Le récent congrès de Québec solidaire, qui s’est tenu du 15 au 17 novembre dernier, s’est conclu par des discours enthousiastes de Manon Massé et Gabriel Nadeau-Dubois, qui ont affirmé avec confiance que « notre mouvement est la véritable force qui s’oppose à la CAQ ». En effet, tout semble indiquer que dans trois ans, Québec solidaire sera un sérieux candidat au pouvoir. Le parti a maintenant 10 députés et n’a jamais été aussi haut dans les sondages. Pendant ce temps, les libéraux et le PQ semblent en crise existentielle. Dans ce contexte, QS sera en position favorable pour défier la CAQ pour le pouvoir lors des prochaines élections.

Toutefois, ce congrès a malheureusement également montré une tendance inquiétante. Alors que le porte-parole du parti, Gabriel Nadeau-Dubois, avait affirmé par le passé qu’il ne diluerait pas le programme du parti pour gagner des votes, il faudrait être aveugle pour ne pas voir que c’est exactement ce qui est en train de se passer. Alors que les dirigeants du parti se préparent à « prendre le pouvoir » (ce qui était le slogan principal du congrès), ils modèrent de plus en plus le programme pour qu’il soit plus « pratique » et « crédible ».

Où était la gauche révolutionnaire?

Québec solidaire s’est toujours présenté comme un parti de la « nouvelle » gauche, en cherchant à se distinguer des vieux partis sociaux-démocrates usés qui ont gouverné dans de nombreux pays. Le parti a en fait été créé par divers groupes communistes, marxistes et socialistes qui ont uni leurs forces avec des organisations féministes, antimondialisation et communautaires.

Comme l’expliquait Benoit Renaud, socialiste et membre de longue date de la direction nationale de QS : « On pourrait qualifier QS de parti de front uni, avec des réformistes et des révolutionnaires travaillant ensemble pour atteindre des objectifs communs. » Mais le fait remarquable du récent congrès a été la domination totale de l’aile réformiste du parti et la quasi-absence de la gauche révolutionnaire. Cela a clairement été facilité par une bureaucratie plus établie que jamais après la percée électorale de l’automne 2018.

Malheureusement, la gauche révolutionnaire du parti est en déclin depuis longtemps. Au début, la gauche révolutionnaire, représentée par Gauche socialiste, Masse critique, le Parti communiste du Québec et d’autres groupes, a pris l’approche erronée de plonger toutes ses forces dans l’appareil du parti tout en s’efforçant de ne pas brasser la cage, acceptant le réformisme afin de maintenir l’unité. Les répercussions à long terme de cette approche ont été la liquidation presque complète de la gauche révolutionnaire au sein du parti et le triomphe des tendances social-démocrates plus clairement définies. La plupart de ces éléments révolutionnaires ont maintenant été éliminés des instances dirigeantes du parti. Benoit Renaud, le dernier membre de la direction nationale ouvertement « marxiste », s’est retiré au congrès de 2019.

Capitalisme vert

Pendant la période préparatoire du congrès, il est devenu clair que sur la question de l’environnement, ce qui était proposé était un énorme pas en arrière. La principale proposition du congrès était d’ajouter au programme une série de mesures appelées « écofiscalité », qui mettait essentiellement fin à l’opposition de principe du parti à la taxe carbone et à la bourse du carbone.

Québec solidaire, en tant que parti écologiste et anticapitaliste, avait toujours rejeté les taxes carbone, parce qu’elles « frappent surtout les plus pauvres », ainsi que les bourses du carbone que le programme du parti décrivait à juste titre comme « des outils d’enrichissement des multinationales, […] qui risquent de devenir un nouvel instrument spéculatif ». Il s’agissait d’une approche rafraîchissante, rejetant les vieilles « solutions » basées sur le marché que les libéraux et les sociaux-démocrates ont tenté d’appliquer pendant plus d’une décennie, sans succès.

Mais la seule proposition alternative à l’écofiscalité était une série de mesures visant à taxer les banques, les grandes entreprises et les riches pour financer une transition écologique. Les délégués ont fini par voter à une forte majorité en faveur de la première option, menant ainsi le parti à accepter les solutions fondées sur le marché pour régler la crise climatique. Pourquoi?

La première raison est que les défenseurs de l’écofiscalité ont répété à maintes reprises que « nous avons besoin de tous les outils à notre disposition pour financer la transition verte » sans aucune opposition sérieuse. Il a donc été avancé que nous devions accepter la taxe carbone et la bourse du carbone pour trouver les fonds nécessaires à la lutte contre les changements climatiques. La deuxième raison pour laquelle cela a été adopté si facilement est que, malheureusement, la gauche radicale du parti était presque totalement absente du débat.

Dans cette situation, la Tendance marxiste internationale, qui est un collectif officiel au sein de QS, a proposé une résolution appelant à des mesures qui rompent avec le marché capitaliste comme les nationalisations et la planification économique. Vous pouvez lire la résolution ici :

« C’est le capitalisme qui détruit notre planète. Sa poursuite insatiable du profit est responsable du nivellement vers le bas des standards environnementaux et des conditions de vie de la majorité. Pour nous permettre d’entamer un véritable changement pour la survie de la planète et de l’humanité, un gouvernement solidaire nationalisera les grands secteurs de l’économie afin d’implanter un plan de transition économique sous le contrôle démocratique de la société. »

Nous avons réussi à faire adopter cette résolution dans deux associations (Viau et Hochelaga-Maisonneuve), mais le Comité synthèse du parti a jugé cette résolution « non recevable » sous prétexte qu’elle ne faisait supposément « pas partie des sujets du présent congrès ». Une telle limitation du débat est une violation scandaleuse des traditions démocratiques du parti, et reflète la domination totale de l’aile réformiste du parti. Apparemment, les mesures visant à taxer les riches et celles fondées sur le marché sont « recevables », mais pas les solutions socialistes!

Bien entendu, l’écofiscalité est présentée comme une idée « nouvelle ». Mais en réalité, ces mesures ne sont pas réellement différentes des politiques de statu quo des libéraux de Trudeau, ou même des libéraux provinciaux, qui ont été les premiers à mettre en place une taxe carbone au pays en 2007 sous Jean Charest. De plus, le gouvernement du Québec a déjà un système de plafonnement et d’échanges. De telles solutions ont amplement démontré leur inefficacité, et ne constituent en rien des « outils pour financer la transition verte. » Face à une crise climatique aussi grave, nous avons besoin de mesures socialistes audacieuses qui s’attaquent à la racine du problème, en prenant le contrôle de l’économie des mains de la petite clique de milliardaires qui font fortune en détruisant la planète.

L’écofiscalité est basée sur le principe du « pollueur-payeur », quelle que soit la classe sociale. Mais il y a de gros problèmes avec cette approche. Les taxes sur le carbone sont des taxes régressives, qui frappent plus durement les plus pauvres, car ceux-ci ont moins de moyens financiers pour supporter ce fardeau. Il suffit de penser au mouvement des gilets jaunes en France, qui a été déclenché il y a un an par une hausse de la taxe carbone, pour voir à quel point cette proposition est fondamentalement réactionnaire. Alors que le système adopté par QS se veut « progressif et redistributif » afin de compenser « les moins fortunés », ces moins fortunés ont rarement le luxe de pouvoir attendre leur chèque de solidarité à la fin de l’année, quand une taxe vient augmenter le coût de la vie dans l’immédiat. Punir les pauvres sera toujours ressenti comme une punition, même si on développe un plan de redistribution.

Malheureusement, la proposition alternative d’imposer une fiscalité plus lourde aux riches et puissants ne s’attaquait pas non plus au problème principal. Que se passe-t-il lorsque les entreprises et les riches sont lourdement imposés? Ils retirent simplement leur capital de l’économie. C’est ce qui s’est produit à maintes reprises lorsque des gouvernements de gauche ont tenté d’imposer de nouvelles taxes et réglementations aux capitalistes. Selon nous, la seule option réside dans les nationalisations, afin de rompre avec le marché capitaliste, et placer ces entreprises sous le contrôle démocratique des travailleurs. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons lutter à la fois contre les inégalités et contre la destruction de notre environnement.

Julien Arseneau, un militant de la TMI, est intervenu lors du congrès pour expliquer ce point :

Le réseau écosocialiste, qui a réuni la plupart des courants révolutionnaires du parti en 2013-2014 avec beaucoup d’enthousiasme, brillait par son absence. Pourtant, pour les écosocialistes, ce congrès était certainement le moment de se précipiter aux barricades! Aujourd’hui, il semble que la création du réseau écosocialiste n’ait été qu’une continuation de la liquidation de la gauche révolutionnaire dans le parti. Ce groupe important est entré en sommeil et il n’y aucun signe d’activité sur son site Web ou sa page Facebook depuis plus d’un an.

Tandis que Gabriel Nadeau-Dubois a ouvert le congrès par un discours dans lequel il disait « C’est le système économique qu’il faut changer, pas le climat », l’acceptation de la taxe carbone et de la bourse du carbone ne fait rien pour changer le système économique capitaliste qui est responsable de la destruction de la planète.

Une armée?

Le congrès a également débattu de nombreuses propositions issues du programme d’Option nationale sur la question de l’indépendance du Québec. Le plus important débat sur la table était celui de la « défense nationale ». L’option A était celle d’une « défense civile non violente », l’option B était une « défense comprenant un volet militaire » (c’est-à-dire une armée), tandis que l’option C parlait de la « mise en œuvre progressive d’une défense sans armée ». Quelques jours avant le congrès, Gabriel Nadeau-Dubois s’était prononcé en faveur de l’option B.

Les cercles de gauche sont remplis de militants « anti-impérialistes » et « antiguerre » qui normalement auraient été horrifiés à l’idée de voter pour une armée. Mais, le débat a été présenté comme un choix entre « se défendre » et « ne pas se défendre ». Ainsi, l’option B a su se présenter comme la seule option réaliste.

Toutefois, ce débat a manqué le fond de la question. S’il faut admettre qu’un éventuel Québec indépendant devra se doter de moyens de se défendre, il reste à répondre à la question : défendre quoi exactement? Se défendre contre qui? La vérité est qu’une armée permanente n’est pas une entité neutre, déconnectée de la société. Les mêmes liens économiques qui unissent la machine militaire, quel que soit le pays, aux industries, et notamment à celle de l’armement, existeraient sous un Québec indépendant. Les mêmes liens sociaux qui unissent les hauts gradés à la classe dirigeante capitaliste existeraient sous un Québec indépendant. Le caractère de l’armée est ultimement déterminé par l’organisation économique de la société dans laquelle elle se trouve. En dernière analyse, l’État se compose d’hommes et de femmes en armes dont la fonction est de défendre les relations de propriété dominantes. Si le parti refuse d’exproprier les grands capitalistes, tout État futur sera un État capitaliste et l’armée future sera ultimement une armée utilisée pour protéger les intérêts des capitalistes québécois. Il est illusoire de croire qu’on pourrait d’une manière ou d’une autre forcer les militaires à être neutres face aux grandes luttes de classe qui se profilent à l’horizon au Québec. Il suffit de jeter un coup d’œil aux événements en Bolivie, où l’armée est intervenue pour renverser le gouvernement de gauche d’Evo Morales, pour le voir.

Ce que la Tendance marxiste internationale défend, c’est un Québec socialiste, où nous mettons fin à la domination des grands capitalistes sur l’économie et sur nos vies. Il est vrai que dans ces conditions, l’impérialisme agirait pour tuer le mouvement dans l’oeuf. La question de la défense est donc très sérieuse. Dans un Québec socialiste, les travailleurs devront se défendre contre les capitalistes québécois ainsi que contre les impérialistes étrangers. Cette défense devrait être contrôlée démocratiquement par la classe ouvrière elle-même par le biais des syndicats. Une telle défense ouvrière armée serait très différente de l’armée permanente des États capitalistes.

Les répercussions de la fusion avec Option nationale

Lorsque Gabriel Nadeau-Dubois, leader de la grève étudiante en 2012, a rejoint Québec solidaire en 2017, l’une de ses priorités était de fusionner QS avec le petit parti nationaliste Option nationale. La TMI s’y était opposée à l’époque, expliquant qu’étant donné qu’ON était plus à droite et plus nationaliste que QS, cela signifierait inévitablement que QS devrait faire de sérieuses concessions politiques qui n’en valaient aucunement la peine pour s’unir à un parti récoltant moins de 1% des voix. Nous avons expliqué que cette fusion mènerait inévitablement à la dilution du programme de QS et entraînerait le parti dans une direction beaucoup plus nationaliste. Le seul membre du Comité de coordination nationale à l’époque qui s’opposait à la fusion, Jean-Claude Balu, expliquait : « Ma crainte, c’est qu’on soit dans un processus constant de vouloir réviser notre programme pour le modérer, pour qu’il soit plus acceptable pour les indépendantistes en général. » C’est exactement ce qui est en train de se passer, et cela remonte même à avant la fusion.

L’un des résultats de la fusion avec ON a été que QS a dû intégrer certaines propositions du programme du petit parti, notamment en ce qui a trait aux mesures d’accession à la souveraineté. En fait, les principales propositions politiques acceptées au récent Congrès, soit l’armée permanente et l’écofiscalité, provenaient directement du programme d’ON. Nous avons vu que ces propositions ont poussé le parti plus à droite, confirmant les avertissements que nous avions émis il y a deux ans.

Encore une fois, les leçons de Syriza

Tel que mentionné plus haut, QS s’est toujours présenté comme un nouveau parti de gauche, similaire à Podemos, France insoumise ou Syriza. Alors que Podemos et la France insoumise n’ont pas encore réussi à prendre le pouvoir, Syriza s’est retrouvé au gouvernement en Grèce en 2015, nous fournissant ainsi un exemple utile des défis auxquels la gauche est confrontée une fois au pouvoir.

Syriza (la coalition de la gauche radicale) qui avait commencé comme un tout petit parti anticapitaliste semblable à QS, a vu son soutien passer à 27% en 2012, puis à 36% en janvier 2015, formant le gouvernement cette année-là. Il est arrivé au pouvoir sur la promesse de renverser l’austérité du gouvernement précédent et de mettre en œuvre une série de mesures visant à améliorer le niveau de vie des travailleurs. Cependant, une fois que Syriza a pris le pouvoir, la réalité brutale du système capitaliste est devenue claire. Malheureusement, les dirigeants de Syriza n’avaient aucun plan pour rompre avec le système capitaliste (tout comme les dirigeants de QS aujourd’hui) et ils ont donc été forcés d’accepter les règles du système et de capituler. Le gouvernement de Syriza a mis en œuvre un programme d’austérité pire que celui du gouvernement conservateur précédent et a même envoyé la police pour réprimer les protestations. Il s’est ainsi complètement discrédité, et a préparé le terrain pour le retour de la droite au pouvoir.

Il est important d’analyser cet exemple pour voir les limites d’une tentative de réforme du système sans toucher aux piliers économiques de l’économie. Dans le contexte des efforts de QS pour vaincre le CAQ et prendre le pouvoir dans trois ans, il est impératif d’étudier l’exemple de la Syriza pour éviter une telle trahison brutale. Un sort similaire attend un futur gouvernement de QS si nous n’élaborons pas un plan concret pour rompre avec le capitalisme.

Lorsque nous avons tenté d’inscrire notre résolution sur la nationalisation des principaux leviers de l’économie à l’ordre du jour du congrès, un délégué opposé a déclaré que cela dépassait le cadre du congrès, car il s’agissait d’un débat « sur le socialisme ». Mais c’est précisément là où le bât blesse. Tôt ou tard, Québec solidaire devra discuter de la nécessité de mesures socialistes.

L’expérience grecque n’est pas un cas isolé. Depuis l’énorme crise économique de 2008, les capitalistes forcent tous les gouvernements à implanter des mesures d’austérité pour faire payer la note aux travailleurs. Une prochaine crise est à l’horizon et aucun gouvernement, même de gauche et plein de bonne volonté, ne pourra résister à moins de choisir de rompre avec le capitalisme. QS doit tirer les leçons de l’expérience grecque. Le but de la Tendance marxiste internationale est de lutter pour une politique socialiste claire afin d’éviter une expérience similaire ici au Québec. Le capitalisme ne peut être réformé. Les gouvernements de gauche qui le souhaitent finissent inévitablement par se heurter à un mur de briques.