La propagation de la COVID-19 progresse rapidement au Québec. Un scénario du ministère de la Santé envisage même la possibilité d’avoir à traiter 400 000 cas et la mort de 24 000 personnes. Mais la crise n’est pas que sanitaire. Des milliers, peut-être déjà des centaines de milliers de travailleurs québécois se trouvent sans emploi. Avec un Québécois sur deux qui vit d’un chèque de paye à l’autre et qui est à 200$ de ne pas pouvoir arriver, des centaines de milliers de travailleurs se retrouveront rapidement dans la misère. 

Actuellement, la population est généralement satisfaite de la réponse du gouvernement de François Legault face à la crise, à hauteur de 85%. Cela s’explique par le fait que Legault a mis en place des mesures rapidement si on compare aux réactions (ou à l’absence de réaction) criminelles des classes dirigeantes canadienne, américaine, italienne, britannique, française, etc. Sous pression, la CAQ a également suspendu le paiement des dettes étudiantes pour six mois et les expulsions de locataires par la Régie du logement, le temps de l’état d’urgence sanitaire. 

Résultat, la CAQ surfe maintenant sur un taux d’appui de 46%. Le directeur national de la santé publique, Horacio Arruda, est considéré comme un héros et fait l’objet de nombreux « memes » qui le glorifient. Mais les mesures prises par la CAQ ont-elles été suffisantes? Et pouvons-nous véritablement compter sur la CAQ pour protéger les travailleurs? 

Une gestion de crise exemplaire, vraiment?

Dès le 13 mars, le gouvernement a annoncé la fermeture des écoles et l’interdiction des rassemblements de plus de 250 personnes. Rapidement, il a ordonné la fermeture des bars, des cinémas et d’autres lieux de rassemblements. Cependant, à cette étape, il jugeait que la fermeture des tours à bureaux et d’autres lieux où des centaines de travailleurs se côtoient n’était pas souhaitable. « Je pense que c’est important que les gens continuent de travailler. » avait-t-il annoncé.

Le lendemain des fermetures, Legault a annoncé l’adoption d’un Programme d’aide temporaire aux travailleurs touchés par le nouveau coronavirus (PATT), une mesure qui coûterait environ 150 millions de dollars. Ce programme n’offre que 573$ par semaine pour deux à quatre semaines, un montant à peine plus élevé que le salaire minimum. Néanmoins, plusieurs travailleurs qui venaient tout juste de perdre leur revenu pensaient alors que le gouvernement leur venait en aide. Au contraire : le programme ne fournit une aide qu’à ceux qui sont forcés de rester à la maison, par exemple parce qu’ils reviennent de voyage ou parce qu’ils ont des symptômes ou ont contracté le virus. Mais de nombreux travailleurs précaires ne sont pas dans cette situation. En fait, la vaste majorité ont plutôt été mis à pied, voient leurs heures réduites ou ont carrément perdu leur emploi. Et pourtant, tous ces travailleurs sont inadmissibles au PATT. Ce programme insuffisant ne touche donc que très peu de personnes.Concrètement, Legault n’a à peu près rien fait pour les centaines de milliers de travailleurs qui sont maintenant en congé sans solde, au chômage ou au bord de l’être. 

Lorsqu’il est question des entreprises, cependant, alors là les poches du gouvernement sont pleines. Le 20 mars dernier, le gouvernement Legault a annoncé un plan d’aide aux entreprises de 2,5 milliards de dollars, tout en annonçant que d’autres mesures allaient venir par la suite. Les entreprises peuvent dorénavant demander un prêt d’un minimum de 50 000$ au gouvernement. Le message est clair : si vous êtes un patron, on va vous aider à passer à travers la crise, mais si vous avez perdu votre emploi, arrangez-vous!

La situation s’est intensifiée lundi le 23 mars, alors que le gouvernement a décrété la fermeture de tous les commerces et entreprises jugées non-essentielles pour au moins trois semaines. Cette décision, bien qu’elle soit nécessaire, va faire perdre leur revenu à des milliers de travailleurs. Legault n’a rien prévu pour les aider, ayant plutôt vaguement délégué la responsabilité au gouvernement fédéral.

De plus, la fermeture de la production et des entreprises non-essentielles aurait dû être décrétée bien avant. Certains travailleurs étaient d’ailleurs passés à l’action pour signaler le danger. Par exemple, la semaine dernière, une centaine d’employés du chantier du REM ont refusé de travailler, puisque les conditions y étaient trop médiocres pour que les consignes d’hygiène et de distanciation sociale soient respectées. Chaque jour à avoir attendu pour fermer les entreprises non-essentielles a contribué à laisser le virus se propager, simplement pour que les profits continuent de rentrer. Chez Bombardier notamment, 1000 travailleurs de l’usine de Pointe-Claire ont été exposés au virus car un des leurs l’avait contracté. C’est seulement depuis ce lundi que les usines de Bombardier sont fermées. 

Cela montre que les décisions sur les services essentiels ne peuvent pas être laissées entre les mains des patrons et de leur gouvernement qui souhaitent simplement maintenir des profits aussi élevés que possible. Les travailleurs devraient eux-mêmes imposer un contrôle ouvrier sur la production, la distribution et les services, et décider de comment fournir les services essentiels tout en assurant leur sécurité sanitaire.

De plus, le gouvernement n’a jusqu’à présent annoncé aucun investissement en santé, ce qui est absolument scandaleux. Après des décennies d’austérité en santé – une austérité que François Legault et la CAQ ont toujours défendue – nos hôpitaux sont mal équipés pour faire face à la crise. Il est bien connu également que le personnel du réseau de la santé québécois était déjà au bout du rouleau avant la pandémie et que les urgences du Québec étaient déjà complètement débordées. Le 20 mars dernier, le directeur du Réseau de recherche en santé respiratoire du Québec, le docteur Philippe Jouvet, a affirmé qu’aucune province canadienne n’est actuellement capable d’accueillir le volume de patients que l’on s’apprête à recevoir au pays. Un médecin québécois a même été jusqu’à dire : « On ne peut pas dire qu’on va pouvoir soigner tout le monde. »

De même, le gouvernement n’a pris aucune mesure pour augmenter la production de matériel médical. Même s’il répète qu’il ne manque pas de matériel, Le Soleil rapporte que « la pénurie s’avère bien réelle et actuelle ». Dans certains hôpitaux, la direction rationne le matériel de protection! Par exemple, le CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec affirme : « Tant les gants, les masques, les blouses que les protections oculaires sont en nombre très limité actuellement, donc on en a fait une utilisation très judicieuse. » Les réseaux sociaux recèlent de nombreux témoignages d’infirmières qui rapportent que leurs employeurs leur refusent de l’équipement de protection. Si des mesures immédiates et drastiques pour embaucher plus d’infirmières, de médecins et de préposés, créer plus de lits et obtenir plus d’équipement ne sont pas mises en place, nos « anges gardiens » seront bientôt forcés de choisir qui maintenir en vie, et qui laisser mourir.

L’État québécois, un boss autoritaire

En même temps que de remercier sans cesse les travailleurs qui font fonctionner la société pendant la crise, le gouvernement ne se gêne pas pour jouer son rôle d’État-patron. Après avoir proposé de reporter les négociations des conventions collectives du secteur public, ce que les syndicats avaient accepté, la CAQ a fait volte-face en présentant une offre de négociation accélérée aux syndicats. Bien que rien ne soit officiel pour l’instant, il semblerait que l’augmentation de salaire proposée suivrait à peine l’inflation, ce qui est loin des demandes initiales des syndiqués. Le gouvernement semble vouloir capitaliser sur la pandémie pour en passer une petite vite aux employés du secteur public, dont les dirigeants avaient malheureusement complètement baissé la garde, offrant leur « entière collaboration » au gouvernement. 

Le gouvernement a agi avec encore moins de considération pour les travailleurs de l’éducation en suspendant carrément leurs conventions collectives. Les enseignants et le personnel de soutien se retrouvent donc potentiellement dans une situation de pertes de salaires ou d’heures réduites. Encore une fois, la présidente de la CSQ était surprise de la décision du gouvernement, étant donné qu’elle lui avait assuré l’étroite collaboration du personnel. Semble-t-il que nous ne sommes pas tous et toutes dans la même équipe après tout!

Dans le secteur de la santé, les gestionnaires font preuve de négligence et le gouvernement presse les travailleurs comme des citrons. Dans de nombreux cas, on rapporte des travailleurs âgés forcés de continuer à travailler, des employés à qui on refuse le télétravail et même des personnes avec des symptômes forcés de continuer à travailler. Pour ajouter de l’huile sur le feu, la ministre de la Santé, Danielle McCann, a décrété la suspension partielle des conventions collectives dans le milieu de la santé. L’arrêté ministériel permet aux employeurs de suspendre ou refuser toutes les demandes de congé, en plus de déployer les travailleurs sans considération pour leur poste ou leur quart de travail. Concrètement, cela signifie pousser les travailleurs de la santé à travailler des heures interminables, ce qui est carrément dangereux pour leur santé et celle des patients. Il est clair que des mesures draconiennes doivent être prises pour lutter contre le virus, mais ce sont les travailleurs de la santé eux-mêmes qui devraient gérer la crise et non le gouvernement de façon autoritaire, en refusant tout investissement dans le domaine.

Malgré tout cela, presque personne au sein de la gauche et du mouvement ouvrier n’a dénoncé la CAQ jusqu’à présent. Bien au contraire. La direction de Québec solidaire a à peine critiqué Legault et la CAQ, affirmant qu’il est temps de se rallier en ces temps difficiles. Le 12 mars, Manon Massé écrivait sur Facebook : « J’ai assuré [à François Legault] qu’il pouvait compter sur la pleine et entière collaboration de Québec solidaire dans les prochaines semaines. La situation est préoccupante et ce n’est pas le moment de scorer des points politiques. » Un peu comme si en temps normal, pour QS, la politique n’est qu’un jeu où on marque des points! Elle réitérait le 17 mars : « Aujourd’hui, on est tous et toutes dans la même équipe. […] [Le premier ministre joue] un rôle de chef d’orchestre. Et nous, on joue un rôle de musiciens […]. » 

Mais les actions récentes du gouvernement montrent que, même dans une situation de crise, non, nous ne sommes pas tous et toutes dans la même équipe. Avant la pandémie, le gouvernement Legault était déjà un gouvernement au service des patrons. En temps de pandémie, ce fait fondamental ne change pas. C’est ce qui explique le peu de soutien du gouvernement envers les travailleurs est sa complaisance avec l’entreprise privée. Il ne s’agit pas de « scorer des points politiques », mais d’offrir les meilleures solutions possible, capables de régler la situation et de répondre aux besoins urgents de centaines de milliers de gens. 

Pour faire face à la pandémie, toutes les ressources doivent être libérées afin de financer la lutte contre le virus. Ce ne sont pas les travailleurs qui devraient payer pour la crise : tous ceux ayant été mis à pied ou en congé doivent recevoir leur plein salaire, et les travailleurs doivent prendre le contrôle des entreprises afin d’assurer à la fois les services essentiels et des conditions sanitaires suffisantes. La nationalisation des grandes entreprises et un plan de production socialiste sont nécessaires pour que la quête de profits ne se mette pas dans le chemin de la lutte pour sauver des vies. Il n’y a pas de temps à perdre!

Legault ne cesse de remercier ses « anges gardiens », les employés du secteur de la santé, et demande à tous les travailleurs touchés par la crise « d’être patients ». Sauf que la patience a ses limites. Bien vite, il deviendra clair que les mesures prises par le gouvernement sont insuffisantes pour faire face à la crise, et les tensions avec les patrons et le gouvernement vont s’envenimer. La classe ouvrière doit se serrer les coudes et demander des comptes au gouvernement Legault : c’est une question de vie ou de mort. S’il est trop soucieux de protéger les capitalistes pour prendre les mesures nécessaires, alors il faut s’organiser pour le forcer à le faire, ou les prendre nous-mêmes.