Avec l’arrivée des élections provinciales en automne 2018 et confronté au risque de se retrouver au rang de deuxième parti d’opposition au parlement, le Parti québécois cherche toujours à se trouver une identité lui permettant de monter dans les sondages. Le chef du parti, Jean-François Lisée, s’est fait élire en octobre 2016 en courtisant l’électorat conservateur du parti : des attaques sur la communauté musulmane québécoise étaient en effet de mises. Il a ensuite cherché à former une alliance avec Québec solidaire, proclamant que la grande famille des partis progressistes devait s’unir pour vaincre le Parti libéral du Québec. C’était alors le tour du virage vert du PQ, le parti se fit le grand défenseur de l’énergie renouvelable et s’opposa à l’exploitation pétrolière.

Toujours en troisième place dans les sondages, le PQ veut maintenant tenter sa chance en reprenant sa vieille image de parti social-démocrate en promettant « un État fort au service des gens, un État fort pour réussir l’indépendance ». Lors de son dernier congrès, en septembre 2017, le parti a pris position en faveur du renforcement des dispositions anti-briseurs de grève et contre la délocalisation et les fermetures visant à empêcher la syndicalisation d’un lieu de travail. Cependant, on peut trouver un exemple flagrant de la contradiction entre les dires et les actes du PQ en jetant un simple regard sur le nouveau président du Comité national des jeunes du Parti québécois, Marc-André Bouvette.

En effet, en plus d’être président du CNJPQ, Bouvette occupe aussi l’emploi de directeur des ressources humaines à l’usine de Delastek, un fabricant de pièces servant de sous-traitant à Bombardier, à Shawinigan. Les ouvriers de cette entreprise sont en grève depuis que leur convention collective est arrivée à échéance le 1er avril 2015; il s’agit de la plus longue grève en cours au Québec.

Les litiges portent sur l’utilisation de travailleurs non syndiqués par l’entreprise, une meilleure représentation syndicale pour les questions de santé-sécurité, les assurances et le libre choix des périodes de vacances. Le salaire des travailleurs est aussi un enjeu. Les deux tiers des travailleurs n’ont qu’un salaire d’environ « 10$ et quelques » par heure au début du conflit, selon Renaud Gagné, directeur québécois d’Unifor-FTQ, ce qui est très bas dans ce type d’industrie.

Les ouvriers ont dû subir des pressions immondes de la part de Claude Lessard et de Lucie McCutcheon, les deux propriétaires, qui n’ont pas hésité à ouvrir de nouvelles usines aux États-Unis et au Mexique, à embaucher des briseurs de grève, à intimider les grévistes et même à exploiter des travailleurs migrants dans l’usine sous le prétexte de les former pour d’autres usines.

Des 50 ouvriers qui ont démarré la grève, il n’en reste que 38. Le litige continue, car l’employeur ne veut reprendre que 18 de ces employés. Les 20 autres travailleurs ont été congédiés. Cependant, le syndicat Unifor-FTQ a amené la cause devant le Tribunal administratif du travail qui a annulé ces vingt congédiements.

Le tribunal a qualifié les actions de Delastek d’antisyndicales, de mauvaise foi et d’hostiles envers toute négociation. Les abolitions de postes des ouvriers renvoyés sont décrites comme des tentatives de forcer les travailleurs à quitter leur syndicat. Sans compter que Delastek a été reconnu responsable d’avoir contrevenu aux dispositions anti-briseurs de grève quatre fois depuis le début de la grève.

Les tâches du directeur des ressources humaines consistent notamment à s’occuper des embauches, des congédiements et des licenciements, mais aussi à s’occuper des enjeux liés aux conflits de travail entre les patrons et les ouvriers. Marc-André Bouvette est donc, en pratique, le porte-parole des patrons dans leurs négociations avec les travailleurs. Bouvette n’est dès lors pas un agent neutre cherchant le consensus, comme il l’a prétendu, mais bien le défenseur des propriétaires aux dépens des intérêts des ouvriers; les actions prisent par Delastek et appliquées par Bouvette en sont un exemple flagrant.

Ironiquement, la nouvelle au sujet de Bouvette est sortie au moment même où le député et porte-parole du PQ en matière de travail, Guy Leclair, se rendait en Mauricie pour appuyer les travailleurs de l’Aluminerie de Bécancour en lock-out. Nous n’en sommes pas à une contradiction près!

Bouvette ne semble voir aucune contradiction entre le fait d’être membre d’un parti supposément social-démocrate et de défendre les intérêts des patrons contre leurs travailleurs dans l’entreprise Delastek. Il ne voit pas de contradiction à avancer qu’il défend le salaire minimum à 15$ de l’heure, tout en étant au service de patrons qui imposent le salaire minimum actuel à leurs employés. Bouvette a plutôt tenté de séparer sa profession de son poste au sein du PQ : « à titre de coordonnateur des ressources humaines, j’œuvre, entre autres fonctions, à une résolution du conflit et à la satisfaction de toutes les parties. Il s’agit là de l’exercice de ma profession, et non pas de mes implications politiques. À titre de président de l’aile jeunesse du Parti québécois, j’adhère aux valeurs et à la vision du Comité national des jeunes et du programme du Parti québécois. »

Certains pourraient trouver que le cas de Marc-André Bouvette est un peu anecdotique, et qu’il ne représente pas le parti dans son ensemble. Mais le cas de Marc-André Bouvette s’inscrit dans un contexte plus large de virage à droite du PQ, un processus qui dure depuis plusieurs décennies. Nous l’avons vu avec le saccage des droits syndicaux et des salaires des employés de la fonction publique dans les années 80, l’obsession du parti pour le déficit zéro à partir du milieu des années 90, les mesures sauvages utilisées contre les infirmières en grève en 1999 par le gouvernement de Lucien Bouchard, l’élection de Pierre-Karl Péladeau à la chefferie du parti en 2014, etc. Le PQ tente encore aujourd’hui la mission impossible de garder au sein du parti des défenseurs des patrons tout en cultivant par moment son image sociale-démocrate. La contradiction est de plus en plus flagrante aux yeux d’un nombre grandissant de personnes, et le parti perd des appuis à sa gauche et à sa droite. Le PQ n’est plus capable, comme par le passé, de concilier au sein du parti des intérêts de classe divergents.