Juste avant les fêtes, les travailleur-euses de la fonction publique recevaient une bonne nouvelle. Le 19 décembre, suite à un blitz de négociations, les représentants du Front commun syndical, regroupant plus de 400 000 employé-es du secteur public, annonçaient avoir forcé le gouvernement à reculer et avoir conclu une entente de principe. Pour Jacques Létourneau, président de la CSN, « c’est clair qu’on a atteint l’objectif d’éviter encore plus l’appauvrissement des travailleurs ». La supposée victoire des négociateurs consiste selon Létourneau en une augmentation de salaire de 10,25% sur cinq ans, comparativement à la proposition initiale du gouvernement de 3% sur cinq ans. Maintenant que les travailleur-euses sont revenus de vacances, le retour au travail se fait sous de mauvais augures, alors qu’il apparaît de plus en plus clairement que l’entente proposée n’a rien de la victoire présentée par les leaders syndicaux.

 

Dans cette même déclaration initiale, Létourneau affirmait que le Front commun avait « forcé le gouvernement à sortir de son cadre financier initial ». Pourtant, le président du Conseil du Trésor, Martin Coiteux, en contradiction avec cette affirmation, se félicitait d’avoir respecté le « cadre budgétaire » fixé par le gouvernement au départ des négociations. Faisons le ménage dans ces déclarations contradictoires et regardons ce qu’il en est vraiment de cette entente. Qui est vraiment sorti victorieux de ces négociations?

L’appauvrissement des travailleur-euses va continuer

« Globalement, on parle d’une enveloppe de 10,25 % en 5 ans, ce n’est pas rien! », voilà comment Létourneau encensait l’entente conclue. Même si cela avait été exact, il ne s’agit pas exactement d’un exploit à vanter. Le gouvernement du Québec prévoit un taux d’inflation de 2.1% pour la prochaine année. Cela signifie que même si les salaires étaient réellement augmentés de 10,25% sur 5 ans, les travailleur-euses continueraient tout de même à perdre du pouvoir d’achat, puisque le coût de la vie augmente plus vite que leurs salaires. Sans compter que la myriade de coupes aux services sociaux, le coût grandissant de l’éducation post-secondaire, les coupes dans les pensions de retraite et la tarification grandissante de services de base comme la santé contribuent tous à gruger gravement dans le niveau de vie des travailleur-euses de la province.

De quoi se compose ce 10,25%? Le gel salarial de deux ans contenu dans la proposition initiale du gouvernement est maintenu. Il s’appliquera pour la première et la dernière année de la convention collective de 5 ans. Pour compenser, le gouvernement offre à chaque employé une somme forfaitaire de 500$ pour la première année et de 250$ pour la dernière. Les dirigeants syndicaux incluent ces sommes forfaitaires dans le 10,25% afin de l’augmenter artificiellement aux yeux de leurs membres. Toutefois, qualifier ces montants de hausses de salaire est non seulement inexact, mais carrément mensonger. Une augmentation de salaire est cumulative et bénéficie aux travailleur-euses non seulement pour l’année, mais aussi toutes les années suivantes, et s’applique donc aux travailleur-euses embauchés par la suite. De plus, un montant forfaitaire constitue une insulte pour les travailleur-euses ayant déjà perdu des centaines de dollars en salaires lors des journées de grève. Le gouvernement n’apporte rien de nouveau à la table et ne fait que redonner aux travailleur-euses ce qu’ils ont perdu en tentant d’obtenir de meilleurs salaires. Pour ce qui est des années 2 à 4, les salaires augmenteront de 1,5%, 1,75% et 2% respectivement. Grâce à on ne sait quelle gymnastique mentale, Létourneau est même allé jusqu’à soutenir que cette entente allait permettre un rattrapage salarial, la dernière entente ayant mené à une diminution du salaire réel des employé-es du secteur public.

Un autre élément du 10,25% est l’inclusion de la relativité salariale dans le calcul. En bref, celle-ci correspond à un point de négociation qui avait lieu depuis quelques années et qui visait à se débarasser de quelques-unes des 150 échelles salariales dans la fonction publique, et à égaliser la paye entre les travailleur-euses en situations similaires. Les syndicats voulaient s’assurer que le gouvernement ne se servait pas de ce point de négociation pour diminuer les salaires en déclassant des travailleur-euses d’une échelle salariale. L’entente sur ce sujet est à l’effet d’augmenter 90% des employé-es d’une échelle, une hausse équivalant en moyenne à 2,4%. Toutefois, ce point de négociation est sur la table depuis plusieurs années et est complètement séparé des négociations du Front commun. Un communiqué de la FSSS-CSN datant de 2014 permet clairement de constater que les parties étaient en négociation sur cet enjeu depuis des années et qu’il n’avait rien à voir celle sur la nouvelle convention collective. Il est donc malhonnête de la part des dirigeants syndicaux d’inclure cette somme dans ce qu’ils présentent comme les gains de la négociation collective. Le gouvernement a fait intentionnellement trainer la question de la relativité salariale pendant des années afin de pouvoir la confondre avec les négociations portant sur le renouvellement de la convention et ainsi s’en servir pour offrir des augmentations de salaires réduites. Ils donnent ainsi l’impression d’avoir fait reculer le gouvernement plus loin qu’en réalité. Même en incluant la relativité salariale, cette augmentation ne permet même pas aux salaires de suivre l’inflation, ce qui signifie que l’érosion des salaires réels se poursuit toujours.

En prenant tous ces facteurs en compte, on constate que les augmentations de salaires offertes par le gouvernement correspondent réellement à 5,25% sur 5 ans. Il s’agit d’une concession énorme comparativement à la demande initiale de 13,5% sur 3 ans du Front commun. En d’autres mots, le gouvernement a réussi à faire reculer les dirigeants syndicaux d’un 4,5% par an à un maigre 1.05% par an. Cela constitue une grave capitulation, considérant que cette entente offre encore moins aux travailleur-euses de la fonction publique que celle qui leur avait été imposée par loi spéciale par Jean Charest en 2005. Comme nous l’avons expliqué précédemment, les dirigeants du Front commun ont montré par leurs actions ou leur inaction tout au long des négociations qu’ils cherchaient à limiter la montée d’un mouvement de contestation et le recours à la grève. Cela a été démontré clairement lorsqu’ils ont annulé la grève générale de trois jours annoncée pour le début décembre et diminué leurs demandes initiales malgré que le gouvernement n’ait donné aucun signe de vouloir négocier. Plutôt que de dire sans détour à leurs membres ce qu’il en est réellement, les dirigeants syndicaux déforment intentionnellement les faits afin de pouvoir justifier la fin du mouvement tout en sauvant la face.

Selon les dires des leaders syndicaux, ils devaient faire des compromis sur l’âge de la retraite, puisque le gouvernement faisait des « concessions » sur les salaires. L’âge de la retaite pour les travailleur-euses de la fonction publique québécoise est présentement de 60 ans. La pénalité pour une retraite anticipée est de 4%. L’entente proposée le montera à 61 ans à partir de 2019 tout en augmentant la pénalité à 6%. Déjà, une vague de travailleur-euses a commencé à prendre une retraite anticipée afin d’éviter les nouvelles règles plus strictes.

Voilà une entente par laquelle les salaires réels des travailleur-euses vont continuer de chuter, et par laquelle l’âge de la retraite va augmenter. Lorsqu’on lève le voile sur cet accord, il devient clair que celui-ci n’a rien d’une victoire. Il s’agit d’une perte nette pour les travailleur-euses.

Rejetons cette victoire de pacotille!

Les dirigeants du Front commun ont qualifié la vague de manifestations et de grèves du secteur public cet automne d’« historique ». En effet, le Québec n’avait pas vu autant de travailleur-euses en grève simultanément depuis les années 70. Pendant la grève, des piquets ont forcé la fermeture d’édifices gouvernementaux, d’écoles primaires et secondaires, ainsi que de CÉGEPs à travers la province. Une explosion de petites manifestations, d’actions de visibilité organisées par les travailleur-euses, et de quelques grandes manifestations tenues par les syndicats démontre que les travailleur-euses souhaitent se battre contre la politique d’austérité du gouvernement.

Le mouvement des travailleur-euses du secteur public a le potentiel de devenir un mouvement historique. Il pourrait servir de bannière pour tous les secteurs de la société cherchant à combattre l’injustice servie par ce gouvernement capitaliste, qui a dévoilé clairement dans l’intérêt de qui il travaille lorsqu’il a facilement trouvé 1,3 milliards de dollars pour Bombardier et augmenté les salaires des députés de 31%. Si la mobilisation était vraiment « historique », pourquoi alors y avoir mis fin avec une entente aussi insatisfaisante qui « respect[e] le cadre budgétaire » d’austérité du gouvernement?

Heureusement, les travailleur-euses commencent à voir à travers l’écran de fumée des dirigeants du Front commun et ils et elles sont nombreux à se préparer à voter contre cette capitulation. Les 600 délégué-es du FSSS-CSN recommandent à leurs 110 000 membres de rejeter l’entente. De même, la FAE, qui représente 34 000 enseignants, même si elle ne fait pas partie du Front commun, appelle aussi ses membres à rejeter une entente similaire. Ce mouvement de rejet doit être étendu et approfondi dans chaque syndicat afin de mobiliser les membres contre l’entente et contre l’austérité en général. La lutte doit continuer jusqu’à une victoire authentique, jusqu’à ce que le gouvernement soit forcé de vraiment reculer sur son agenda d’austérité.