Le 12 novembre dernier, la mairesse « progressiste » de Montréal, Valérie Plante, a dévoilé le budget de la Ville pour 2021 qui prévoit entre autres d’augmenter le budget de la police de 14 millions de dollars. Étant donné que la mairesse Plante avait laissé entendre qu’elle était ouverte à définancer la police au cours de l’été, beaucoup de ceux qui ont lutté contre la brutalité policière au cours des derniers mois se sentent maintenant déçus et trahis. Comment en sommes-nous arrivés là?
Mouvement de masse contre le racisme et la police
Cet été, nous avons assisté à un mouvement de masse qui a secoué les États-Unis à la suite du meurtre de George Floyd par la police en mai dernier. Des millions d’Américains ont été radicalisés pratiquement du jour au lendemain et sont descendus dans la rue pour protester contre la brutalité policière et le racisme dans ce qui est l’un des plus larges mouvements de l’histoire des États-Unis. La colère des travailleurs et des jeunes s’est exprimée par des slogans comme « Définançons la police » et même « Abolissons la police ». Des groupes comme Black Lives Matter ont mis de l’avant l’idée de réduire les budgets de police gonflés et d’investir cet argent dans les services sociaux et communautaires.
La lutte héroïque contre le racisme et la police a touché une corde sensible chez les travailleurs et les peuples opprimés partout, y compris au Québec et au Canada. Montréal, en particulier, a été le théâtre de larges manifestations contre la brutalité policière et le racisme, avec des milliers de participants. Ces événements, qui ont entraîné des millions de travailleurs et de jeunes dans l’action, ont eu un énorme impact sur les consciences. Au plus fort du mouvement, en juillet, un sondage montrait que 51% des Canadiens étaient favorables au définancement de la police.
Comme on pouvait s’y attendre, l’establishment politique a subi des pressions pour apaiser le mouvement. Interrogée sur la question du financement de la police, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, a déclaré en juin : « Il y a plusieurs bonnes idées qui sortent des rues de Montréal actuellement. Je suis heureuse qu’on puisse avoir cette conversation. » Évitant la question, Plante a plutôt promis de rendre les caméras corporelles obligatoires pour les agents du SPVM, malgré avoir été opposée à cette idée par le passé. Elle a déclaré que « tout cela fait partie des outils dont nous avons besoin pour mieux maîtriser la potentielle discrimination systémique ». Comme si ce n’était qu’une possibilité de discrimination et non un fait quotidien!
Cependant, le mouvement de masse a créé une pression non seulement de la gauche, mais aussi de la droite. Sans surprise, la Fraternité des policiers de Montréal s’est prononcée fermement contre le définancement de la police en août, affirmant que cela mettrait la sécurité publique en danger. La table était mise, et le budget allait être l’occasion de voir de quel côté Projet Montréal, le parti de Valérie Plante, allait pencher.
Le budget réactionnaire de la Ville de Montréal
Depuis l’été, une coalition d’environ 57 groupes communautaires demande le définancement de du SPVM par 50%, et le réinvestissement de l’argent dans leurs communautés. Or, lors du dévoilement du budget 2021 de Montréal le 12 novembre dernier, Valérie Plante a révélé qu’elle prévoyait augmenter les dépenses policières de 14 millions de dollars, tout en réduisant le budget du logement de 13 millions de dollars – au moment même où les sans-abri et les campements de fortune se multiplient à Montréal! Cela a déclenché la colère de militants, qui ont organisé une manifestation dans l’édifice où le budget était dévoilé en scandant « No justice, no peace, defund the police» (« pas de justice, pas de paix, définançons la police! ») Comme l’a dit une des manifestantes, Marhilan Lopez : « Nous avons des communautés qui n’ont pas assez de services sociaux et de santé, pas d’investissements, mais il y a beaucoup d’investissements dans la police. »
Tout cela s’est produit deux semaines seulement après le meurtre par la police de Sheffield Matthews dans l’arrondissement Notre-Dame-de-Grâce à Montréal. Matthews brandissait un couteau pendant une crise de santé mentale et s’est approché de la police « de manière menaçante », ce qui a suffi pour que la police le tue. Deux jours plus tard seulement, le 31 octobre, un homme blanc, Carl Girouard, a assassiné deux personnes à Québec et en a blessé cinq autres avec une épée, mais la police a réussi à l’arrêter sans le blesser. Avons-nous besoin d’un meilleur exemple du racisme de la police?
En plus d’augmenter le budget de la police, nous avons vu le gouvernement municipal minimiser le problème du racisme policier à Montréal. La présidente du comité exécutif de Projet Montréal a déclaré le 18 novembre : « On ne veut pas définancer pour définancer. D’ailleurs, on n’a pas la même situation que nos voisins plus au sud. » Cet argument n’est qu’une version remaniée du déni du racisme systémique au Québec par la droite. Plutôt que de se ranger du côté des opprimés, Projet Montréal s’est déplacé vers la droite, faisant écho aux arguments de la CAQ et de François Legault.
Pas de capitalisme sans police
Comment se fait-il que Valérie Plante, une mairesse prétendument de gauche, ait emprunté cette voie?
Malcolm X disait : « Pas de capitalisme sans racisme ». Cela devient de plus en plus évident pour beaucoup de gens aujourd’hui. Cependant, on peut tout aussi bien dire : « Pas de capitalisme sans police ».
La police n’existe pas pour elle-même, elle remplit une fonction sociale nécessaire dans la société capitaliste. Au bout du compte, le capitalisme va toujours avoir besoin d’une police qui protège les intérêts de la classe dirigeante. C’est la police qui est appelée à défendre les injonctions contre les travailleurs en grève. C’est la police qui est appelée à réprimer toute manifestation contre le statu quo, qu’elle soit organisée par des travailleurs, des étudiants ou des groupes opprimés. De plus, ces institutions reflètent nécessairement les pires préjugés présents dans la société en général. Ce n’est pas si difficile à comprendre. Si le rôle d’une institution est de réprimer les parties de la population ripostent au statu quo, la tâche est facilitée si elle a déjà une opinion négative d’elles. L’idéologie raciste sert à entretenir une confusion idéologique et à créer des boucs émissaires. Elle permet de détourner la colère de la classe ouvrière en montant les travailleurs les uns contre les autres. La police n’est que l’outil de répression physique qui vient compléter les idées racistes. Tout cela sert à protéger les intérêts de la classe dirigeante. Par conséquent, pour lutter efficacement contre le racisme et la police, nous devons nous battre pour renverser le système qui a besoin des deux – le capitalisme.
Nous en arrivons à la racine du problème. Valérie Plante et la direction de Projet Montréal n’ont aucunement l’intention de rompre avec le capitalisme. C’est pourquoi ils sont obligés d’accepter la nécessité d’un corps policier, et d’accepter de se plier aux pressions des institutions policières qui demandent une augmentation de leur budget. C’est pourquoi il ne faut pas avoir d’illusions dans la possibilité de définancer la police sous le capitalisme. Ceux qui souhaitent abolir la police devraient combiner cette lutte à celle pour le renversement du système capitaliste qui nécessite une police raciste pour se maintenir.
Ce n’est qu’en renversant le capitalisme dans son ensemble et en prenant le contrôle de toute la richesse de la société que nous pourrons commencer à investir de manière significative dans nos communautés et dans nos programmes sociaux délabrés. Au lieu de laisser des milliards de dollars dormir dans des comptes en banque, nous pourrions investir massivement dans l’éducation, la santé et le logement. Comme nous pouvons le voir, le capitalisme est incapable de le faire, et investit plutôt dans la police pour « résoudre » le problème de la criminalité et de la pauvreté par la violence et l’oppression de l’État. Le mouvement syndical doit lutter aux côtés des opprimés contre le système capitaliste et se donner comme but la transformation socialiste de la société. C’est ainsi que les bases sociales sur lesquelles s’appuient la police et l’oppression pourront commencer à disparaître.