Le 1er octobre prochain, les électeurs québécois se rendront aux urnes. Avec la CAQ en première place des sondages, ça regarde mal pour la classe ouvrière. Le « changement » proposé par François Legault marquera une accélération du programme de destruction des services sociaux, d’attaques sur les syndicats et de démantèlement du « modèle québécois » établi lors de la Révolution tranquille. Pendant ce temps, nous avons vu une résurgence de la lutte des classes cette année avec des votes de grève massifs et de nombreuses grèves importantes. La question se pose alors : où est la voix de la classe ouvrière dans cette élection?

La classe ouvrière québécoise possède de riches traditions de luttes de classe militantes. Au cours des dernières années, ces traditions ont commencé à réapparaître. Toutes les manifestations majeures de mécontentement (les grèves étudiantes, les manifestations de masse, les grèves générales, etc.) étaient centrées sur des revendications de classe. Durant la période de 2011 à 2015 en particulier, nous avons assisté à une intensification de la radicalisation des travailleurs et de la jeunesse qui ont combattu les attaques du gouvernement par la grève étudiante de 2012 et la grève générale du secteur public en 2015.

Puis, nous avons vu une accélération de la lutte des classes au cours de la dernière année. Il s’agit d’une occasion fantastique de faire des revendications et des luttes de la classe ouvrière un enjeu central des élections. Le faire permettrait de démasquer la CAQ qui tente de se donner une image de parti du peuple et du changement.

La colère bouillante de la classe ouvrière doit être canalisée vers la gauche

Sous la surface de la société, la colère s’accumule. Celle-ci se manifeste de différentes manières. Notamment, elle se reflète par une haine envers les partis de l’establishment et leur baisse dans les sondages. Au cours des dernières décennies, le soutien pour les partis traditionnels au Québec a chuté. Dépassant les 80 et même 90 % durant les années 90, les appuis pour le Parti libéral et le Parti québécois combinés sont désormais à moins de 50 %, s’élevant à 46 % lors du dernier sondage de la firme Mainstreet. Le perdant principal est présentement le PQ qui pourrait facilement se retrouver avec une poignée de sièges seulement.

Mais pourquoi est-ce principalement la CAQ, ce parti réactionnaire, qui tire profit du mécontentement? Après tout, le chef de la CAQ, François Legault, n’est-il pas le plus grand défenseur de l’austérité?

Québec solidaire, qui a été formé en 2006, est le premier parti de gauche sérieux dans la province depuis les années 60. Toutefois, QS s’est révélé incapable de saisir les occasions qui se sont présentées. Quand le leader de la grève étudiante de 2012, Gabriel Nadeau-Dubois, a rejoint le parti en 2017 et a dénoncé la classe politique qui a « trahi le Québec » pendant 30 ans, le parti a gagné de l’énergie et a monté dans les sondages et des milliers de Québécois ont joint le parti. Dans les mois qui ont suivi, cependant, GND et la direction de QS ont passé la majeure partie de leur temps à se concentrer sur la question de l’indépendance et ont fusionné avec un petit parti nationaliste, Option nationale. Maintenant, QS est redescendu à son niveau traditionnel dans les intentions de vote, gravitant autour des 10 %, alors que la CAQ s’est élevée au premier rang.

Durant la plus récente résurgence de la lutte des classes, la direction de Québec solidaire n’a clairement pas fait des enjeux de classe sa priorité. Lorsqu’on visite le site Web de QS, on a l’impression qu’il ne se passe pas grand-chose. À part quelques déclarations de la part de candidats locaux, la direction centrale n’a pratiquement rien fait lors des grèves d’Elopak, de CAE, du Manoir Sherbrooke, de la SAQ, des Résidences Soleil, de Loto-Québec, de la BAnQ, lors des mises à pied à l’IOC, etc. Il n’y a eu aucune déclaration à propos de la grève sauvage des grutiers. Nous n’avons vu aucune dénonciation de la part de la direction lorsque ces derniers se sont vus forcés de retourner au travail. La direction du parti est aussi demeurée silencieuse face aux grèves de la STM et de TVA, entre autres.

De manière générale, la classe ouvrière ne voit pas QS comme le parti qui la représente et cela s’explique par le fait que les leaders de ce parti semblent complètement déconnectés de la vie des travailleurs. Un exemple flagrant est la récente grève des employés des SAQ, le 22 août dernier. Alors qu’il y avait de grosses manifestations dans quelques villes, la direction nationale de QS n’a rien dit et a plutôt publié un communiqué sur la légalisation des tournois d’arts martiaux amateurs. En mettant ici l’accent sur un enjeu complètement secondaire pendant que des milliers de travailleurs sont en grève, la direction du parti apparaît déconnectée des luttes de la classe ouvrière. On comprends mieux pourquoi le parti n’a pas été capable de canaliser la colère grandissante jusqu’à présent. 

Au mieux, un candidat se donnera la peine d’écrire un statut sur Facebook ou bien organisera une visite aléatoire auprès de travailleurs en grève, mais cela ne suffit pas. La classe ouvrière du Québec a besoin d’un parti et la direction de QS devrait organiser la campagne électorale en entier autour d’enjeux touchant la classe ouvrière afin de montrer hors de tout doute que QS est bel et bien le parti qui défend les intérêts des travailleurs. Organiser des manifestations de solidarité avec les grévistes et dénoncer les partis bourgeois qui ont attaqué ces grévistes devraient être à l’ordre du jour. Cela veut dire dénoncer les libéraux et le PQ qui ont systématiquement attaqué les travailleurs lorsqu’ils formaient le gouvernement, ainsi que la CAQ qui se présente toujours comme le plus ardent partisan de mesures sévères contre les syndicats. Les trois partis capitalistes seraient forcés de répondre à QS ou à l’attaquer pour son soutien envers les travailleurs, ce qui ferait porter le débat sur des enjeux de classe et tracerait une ligne de démarcation claire.

La question de l’indépendance

Alors que la direction de QS a fait très peu face à la récente vague de grèves, elle a fait de nombreuses déclarations sur l’indépendance. Elle a organisé une « université indépendantiste » et publié une vidéo nostalgique pour la Saint-Jean Baptiste qui contenait des images de René Lévesque ainsi que les grandes manifestations indépendantistes qui ont eu lieu lors des deux derniers référendums. Ceci a été suivi d’une campagne dans la ville de Québec qui mettait encore une fois l’accent sur l’indépendance et le lancement de la deuxième édition du livre du chef d’Option nationale, Sol Zanetti, Le livre qui fait dire oui. Loin de donner une image de QS comme moteur de changement se distinguant des partis traditionnels, cela donne l’impression que ce parti est pris dans le passé et qu’il n’est pas, dans les faits, différent du PQ.

Alors que QS parle d’indépendance, la CAQ a promis qu’il n’y aurait « pas de référendum ». Les travailleurs anglophones comme francophones en ont assez du va-et-vient entre souverainistes et fédéralistes, et la CAQ tente d’aller chercher des appuis par delà cette division historique. Cette stratégie semble fonctionner jusqu’à présent, elle qui effectue une percée tant dans des circonscriptions traditionnellement souverainistes que fédéralistes. Les derniers sondages montrent que la CAQ pourrait même battre Philippe Couillard et Jean-François Lisée dans leur propre circonscription.

La stratégie de Legault est claire et efficace et rejoint l’humeur de la population :

« Ce seront les premières élections en 50 ans où l’enjeu décisif ne sera pas l’indépendance du Québec. L’élection portera sur qui a les meilleures propositions en matière d’économie, d’éducation et de santé. Il est temps de réunir tous les Québécois – anglophones et francophones – afin de travailler dans le but de s’enrichir. Et arrêtons de parler de questions constitutionnelles. »

Le fait est que, pour la plupart des gens, la question de l’indépendance est perçue comme dépassée et de plus en plus de gens recherchent des solutions de classe à leurs problèmes. Un parti de gauche ne devrait avoir aucun problème à connecter avec cet état d’esprit. La direction de QS devrait défier la CAQ et mettre de l’avant un programme socialiste audacieux tout en démasquant les partis bourgeois.

Seule la classe ouvrière peut vaincre Legault

D’une manière ou d’une autre, c’est la colère de la classe ouvrière qui déterminera le résultat de ces élections. Si elle mène à une victoire de la CAQ, les travailleurs se réveilleront avec une sacrée gueule de bois. Comme l’avait fait Doug Ford, François Legault n’a pas révélé quel est son vrai programme. Il n’est pas stupide et sait que les travailleurs n’aiment pas beaucoup les privatisations et les attaques contre les syndicats. Mais qu’on ne s’y trompe pas, c’est en cela que consiste réellement son programme. La CAQ ne gouvernera pas dans l’intérêt des travailleurs, mais représentera plutôt l’aile de la bourgeoisie qui veut agressivement s’attaquer aux gains réalisés par la classe ouvrière par le passé afin de rendre le Québec plus rentable pour l’investissement capitaliste.

À l’opposé, Québec solidaire est le seul parti de gauche de taille importante dans la province, et son élection représenterait un rejet de l’ordre du jour des patrons. Son programme contient un bon nombre de réformes progressistes telles que la gratuité scolaire, le transport public gratuit, des mesures de protection pour les travailleurs syndiqués, et même des nationalisations et un engagement à dépasser le capitalisme.

Il s’agit du genre de revendications qui peuvent susciter l’enthousiasme des travailleurs si elles sont mises au centre de la campagne. Les nouvelles affiches électorales de QS mettent à l’honneur les promesses de gratuité scolaire et d’assurance dentaire gratuite. C’est un bon début, mais il faut aller plus loin dans cette direction et placer la classe ouvrière au centre de l’agitation du parti. Un virage à gauche audacieux est aussi nécessaire pour distinguer QS du PQ qui, par désespoir, a dévoilé une nouvelle plateforme électorale de gauche intitulée « Un État fort au service des gens », qui promet elle aussi la gratuité scolaire. Bien sûr, nous avons déjà vu ce genre de manoeuvre de la part du PQ par le passé. La direction de QS doit activement se distinguer du PQ avec un programme socialiste audacieux et une dénonciation claire de l’hypocrisie de ce parti qui fait toujours campagne à gauche pour gouverner à droite, en appliquant des mesures d’austérité et des lois de retour au travail.

Le Québec est réputé pour son électorat qui peut changer d’opinion rapidement et à la dernière minute. Cela pourrait très bien se produire si la direction de QS place la classe ouvrière au coeur de cette campagne. C’est en fait la seule tactique qui permettrait d’affaiblir la popularité de la CAQ. Cela permettrait aussi de générer une pression massive sur la bureaucratie syndicale pour la pousser à retirer son soutien envers le PQ et à mobiliser massivement la classe ouvrière derrière QS. Une victoire de QS s’appuyant sur un mouvement de masse de la classe ouvrière permettrait d’infliger un revers aux patrons et d’entamer une nouvelle étape dans la lutte des classes au Québec.