Des élections se sont tenues dimanche 26 novembre 2017 au Honduras. Les premiers résultats donnaient la victoire au candidat de l’opposition Salvador Nasralla, mais, mystérieusement, le candidat nationaliste Juan Orlando Hernández l’a devancé. Une véritable fraude électorale a déclenché la mobilisation populaire la plus importante depuis 2009.


Le dimanche 26 novembre dernier ont eu lieu les élections présidentielles, locales et législatives au Honduras. Parce qu’il s’agit du seul exercice démocratique dont disposent les Honduriens, les électeurs sont massivement allés voter très tôt le matin. Notons que ces élections voyaient s’affronter 2 grands candidats : Juan Orlando Hernández (JOH), actuel président et membre du Parti National, historique parti conservateur, et Salvador Nasralla, candidat de l’Alliance d’Opposition soutenu par le Parti de gauche LIBRE (Liberté et Refondation) dirigé par l’ancien président Manuel « Mel » Zelaya.

Des élections irrégulières

La fraude n’est pas quelque chose de nouveau au Honduras. Lors des élections précédentes en 2013 que JOH avait remportées, on avait déjà dénoncé de fortes irrégularités. Achat d’accréditations, base électorale non-actualisée ce qui faisait que même des morts avaient voté, entre autres. Malgré la fraude, JOH avait réussi à s’imposer. Il a eu quatre ans pour gouverner et pour préparer le coup suivant.

Le régime actuel a surgi directement du coup d’État militaire de 2009 durant lequel les forces armées ont renversé le président Mel Zelaya. En effet, l’oligarchie hondurienne voyait d’un mauvais œil son discours de plus en plus prononcé à gauche. Le coup a permis au Parti National de s’emparer progressivement des institutions honduriennes, depuis le Congrès National jusqu’à la Cour Suprême de Justice. C’est ce fort contrôle et la corruption de certains éléments des partis d’opposition qui lui ont permis de présenter une candidature à la réélection alors que la Constitution l’interdit à cause de l’alternance obligatoire des présidents.

Jusque-là, tout semblait aller à merveille et JOH se dirigeait confortablement vers la réélection. Dans un pays déjà réputé très dangereux pour les militants de gauche ou les journalistes, le Parti National a créé un climat de terreur : campagne de diffamation à travers les principaux canaux médiatiques du pays, achat massif de voix grâce au chantage des programmes sociaux, intimidation des votants de l’opposition et des assassinats ciblés contre des dirigeants syndicaux et paysans, dont Berta Cáceres. Le Parti National avait bien prévu le coup. Mais il ne s’attendait pas à ce que le résultat soit aussi serré. Il semble évident que les masses se sont emparées de cette élection et se sont mobilisées à grande échelle.

Comme il est l’habitude dans ce petit pays de 8 millions d’habitants, à la fin de la journée de dimanche, le Tribunal Suprême Électoral (TSE) devait donner un pronostic pour le vainqueur des scrutins. Sauf que, cette fois-ci, il ne publia rien et laissa l’incertitude régner. Cela laissa la porte ouverte à la grande presse, Televicentro, La Tribuna, etc., politiquement alignée avec JOH de proclamer celui-ci comme le vainqueur des élections. Mais de son côté, le magistrat du TSE David Matamoros était quand même obligé de déclarer qu’après avoir dépouillé 57 % des bulletins de vote, une tendance claire se dessinait en faveur du candidat de l’opposition Salvador Nasralla. Immédiatement, des milliers de supporters du candidat de l’Alliance d’Opposition fêtèrent le triomphe.

Néanmoins, le mercredi 29 novembre, le système de comptage des voix connut un black-out de plusieurs heures. Après le black-out, comme par magie, la tendance était inversée. Ce n’était plus le candidat de l’opposition mais JOH qui l’emportait. La possibilité de se voir voler la victoire de manière aussi frauduleuse a été la goutte qui a fait déborder le vase.

Des manifestations massives, des blocages de routes et des émeutes ont fait entrer le Honduras dans une phase quasi insurrectionnelle.

La raison des mobilisations

Derrière ces manifestations massives, il y a une indignation et une colère de la part de larges secteurs de la société. En effet, les conditions de vie des Honduriens, déjà terribles, se sont fortement dégradées depuis le coup d’État de 2009 : hausse des prix des produits alimentaires (où les Honduriens doivent dépenser la quasi-intégralité de leur revenu mensuel pour payer le panier de consommation de base), hausse du prix de l’essence et de l’électricité, chômage élevé, sous-emploi, salaires à la baisse, un système de santé dans un état pitoyable, des très hauts taux de criminalité ; en même temps, le pays figure, selon les données de la Banque Mondiale, comme le plus inégalitaire de toute l’Amérique Latine. Tel est le régime qui a surgi du coup réactionnaire de 2009 et qui pousse de nombreuses personnes (entre 80 000 et 100 000 personnes par an) à chercher la voie de l’émigration, principalement vers les États-Unis.

Jusque-là, la stratégie du Parti National pour que le pays n’éclate pas a été de mener une politique autoritaire et des programmes sociaux pompeux. Afin de soi-disant amener le développement au pays, il propose le projet « Honduras 20/20 » qui signifie pour les travailleurs davantage de précarisation de l’emploi et de privatisations pour satisfaire la soif de profit des multinationales. Mais ce régime est instable et le ras-le-bol finit tôt ou tard par s’exprimer.

Depuis la résistance au coup d’État de 2009, le Honduras a connu des épisodes de lutte très importants. La dernière grande mobilisation date de 2015. Elle dénonçait le détournement de centaines de millions de dollars des caisses de l’assurance sociale (IHSS) en faveur du parti au pouvoir. Nous pouvons constater que ces expériences restent dans l’imaginaire des manifestants qui ont développé de bons réflexes. Si certaines manifestations ont été appelées par la direction de l’Alliance d’Opposition, une très grande partie s’est organisée de manière semi-spontanée, par des organisations locales. Comme en 2015, la revendication au cœur des mobilisations était la démission de JOH.

État d’urgence

Le 1er décembre, afin de maintenir le contrôle du pays pendant qu’il complète la fraude, le régime a décidé de suspendre les droits constitutionnels et de déclarer l’état d’urgence. Cela veut dire que les gens n’ont pas le droit d’association, de manifestation ni même de sortir de chez eux. Mais loin d’atténuer les manifestations, les gens ont occupé les rues le soir au son des casseroles, tactique qui nous rappelle l’Argentine de 2001.

Le dimanche 3 décembre a eu lieu la plus grande manifestation depuis 2009 lorsque le président déchu Mel Zelaya avait tenté de rejoindre le pays suite au coup d’État militaire. La répression qui suivit fit déjà un bilan meurtrier : des centaines d’arrestations, des blessés et 7 morts en date du 4 décembre. Encore une fois, loin de calmer les manifestants, la répression les a soudés davantage. Les manifestants ont essayé de sensibiliser les policiers pour qu’ils fassent cesser les répressions. La pression populaire a même réussi à ce que l’escadron Cobras de la Police Nationale hondurienne se désolidarise du gouvernement et ose dénoncer ouvertement leurs supérieurs. Ils les accusent de «  collusion » avec le parti au pouvoir et appellent les officiers intermédiaires à prendre le contrôle de l’institution. D’autres unités de la police ont fraternisé avec le peuple et sont en état de mutinerie. Ceci est significatif du niveau très élevé qu’a atteint la lutte du peuple hondurien en quelques jours.

Le problème de la direction

L’objectif de l’Alliance d’Opposition composée du parti LIBRE et du parti social-démocrate PINU-SD, avec leur candidat Salvador Nasralla, était de proposer une alternative à JOH lors des élections du 26 novembre. Beaucoup de gens de la classe ouvrière, paysanne ou petite-bourgeoise citadine ont donc vu dans cette candidature une manière d’exprimer leur rejet de la politique de JOH et de son parti. De plus, malgré le fait que Salvador ne vient pas de la gauche, son programme maintient encore des revendications du parti LIBRE telles que la récupération des entreprises publiques privatisées et un arrêt des politiques d’austérité; bien que la direction de LIBRE n’ait pas été en mesure de défendre ces revendications jusqu’au bout par le passé.

C’est sous la pression populaire que les dirigeants maintiennent encore une position relativement inflexible face à JOH. Salvador Nasralla a insisté sur le fait qu’ils ne reconnaîtront pas les résultats issus de la fraude électorale et a appelé les gens à manifester. Évidemment, ils ont été soumis à des pressions de la part du régime pour qu’ils calment leurs bases et se mettent à dialoguer. Les dirigeants de l’opposition savent bien que la situation peut leur échapper. Questionné dans un interview à Radio Progreso sur la possibilité que le tribunal déclare la victoire de JOH, Salvador a dit que cela ne dépendait pas de lui mais du peuple dans les rues. Les dirigeants de l’Alliance, même modérés, parlent de «  guerre civile », « d’insurrection », etc. Mais ils n’ont pas vraiment de plan d’action à proposer. Pour l’instant, ils maintiennent la revendication d’un recomptage de voix et cherchent le soutien des organismes internationaux, de l’OEA, des États-Unis et de l’Union européenne. Mais c’est de la poudre aux yeux. Nous ne pouvons pas faire confiance aux mêmes personnes qui ont avalisé le coup d’État et la fraude électorale de 2013. C’est vers le chemin de l’échec, des fausses négociations et de la capitulation que mèneront ces positions. Le régime de JOH a prouvé qu’il n’a peur de rien pour préserver son pouvoir. Pour le vaincre, il faut mener la lutte jusqu’au bout et faire confiance au peuple hondurien qui est, aujourd’hui plus que jamais, décidé à lutter. La victoire de Salvador doit devenir une réalité et seul le peuple mobilisé peut y arriver. À trois reprises ces dix dernières années, le peuple hondurien a mené des luttes qui se sont soldées par des échecs. Dans les trois cas, malgré le courage et la détermination de la base, la direction des mouvements a capitulé et les mobilisations ont fini par refluer.

La grève générale illimitée, instrument de lutte pour vaincre

Des appels à des grèves générales sont lancés par des secteurs plus à gauche. Nous constatons que ces secteurs sont prêts à aller plus loin. Néanmoins, la dispersion des mobilisations est un grand obstacle. L’histoire du mouvement ouvrier nous enseigne que seule la lutte unifiée des travailleurs est une garantie pour faire aboutir ses revendications. C’est du moins l’enseignement de la dernière grande grève générale de 1954. Ramón Amaya Amador, écrivain hondurien, disait dans son message aux grévistes la phrase suivante : « Cela veut dire que les travailleurs, pour faire entendre leur parole et leurs revendications, ne peuvent compter que sur une arme mais qui est plus formidable que les armes thermonucléaires : l’organisation! l’unité et l’organisation! » (Amaya Amador, 1954). Les mobilisations doivent renouer avec l’héritage de 1954. Les prochains pas doivent être de mieux s’organiser en vue d’une grève générale conséquente. Pour ce faire, nous avons besoin dans chaque colonia et barrio (quartier), des comités de lutte pour préparer cela et d’une coordination nationale. Cela doit être le plan d’action de l’Alliance afin de défendre la victoire.

La situation actuelle au Honduras nous fait penser à cette célèbre citation de Trotsky lorsqu’il disait que les conditions sociales peuvent être les plus mûres mais que sans une direction révolutionnaire, la révolution ne peut pas gagner. La crise du peuple hondurien est la crise de la direction révolutionnaire. La tâche des militants conscients est de construire une organisation qui soit capable de proposer un programme au peuple hondurien pour en finir avec la misère. Il faut une organisation qui puisse incarner les meilleures traditions du prolétariat hondurien et de militer pour faire renouer le mouvement ouvrier avec le « chemin de mai » de Amaya Amador, c’est-à-dire le chemin de la grève générale, le chemin du socialisme. Les travailleurs honduriens ont une immense responsabilité : de leur victoire ou de leur échec dépendra le sort de la lutte des travailleurs d’Amérique centrale et du Mexique.

Grève générale illimitée jusqu’à la chute de JOH!
Renouons avec le « chemin de mai »!
Longue vie à la révolution hondurienne, étincelle de la révolution socialiste en Amérique centrale !