Le projet péquiste du Sommet sur l’enseignement supérieur est entamé. Il a entraîné depuis quelque temps une humeur cynique chez les participant-e-s et sympathisant-e-s du mouvement étudiant du printemps dernier.

Il y a déjà trois semaines, le Ministre Pierre Duchesne a décidé que la gratuité scolaire n’est pas envisageable pour ce gouvernement. Il était déjà de notoriété publique que le Parti Québécois cherchait à indexer les frais de scolarité au coût de la vie : «une hausse perpétuelle» comme l’a dit l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ).

En effet, lorsque l’on porte attention aux invités de ce sommet, force est de constater que plusieurs participants tels que le Conseil du Patronat ou la Chambre de commerce du Montréal métropolitain se font les porte-étendards du discours néo-libéral de la droite politique et économique. La présence scandaleuse des organisations patronales et capitalistes dénote le parti-pris du gouvernement en faveur du grand capital.

La décision hardie de l’ASSÉ de boycotter la rencontre a suscité des réactions mitigées au sein même du mouvement étudiant, mais cette décision est correcte, car ne pas avancer vers la gratuité scolaire, parmi autres projets sociaux, c’est faire marche arrière dans l’histoire. En réalité, le Sommet n’a aucune utilité autre que d’offrir la chance au gouvernement de sourire devant les caméras autour d’une même table avec des membres de la «société civile». Comme notre lutte de l’année dernière l’a démontré, l’union des forces sociales par la mise à l’avant d’idéaux collectifs opposés à la logique capitaliste porte fruit et le pouvoir étatique n’est pas aussi puissant qu’il peut paraître.

Manifestations sans précédent

L’an dernier, le Québec a vécu la plus grande contestation étudiante, sociale et politique de son histoire. La mobilisation sans précédent de plusieurs milliers d’étudiant-e-s et de travailleur-se-s qui descendirent dans les rues jour après jour malgré la menace brutale des corps policiers aura contraint l’État à reculer sur la question de la hausse des frais de scolarité.

Un mouvement de masse aussi vaste ne s’était pas vu au Québec depuis de nombreuses années étant donné les défaites successives et répétées des mouvements de travailleur-se-s. Alors qu’une frange significative de la population voit son niveau de vie stagner ou se détériorer depuis les dernières décennies au profit des plus riches, les jeunes du Québec ont montré par leur action que s’il n’y a pas de changement social important, le futur sera sombre. La grogne accumulée se sera finalement déversée en flots d’étudiant-e-s en colère contre l’indécente hausse libérale.

Lors de la lutte étudiante, les étudiant-e-s affrontèrent le gouvernement dirigé par Jean Charest, le Premier Ministre plus impopulaire depuis le règne de Maurice Duplessis. Les étudiant-e-s à l’affut ont senti l’importance de bloquer cette hausse inique en s’organisant collectivement et en descendant dans la rue. Le bras de fer engagé au printemps avec le gouvernement aura mis un terme à une série de défaites syndicales. Pensons au Front Commun de 2010, parmi tant d’autres. La mobilisation massive des grandes centrales syndicales représentant 475 000 salarié-e-s du secteur public durant les négociations de conventions collectives en 2010 s’est soldée par l’acceptation de l’offre de Charest par les dirigeant-e-s syndicaux-ales, sans même tirer avantage de la fin de la clause anti-grève légiférée en 2005.

En 2012, dans son ultime tentative de casser le mouvement par le déclenchement d’élections, le gouvernement libéral de Charest se sera lui-même relégué sur le banc de l’opposition à l’Assemblée nationale. Suite à l’élection du gouvernement du Parti Québécois de Pauline Marois le 4 septembre dernier, l’espoir d’un certain changement flottait dans l’air. Or, les récents événements dans l’arène politique québécoise confirment que la joute politique décevante est une tendance historique.

Ce Sommet rappelle d’ailleurs fâcheusement celui des libéraux de la fin 2010, lequel n’était qu’une mascarade piètrement organisée visant à légitimer la hausse de 1625 dollars par année des frais de scolarité universitaire. Il semble que le parti de Mme Marois soit tout autant embrigadé dans la logique comptable de l’économie capitaliste. En priorisant les considérations d’ordre purement économiques, c’est tout le caractère social, fondateur et porteur d’avenir de l’éducation qui est mis de côté.

Encore plus, la tactique du sommet n’est définitivement pas nouvelle: en février 2000, Lucien Bouchard, alors Premier Ministre du Québec, avait organisé le Sommet du Québec et de la jeunesse, visant à mieux faire passer le déficit zéro. Les manifestant-e-s ne s’étaient pas laissé berné et l’avaient annulé. La tradition remonte à 1982, quand le gouvernement de René Levesque organisa le Sommet économique de Québec, dans le but de réduire les salaires des travailleur-euse-s de la fonction publique de 20% pendant trois mois, d’augmenter la taxe de vente de 9% à 10% et de geler les salaires de médecins pour combler un trou budgétaire.

L’obstacle capitaliste

Aujourd’hui, l’ASSÉ indique sur son site internet :

«[O]n pourra parler de gratuité scolaire, mais impossible de remettre en question le cadre économique du gouvernement, qui impose une fin de non-recevoir à toute mesure progressiste. Une réduction des frais de scolarité ne sera même pas considérée sérieusement, au même titre qu’un retour de la taxe sur le capital des institutions financières pour la financer.»

Les contradictions inhérentes du capitalisme sont bien celles qui sont responsables de «l’impossibilité» de la gratuité scolaire. Une économie capitaliste ne pourrait sans doute pas se la permettre très longtemps, comme le démontrent les mesures d’austérité draconiennes dans les pays du sud de l’Europe et l’augmentation récente des frais scolaires de 9000 livres en Angleterre. Dans un contexte de crise économique mondiale, le système économique et politique capitaliste ne peut tolérer de voir baisser son emprise et son pouvoir. Si nous voulons mettre de l’avant les intérêts de la jeunesse et des travailleur-euse-s, il importe plus que jamais de dépasser le capitalisme, au risque, dans le cas contraire, de nous condamner à l’austérité sans fin.

Le rapport de force entre le mouvement étudiant et le gouvernement était de toute évidence propice aux revendications étudiantes au plus fort de la lutte en 2012, mais les manifestations étudiantes et populaires les plus intenses qu’ait connues le Québec n’ont pas abouti dans des gains sociaux. Le secours et l’appui des travailleur-euse-s dans un tel contexte est essentiel, voire même indispensable. La tâche des militant-e-s étudiant-e-s, c’est d’aller chercher ces salarié-e-s et de leur donner confiance que la lutte sera victorieuse. Cela commence en étant solidaires et en défendant les revendications des travailleur-euse-s, ainsi qu’en propageant l’idée d’une grève générale de 24 heures (la fameuse «grève sociale») en opposition à l’austérité provinciale et fédérale chez les membres de base des syndicats.

La question de l’union apparaît ici centrale. Quelle que soit la lutte en cours, l’union en tant que seul véritable moyen de construire un rapport de force contre le pouvoir n’est jamais qu’un rempart temporaire contre l’emprise des forces pro-capitalistes. La seule solution permanente pour garantir une éducation libre, accessible et gratuite repose dans un changement radical de système, lequel changement doit être mené par l’action des travailleur-se-s organisé-e-s et s’ouvre par la nationalisation et la planification démocratique et sociale des industries dominantes : le socialisme. Dans cette optique, l’heure n’est pas à la discussion, mais à la mobilisation, aux manifestations et surtout à une éducation sur les perspectives de lutte pour la transformation de la société.