Cependant, ces élections ne sont pourtant pas comme les autres : elles émergent au sein du plus grand conflit étudiant, syndical et populaire de l’histoire du Québec. En effet, dans les quatre derniers mois, il y a eu les quatre plus grandes manifestations de l’histoire du Québec, et même du Canada. La hausse des frais de scolarité devient de facto un enjeu central pour cette campagne. Les médias de masse, contrôlés par de riches Québécois, financent des sondages, payent des éditorialistes, composent des messages qui tentent de nous faire croire que ce qui se passe dans la rue n’est point significatif, que la population n’adhère pas à ce mouvement et que ce n’est qu’une minorité étudiante anarchiste et violente qui manipule la majorité de distingués étudiants-es. La défaite du Parti libéral serait une victoire pour les étudiants-es.

Tous les acteurs politiques prennent leur place dans ce paysage chaotique. Charest se dresse en bon père de famille faisant régner l’ordre dans sa petite province. Marois, qui d’un côté est apparemment plus à l’écoute des citoyens selon elle-même, de l’autre, en bonne personne sage, ne cède pas complètement à la violence de la rue. Quant à Legault, il affirme vouloir mettre de l’ordre dans les finances et serrer la ceinture de nos gros contribuables… Bref, tous espèrent avoir la bonne ligne politique qui est souvent visible au travers des « sondages » dits scientifiques .Une chose est certaine, les trois partis qui aspirent au pouvoir comprennent que la situation économique nationale et mondiale les forcera à couper dans les services sociaux et à encore mettre en œuvre des mesures fiscales qui défavoriseront l’ensemble de la population. Ces élections sont particulièrement importantes dans ce contexte de conflit social. Comment voir clair dans ce monde d’images tronquées, de paroles vides et de fausses promesses ?

Situation économique

Les plates-formes électorales et les engagements promis par les partis politiques reposent sur les capacités à les accomplir. Un parti politique de gauche qui offre la gratuité scolaire, la construction de logements subventionnés,… ou un autre de la droite qui aspire à une privatisation d’Hydro-Québec, une taxe santé et une réduction d’employés-ées de l’État doit expliquer de tels choix. Se faisant, il légitimera la nécessité de ces projets par la conjoncture économique nationale, et cette dernière est conditionnée par la mondialisation. Il est donc important de comprendre comment l’économie mondiale se comporte.

L’économie québécoise et canadienne dépend grandement de l’exportation de ressources premières ou de produits transformés aux États-Unis, donc la vitalité économique américaine influence grandement la nôtre. Comme nous le savons déjà, nos voisins du sud se heurtent à la plus grande crise économique depuis la Grande dépression des années 30, ce qui a valu le triste titre  de « the food-stamp president » à l’actuel président des États-Unis. Sous la présidence de ce dernier, jamais autant d’étatsuniens-ennes n’ont eu besoin de timbres pour s’approvisionner en nourriture aux banques alimentaires. Le taux de croissance du PIB et le taux de production sont de peine et de misère dans le positif, ce qui crée une diminution d’importation de produits canadiens, les produits relatifs aux énergies fossiles étant une exception. Au niveau européen, la situation n’est guère plus reluisante. L’Allemagne, le FMI, la Banque Mondiale s’épuisent en sauvetages économiques de pays tels la Grèce, l’Espagne, l’Italie et j’en passe. L’économie mondiale est en grave danger.

Après la crise de 2008, la majorité des États ont dû financer les grandes compagnies et les banques au bord de la faillite, ce qui accentua la dette intérieure de chacun de ces pays. La réponse des gouvernements et de leurs conseillers financiers pour tenter de redémarrer le tout et de payer ces immenses dettes fut de couper dans les services sociaux du peuple.

On a vu l’austérité être forcée dans ces même pays. Ce n’est pas une coïncidence si l’on voit des mouvements étudiants comme au Québec et au Chili, des mouvements syndicaux comme les grévistes en Espagne, des grèves générales en Grèce ou des mouvements de contestations politiques en Russie et au Mexique éclater un peu partout. Après 2008, les gouvernements, de gauche comme de droite, ont tous emprunté la route de l’austérité. Au Québec, comme au Canada, on voit nos gouvernements choisir ce même parcours. Ce n’est pas seulement pour des raisons politiques que les conservateurs brisent les syndicats de Poste Canada, d’Air Canada ou que le PLQ impose des hausses de tarifs dans presque toutes les sphères sociales de l’État. Tout n’est pas le fruit de leur idéologie néolibérale, mais bien de la conjoncture économique générée par l’économie mondiale. Sinon comment expliquer que des partis socialistes en Grèce, en Espagne et maintenant en France poursuivent ce même agenda de réductions des services de l’État.

Aux élections québécoises, les trois partis qui aspirent au pouvoir savent que s’ils ne veulent pas entrer en conflit avec le Capital, ils devront continuer dans le même sillon économique que celui creusé par Jean Charest et son équipe d’hommes et de femmes d’affaires.

Mouvement historique

Dans ce contexte économique, on voit que la population n’accepte pas si facilement cette diminution de son niveau de vie, et le mouvement de grève étudiante en est le premier symptôme. Après plus de sept mois de mobilisation monstre et de luttes acharnées, les étudiants-es  n’ont toujours pas eu gain de cause. Le gouvernement a épuisé toutes ses tactiques pour casser le mouvement étudiant qu’il a d’abord ignoré, puis matraqué, ensuite contré aux injonctions et finalement, assailli d’une loi spéciale. Le mouvement n’a tout simplement pas capitulé, et son appui populaire n’a fait que croître. Pour le gouvernement, il ne reste plus que des élections pour montrer aux contestataires que sa décision reflète celle de l’ensemble de la population québécoise. La hausse des frais de scolarité devient l’un des enjeux centraux de la campagne électorale 2012.

Avant le déclenchement des élections, la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) a présenté un manifeste exposant clairement la voie à suivre pour le mouvement étudiant soit celle de la démocratie directe et non celle de la démocratie représentative, elle se place alors en rupture face au parlementarisme. Chose certaine, elle semble vouloir continuer le combat malgré les élections, ce qui est la meilleure position à prendre avec ce déclenchement des élections. La CLASSE, comme à l’habitude, explique que c’est à ses membres de décider de la direction à suivre face au scrutin, mais pourtant les dirigeants-es semblent tendre vers l’abstention. Il est vrai que les partis n’ont pas pris une position sérieuse vis-à-vis le conflit étudiant. Marois souhaite une hausse des frais de scolarité — mais nous avons malgré tout pu voir un carré rouge épinglé sur ses vestons— et elle caractérise le mouvement comme étant violent. Québec solidaire a scandé que ceux qui brisaient des vitrines étaient des criminelles et le lendemain, il appelait à la désobéissance civile.

Le prix à payer pour l’opportunisme des partis de gauche et des dirigeants syndicaux est la désillusion des gens face à la politique. Malgré ceci, on est en droit de se questionner après sept mois de combats acharnés si une défaite des libéraux et une augmentation des sièges au parlement pour Québec solidaire serait vraiment une victoire pour le mouvement des grévistes. Oui ! Avec un gouvernement solidaire, la hausse serait abolie et le Québec entamerait une période de réduction des frais de scolarité, ce qui est loin de la hausse de 82% proposée par les libéraux. De plus, il faut se rappeler que le PQ espère quand même après des états généraux hausser les frais de scolarité. Il est essentiel de mentionner que, peu importe le parti élu au parlement, le mouvement étudiant ne doit pas accepter de simples promesses et doit être prêt à continuer la lutte si la hausse est maintenue et si l’État n’a pas choisi de se diriger vers la gratuité scolaire.

Pour ce qui est de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) et de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), ils ne semblent pas privilégier la continuation de la grève. Éliane Laberge, présidente de la FECQ, a affirmé publiquement que ce ne serait pas dans l’intérêt de ses membres de demeurer en grève. De plus, l’ancien président du syndicat collégial et maintenant candidat pour le Parti québécois, Léo Bureau-Blouin, a exprimé le souhait d’une trêve de la part du mouvement étudiant. Pour sa part, la FEUQ se concentre sur la participation des étudiants aux élections, elle veut que le mouvement de contestation se canalise dans les urnes et elle espère que les libéraux essuieront l’échec.

Bref, le parti le plus proche du mouvement étudiant est Québec solidaire. Cependant, il semble déchiré entre un certain conformisme aspirant au pouvoir et des positions favorables à la rue. Si ce parti veut vraiment être pris au sérieux par le mouvement étudiant et les autres mouvements de contestation à venir, il doit —clairement— indiquer qu’il est prêt à sortir du système économique présent qui asphyxie de plus en plus le peuple. Les syndicats devraient donner leur appui à QS et se mobiliser aux côtés de ce dernier, car après les étudiants-es ce sera le tour des travailleurs-euses de subir de nouvelles coupures et attaques. Malgré l’offre d’un moratoire et d’états généraux, le Parti québécois ne représente pas une alternative pour le mouvement, car fondamentalement, ce parti privilégiera les conseils de banquiers au détriment de ceux qui prennent la rue.

Québec solidaire, une réelle alternative ?

En ces temps de crises économiques, un grand fossé semble se dessiner partout dans le monde entre les partis prêts à écouter les marchés et ceux prêts à écouter le peuple. Cette polarisation est parfaitement visible dans les pays où la crise est plus avancée. Il n’existe plus de position mitoyenne. En France, Holland devra choisir entre les intérêts des travailleurs-euses français-es et ceux de leurs patrons-onnes. Le Québec n’échappe pas à cette dichotomie. Pour que Québec solidaire devienne une véritable alternative, il devra d’abord s’allier organiquement avec ceux et celles qu’il aspire représenter soient les syndicats et les groupes communautaires. Il faut mentionner qu’une alliance serait réellement bénéfique à Québec solidaire que si les travailleurs- euses reprennent possession de leurs organes de luttes. Il faut que les syndicats redeviennent de vrais outils représentatifs de leurs membres et ils doivent s’inscrire dans une perspective de syndicalisme de combat. Cette alliance entre le mouvement social et politique permettrait une véritable représentation des intérêts de ceux et celles qui combattent sur le terrain économique et social à chaque jour. Deuxièmement, Québec solidaire doit être prêt à entrer en conflit direct avec le Capital. Dans son programme, plusieurs mesures progressives sont mentionnées telles la hausse de la taxe sur le Capital, la socialisation des ressources premières, la gratuité scolaire, la gratuité des transports publiques, etc. Toutes ces mesures entraineront d’immenses contestations de la part des plus nantis du Québec.

Aujourd’hui, dans la société dans laquelle nous vivons, un refus de l’austérité peut mener au seuil d’une révolution : à la sortie de l’économie capitaliste. Ce combat contre la classe possédante ne peut pas être simplement mené au parlement, il faut que les organisations qui représentent le peuple se mobilisent pour mettre de la pression dans leur milieu de travail et dans la société en général. On ne peut pas combattre l’austérité sans être prêt à faire la grève, à manifester et à se mobiliser. Ceci doit être claire, car sinon tous les prochains gouvernements de gauche seront obligés de faire comme les autres auparavant soit d’instaurer des mesures régressives, comme en Ontario suite à l’élection du NPD dans les années 90.

Pour conclure, dans ces élections, la seule alternative pour le mouvement étudiant est un vote pour Québec solidaire. Si les libéraux sont réélus, le combat contre la hausse deviendra de plus en plus difficile, c’est pourquoi il est primordial d’accorder de l’importance à cette élection . L’une des premières tâches du mouvement devrait être de se mobiliser contre les libéraux, mais cela étant dit, la défaite du Parti libéral n’est pas réellement garante d’une victoire. Les étudiants-es doivent rester mobilisés-ées et être prêts-es à entrer en conflit si leurs demandes ne sont pas écoutées, et avec le PQ ce moment ne serait reporté que de quelques mois et même quelques semaines. Québec solidaire reste la meilleure alternative, c’est pourquoi la Tendance marxiste internationale encourage les travailleurs-euses et les étudiants-es à voter pour Québec solidaire. Son élection ne serait pas une fin en soi, le mouvement étudiant, comme tous les autres mouvements syndicaux, devront mettre de la pression sur Québec solidaire pour qu’il réalise, et même surpasse, les promesses de son programme.