Les événements violents du 12 août dernier à Charlottesville, en Virginie, avec des batailles de rue entre les forces de l’extrême droite américaine et un large contingent de contre-manifestants, marquent une nouvelle étape dans le processus de polarisation politique qui se développe en Amérique du Nord.

La terreur fasciste à Charlottesville, qui a causé une dizaine de blessés et le meurtre de Heather Heyer, une militante sympathisante de Bernie Sanders, n’est pas un événement isolé, mais l’expression de la crise profonde du capitalisme.

Les événements de Charlottesville nous montrent le danger que représente l’extrême droite et devraient servir d’avertissement pour toutes les organisations de la classe ouvrière et de la gauche au Canada et aux États-Unis. L’extrême droite gagne en force et s’affiche ouvertement, mais sa force ne doit pas être exagérée. Il nous faut comprendre ce qui s’est passé et ce que cela signifie, étudier la montée de l’extrême droite, et nous préparer à lutter contre elle.

Polarisation à droite et à gauche

Tandis que la crise du capitalisme se développe, les partis traditionnels de l’establishment se montrent incapables de fournir une solution. L’impasse sociale et économique a mené à l’effondrement du « centre » politique et intensifie la polarisation aigüe dans la société, à droite comme à gauche.

Aux États-Unis, tous les sondages nous montrent un intérêt croissant pour le socialisme. Le processus de polarisation à gauche se reflète dans des manifestations de masse, le mouvement Occupy, le phénomène Bernie Sanders, les mouvements comme Black Lives Matter, la croissance des Democratic Socialists of America et des autres courants, tendances et groupes de gauche.

La polarisation à droite, elle, s’est reflétée dans la montée de la soi-disant droite alternative (« alt-right ») et l’émergence de groupes fascistes et d’extrême droite. Ces groupes marginaux, qui tentent depuis des années de se débarrasser de leurs uniformes paramilitaires et leurs robes blanches au profit de polos et de chinos, cherchent la respectabilité derrière le masque de la droite alternative. Mais sous ce masque, les forces hideuses de l’extrême droite et du fascisme américains ont commencé à se regrouper. La victoire de Trump représentait, de manière confuse et contradictoire, l’effondrement du centre et le processus de polarisation en cours. Bien que sa victoire était le reflet d’un sentiment anti-establishment chez beaucoup de personnes, elle a également produit un renforcement de l’extrême droite.

Dans les mois qui ont suivi la victoire de Trump, il y a eu une montée des attaques racistes. Des groupes ouvertement fascistes et racistes ont tenu des rencontres et des rassemblements toujours plus nombreux, faisant la promotion de la haine et provoquant la violence partout sur leur chemin.

Des contre-manifestants de toute la gauche se sont rassemblés pour confronter ces rassemblements de l’extrême droite raciste partout ou ils sont survenus. Les racistes et les fascistes viennent pour intimider et se battre contre les contre-manifestants. C’est leur but ouvertement admis.

Cela a inévitablement mené à des affrontements, et une escalade du conflit était inévitable dans cette situation. Cette escalade a culminé avec les événements de Charlottesville. Non seulement marquent-ils une nouvelle étape du processus de polarisation, mais ils vont également accélérer ce processus.

La bataille de Charlottesville

Tenue en principe pour s’opposer au retrait d’une statue confédérée, le rassemblement « Unite the Right » (« Unissons la droite ») de Charlottesville devait être une démonstration de force pour l’extrême droite et les fascistes à l’échelle nationale.

Les groupes de fiers-à-bras racistes et les voyous fascistes étaient venus pour se battre. Ils ont terrorisé Charlottesville toute la fin de semaine. Les fascistes ont marché sur l’Université le vendredi 11 août torches à la main, scandant « Vous ne nous remplacerez pas », « Les Juifs ne nous remplaceront pas » et « Le sang et le sol » (en référence au slogan nazi « Blut und Boden »), et faisant le salut nazi. Avant d’avoir terminé, cherchant frénétiquement à provoquer une effusion de sang, ils ont menacé et intimidé des paroissiens et ont entouré et battu un groupe d’étudiants venus manifester contre l’extrême droite.

Le samedi matin, juste avant le début du rassemblement « Unite the Right », des fiers-à-bras ont attaqué les contre-manifestants alors qu’ils tentaient de rejoindre la contre-manifestation.

De petites escarmouches et batailles de rue entre les voyous fascistes et les contre-manifestants ont dégénéré en affrontements ouverts et en véritables combats de rue. Après que la manifestation eut été déclarée illégale par la police et que la foule ait été dispersée, un groupe de voyous fascistes a décidé de se rendre vers des logements sociaux pour y attaquer les résidents noirs. Ceux-ci ont résisté et ont repoussé l’attaque fasciste avec l’aide des antifa et des contre-manifestants.

Les contre-manifestants ont été rejoints par un contingent de Black Lives Matter alors qu’ils retournaient vers le parc. C’est à ce moment que James Fields, dans un geste de pur terrorisme et avec l’intention de tuer autant de gens que possible, a foncé dans la foule de contre-manifestants avec sa voiture, tuant Heather Heyer et blessant 19 autres personnes.

Une nouvelle étape

Ce rassemblement « Unite the Right » avait été précédé d’un autre rassemblement semblable, mais plus petit, de la « droite alternative » à Charlottesville en mai, que la police avait rapidement dispersé suite à des affrontements avec les contre-manifestants. Diverses personnalités et groupes d’extrême droite souhaitaient une revanche et faire une démonstration de force, et ont passé des mois à organiser ce nouveau rassemblement. Des membres et sympathisants de groupes d’extrême droite se sont déplacés à Charlottesville le week-end dernier depuis les quatre coins des États-Unis, la plupart de l’extérieur de l’État selon certaines sources.

Bien que la manifestation « Unite the Right » à Charlottesville est aujourd’hui considérée comme le plus grand rassemblement de suprémacistes blancs en au moins une décennie, et malgré des mois de planification, certains médias estiment qu’il n’y avait environ qu’entre 500 et 1000 personnes présentes dans le camp fasciste. Quoi qu’il en soit, de l’avis général les contre-manifestants dominaient largement, puisqu’ils étaient au moins deux fois plus nombreux.

Toutefois, les conséquences et la signification des événements de Charlottesville ne peuvent être ignorées. Le rassemblement lui-même constitue une nouvelle étape dans le développement de l’extrême droite. Sous la bannière de la « droite alternative », différents groupes d’extrême droite mènent actuellement des efforts pour tisser des liens à une échelle régionale et nationale et se regrouper autour de slogans et d’objectifs politiques et organisationnels communs. Constituant pour l’instant de petits groupes isolés, ils tentent de former un réseau national.

Néanmoins, bien que Charlottesville signale une nouvelle étape dans le développement de l’extrême droite, il ne faudrait pas exagérer sa puissance. L’extrême droite a certainement grandi et se fait plus audacieuse, mais ses forces restent petites. Elles restent peu nombreuses malgré leur croissance, et faibles à une échelle locale comme nationale.

La signification de Charlottesville

D’un point de vue historique, le fascisme a surgi dans les années 1920 et 1930, lors de la crise du capitalisme qui a suivi la Première Guerre mondiale. Cette crise produisit partout des mouvements révolutionnaires menaçant directement le capitalisme. À un certain point, la crise révolutionnaire mène à ce que la bourgeoisie ne puisse plus diriger par les moyens parlementaires et policiers habituels. Les capitalistes ne peuvent plus freiner la classe ouvrière et maintenir leur position dirigeante sans écraser les organisations de la classe ouvrière. Détruire ces organisations et atomiser la classe ouvrière, voilà le rôle historique du fascisme.

Ce qui rendait le fascisme unique était sa base de masse que les capitalistes pouvaient utiliser comme un bélier pour écraser la classe ouvrière et détruire ses organisations, et ainsi sauver le capitalisme. Les mouvements fascistes s’appuyaient essentiellement sur la petite bourgeoisie, soit la masse hétérogène située entre la bourgeoisie et la classe ouvrière, et qui tend à tomber dans l’un ou l’autre camp. Écrasés et ruinés eux aussi par la crise du capitalisme, les petits entrepreneurs, les employés de bureau, les fonctionnaires, les petits commerçants et la paysannerie commençaient à chercher une solution. Avec l’échec des partis ouvriers à mener à bien la révolution socialiste, les masses petites-bourgeoises enragées ont commencé à regarder du côté de la réaction et à voir dans le fascisme le sauveur de la société.

Se basant sur la petite bourgeoisie enragée et les éléments déclassés de la société, le fascisme a été capable de pénétrer dans la société beaucoup plus profondément que n’importe quelle autre dictature policière ou militaire, et a pu ainsi détruire toute opposition, à tous les niveaux de la société. C’est ce qui distingue le fascisme des autres formes de réaction et de contre-révolution.

En raison du poids relatif des différentes classes aujourd’hui, la base d’appui traditionnelle du fascisme s’est érodée sous l’effet même du développement du capitalisme. Bien que les organisations fascistes sortent de plus en plus au grand jour, se regroupent, prennent des forces et s’organisent, elles restent de petites sectes isolées.

Même si elles sont composées de gens de la classe moyenne enragée ainsi que d’éléments déclassés et du lumpenprolétariat, elles ne représentent pas un mouvement de masse de la petite bourgeoisie enragée. L’extrême droite n’a aucune base de masse, et les événements de la fin de semaine dernière ont démontré qu’elle n’est même pas vraiment soutenue par un mouvement à proprement parler. L’objectif des organisations fascistes cette fin de semaine était en fait d’envoyer un message à l’État et à la classe dirigeante. Elles ont avisé la classe dirigeante qu’elles existent et qu’elles sont prêtes et disposées à la servir lorsqu’elle aura besoin d’elles à des fins réactionnaires.

Elles ont fait savoir que lorsque la classe dirigeante en aura assez des mouvements sociaux de contestation tels que Black Lives Matter, les fascistes seront prêts à les terroriser et les attaquer.

Elles ont fait savoir que lorsque la classe dirigeante en aura assez des organisations de gauche comme les groupes travaillistes, socialistes, communistes et anarchistes, les fascistes seront prêts à les terroriser et les attaquer.

Elles ont fait savoir que lorsque la classe dirigeante souhaitera se débarrasser des organisations de la classe ouvrière comme les syndicats, les fascistes seront prêts à les terroriser et les attaquer.

Combattre le fascisme

Nous devons garder un sens des proportions. Il n’y a pas de raison de craindre une montée immédiate du fascisme comme mouvement de masse. Toutefois, cela ne signifie pas que l’émergence de l’extrême droite et d’organisations fascistes ne constitue pas une menace et un danger. Bien que petites, ces organisations représentent les forces physiques de la réaction et de la contre-révolution, ce qui les rend intrinsèquement dangereuses. Les événements de Charlottesville en sont la preuve.

Étant donné l’expérience historique du fascisme en Europe pendant l’entre-deux-guerres et la Seconde Guerre mondiale, qui a vu la classe dirigeante se brûler les doigts, et dans un contexte où les changements au rapport de force entre les classes ont considérablement érodé la base sociale du fascisme, il est peu probable que la bourgeoisie remette à nouveau le pouvoir d’État aux fascistes.

Lorsque la classe dirigeante aux États-Unis ou au Canada en arrivera à la conclusion que la démocratie doit être abandonnée afin de préserver le système capitaliste, elle se servira probablement de différents moyens – mais pour ce faire elle devra d’abord vaincre la classe ouvrière. Les bandes de voyous fascistes joueront un rôle secondaire, extrajudiciaire dans la réaction et la contre-révolution, et serviront à harceler, terroriser et attaquer la classe ouvrière et ses organisations. Voilà pourquoi elles restent une menace directe, physique aux mouvements sociaux, à la gauche et aux organisations de la classe ouvrière.

L’extrême droite et les fascistes ne disparaîtront pas de sitôt. Ils ont déjà fait des menaces à l’endroit de vigiles, de rassemblements et de réunions ayant suivi Charlottesville. De nouveaux rassemblements fascistes et d’extrême droite ont été annoncés dans des villes à travers l’Amérique du Nord. Les attaques racistes et les affrontements continueront. La lutte contre l’extrême droite connaîtra des périodes de calme et d’autres plus intenses, mais le conflit va perdurer et les fascistes resteront une menace.

Les organisations de la classe ouvrière et de la gauche ne peuvent rien attendre de la police. En tant qu’institution, la police est la protectrice de la propriété privée et une composante essentielle de l’État bourgeois. Alors que s’intensifie la lutte des classes, elle deviendra la première ligne de défense de la dictature du capital. D’un point de vue de classe, les policiers ont la même fonction que les fascistes, seulement ils font leur travail de manière officielle. Cela signifie que la police n’est pas une amie de la classe ouvrière. Nous devons lutter contre la réaction avec nos propres moyens et nos propres méthodes.

La situation au Canada et au Québec n’est pas aussi développée qu’aux États-Unis, mais elle n’est pas loin derrière. La même polarisation se développe et l’extrême droite grandit ici aussi, seulement plus lentement. Donc, les événements de Charlottesville devraient servir d’avertissement pour la classe ouvrière et la gauche. Il serait extrêmement dangereux pour nous de baisser les bras et d’ignorer la situation sous le prétexte naïf que l’extrême droite et les fascistes ne grossissent pas ici au Canada et au Québec.

Nous devons nous tenir debout contre les agressions et les attaques fascistes, d’où qu’elles proviennent. Chaque fois que les fascistes sortent de leur trou, il faut les remettre à leur place. Cependant, la lutte contre l’extrême droite et les fascistes doit être une lutte sociale, faisant partie de la lutte politique plus large contre l’inégalité et l’exploitation, les salaires bas et le chômage, le racisme et la brutalité policière, et toutes les horreurs du capitalisme. Lutter contre les fascistes avec des confrontations isolées entre petits groupes va nous apporter des victoires, mais ne nous fera pas gagner la lutte des classes. Si tout ce qu’il fallait pour vaincre les fascistes était de se battre dans la rue, nous aurions gagné il y a longtemps. La classe ouvrière organisée consciemment, agissant de manière décisive et résolue, peut bloquer le fascisme naissant. La première étape serait que les syndicats canadiens et québécois organisent des manifestations de masse contre le racisme et le fascisme dans toutes les villes. Cela fournirait la base de masse et l’organisation en masse nécessaires pour affronter la menace.

Un front uni de tous les syndicats, de Québec solidaire, des organisations socialistes, communistes, anarchistes, antifascistes et communautaires, devrait être organisé. Les syndicats devraient faciliter et contribuer à mettre sur pied des contre-manifestations et des rencontres antifascistes, et fournir les ressources et les moyens pour défendre toutes les réunions et les locaux de toutes les organisations ouvrières et communautaires.

La menace grandissante que représentent l’extrême droite et les fascistes ne va pas disparaître d’elle-même. À travers la lutte commune de toutes les organisations ouvrières et communautaires, en nous fondant sur les meilleures traditions de solidarité et d’unité de classe que l’on trouve au sein des organisations de masse de la classe ouvrière, armés d’une compréhension claire de cette menace et d’un programme militant de lutte contre elle, nous serons capables de nous en débarrasser.

La lutte contre l’extrême droite et le fascisme est intrinsèquement liée à la lutte contre le capitalisme. Le racisme, l’exploitation et la misère sont des parties intégrantes du système capitaliste. Il y aura donc toujours une extrême droite sous le capitalisme.  

Dans des conditions de crise du capitalisme et à travers le processus de polarisation, les forces de l’extrême droite et du fascisme vont grossir et devenir de plus en plus virulentes. La seule manière de défaire l’extrême droite et les fascistes passe par le renversement révolutionnaire du capitalisme et la transformation socialiste de la société, ce qui nous donnera les outils pour mettre fin aux conditions de misère qui donnent naissance au racisme, à l’exploitation et aux inégalités.

– Le peuple uni jamais ne sera vaincu. Les syndicats doivent organiser des rassemblements de masse dans toutes les villes. Au racisme et au fascisme, opposons la solidarité et l’unité!

– Une attaque contre un est une attaque contre tous. Les organisations ouvrières et les groupes communautaires doivent s’organiser pour se défendre contre les menaces fascistes!

– Travailleurs et travailleuses, unissons-nous contre l’extrême-droite! Ripostons contre les fascistes! Ils ne passeront pas!