Le 31 mai à minuit, l’administration Trump a concrétisé ses menaces et imposé des tarifs douaniers sur les importations d’acier et d’aluminium canadiens. Les tarifs s’élèvent respectivement à 25 et 10 %. Le Mexique et l’Europe ont aussi été ciblés.

La situation va maintenant probablement évoluer rapidement vers une véritable guerre commerciale. Quelques semaines auparavant seulement, la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, vantait le « progrès constant » réalisé dans les discussions sur l’ALÉNA avec les États-Unis et le Mexique, et annonçait qu’ils étaient « proches de leur objectif final ». Ce soi-disant progrès a été réduit à néant.

Le Canada et le Mexique ont fait face à de nombreuses difficultés dans le cadre des négociations avec l’administration américaine au cours des derniers mois. Trump est un ardent protectionniste et insistait, parmi d’autres exigences, sur la nécessité d’incorporer plus de composants américains dans les automobiles. Le Canada et le Mexique, qui ont formé de facto un front uni contre les États-Unis, espéraient que Trump abandonne certaines de ses exigences au cours des négociations. Il ne l’a pas fait.

La récente fureur a été déclenchée après un appel téléphonique de la part du vice-président américain Mike Pence au premier ministre Justin Trudeau mardi passé. Quelques jours plus tard, Trudeau expliquait le contenu de cette conversation avec Pence :

« J’ai indiqué que nous étions très proches d’arriver à une entente et que le temps était peut-être venu pour moi de m’asseoir avec le président à Washington dans le but de finaliser cette entente sur l’ALÉNA. Nous avions déjà les bases pour un très bon accord pour toutes les parties et je pensais qu’il pouvait être opportun de tous nous asseoir pendant quelques heures pour en discuter. »

Trump a aimé l’idée, selon Trudeau. C’est alors que l’appel de Pence est arrivé :

« On me demandait d’accepter une disposition de temporisation à propos de l’ALÉNA, ce qui veut dire que tous les cinq ans,  l’ALÉNA prendrait fin à moins que les parties ne décident de le renouveler, ce qui est complètement inacceptable pour nous. J’ai donc répondu que, malheureusement, si c’était une condition pour notre visite, je n’étais pas en mesure d’accepter. Nous ne sommes donc pas allés à Washington pour cette journée de négociations. »

Deux jours plus tard, un communiqué du secrétaire américain au Commerce, Wilbur Ross, annonçait que des tarifs douaniers seraient imposés le jour même à partir de minuit. Selon Ross, cela devait faire état de punition pour le manque de progrès dans les discussions sur l’ALÉNA. En réalité, il s’agit d’une tentative de la part de l’administration américaine d’imposer une entente selon les modalités de Trump. Jusqu’à ce jour, Trump pointait un revolver sur les tempes du Canada et du Mexique. Maintenant, il leur a tiré dans le pied.

La nouvelle a été un véritable choc pour l’industrie canadienne. Les États-Unis sont les plus gros importateurs d’acier et d’aluminium canadiens, avec près de 90 % de l’acier produit ici destiné pour le marché américain. Certains estiment que l’impact économique pour le Canada pourrait s’élever à 3,2 milliards de dollars américains par année. L’économie canadienne repose déjà sur des fondations fragiles et l’avènement d’une guerre commerciale avec son plus important partenaire économique pourrait mener à son effondrement.

Cela n’a pas empêché le gouvernement Trudeau d’imposer presque immédiatement des mesures de rétorsion contre les États-Unis. Le jour même de l’annonce de ces nouveaux tarifs, Freeland a dévoilé une liste de contre-tarifs qui affecteront 16,6 milliards de dollars en exportations américaines. La liste comprenait l’acier et l’aluminium américains ainsi qu’une liste hétéroclite d’exportations provenant en majorité d’États dirigés par des républicains notoires.

Par exemple, le whisky et le yogourt sont deux produits visés par les tarifs imposés par le gouvernement canadien. Cela constituera une menace envers l’industrie laitière au Wisconsin et les industries du bourbon et du whisky au Kentucky, deux États respectivement représentés par Paul Ryan et Mitch McConnell. Trudeau espère que cela forcera les républicains à faire pression sur Trump pour qu’il retire ses tarifs. Cependant, cela pourrait tout aussi bien allumer le feu d’une guerre commerciale encore plus intense.

Trudeau dit qu’il espère que « le bon sens prévaudra », mais le protectionnisme obéit à sa propre logique. Une fois que des tarifs ont été imposés, les autres pays n’ont pas d’autre choix que de répondre par des mesures similaires pour éviter de perdre des parts de marché à leurs compétiteurs. Le libre-échange représentait autrefois le « bon sens » dans l’ordre international issu de la Deuxième Guerre mondiale. Aujourd’hui, le contexte est différent. Des barrières commerciales sont érigées un peu partout alors que les classes dirigeantes des différents pays cherchent désespérément à se protéger de la crise mondiale et à réduire le mécontentement à domicile. La soi-disant « communauté internationale » est désormais engagée dans un véritable bain de sang où les alliés d’hier se retournent les uns contre les autres afin de garder leur place au sommet. Un titre du Washington Post révélait dernièrement que « Trump a officiellement imposé plus de tarifs à ses alliés qu’à la Chine. » C’est désormais la nouvelle norme.

Malgré leurs efforts, le protectionnisme ne peut offrir de solution à la crise. Les barrières commerciales ne feront que réduire le niveau mondial de productivité, pousser les prix à la hausse et intensifier les contradictions du capitalisme qui ont créé cette situation. En se retirant progressivement du marché mondial, ils ne font que paver la voie à des crises économiques plus graves dans l’avenir. C’est exactement la manière dont ont agi les capitalistes après le krach de 1929. Les résultats ne seront pas différents aujourd’hui.

En tant que marxistes, nous ne soutenons ni le libre-échange ni le protectionnisme. Ce ne sont que les deux faces de la même pièce rouillée. Dans chaque cas, ce sont les grandes entreprises qui en profitent alors que les travailleurs de partout sont laissés à eux-mêmes. Le gouvernement canadien prétend « défendre » les travailleurs de l’acier et de l’aluminium canadiens en imposant des tarifs sur les importations américaines. Mais où était-il quand les travailleurs de l’acier de Stelco se faisaient voler leurs pensions par les patrons? En réalité, ce sont les intérêts du patronat canadien qu’ils ont à coeur, pas ceux des travailleurs canadiens. Défendre les profits des patrons n’offre aucune garantie que nos vies s’amélioreront. Le capitalisme, sous toutes ses formes, ne peut offrir aucune solution à la classe ouvrière. Le libre commerce a eu pour effet la délocalisation de la production vers des juridictions où les salaires sont plus bas et où les syndicats sont absents. Le protectionnisme ne fera qu’augmenter les prix pour les consommateurs. Dans tous les cas, cela ne profite qu’aux riches.

Il n’y a qu’une seule solution et c’est la lutte unie des travailleurs canadiens, américains et mexicains contre tous les exploiteurs. Les travailleurs ne se soucient pas de savoir quelle bande de voleurs réalise le plus de profits. Ce qui est important pour la classe ouvrière, ce sont des emplois décents et un coût de la vie abordable. Si une usine est fermée et que des bons emplois sont perdus à cause du protectionnisme, notre priorité est de protéger ces emplois et d’assurer la subsistance des travailleurs qui sont touchés. Si une usine est délocalisée en raison de politiques de libre-échange, notre priorité est toujours de protéger ces emplois. Si les capitalistes ne sont pas en mesure de fournir cela, les travailleurs n’ont pas d’autre choix que de prendre eux-mêmes les choses en main et de saisir l’usine afin de sauver leurs emplois.

Pour cette raison, nous disons que toutes les entreprises menacées de fermeture doivent être expropriées et placées sous le contrôle démocratique des travailleurs. Cela permettrait de préserver les emplois et la production, tout en donnant aux travailleurs la capacité de bâtir une solidarité qui ignore les frontières pour trouver une solution à la crise en partant de la base vers le sommet, et non l’inverse. Plutôt que de voir les travailleurs canadiens s’unir aux patrons canadiens contre les travailleurs américains et mexicains, nous lançons un appel pour des tactiques combatives qui unissent tous les travailleurs contre tous les patrons.

Ni le protectionnisme capitaliste ni le libre-échange capitaliste ne représentent des solutions. C’est le capitalisme lui-même qui est la cause du problème et les travailleurs ressentiront les effets de la crise tant et aussi longtemps qu’il existera. En dernière analyse, la solution aux crises de l’emploi et du commerce se trouve dans la construction d’une union socialiste entre les travailleurs de la région. Une Fédération socialiste des Amériques permettrait d’intégrer la production à travers les frontières et de répondre aux besoins de tous. Pour la première fois, nous pourrions utiliser la richesse concentrée au sommet afin de fournir une qualité de vie décente à chacun, qu’il soit canadien, américain ou mexicain. Pour nous, un travailleur est un travailleur. Nous ne sommes pas ennemis. Nous avons des objectifs communs et, qui plus est, nous avons un ennemi commun : les capitalistes qui nous volent tous indifféremment. Ils se retournent maintenant les uns contre les autres. Bientôt, ce sont nous qui nous retournerons contre eux.