Le 21 janvier 2017 s’est déroulée ce qui a probablement été la plus importante manifestation de toute l’histoire des États-Unis. Environ quatre millions de personnes à travers le pays ont pris la rue, avec de nombreuses manifestations en solidarité ailleurs dans le monde. Des manifestations ont eu lieu sur les sept continents (oui, même en Antarctique). Cette mobilisation marque un tournant spectaculaire dans la conscience des masses aux États-Unis en particulier, mais aussi dans le reste du monde. La majorité des manifestant-es n’avait probablement jusqu’alors jamais pris part à une manifestation. Il est révélateur qu’au commencement de 2017, exactement un siècle après la révolution russe, il y ait une fois de plus une crise et les masses soient une fois de plus dans la rue.

L’inauguration de Donald Trump, qui avait lieu la veille des manifestations, fut un fiasco. Malgré ce qu’a dit son attaché de presse, avec ses « faits alternatifs », l’assistance était d’environ la moitié de ce qu’elle était pour l’inauguration d’Obama, en 2009. Cela permet de démolir le discours affirmant qu’il y a eu un virage à droite généralisé dans la société. Trump n’a pas gagné parce qu’il est populaire – en fait, il a perdu le vote populaire par près de 3 millions d’électeurs – il a gagné parce que les gens sont dégoûtés par le statu quo. Obama a gaspillé l’espoir placé en lui en n’apportant aucun changement positif. Clinton, la démocrate de Wall Street, n’a pas pu vaincre le démagogue raciste et misogyne. Ce qui se produit dans la société n’est pas un virage à droite, mais un effondrement du centre. Ce sont la crise du libéralisme et le statu quo qui expliquent la victoire de Trump; et les forces vives qui prennent la rue montrent que la gauche est beaucoup plus forte que la droite.

C’est ce qui explique en partie pourquoi la classe dirigeante s’oppose à Trump. Malgré qu’il soit un membre en règle du 1 %, il représente une menace pour celui-ci précisément parce qu’il provoque une vague d’opposition très difficile à contrôler. Suffit de prendre en exemple la vidéo virale montrant Richard Spencer, porte-voix du mouvement « alt-right », se faire frapper au visage, causant l’indignation des libéraux et de l’establishment un peu partout, pour le constater. Ces manifestations ont donné un élan à la gauche et ont fait reculer une droite prêchant par excès de confiance.

Certains gauchistes ont déploré la confusion idéologique des manifestant-es, ainsi que le caractère libéral ou réformiste des organisateurs. Une telle approche témoigne d’une mauvaise compréhension du processus de développement de la conscience de classe. La majorité des participant-es manifestait pour la première fois. Fallait-il s’attendre à ce que ces nouveaux éléments joignent le mouvement armés d’un programme socialiste et révolutionnaire complet? Reflétant la nature hétérogène du mouvement, certains ont attaqué les prétendus liens étroits entre Trump et Poutine (comme si la politique étrangère des anciens présidents était meilleure). Mais l’écrasante majorité des pancartes exprimait des sentiments progressistes : défendre les femmes et les immigrant-es, s’opposer au racisme, lutter contre le 1%, combattre la discrimination basée sur le genre ou l’orientation sexuelle.

Plutôt que d’agir en puristes à l’encontre des personnes faisant leurs premiers pas dans leur évolution politique, nous devons diriger nos attaques contre les éléments libéraux qui tentent de canaliser l’énergie des masses et de les empêcher de s’attaquer au statu quo capitaliste. Avec un opportunisme crasse sans exemple, le premier ministre libéral Justin Trudeau a écrit sur Twitter, « Bravo aux femmes et aux hommes qui ont manifesté leur appui aux droits des femmes hier, partout au Canada. Vous inspirez votre gouvernement », et ce, malgré le fait que c’est justement l’échec des politiciens libéraux comme Trudeau qui a mené à la montée de Trump.

La réalité est que seul un petit nombre de manifestants a porté attention aux discours des organisateurs. Les socialistes se doivent d’entrer en dialogue avec les masses afin de faire ressortir les contradictions qui existent entre les platitudes libérales et le besoin de comprendre le contenu de classe de la lutte. Comme le disait Lénine, il y a de cela exactement un siècle, il est nécessaire d’expliquer patiemment aux gens. Au fur et à mesure que le mouvement se développe, il deviendra de plus en plus facile de dire qui se trouve de quel côté de la barricade. Il sera plus facile de dire qui s’oppose à Trump parce qu’il s’en prend aux opprimé-es, et qui s’oppose à lui par crainte qu’il ne provoque la colère des opprimé-es.

Si le centre s’est effondré et que la gauche est numériquement plus forte que la droite, alors pourquoi Trump a-t-il gagné? Tout est une question d’organisation. Bernie Sanders a montré le potentiel au sein de la gauche; son identification au socialisme et son appel à une révolution contre la classe des milliardaires ont mobilisé des millions de personnes, même s’il n’allait pas au-delà du réformisme. Une fois que Sanders eut capitulé face à la machine démocrate de Clinton, il n’y avait plus d’opposition de gauche dans la course. Dans la lutte entre le statu quo et le changement – même s’il s’agit d’un changement teinté d’un roux répugnant – le changement l’a emporté. Le rapport de force est cependant très clair : 800 000 personnes dans les rues pour Trump contre quatre millions s’opposant à lui. Ce qu’il faut, c’est un véhicule socialiste, indépendant des démocrates et des libéraux aux États-Unis et à l’échelle planétaire, pour mobiliser les masses de travailleur-euses et d’opprimé-es contre les politiques réactionnaires de Trump. Sans une rupture avec les politiciens démocratiques libéraux et leurs politiques, le mouvement aboutira à un cul-de-sac. Mais pour plusieurs millions de personnes, un processus d’éveil politique et de radicalisation est maintenant en marche, ce qui pourrait avoir des conséquences révolutionnaires.