Nous publions l’éditorial de nos camarades français du journal Révolution (www.marxiste.org), portant sur le mouvement de grève entamé le 5 décembre dernier, et qui est toujours en cours.

À l’heure où nous écrivons ces lignes, l’issue de la lutte engagée le 5 décembre est incertaine. Le gouvernement affiche sa détermination à maintenir les éléments fondamentaux de sa « réforme » des retraites (en réalité, une contre-réforme). En face, les travailleurs mobilisés font preuve d’un courage et d’une combativité exemplaires.

Quelle que soit l’issue immédiate de cette lutte, les cheminots et les agents de la Régie autonome des transports parisiens (RATP) – la colonne vertébrale du mouvement – sont en train de montrer à toute la classe ouvrière comment elle doit se battre. C’est un acquis de ce mouvement, qui aura des effets sur le cours de la lutte des classes, à l’avenir.

Une grève populaire

Un conflit de cette nature élargit le gouffre entre les deux principales classes sociales de notre pays : la bourgeoisie et le salariat. La première soutient totalement son gouvernement et le fait savoir chaque jour dans ses médias, par la bouche de ses journalistes. Jour et nuit, c’est une pluie battante de mensonges et de calomnies. La casse des retraites y est présentée comme le nec plus ultra de la « justice » et du « progrès social », la grève comme l’œuvre de « privilégiés » sans foi ni loi.

Malgré ce flot continu de propagande réactionnaire, la grève bénéficie d’un solide soutien dans la masse du salariat. Ce n’est pas étonnant. Les travailleurs n’ont pas eu besoin de lire le rapport Delevoye pour savoir que cette réforme va dans le même sens que toute la politique du gouvernement Macron : elle vise à enrichir davantage les plus riches – au détriment des autres, à commencer par les plus pauvres.

Le gouvernement a bien tenté de semer la confusion en ne révélant qu’une partie de sa réforme. Mais il ne faut pas prendre les travailleurs pour des imbéciles. Personne ne peut croire que, soudainement, le Président des Riches lutte avec acharnement pour améliorer le sort des pauvres et des travailleurs.

Quel rapport de force ?

S’il est possible que le gouvernement remporte cette bataille, ce n’est donc pas parce qu’il a convaincu une majorité de travailleurs. C’est parce qu’à ce jour, début janvier, le niveau de mobilisation de notre classe dans la grève reconductible est insuffisant pour faire reculer le gouvernement. Comme nous l’écrivions le 12 décembre, « Macron ne reculera que si le mouvement de grèves reconductibles gagne sans cesse de nouveaux secteurs du salariat, c’est-à-dire si le gouvernement redoute que la lutte de masse devienne incontrôlable et s’oriente vers une grève générale illimitée – autrement dit, vers une crise révolutionnaire ».

Cela peut paraître exagéré, mais c’est pourtant la conclusion qui découle de l’expérience des vingt dernières années – et singulièrement des grandes luttes de 2010 et 2016. La crise organique du capitalisme pousse la classe dirigeante française à s’attaquer à toutes nos conquêtes sociales. Elle l’y oblige, même. Dans cette offensive implacable, la bourgeoisie est prête à affronter vents et marées.

À elle seule, la grève des cheminots et des agents de la RATP ne peut pas faire céder le gouvernement. Ces travailleurs, aussi combatifs soient-ils, ne peuvent pas tenir indéfiniment. Le gouvernement le sait et table sur un reflux graduel de la mobilisation dans les transports. La clé de notre victoire, ce n’est donc pas tant la durée du mouvement que son extension rapide à d’autres secteurs de l’économie. Si la grève dans les raffineries se développe et se consolide, cela pèsera lourd dans la balance, bien sûr, mais il est peu probable que cela suffira. Il faudra sans doute que d’autres secteurs – dans le public et dans le privé – entrent dans l’action d’une façon telle que le gouvernement redoutera un embrasement général. Une mobilisation massive de la jeunesse étudiante et lycéenne contribuerait à cette dynamique.

Quelle stratégie?

Nous rejetons fermement les attaques visant la CGT qui viennent de la droite et du gouvernement. À travers la CGT, ces attaques visent les éléments les plus combatifs de notre classe. Cependant, cela ne nous empêche pas de formuler des critiques sur la stratégie et le programme de la direction de la CGT. Ce faisant, notre seul objectif est de dire quelles sont, selon nous, les conditions de la victoire.

Le 19 décembre dernier, Philippe Martinez (CGT) annonçait une nouvelle « journée d’action interprofessionnelle » pour le 9 janvier. Sans appeler à une « trêve » pour les fêtes, Martinez renvoyait de facto à dans trois semaines l’extension éventuelle du mouvement. Ceci a créé un malaise compréhensible à la base du mouvement, et notamment parmi les grévistes de la RATP et de la SNCF, qui avaient déjà cumulé 14 jours de grèves.

La grève des transports a tenu bon pendant les fêtes. Des manifestations très combatives ont même été organisées. Mais la question des perspectives de la lutte reste posée. Il ne suffit pas de dire que « le mouvement se poursuivra » tant que le gouvernement n’aura pas reculé, car ce n’est pas une perspective réaliste. Encore une fois, face au mouvement actuel, qui ne mobilise dans la grève qu’un petit nombre de secteurs, le gouvernement ne cèdera pas. Il tablera sur l’épuisement des grévistes. Voilà ce que la direction de la CGT devrait expliquer systématiquement à tous les travailleurs.

Mieux : la direction de la CGT aurait dû l’expliquer bien avant le 5 décembre, dans le cadre d’une vaste campagne d’agitation dans l’ensemble du salariat. Au cours de cette campagne, les militants de la CGT auraient pu se faire une idée précise de la combativité relative des différents secteurs. Puis, si les conditions en étaient réunies, la confédération aurait pu élaborer un plan de bataille précis, visant à mobiliser en priorité les secteurs les plus disponibles, puis à entraîner les autres dans le mouvement, etc.

Rien de tout cela n’a été tenté, ni même envisagé. Par contre, pendant 18 mois, la direction de la CGT a participé à d’innombrables réunions de « concertation » avec le gouvernement. Pour Macron, l’unique objectif de ces réunions consistait à faire croire aux masses que le gouvernement « discute », « écoute », « négocie » – bref, que la « démocratie sociale » bat son plein, et que le peuple n’a donc pas besoin de se préparer au combat.

La direction de la CGT ne doit plus aller à ces réunions. C’est contre-productif. Elle doit se tourner vers les masses, leur expliquer les conditions de leur victoire et tout faire pour étendre la grève à de nouveaux secteurs. Le temps presse!

Quel programme?

L’autre faiblesse de la direction du mouvement, c’est son programme. En limitant l’objectif du mouvement au seul retrait de la réforme des retraites, les dirigeants de la CGT et des partis de gauche limitent le potentiel de la lutte. En effet, pour beaucoup de travailleurs, se mobiliser dans une grève reconductible implique d’assumer non seulement des pertes de salaires, mais aussi de possibles sanctions. Donc, il faut que le jeu en vaille la chandelle. Or sur la réforme des retraites, le gouvernement a pris soin de donner des « garanties » aux travailleurs les plus âgés. Quant aux travailleurs les plus jeunes, ils hésitent à se mobiliser contre une attaque dont les effets ne les menacent pas immédiatement, alors qu’ils ont bien d’autres problèmes brûlants.

Dans un contexte de profonde crise du capitalisme et de régression sociale généralisée, la plupart des travailleurs comprennent que la lutte contre telle ou telle contre-réforme ne suffira pas à régler leurs problèmes. Beaucoup sympathisent avec le mouvement actuel, mais ils aspirent à un changement radical. Pour mobiliser ces couches de salariés dans un mouvement aussi dur qu’une grève reconductible, il faut leur ouvrir la perspective d’un profond changement. Autrement dit, la lutte doit se mener sur la base d’un programme offensif (et non seulement défensif), qui vise une amélioration rapide et significative du niveau de vie des masses. Par ailleurs, comme il est clair que le gouvernement Macron ne réalisera pas un tel programme, celui-ci doit être couronné par l’objectif de renverser le gouvernement et de le remplacer par un gouvernement « du peuple » – c’est-à-dire des travailleurs.

Ceci n’a rien d’utopique. Dans le contexte actuel, c’est même la seule stratégie et le seul programme qui soient réalistes. L’expérience le démontrera.