions matérielles décrites plus haut. Jean-Léandre cita la veuve de Lénine, Kroupskaya, qui affirmait en 1926 que « Si Lénine était vivant, il serait en prison ».
La période de discussion qui a clos la conférence a permis d’approfondir la conception du parti de Lénine, et l’on toucha également à la question de sa conception de l’État. Plusieurs interventions soulignèrent le fait que la dégénérescence de l’État soviétique était due aux conditions matérielles extrêmement difficiles auxquelles faisait face la classe ouvrière russe. Dans sa conclusion, Jean-Léandre passa quelques bonnes minutes à expliquer le processus par lequel les bureaucrates, sur la base de la destruction du pays et de la destruction des soviets, ont pu construire un appareil d’État dont eux seuls avaient le contrôle. On souligna également lors de la discussion que Staline, pour s’arroger tout le pouvoir, fit exécuter tous les principaux leaders bolcheviques ayant participé à la révolution de 1917, montrant ainsi l’abysse qui sépare le stalinisme des idées et de la tradition de Lénine et des bolcheviks.
Malgré la dégénérescence de l’État soviétique sous Staline, il n’y a aucun doute que l’héritage de Lénine mérite d’être mieux connu des militant-es d’aujourd’hui. La révolution russe est encore aujourd’hui une énorme source d’inspiration. Le travail de Lénine, au cours des 20 années la précédant, a montré l’importance que revêt l’existence d’une organisation rassemblant les militant-es les plus actifs et les plus conscients politiquement, afin d’assurer le succès de la révolution. Sans le parti bolchevique, et sans le travail préalable de patiente construction de l’organisation révolutionnaire, la classe ouvrière russe n’aurait jamais pu prendre le pouvoir.
100 ans plus tard, il est du devoir des militant-es d’étudier les idées de Lénine et l’expérience de la Révolution russe. C’est l’objectif que La Riposte socialiste se donne avec sa série de conférences de l’Été rouge 2017. Ne manquez pas la deuxième de cette série, qui aura lieu mercredi le 12 juillet prochain!
Les détails de la conférence se trouvent ici :
Lancement de livre: «L’État et la révolution»: 100 ans plus tard
Mercredi 12 juillet @19h
Université Concordia, Hall Building, local H-609
400 boul. Maisonneuve Ouest (Station Guy-Concordia)