Cet article date du 20 septembre 2014, juste après la courte victoire du Non.

La campagne du référendum en Ecosse est terminée. Il est à présent nécessaire d’en tirer toutes les conclusions. La première et la plus importante, c’est qu’elle représente un tournant décisif dans le développement de la lutte de classe en Ecosse.

Des millions de travailleurs et de jeunes ont été impliqués dans une lutte acharnée contre l’Establishment, qui a été profondément ébranlé par la tournure inattendue des événements. Jusqu’au dernier moment, l’avenir d’une Union qui dure depuis plus de 300 ans, a été menacé. Une fois cette menace écartée, le soupir de soulagement collectif de Downing Street et de la City de Londres était audible jusqu’à Glasgow et Edimbourg.

Mais ce n’est pas la fin de l’histoire. Cette campagne a marqué rien moins que le réveil politique de l’Ecosse. Les gens qui, jusqu’alors, étaient passifs et déconnectés de la politique, ont soudain commencé à y participer activement. Il y avait des débats passionnés dans tous les pubs, les coins de rue, les boutiques et les arrêts de bus. C’était comme si un géant endormi s’était réveillé d’un long sommeil. Le peuple écossais a donné un exemple qui doit servir d’inspiration pour les travailleurs et les jeunes de toute la Grande-Bretagne.

Indépendamment du résultat du référendum, tout ceci représente un changement fondamental de la situation. Trotsky expliquait qu’une révolution est, par essence, une situation dans laquelle les masses – des millions d’hommes et de femmes ordinaires – deviennent politiquement actifs et commencent à prendre leur destin en mains. C’est exactement ce qui s’est passé en Ecosse – et cela a des implications révolutionnaires pour l’avenir. Le grand révolutionnaire russe expliquait également que le nationalisme peut représenter « l’enveloppe extérieure d’un bolchevisme immature ». Et c’est ce qui inquiète la classe dirigeante, plus que toute autre chose.

La haine de l’Establishment

La première question qu’il faut se poser est : qu’est-ce qui a provoqué un tel séisme ? Cela ne peut pas être expliqué uniquement par la question nationale, ou même par les problèmes spécifiques de l’Ecosse. Il s’agit d’un phénomène international. Partout, sous un vernis superficiel de calme et de tranquillité, il y a un courant sous-jacent de colère, d’indignation, de mécontentement et, surtout, de frustration face à l’état actuel de la société et de la vie politique.

Après six années de profonde crise économique, il y a un chômage de masse, une chute des niveaux de vie, des attaques constantes contre l’Etat-providence et les droits démocratiques. Il y a le scandale de banquiers qui ont détruit le système financier international par leur avidité, leur spéculation et leurs escroqueries – tout en empochant d’énormes bonus. Il y a le spectacle de politiciens qui ont attaqué les services publics, baissé les salaires et les retraites de millions de gens, tout en s’octroyant une augmentation de salaire de 10 %.

Les inégalités atteignent des niveaux sans précédent : richesse obscène à un pôle, extrême pauvreté à l’autre. L’attitude de beaucoup travailleurs est résumée dans les réponses d’une femme aux questions du Financial Times (FT) : « J’ai pris ma décision, je vote oui. » Pourquoi ? « Les riches continuent de devenir plus riches et les pauvres plus pauvres. » Regardant la rue, elle ajoute : « Nous avons besoin d’un changement ». Ces quelques mots d’une femme de la classe ouvrière vont droit au cœur de la question.

Il est significatif que le Oui ait été majoritaire à Glasgow, au cœur de la classe ouvrière écossaise. L’article ci-dessus a été publié par le FT sous le titre : « Les électeurs de la classe ouvrière, clé de victoire du Oui ». Le journaliste écrit : « Les sondages suggèrent que la campagne du Oui, dirigée par le Parti National Ecossais, a le soutien de la majorité des Ecossais à faible revenu. » Le Oui, d’une manière confuse, représente un vote de classe, une protestation contre les inégalités, la pauvreté et l’injustice sociale. En d’autres termes, c’est une protestation contre le capitalisme, qui dans l’esprit des travailleurs écossais est identifié aux « garçons chics » assis dans leur Club fermé de Westminster.

« Mieux ensemble » ?

Les capitalistes opposés à l’indépendance et leur ombre travailliste ont donné à voir un spectacle lamentable. Leur campagne « Better Together » (« Mieux ensemble ») a été critiquée pour son manque de passion et pour son absence de messages positifs. C’était l’expression d’une complaisance béate. Il était si évident que l’Union devait être préservée ! Mais lorsqu’ils durent formuler des raisons de la préserver, ils n’ont pas été en mesure d’en trouver une seule.

Il est difficile d’être passionné lorsqu’on défend le statu quo, particulièrement lorsque ce dernier signifie le chômage et la pauvreté – conjugués aux bonus des banquiers. Faute d’arguments positifs, ils ont tenté de faire peur aux gens en répétant constamment que l’avenir d’une Ecosse indépendante serait incertain. C’est peut-être vrai, mais il est tout aussi vrai qu’après plus de 300 ans, près de la moitié des Ecossais préfèrent l’incertitude économique à la domination de la classe dirigeante britannique. Après l’expérience des différents gouvernements de Westminster, ceux des conservateurs, du « New Labour » et des libéraux-conservateurs, qui peut leur en vouloir ?

Pour le peuple écossais, les nantis et les politiciens bien vêtus de Westminster parlent un langage qui ressemble vaguement à l’anglais, mais qui est en réalité une novlangue servant non à informer, mais à tromper, mentir et tricher. Pire encore, elle est prononcée avec un accent de classe moyenne aisée qui produit sur les gens ordinaires – et pas seulement en Ecosse – le même effet que le bruit d’une fraise de dentiste.

Le sentiment croissant que les politiciens sont déconnectés de la réalité des gens ordinaires n’existe pas qu’en Ecosse. « Ces gens de Westminster sont éloignés de nous. Ils ne nous représentent pas. Ils n’ont aucune idée de la façon dont on vit. » De tels propos sont échangés à tous les comptoirs de tous les pubs, de Glasgow aux Hébrides extérieures. Mais on peut également les entendre à tous les comptoirs de tous les pubs du Pays de Galles, de Liverpool, de Newcastle ou encore du quartier londonien de Hackney.

Sous la surface, il y a une colère bouillonnante. Partout, les gens en ont marre de la situation actuelle. Il y a un brûlant désir de changement. En Ecosse, ce désir s’est exprimé par un brusque tournant de l’opinion publique vers un vote en faveur le Oui. Il s’agissait là moins d’une manifestation de nationalisme que de l’expression d’une haine des conservateurs et de la classe politique parasitaire de Londres.

Le rôle des dirigeants travaillistes

Jusqu’à récemment, il n’y avait pas de réelle tradition nationaliste en Ecosse. Les traditions authentiques de l’Ecosse étaient des traditions de classe, des traditions socialistes qui remontent à la grève de loyers de Glasgow en 1915, à la Révolte de la Clyde en 1919 et, plus récemment, à la révolte contre la « Poll Tax » honnie de Margaret Thatcher. La profonde haine de la plupart des Ecossais à l’égard des conservateurs a été exacerbée par le gouvernement Thatcher, qui a détruit les industries écossaises du charbon et de l’acier, dans le cadre d’une politique de désindustrialisation délibérée, qui a transformé les districts manufacturiers de Grande-Bretagne en déserts industriels.

L’Ecosse et le Pays de Galles en ont particulièrement souffert. Des communautés entières ont été détruites et un nombre incalculable de familles ont été ruinées. Une génération de jeunes fut condamnée à la misère et au chômage. Thatcher et sa clique se félicitaient de ce vandalisme économique, qualifié de « destruction créatrice. » En conséquence, le parti conservateur d’Ecosse a pratiquement été rayé de la carte et n’a aujourd’hui qu’un seul représentant au Parlement à Westminster.

Pendant des décennies, le Parti travailliste a profité d’un soutien de masse en Ecosse. Mais cela a changé avec les trahisons du gouvernement Blair. Désillusionnés, les travailleurs écossais ont alors considéré ce parti comme une composante de l’Establishment. Ils n’avaient plus confiance dans les dirigeants travaillistes droitiers, comme on l’a clairement vu lors de la campagne référendaire. Le fait d’avoir placé un blairiste de droite tel qu’Alistair Darling en première ligne de la campagne « Mieux Ensemble » a confirmé la suspicion croissante que le « Nouveau parti travailliste » ne se distingue en rien des conservateurs et des libéraux.

Comme on pouvait le prévoir, Alex Salmond, du Parti National Ecossais, n’a fait qu’une bouchée de Darling dans les débats publics. Ce n’était pas très difficile. Les dirigeants travaillistes tels que Darling sont désormais considérés comme des conservateurs déguisés. Leurs politiques se distinguent à peine de celles des conservateurs. Au lieu de s’opposer à la politique de rigueur du gouvernement, les dirigeants travaillistes disent toujours : « moi aussi ». Ils sont plus soucieux de plaire aux banquiers et à la City de Londres qu’aux travailleurs qui votent pour eux. Ils sont les premiers responsables de la montée du sentiment nationaliste en Ecosse.

Le spectacle grotesque du dirigeant travailliste Ed Miliband se précipitant en Ecosse aux côtés de David Cameron et de son acolyte libéral Nick Clegg, pour plaider la cause de l’Union, n’a fait que renforcer la détermination des gens à voter Oui. Dégoûtés par la direction droitière du Parti travailliste, beaucoup de ses électeurs traditionnels ont été attirés par l’idée que l’indépendance pouvait être une solution. Le vote massif en faveur du Oui à Glasgow – inimaginable, auparavant – l’a clairement montré.

Les fausses promesses du Parti National Ecossais (SNP)

Il faut reconnaitre que la campagne pour le Oui a redynamisé la vie politique écossaise. Aucune autre campagne électorale n’a jamais rien réussi de tel. Les partisans du Oui – en particulier les jeunes – étaient inspirés et enthousiastes. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi. Les gens veulent un changement fondamental dans la société. Ce n’est pas seulement vrai en Ecosse ; c’est vrai partout. Alors que les vieux partis ne proposent pas de changement fondamental, le SNP semblait proposer un tel changement. Son message était un message d’espoir : une Ecosse libre et indépendante, qui ne serait plus soumise à l’Establishment conservateur d’Angleterre, connaîtrait le progrès et la démocratie.

Cependant, tout ce qui brille n’est pas or. Quand on regarde le détail de la recette du SNP pour une Ecosse indépendante, le mirage commence à disparaître. L’Ecosse indépendante de Salmond aurait conservé la Livre et la Monarchie. Elle serait restée dans l’OTAN et l’Union Européenne. Il est presque impossible de distinguer cette « indépendance » de la célèbre « devo-max » [1], qui a été tardivement offerte par les partisans du Non.

La direction du SNP représente une tendance capitaliste qui n’a rien en commun avec le socialisme ou la classe ouvrière. Il est complètement illusoire d’imaginer que les travailleurs d’Ecosse feraient une meilleure affaire avec les nationalistes qu’ils ne le faisaient avec la bande des conservateurs et des libéraux de Londres. Tout au long de la campagne référendaire, Salmond s’est donné beaucoup de mal pour solliciter le soutien des banquiers et des capitalistes.

Lorsqu’une foule sociétés, dont BP, John Lewis, Asda, Standard Life, BT, EE, O2, TalkTalk, Vodafone RBS, Lloyds et B&Q ont mis en garde contre les dangers de l’indépendance, Jim Sillars, un ancien dirigeant du SNP, a réagi en les menaçant de nationalisation. Il a averti que le géant pétrolier BP serait nationalisé « en partie ou en totalité », et que les banquiers et les grands patrons « alarmistes » seraient punis pour « être de mèche » avec les conservateurs. Il a ajouté : « Ce référendum est une question de pouvoir, et lorsque nous aurons une majorité de Oui, nous allons utiliser ce pouvoir pour régler nos comptes avec BP et les banques. »

Mais ces propos ont été immédiatement démentis par Salmond, qui a déclaré : « Le lendemain de la victoire du Oui sera un jour de fête pour le peuple, pas un jour pour régler les comptes avec les grandes entreprises engagées dans la campagne du Non de Downing Street ». Salmond a continué à faire appel à eux pour rester en Ecosse et soutenir l’économie écossaise.

Dans un contexte de crise, un gouvernement SNP devrait infliger de fortes réductions des niveaux de vie – et des réductions encore plus importantes que celles infligées par Westminster. Aussi, à la fin de la campagne, Salmond a insisté sur la nécessité d’un « gouvernement inclusif », c’est-à-dire comptant des politiciens qui ont fait campagne pour le Non. Avec de telles déclarations, il préparait la voie à un gouvernement de coalition avec le Parti travailliste écossais, de façon à ce que l’inévitable vague de colère et de déception ne soit pas dirigée contre le seul SNP.

Il y a bien longtemps, le révolutionnaire James Connolly prévenait que même si l’Irlande devenait indépendante, l’Angleterre y ferait encore la loi à travers les banques. Si une Ecosse capitaliste indépendante avait gardé la Livre sterling (ce dont on peut douter), les chefs non élus de la Banque d’Angleterre auraient largement déterminé ses politiques économiques.

Comment un démocrate peut-il soutenir l’idée de conserver la reine comme chef d’Etat d’une Ecosse indépendante ? Et comment l’adhésion à l’OTAN peut-elle coïncider avec une rupture avec l’impérialisme britannique et ses guerres, ce qui fut pourtant l’un des arguments utilisés contre l’Union ? Enfin, une Ecosse indépendante au sein de l’UE devrait respecter les règles et régulations de Bruxelles, qu’elle le veuille ou non. Tout cela signifie que l’indépendance écossaise aurait eu un caractère purement illusoire, dès le début. Cela n’aurait résolu aucun des problèmes fondamentaux de la classe ouvrière.

La gauche capitule

Certains prétendus « marxistes » sont incapables de comprendre ce que Lénine écrivait sur la question nationale. Lénine défendait le droit à l’autodétermination comme une revendication démocratique, mais il ne pensait pas que ce droit à l’autodétermination était justifié en toutes circonstances et à tout prix. Au contraire, il l’a toujours considéré comme subordonné à l’intérêt général de la classe ouvrière internationale et de la révolution socialiste.

Rosa Luxemburg avait une position erronée sur la question nationale. Mais son erreur, comme toujours, était dictée pas ses fortes convictions internationalistes. Elle a non seulement nié le droit à l’autodétermination de la Pologne, mais aussi l’existence même de la nation polonaise. Néanmoins, Lénine respectait le fait que Rosa Luxemburg, de nationalité polonaise, menait une lutte implacable contre les capitalistes nationalistes polonais et le soi-disant Parti Socialiste Polonais dirigé par Pilsudski.

Lénine disait à Rosa Luxemburg : je comprends qu’il est de ton devoir de combattre le nationalisme polonais ; mais comme représentant de la social-démocratie russe, et puisque la Russie opprime la Pologne, je dois défendre le droit du peuple polonais à l’autodétermination, y compris son droit à former un Etat distinct. En même temps, Lénine défendait implacablement l’unité de la classe ouvrière par-delà les particularités nationales, linguistiques, religieuses, etc. Il considérait toute concession au nationalisme bourgeois ou petit-bourgeois comme une aberration et une trahison. Là-dessus, il était complètement d’accord avec Rosa Luxemburg.

Si on applique la position de Lénine au référendum écossais, il est clair que les marxistes au sud de la frontière avaient le devoir de défendre le droit de l’Ecosse à l’autodétermination et de dénoncer systématiquement le rôle réactionnaire de l’impérialisme britannique, du gouvernement réactionnaire « Lib-Con » et la conduite honteuse des dirigeants travaillistes. D’un autre côté, les marxistes écossais devaient insister sur la nécessaire unité de la classe ouvrière, en concentrant leurs attaques contre le nationalisme écossais et le programme pro-capitaliste du SNP.

Malheureusement, la gauche écossaise s’est laissé emporter par une vague de sentiments nationalistes. Elle a abandonné la position de classe et s’est lamentablement alignée derrière le SNP pro-capitaliste. Un telle politique n’a rien à voir avec la position de Lénine, James Connolly ou John MacLean. La majorité de la gauche écossaise a même défendu la perspective d’une Ecosse indépendante avec encore plus d’enthousiasme que les dirigeants du SNP, derrière lesquels elle se rangeait.

Les dirigeants de la gauche écossaise ont cherché à gagner en popularité, à court terme, en prenant en marche le train nationaliste. Mais cette approche opportuniste ne payera pas. Si les gens veulent rejoindre un parti nationaliste, ils n’iront pas chercher ailleurs que le SNP. Le devoir de la gauche écossaise n’est pas de marcher main dans la main avec le SNP, mais de combattre ce parti pro-capitaliste qui ne représente pas et ne peut pas représenter les intérêts de la classe ouvrière. Ce fait deviendra toujours plus évident, lorsque le SNP formera un gouvernement écossais doté de nouveaux pouvoirs économiques. Dans le contexte actuel de crise, cela signifiera de nouveaux pouvoirs pour attaquer la classe ouvrière.

Alex Salmond l’a lui-même reconnu publiquement, lorsqu’il a déclaré qu’il y aurait de sérieux problèmes « au début ». C’est l’euphémisme du siècle. Du fait de la crise du capitalisme, l’économie écossaise, déjà très affaiblie, connaîtra des difficultés qui se traduiront, non par une amélioration des conditions de vie des travailleurs, mais par leur dégradation.

Pour l’unité de la classe ouvrière !

Pour les conservateurs, les lib-dem et les dirigeants actuels du Parti travailliste, « Mieux ensemble » signifie l’unité de l’Ecosse avec les banquiers et les capitalistes anglais – et avec l’Establishment de Westminster, qui est l’expression politique de leurs intérêts. Les travailleurs d’Ecosse ne veulent pas d’une telle unité ; c’est pour cela qu’ils ont été si nombreux à voter Oui au référendum. Cependant, il y a un autre type d’unité que veulent les travailleurs d’Ecosse : l’unité avec leurs frères et sœurs de classe au sud de la frontière.

Les travailleurs d’Angleterre, d’Ecosse, d’Irlande et du Pays de Galles connaissent tous les mêmes problèmes : le chômage, la pauvreté, les bas salaires, la pénurie de logements et de services publics. Et ils font face aux mêmes ennemis. Marx a écrit une fois que le même sang rouge de la révolution coule dans les veines des travailleurs anglais, écossais, gallois et irlandais. C’est dans cette unité que réside leur force. C’est pour cela que la classe dirigeante s’efforce constamment de diviser les travailleurs suivant des lignes nationales, linguistiques, religieuses ou de genre.

Dès l’annonce du résultat du référendum, Cameron a tenté de jouer « la carte de l’Angleterre ». Pourquoi les Ecossais auraient-ils davantage de pouvoir décentralisé que nous ? Pourquoi les contribuables anglais financeraient-ils la gratuité des médicaments et de l’Université en Ecosse ? Pourquoi les députés écossais à Westminster voteraient-ils sur des problèmes anglais si les députés anglais ne peuvent pas voter au Parlement écossais ? Et ainsi de suite. Ces déclarations constituent une manœuvre flagrante pour diviser le mouvement ouvrier suivant des lignes nationales. Les dirigeants travaillistes ont protesté, mais, comme à leur habitude, de manière timide et lâche.

Les marxistes sont parfois accusés d’ignorer les revendications immédiates et de se contenter de défendre le socialisme comme seule solution. En effet, le socialisme est la seule solution. Mais les marxistes lutteront toujours pour toute revendication ou réforme qui contient même le plus petit élément progressiste. Cela comprend les revendications démocratiques. Donc, nous devons lutter pour le droit des Ecossais à avoir un maximum de contrôle sur leurs vies, pour un maximum de décentralisation, sans plus attendre.

Nous défendons les mêmes droits démocratiques pour les peuples du Pays de Galles, de l’Irlande du Nord et de toutes les régions anglaises qui le souhaitent. Et si le peuple Ecossais bénéficie d’universités et de médicaments gratuits, nous disons qu’il devrait en être de même dans toute la Grande-Bretagne. Et avant de discuter s’il est démocratique qu’un député écossais ou gallois vote à Westminster, ne devrait-on pas se demander s’il est démocratique que la Chambre haute du Parlement – la Chambre des Lords – soit remplie d’aristocrates et de députés retraités dont aucun n’est élu ? Last but not least, n’est-il pas temps d’abolir la Monarchie, cette relique anti-démocratique du féodalisme ?

Comment paierons-nous toutes ces réformes ? L’abolition de la Chambre des Lords et de la Monarchie permettra d’économiser des centaines de millions de Livres, qu’il serait préférable de dépenser pour les personnes âgées, les malades et les pauvres. Mais la véritable solution est l’expropriation des banques et des grandes entreprises qui pressent comme des citrons les travailleurs britanniques, qu’ils soient Ecossais, Gallois, Anglais ou Irlandais. La condition première, pour y parvenir, c’est d’unir les travailleurs de Grande-Bretagne dans la lutte contre l’ennemi commun : le Capital.

Quiconque s’écarte ne serait-ce que d’un millimètre du point de vue de classe s’embourbe dans le marécage du nationalisme bourgeois. Il faut partir des fondamentaux. De nos jours, les deux plus grands obstacles au développement des forces productives – et donc les deux plus grands obstacles au progrès humain – sont la propriété privée des moyens de production et l’Etat-nation. Nous ne voulons pas ériger de nouvelles frontières nationales, mais les abolir toutes. Nous défendons une Fédération Socialiste de l’Angleterre, de l’Ecosse, de l’Irlande et du Pays de Galles, comme une étape vers des Etats Socialistes Unis d’Europe et une Fédération Socialiste mondiale.

Alan Woods

[1] La « dévolution grand format », c’est-à-dire le transfert d’une partie du pouvoir politique de Londres à l’Ecosse, et notamment une certaine autonomie fiscale