« Qui va payer pour la crise? » était le thème du Conseil national de Québec solidaire qui s’est tenu en ligne les 21 et 22 novembre derniers. Alors que la province fait face à un déficit record, QS propose de créer un « bouclier anti-austérité » en imposant davantage les grandes entreprises pour payer pour la crise. La porte-parole du parti Manon Massé affirme, avec justesse, que ce ne doit « surtout pas [être] les travailleurs et travailleuses » qui payent pour la dette. Nous sommes tout à fait d’accord avec cette idée.
Devant la montée des inégalités sociales, faire payer les plus riches pour la crise est une idée qui gagne en popularité. Un récent sondage indiquait que 79% des Canadiens sont d’accord pour taxer davantage les plus riches. Même 64% des conservateurs sont favorables à un impôt sur la fortune du 1% le plus riche. Les marxistes se réjouissent de cet enthousiasme à vouloir faire payer les plus riches de notre société. Mais comment y arriver?
La CAQ prépare les attaques
Dans sa récente mise à jour économique, le gouvernement a annoncé un déficit record de 15 milliards de dollars pour 2020 seulement, et un déficit total de 30 milliards pour la période de 2020 à 2023. Le ministre des Finances Éric Girard affirme : « Nous reviendrons à l’équilibre budgétaire d’ici 5 ans sans couper dans les services et sans augmenter les taxes et impôts. » Il ne chiffre toutefois pas comment il prévoit de combler ce déficit, s’étant contenté de mentionner d’éventuelles sommes du fédéral en santé et une reprise de l’économie. Rien de clair, et surtout rien de moins certain!
Le gouvernement fédéral fait actuellement face à un déficit gargantuesque, après avoir dépensé plus que jamais. La pluie d’argent public devra plus tôt que tard faire place à la sécheresse. L’idée que l’économie avancera bon train après la pandémie est aussi un mirage. Sans ne s’être jamais véritablement relevée de la dernière grande crise de 2008, l’économie mondiale est entrée dans la pire crise de son histoire. La pandémie n’a été que l’élément déclencheur d’un processus plus profond qui se poursuivra après elle. L’argent ne poussera pas dans les arbres, et ultimement la dette devra être payée. Derrière les formules creuses et promesses vides, pas difficile de comprendre que la CAQ prépare des compressions budgétaires.
QS a tout à fait raison de sonner l’alarme. On ne peut pas tolérer de nouvelles coupes dans les services publics. La pandémie est en train d’achever le système de santé – déjà ruiné par des décennies d’austérité. À cela s’ajoute le manque criant de ressources en éducation, et dans les services sociaux en général. Une vague d’austérité aura un impact désastreux sur nos conditions de vie.
Comme solution de rechange à l’austérité, QS propose d’instaurer un « bouclier anti-austérité » composé de trois mesures. D’abord, un impôt progressif de 0,1% à 3% sur les fortunes d’un million de dollars et plus. Ensuite, un impôt spécial de pandémie pour les grandes entreprises, en faisant passer le taux d’imposition de base de 11,6% à 17,4%. Cela s’accompagnerait d’une mesure d’exemption pour les PME. Enfin, QS propose de taxer les grands pollueurs en augmentant de 30% le prix des émissions de carbone. Avec toutes ces mesures, QS estime que l’État québécois pourrait aller chercher environ 9 milliards de dollars annuellement qui pourraient être investis dans les services publics.
La droite contre QS
Sans surprise, la droite et les défenseurs du statu quo sourcillent. « Temps durs pour les riches » lisait-on en titre d’un éditorial de Jean-Robert Sansfaçon du Devoir. Celui-ci présente le projet de QS comme du « bricolage inspiré d’une idéologie bien connue pour attirer l’attention en ces temps difficiles pour les partis d’opposition ». Sa critique est simple : augmenter les impôts des grandes entreprises nuirait à l’économie de la province comme cela créerait un frein sur l’investissement, et donc conséquemment nuirait à l’emploi et aux revenus que l’État pourrait aller chercher. À cela s’ajoute l’idée qu’on ne peut empêcher les grandes fortunes d’aller se réfugier dans les paradis fiscaux. L’article se termine par une solution bien simple : « Peut-être faudra-t-il un jour accroître la charge fiscale des Québécois. » En bref : ne touchons surtout pas aux grandes entreprises et laissons les travailleurs payer encore plus!
Arguments similaires du côté de Mario Dumont, l’ex-politicien de droite, qui interviewait Gabriel Nadeau-Dubois sur les ondes de LCN : « Quand François Hollande avait proposé de taxer les grandes fortunes, il avait fait rêver tout le monde, en disant qu’il n’y a que les riches qui vont payer. Mais ça a été un désastre. Ça n’a pas marché. Il a été obligé de défaire tout ça. » Sans cacher son cynisme, il mentionne : « Je comprends que le principe est bon. Il y a un pour cent qui va payer. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent sont heureux et vont voter pour vous. Mais dans la vraie vie, ça ne fonctionne pas. Les grosses compagnies, dont la plupart sont multinationales, peuvent déplacer leurs avoirs. C’est un peu de l’illusion, non? » Dumont nous donne sans faire exprès un excellent argument contre le système capitaliste qu’il défend.
Lutte de classe
Aux commentaires de Dumont, GND a répondu : « Je ne pense pas que Walmart va quitter le Québec en courant si on lui demande de payer plus d’impôts. » Et il ajoute que faire payer les plus grandes entreprises « n’est pas une question de possibilité, c’est une question de courage politique. Est-ce que le gouvernement a le courage politique de mettre ses culottes devant ces grandes multinationales-là? » La direction de QS présente son bouclier anti-austérité comme une proposition modérée. Alors que certaines entreprises ont vu leurs profits monter en flèche depuis mars, ce n’est effectivement pas une idée farfelue que de vouloir que les « gagnants de la pandémie » payent « leur part ».
Dumont, cet ennemi des travailleurs, soulève cependant un exemple qui vaut la peine d’être abordé. En France, en 2012, François Hollande du Parti socialiste s’est fait élire avec la promesse de mettre fin à l’austérité et d’augmenter significativement les impôts des grandes entreprises et riches individus. Mais ce choc fiscal sur les plus riches a rapidement amené une fuite importante des capitaux, forçant le gouvernement à se rétracter. Pour ne pas nuire à l’investissement au pays et regagner la confiance des marchés, Hollande a dû mener une politique d’allégement fiscal pour les entreprises, combinée à des coupes importantes dans les services publics. L’austérité est ainsi devenue le programme du PS, et l’impopularité du président a atteint un niveau historique.
Plus récemment, au Royaume-Uni, nous avons eu un avant-goût de ce qui pourrait attendre QS au seuil du pouvoir. Devant la menace d’un gouvernement travailliste mené par le réformiste de gauche Jeremy Corbyn, les grandes entreprises et le monde des affaires se sont préparés activement pour sortir leur argent du pays. Comme QS, Corbyn voulait s’attaquer aux avoirs des plus riches pour financer les services publics. Il n’y a aucun doute qu’un gouvernement solidaire ferait face à un chantage économique similaire.
On a presque l’impression que la direction de QS a plus de confiance dans le système capitaliste que les Mario Dumont de ce monde. Mais les appels au bon sens ou à l’empathie n’amèneront pas les capitalistes à céder. On ne peut pas demander au guépard de se plier aux volontés de la gazelle! Quand on s’attaque aux profits des entreprises, celles-ci répliquent. C’est d’ailleurs ce que Walmart avait fait quand les employés de la succursale de Jonquière se sont syndiqués en 2001. La multinationale avait rapidement mis la clé dans la porte.
Les marxistes sont entièrement d’accord avec l’idée que les travailleurs doivent cesser d’être ceux qui payent encore et encore. Mais nous sommes aussi très réalistes. Nous sommes dans une lutte de classe, et la classe capitaliste le comprend très bien. Un gouvernement qui parviendrait à aller chercher davantage dans les coffres des géants capitalistes – aussi minime que soit la part récupérée – serait un exemple intolérable, qui inciterait d’autres gouvernements à faire de même. Une brèche dans la toute-puissance des entreprises pourrait également encourager le mouvement ouvrier à être plus audacieux dans ses revendications et ses combats. En période de crise profonde du capitalisme, la classe dominante craint pour sa survie, et on peut être certain qu’elle ne se laissera pas faire si on s’en prend à elle.
Nous avons déjà souligné par le passé l’échec de Syriza en Grèce. Le parti de gauche radicale a pris le pouvoir en 2015 avec un programme anti-austérité, mais n’était pas prêt à aller jusqu’au bout de la lutte contre les capitalistes. Les grandes banques européennes ont alors forcé Syriza à capituler et implanter d’énormes mesures d’austérité – pires que celles des conservateurs qui l’ont précédé! Semblable à la catastrophe du gouvernement Hollande, Syriza est devenu très impopulaire et a jeté les bases pour la montée de la droite au pouvoir. Il faut retenir les leçons de cet échec.
Si QS veut parvenir à faire payer les riches entreprises pour la crise et éviter l’austérité, le parti doit être prêt à aller jusqu’au bout de la lutte qui sera déclenchée par son bouclier anti-austérité. Il faut se préparer à faire le nécessaire pour aller chercher les richesses des entreprises.
Les grandes entreprises possèdent les leviers de l’économie et tiennent les gouvernements et les travailleurs en otage grâce à cela. Il faut envisager concrètement de prendre contrôle de ces leviers en expropriant les parasites milliardaires. Par exemple, si des grandes entreprises s’arrangent pour ne pas payer ou menacent de quitter le Québec devant l’augmentation de l’imposition, il faudra nationaliser ces entreprises sans compensation et en placer le contrôle directement dans les mains des travailleurs, qui sont déjà ceux qui les font fonctionner. C’est la seule façon d’aller récupérer l’argent et les emplois qui autrement s’envoleraient.
Austérité ou socialisme
Avec la pandémie, les gouvernements se sont massivement endettés en donnant des milliards aux grandes entreprises pour maintenir l’économie sur le respirateur artificiel. En fait, bon nombre d’entreprises n’existeraient plus si ce n’était de l’aide directe de l’État.
Mais pourquoi alors laisser le contrôle de l’économie dans les mains des capitalistes? Les patrons s’en mettent plein les poches aux dépens des fonds publics, et il faudrait se contenter de reprendre une fraction de ces fonds publics sous la forme de taxes?
GND mentionnait en entrevue que « dans des temps exceptionnels, il faut prendre des mesures exceptionnelles. » Il a raison. Avec la pandémie, nous voyons les conséquences dramatiques sur nos services publics de décennies d’austérité. Il y a urgence de riposter contre l’austérité qui s’annonce. Mais pour cela, il faut être prêts à sortir des limites du capitalisme, en nationalisant les grandes entreprises sous le contrôle des travailleurs eux-mêmes. Un tel programme socialiste sera notre meilleur bouclier contre l’austérité.
Dans le contexte de crise et de polarisation croissante de la société, une grande majorité de gens sont à la recherche d’une solution audacieuse pour rompre avec le statu quo. Il n’y a jamais eu de meilleur moment pour défendre la perspective socialiste dans QS, le mouvement syndical et auprès de la jeunesse.