Le 5 octobre, un travailleur meurt électrocuté dans une usine de margarine à Trois-Rivières, un autre décède le 7 octobre à Saint-Louis-de-Blandford, écrasé par un tracteur, et un conducteur de bétonnière meurt le lendemain lorsque son véhicule bascule sur la route… Voici ce qu’on a pu lire aux nouvelles, à la rubrique faits divers, en l’espace de quelques jours seulement. Malheureusement, la liste est bien plus longue. Chaque année, au Québec, des dizaines de travailleurs meurent au travail. Comme le montrent les rapports de la CNESST, dans de nombreux cas, des mesures auraient pu être mises en place pour réduire les risques d’accident et éviter le drame. Absence d’équipement de sécurité, manque de formation à l’utilisation des machines, déficience des mesures de sécurité en place, opérations dangereuses… autant de risques qui auraient pu être éliminés préalablement, moyennant quelques coûts supplémentaires pour l’employeur. Mais la santé et la sécurité des travailleurs sont-elles vraiment au coeur des préoccupations des patrons?

En 2018, 62 personnes sont mortes dans un accident du travail au Québec, et 164 sont mortes des suites d’une maladie professionnelle, selon la CNESST. Au total, ce sont plus de 91 000 accidents du travail qui se sont produits en 2018, ce qui correspond à un accident toutes les 6 minutes. Ces chiffres ne dressent même pas un portrait exact de la situation, notamment parce qu’ils ne prennent en compte ni les suicides liés au travail, ni les accidents de la route pour se rendre au travail. En fait, un rapport récent estime que le nombre d’accidents du travail au Canada pourrait être 10 fois plus élevé que les statistiques officielles, une des raisons étant que seules les demandes indemnisées sont considérées par l’Association des commissions des accidents du travail du Canada.

Il faut également souligner que la santé mentale est un enjeu largement oublié dans le cadre de la santé et sécurité au travail, alors même que les arrêts de travail pour ce motif sont en constante augmentation. Ceci est particulièrement alarmant dans des secteurs comme celui de la santé. Les infirmières et autres employés du réseau de la santé sont nombreux à témoigner de l’effet dévastateur des surcharges de travail, du temps supplémentaire obligatoire, et des méthodes de gestion délétères. « Vous ne pouvez pas imaginer tout ce qu’on vit. On est toutes sur les pilules, toute la gang. Si on veut continuer, on n’a pas le choix », témoignait une travailleuse sociale. La situation est d’autant plus alarmante que cela engendre souvent des problèmes de santé physique.

Dans la plupart des cas, la cause ne fait pas l’ombre d’un doute : ces troubles sont la conséquence de conditions de travail insupportables, qui mènent à une détérioration de la santé mentale des travailleurs jour après jour. Sous le capitalisme, « travail » rime avec pression des gestionnaires, harcèlement, surcharge de travail, stress, et temps supplémentaire. Il faut travailler plus fort, plus vite, plus longtemps. Les gestionnaires sont même prêts à utiliser la manière forte pour s’assurer que chaque employé soit à son poste tous les jours : en septembre dernier, un employé hospitalier qui était rentré chez lui pour cause de maladie a eu l’amère surprise de voir la police sur le pas de sa porte pour lui demander de retourner au travail. En effet, le gestionnaire de son CIUSS a dépêché les forces de l’ordre au domicile de ce travailleur, puisqu’on avait besoin de lui à l’hôpital. Une drôle de manière de se soucier de la santé de ses employés…

Dernièrement, les syndicats ont réclamé une réforme en matière de santé et sécurité au travail au plus vite. La loi québécoise serait en retard par rapport aux autres provinces, puisqu’elle n’a pas été mise à jour depuis son entrée en vigueur en 1979 et 1985. « Personne ne devrait perdre la vie à essayer de la gagner! Ça fait 40 ans que les gouvernements tardent à implanter les principes pourtant inscrits noir sur blanc dans la Loi et pendant ce temps-là, il y a des morts qui auraient pu être évités! » s’est insurgé le directeur québécois des Métallos, Alain Croteau, suite à un nouvel accident mortel. En effet, au moment de l’introduction de la loi sur la santé et sécurité au travail, les patrons ont fait pression sur le gouvernement pour que la loi soit mise en place petit à petit dans les différents secteurs, en commençant par ceux jugés les plus à risque. Mais en réalité, cette adoption graduelle n’a jamais été achevée. Le résultat aujourd’hui est que moins de 12% des travailleurs sont protégés par les mécanismes de prévention prévus par la loi!

De son côté, le gouvernement caquiste avait déjà annoncé qu’il travaillerait sur un projet de loi en promettant de le déposer avant la fin de l’année. Toutefois, la réforme a été reportée à l’année prochaine, la CAQ ayant probablement été trop occupée à s’attaquer aux minorités religieuses avec la loi 21 pour se soucier de la santé des travailleurs. Les détails de ce projet de loi restent inconnus, et le ministre du Travail Jean Boulet est resté vague dans ses déclarations. Certes, il veut faire reconnaître les maladies psychologiques liées au travail, mais dans le même temps il explique qu’il ne faut pas que cela pénalise l’employeur. Plutôt que de mettre l’accent sur la responsabilité de l’employeur en matière de mise en place de mesures de sécurité adéquates, le ministre explique « [qu’]il faut plus de prévention ». C’est une façon convenable de rejeter la faute sur les travailleurs, qui devraient faire plus attention s’ils ne veulent pas se blesser. De plus, il a justifié le report du projet de loi par la nécessité de « dégager des consensus ». On peut se demander à qui profiteront les consensus du ministre, alors que les intérêts des patrons et ceux des travailleurs sont fondamentalement opposés.

Du côté des patrons, on ne veut évidemment pas dépenser un sou de plus. Selon le président du Conseil du patronat, « les portes sont trop grandes ouvertes dans le régime actuel » et la réforme en matière de santé et sécurité au travail est donc attendue avec méfiance. C’est que la santé et la sécurité de ses employés, ça coûte cher! Il faut investir dans de l’équipement de sécurité, donner des formations aux procédures de sécurité et à la bonne utilisation des machines, mettre en place des processus d’évaluation et de contrôle, etc. C’est tout un tas de dépenses qui ne rapportent rien en fin de compte. Il n’y a aucun profit à faire ici, donc pourquoi investir dans ce domaine? Cela est d’autant plus vrai que les entreprises ne sont pas pénalisées tant qu’aucun accident ne se produit. On préfère donc couper les coins ronds en matière de santé et sécurité, et s’occuper des conséquences plus tard. Sur la feuille du comptable, la santé des travailleurs ne fait pas le poids face aux économies réalisées. Une illustration tragique de cette réalité est celle d’un employé de la construction mort au travail en août 2017 alors que l’entreprise avait reçu un rapport indiquant la dangerosité du chantier. Ce n’est qu’après l’accident qui a coûté la vie au travailleur que l’entreprise a « adapté ses pratiques » et s’est conformée aux normes de la CNESST. Combien de travailleurs doivent payer de leur vie pour que les compagnies mettent en place de vraies mesures pour assurer leur sécurité?

Ces drames du quotidien continueront d’alimenter la rubrique faits divers tant que les patrons maintiendront leur dictature sur les milieux de travail. Les travailleurs n’ont actuellement aucun réel moyen de choisir de mettre en place des processus de production sécuritaires, de décider du matériel de sécurité qui leur est nécessaire, etc. Ce sont eux qui sont exposés à tous les risques sur leurs lieux de travail, et pourtant ce sont les gestionnaires qui prennent les décisions, à l’abri dans leurs bureaux, bien souvent en méconnaissance des réalités du terrain. Ces derniers feront toujours passer le profit avant la santé des travailleurs.

Les faits démontrent amplement que les travailleurs ne peuvent pas faire confiance aux patrons pour assurer leur sécurité. Nous ne pouvons pas non plus placer nos espoirs dans la réforme du gouvernement caquiste. Quand il s’agit d’un conflit entre les intérêts des patrons et des travailleurs, on sait où se tient la CAQ. François Legault en a récemment fait la brillante démonstration en appelant sans tarder à adopter une loi spéciale contre les travailleurs du CN en grève pour de meilleures mesures de santé et sécurité sur leur milieu de travail.

Si les travailleurs prenaient eux-mêmes les décisions de gestion, ils auraient naturellement tout intérêt à instaurer les conditions de travail les plus sécuritaires qui soient. La santé au travail va au-delà de l’équipement de sécurité, et touche notamment à la question des horaires, de l’organisation du travail et de la santé mentale. C’est pourquoi la santé au travail exige que les travailleurs prennent eux-mêmes le contrôle de leurs conditions de travail, comme l’équipement, les mesures de sécurité, l’horaire, etc. Un tel contrôle ouvrier sur les entreprises permettrait d’établir des conditions de travail sécuritaires, sans que les profits des patrons soient un obstacle à notre santé et notre sécurité.