
Un spectre hante l’Europe. Cet horrible phénomène est apparu soudainement, comme invoqué par une sorte de magie noire du plus sombre des enfers pour tourmenter les innocents et troubler leur repos.
Toutes les forces du bien et du bon en ce monde, tous les champions de « l’ordre mondial fondé sur des règles », tous les défenseurs de la veuve et l’orphelin – tous ont uni leurs forces pour combattre ce monstre d’iniquités.
Notre merveilleuse presse libre, grande championne de la liberté s’il en est, s’est ralliée comme un seul homme pour mener le combat en faveur de la démocratie, de la loi et de l’ordre.
Mais leurs efforts furent vains.
Le nom de ce spectre est Donald J. Trump.
Panique
Une preuve supplémentaire de la faillite intellectuelle de nos classes dirigeantes est leur complète incapacité à expliquer la situation actuelle et encore moins à faire des prédictions raisonnablement justes.
Les dirigeants européens sont l’expression la plus basse de cette faillite intellectuelle. Ils ont conduit ce continent autrefois puissant tout droit dans un marasme de déclin économique, culturel et militaire, le réduisant à l’impuissance.
Après avoir tout sacrifié sur l’autel de l’impérialisme américain pendant des décennies et s’être habitués au rôle humiliant de serviteurs de Washington, ils se retrouvent aujourd’hui abandonnés par leurs anciens alliés et livrés à eux-mêmes.
Leur stupidité a été pleinement révélée par la défaite en Ukraine et l’effondrement de leurs rêves absurdes de vaincre la Russie et de la détruire en tant que puissance. Au lieu de cela, ils se retrouvent aujourd’hui face à une Russie puissante, dotée d’une immense armée, lourdement équipée et endurcie par l’expérience du combat.
Précisément à ce moment crucial, les dirigeants européens se retrouvent soudainement abandonnés par le maître qui était censé les défendre. Ils courent maintenant comme des poules sans tête, s’empressant d’exprimer leur soutien indéfectible et inébranlable à Volodymyr Zelensky, et se déchaînant contre le locataire de la Maison-Blanche, qu’ils considèrent comme le seul responsable du désastre qui vient de les frapper.
Tout ce tapage hystérique n’est que l’expression sous sa forme la plus pure d’une peur panique. Derrière la façade et les bravades, ces dirigeants sont paralysés par la terreur, comme un lapin surpris par les phares d’une voiture.
La véritable raison
Ignorons un instant la cacophonie de jérémiades, de protestations et d’invectives et regardons à travers l’épais brouillard d’hystérie médiatique pour essayer de comprendre ce que tout cela signifie. Une faible esquisse de la vérité se dessine alors.
Pour quiconque possède ne serait-ce que quelques neurones fonctionnels, il est évident qu’une crise d’une telle ampleur ne peut être le fait d’un seul individu, fût-il un surhomme. Une telle « explication » a plus en commun avec la démonologie que la science politique.
Par exemple, The Guardian écrit comme s’il parlait de l’apocalypse :
« Sous Trump, les priorités mondiales vont changer, que cela nous plaise ou non. La lutte contre le changement climatique subira un coup dur, les relations internationales deviendront plus transactionnelles, la lutte de l’Ukraine contre l’agression russe pourrait être poignardée dans le dos, et Taïwan se retrouvera face au canon d’un fusil chinois. Les démocraties libérales du monde entier, y compris la Grande-Bretagne, seront également assiégées par leurs propres imitateurs de Trump, nourris par des médias sociaux qui n’ont aucun égard pour la vérité.
« Les électeurs américains ont commis un acte horrible et impardonnable cette semaine. Nous ne devrions pas hésiter à affirmer qu’ils se sont détournés de la morale et des règles communes qui façonnaient le monde, généralement pour le mieux, depuis 1945. Les Américains ont conclu que Trump n’est pas “bizarre”, comme il a été brièvement de bon ton de prétendre, mais qu’il fait partie des vainqueurs. Les électeurs se sont rendus aux urnes mardi et ont voté “bizarre” en très grand nombre. Les Américains doivent vivre avec les conséquences de leur geste. » (The Guardian, 6 novembre 2024)
Nous y voilà! Le Guardian, le représentant le plus répugnant et la plus vulgaire de l’hypocrisie libérale, rejette toute la responsabilité sur le peuple américain qui a commis le péché impardonnable de voter, dans le cadre d’une élection démocratique, pour un candidat qui n’est pas de son goût.
Mais comment expliquer cette aberration? Il s’agit, nous dit le Guardian avec la franchise la plus crue, du résultat de la supposée « bizarrerie » du peuple américain. Pour ces gens, « bizarrerie » est évidemment tout ce qui ne coïncide pas avec leurs préjugés.
Ce qu’ils veulent vraiment dire, c’est que l’électorat américain – c’est-à-dire des millions d’hommes et de femmes ordinaires de la classe ouvrière – n’est pas vraiment apte à exercer le droit de vote, puisqu’il est organiquement « bizarre ».
En clair, tous les Américains sont naturellement enclins au racisme, à la haine des minorités et à une aversion incompréhensible pour les principes du libéralisme bourgeois. Cela les rend naturellement inaptes à la démocratie et enclins au fascisme, tel que représenté, bien sûr, par Donald Trump.
Mais d’où vient cette bizarrerie? Et les mêmes électeurs américains étaient-ils aussi « bizarres » lorsqu’ils ont voté pour Joe Biden ou Obama? De toute évidence, ils étaient alors parfaitement sains d’esprit. Qu’est-ce qui a changé?
Ce qui est bizarre ici, ce n’est pas le comportement des électeurs américains, dont les décisions peuvent être facilement comprises, mais seulement les contorsions mentales de la misérable tribu petite-bourgeoise des scribouillards libéraux, dont l’engagement envers la démocratie s’arrête manifestement dès que l’électorat vote « dans le mauvais sens ».
Leur conception de la démocratie – selon laquelle on ne peut soutenir les élections que si elles aboutissent au choix du candidat qui nous plait – me semble quelque peu « bizarre ». Pourtant, elle a été confirmée par l’annulation des récentes élections en Roumanie.
Les autorités roumaines ont annulé le second tour de l’élection présidentielle de décembre pour la simple raison qu’elles n’aimaient pas le candidat qui avait remporté le premier tour, Călin Georgescu. Non contents de cela, elles l’ont empêché de participer à une nouvelle élection présidentielle en mai.
Les dirigeants de l’UE ont entièrement soutenu ces démarches. The Guardian était sûrement très enthousiaste aussi. Voilà enfin la solution pour empêcher les imitateurs de Trump de remporter des élections!
Hourra! Vive la démocratie!
Alerte au fascisme!
Dès le début de son mandat, les médias ont lancé une campagne bruyante pour dénoncer Trump comme un fasciste. Voici quelques exemples pris au hasard dans la presse.
Le Monde : « Les débuts de la présidence Trump ont suffi pour donner au cauchemar de l’Amérique virant au fascisme un amer parfum d’actualité ».
The New Statesman : « Les États-Unis peuvent-ils résister au fascisme? »
The New Yorker : « Que signifie le fait que Donald Trump soit un fasciste? »
The Guardian : « Le néofascisme de Trump est arrivé. Voici dix choses que vous pouvez faire pour résister ».
Toutes sortes de personnalités de l’establishment se sont exprimées dans le même sens. Mark Milley, un général de l’armée américaine à la retraite qui a été le 20e président de l’état-major interarmées, a lancé un terrible avertissement aux États-Unis :
« Il est la personne la plus dangereuse qui soit. J’avais des soupçons lorsque je vous ai parlé de son déclin mental et ainsi de suite, mais je me rends compte maintenant que c’est un fasciste total. Il est désormais la personne la plus dangereuse pour ce pays. »
Kamala Harris est d’accord pour dire que Trump est un fasciste, bien que Joe Biden se soit limité à le décrire comme un « semi-fasciste ».
Néanmoins, il a averti à plusieurs reprises que Trump représentait un danger pour la démocratie – une opinion partagée par beaucoup, comme le procureur général de l’Arizona, qui conclut que : « Nous sommes au bord d’une dictature. »
Anthony Scaramucci, qui a brièvement occupé le poste de secrétaire de presse de la Maison-Blanche sous Donald Trump, s’est exprimé avec plus de franchise, en disant simplement : « C’est un putain de fasciste – c’est le fasciste des fascistes. »
Comme on pouvait s’y attendre, de nombreuses personnalités de « gauche » ont joint leurs voix stridentes au concert de dénonciations. Alexandria Ocasio-Cortez (élue démocrate souvent présentée comme une « socialiste ») se lamente :
« Nous sommes à la veille d’une administration autoritaire. C’est à cela que commence à ressembler le fascisme du 21e siècle. »
Et c’est ainsi que la fastidieuse litanie se poursuit sans fin, jour après jour. L’intention est claire : la répétition constante de la même idée finira par convaincre les gens qu’elle doit être vraie. Mais ces moulins à paroles ne brassent rien d’autre que du vent.
Qu’est-ce que le fascisme?
Il devient évident que pour beaucoup, le terme « fasciste » n’a pas de définition scientifique, mais est simplement une insulte – à peu près l’équivalent de « fils de pute ».
Ce genre d’invective peut avoir son utilité, en permettant à des individus frustrés d’évacuer leur rage en insultant une personne qui ne leur plaît pas. Ils éprouvent instantanément un sentiment de soulagement psychologique et rentrent chez eux satisfaits, convaincus d’avoir d’une façon ou d’une autre fait avancer la cause de la liberté et remporté une formidable victoire politique sur l’ennemi.
Malheureusement, de telles victoires sont dépourvues de toute valeur pratique. Ce radicalisme terminologique n’est que l’expression d’une rage impuissante. Incapable de véritablement blesser l’ennemi, on éprouve un sentiment de satisfaction par le simple fait de lui lancer des injures à bonne distance.
Pour ceux d’entre nous qui souhaitent mener de vraies batailles contre de vrais ennemis, plutôt que de se battre contre des moulins à vent, d’autres armes, plus sérieuses, sont nécessaires. Ainsi la première exigence pour un vrai communiste est la possession d’une méthode d’analyse scientifique rigoureuse.
Le marxisme est une science. Comme toutes les sciences, il possède donc une terminologie scientifique. Des mots comme « fascisme » et « bonapartisme » ont, pour nous, une signification précise. Ce ne sont pas de simples insultes ni des étiquettes que l’on peut commodément coller sur tout individu qui ne nous plaît pas.
Commençons par une définition précise du fascisme. Au sens marxiste, le fascisme est un mouvement contre-révolutionnaire – un mouvement de masse composé principalement du lumpenprolétariat et de la petite bourgeoisie enragée. Ce mouvement est utilisé comme bélier pour écraser et atomiser la classe ouvrière et établir un État totalitaire dans lequel la bourgeoisie remet le pouvoir à une bureaucratie fasciste.
La principale caractéristique de l’État fasciste est une centralisation extrême et un pouvoir d’État absolu, dans lequel les banques et les grands monopoles sont protégés, mais soumis à un contrôle central fort de la part d’une bureaucratie fasciste vaste et puissante. Dans « Qu’est-ce que le national-socialisme », Trotsky explique :
« Le fascisme allemand, comme le fascisme italien, s’est hissé au pouvoir sur le dos de la petite bourgeoisie, dont il s’est servi comme d’un bélier contre la classe ouvrière et les institutions de la démocratie. Mais le fascisme au pouvoir n’est rien moins que le gouvernement de la petite bourgeoisie. Au contraire, c’est la dictature la plus impitoyable du capital monopoliste. »
Telles sont, en termes généraux, les principaux traits du fascisme. Quelle est la comparaison avec l’idéologie et le contenu du phénomène Trump ? Nous avons déjà fait l’expérience d’un gouvernement Trump, qui – selon les avertissements sinistres des démocrates et de l’ensemble de l’establishment libéral – allait procéder à l’abolition de la démocratie. Il n’en a rien été.
Aucune mesure n’a été prise pour limiter le droit de grève et de manifestation ou encore pour abolir les syndicats. Au terme de son mandat, des élections ont eu lieu comme d’habitude, bien que dans un tumulte plus grand, et c’est Joe Biden qui lui a succédé. Quoi qu’on pense du premier mandat de Trump, il n’a rien eu à voir avec une quelconque forme de fascisme.
En fait, les principaux assauts contre la démocratie sont venus de Biden et des démocrates, qui ont déployé des efforts extraordinaires pour persécuter Trump. Ils ont mobilisé l’ensemble du pouvoir judiciaire pour trainer en justice pour toutes sortes d’accusations, dans le but de l’inculper à tout prix et le placer derrière les barreaux et l’empêcher ainsi de se présenter à une nouvelle élection présidentielle.
La machine médiatique au grand complet s’est lancée dans une campagne constante de dénigrement qui a fini par créer un climat dans lequel au moins deux tentatives d’assassinat ont été perpétrées. Ce n’est que par chance qu’il a échappé à l’assassinat (bien que, fidèle à lui-même, il l’ait attribué à la protection du Tout-Puissant).
Une utopie réactionnaire
L’idéologie du trumpisme – pour autant qu’elle existe – est très éloignée du fascisme. Loin de vouloir un État fort, l’idéal de Donald Trump est celui d’un capitalisme de libre marché, dans lequel l’État ne joue un rôle minimal.
Son programme représente une tentative de retour à la politique de Roosevelt – non pas Franklin Delano Roosevelt, l’instigateur du New Deal, mais Theodore Roosevelt, qui était président avant la Première Guerre mondiale.
Le 10 janvier, le journal Le Monde écrivait :
« Un air de déjà-vu. Donald Trump a choqué ses alliés, mardi 7 janvier, en n’excluant pas d’user de la force pour reprendre le canal de Panama ou acheter le Groenland. Avec ce coup de bluff, le président élu renoue avec une vieille tradition, celle de l’impérialisme américain au tournant du XXe siècle.
Cet âge doré, qui s’ouvre après la guerre de Sécession, est celui dont Donald Trump rêve : il est fait de fortunes colossales, de corruption généralisée et de repli sur soi avec des droits de douane qui protégeaient l’industrie américaine et permettaient de ne pas avoir d’impôt sur le revenu.
Et surtout d’impérialisme pour assurer l’hégémonie des États-Unis sur l’hémisphère occidental. En cette période, les États-Unis achètent l’Alaska aux Russes (1867), envahissent Cuba, Porto Rico et les Philippines “libérées” en 1898 du colonialisme espagnol et creusent le canal de Panama achevé en 1914. »
Autrement dit, Donald Trump souhaite revenir cent ans en arrière, à une Amérique imaginaire d’avant la Première Guerre mondiale – une Amérique où les affaires prospéraient et les profits explosaient, où la libre entreprise prospérait et où l’État laissait faire, où l’Amérique se sentait libre d’exercer ses jeunes et puissants muscles pour asseoir sa domination sur le Mexique, le Panama et l’ensemble de l’hémisphère occidental, chassant le colonialisme espagnol décrépit de Cuba, pour en faire une colonie américaine à la place.
Quoi que l’on puisse en penser, il s’agit d’un modèle qui n’a pas grand-chose à voir avec le fascisme. Et cette vision séduisante de l’histoire n’a pas de véritable ressemblance ni pertinence pour le monde du 21e siècle.
À l’époque de Teddy Roosevelt, le capitalisme n’avait pas encore complètement épuisé son potentiel en tant que système économique progressiste. Les États-Unis, une nation saine, dynamique, nouvellement industrialisée, qui avait déjà établi sa supériorité sur les anciennes puissances d’Europe dans des domaines importants, commençaient tout juste à s’imposer comme une puissance décisive dans le monde.
Une époque entière s’est écoulée depuis lors, et les États-Unis sont confrontés à une configuration de forces entièrement différente, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Les efforts de Trump pour reculer dans le temps jusqu’à cette époque lointaine sont voués à l’échec en raison de la situation mondiale transformée et du rapport de force entre les classes à l’intérieur des États-Unis. Il s’agit en fait d’une utopie réactionnaire.
Nous reviendrons plus tard sur ces questions. Mais d’abord, faisons le point sur les tentatives hystériques et totalement erronées, tant de la gauche que de la droite, d’expliquer le mystérieux phénomène Trump.

Erreur de méthode
« L’importance pratique immense d’une orientation théorique juste se manifeste de la façon la plus frappante au cours des périodes de conflit social aigu, de tournants politiques rapides, de changements brusques dans la situation. Au cours de ces périodes, les conceptions et les généralisations politiques s’usent rapidement, et exigent d’être soit complètement remplacées – ce qui est facile, soit d’être concrétisées, précisées ou partiellement rectifiées – ce qui est plus difficile. C’est précisément au cours de telles périodes que se manifestent nécessairement toutes sortes de situations transitoires, intermédiaires, et une foule de combinaisons qui bousculent les schémas habituels et exigent doublement une attention théorique soutenue. En un mot, si, dans une époque de développement pacifique et ordonné – avant la guerre –, on pouvait encore vivre sur le revenu de quelques abstractions toutes faites, à notre époque chaque événement nouveau nous enfonce dans la tête la loi la plus importante de la dialectique : la vérité est toujours concrète. » (« Bonapartisme et fascisme », Léon Trotsky, 1934)
Trop souvent, je constate que lorsque les gens de gauche sont confrontés à un nouveau phénomène qui semble défier toutes les normes et définitions existantes, ils ont tendance à d’abord chercher des étiquettes. Puis, ayant trouvé l’étiquette qui leur convient, ils cherchent ensuite des faits pour la prouver.
« Ah oui, je sais ce que c’est », disent-ils, « c’est ceci », « c’est cela », « c’est du bonapartisme », « c’est du fascisme », ou toute autre étiquette qui leur vient à l’esprit. C’est une mauvaise méthode, à l’opposé du matérialisme dialectique, qui ne mène nulle part. C’est un exemple de pensée paresseuse, qui cherche des solutions faciles pour résoudre des questions compliquées.
Loin de clarifier quoi que ce soit, cette fausse méthode ne fait que détourner l’attention des vrais problèmes et nous entraîne dans une discussion interminable et tout à fait inutile sur des questions qui ont été introduites artificiellement et qui ne font qu’ajouter à la confusion, au lieu de répondre aux questions auxquelles il faut répondre.
Dans ses Cahiers philosophiques, Lénine explique que la loi fondamentale de la dialectique est l’objectivité absolue de l’examen : « pas des exemples, pas des digressions, mais la chose en elle-même ».
Telle est l’essence de la méthode dialectique. Le contraire de la dialectique est l’habitude de coller des étiquettes sur quelque chose et d’imaginer que ce faisant, nous l’avons compris.
Mon bon ami John Peterson m’a récemment fait remarquer que Donald Trump était « un phénomène ». Je pense que c’est exact. Il n’est pas nécessaire de le comparer à un autre personnage de l’histoire. Nous devons accepter que Donald Trump est Donald Trump. Et nous devrions le prendre tel qu’il est et analyser ce qui est, en fait, un nouveau phénomène sur la base de faits concrets, et non de simples généralités.
Du bonapartisme?
L’article de Trotsky intitulé « Bonapartisme et fascisme » donne une définition très précise du bonapartisme :
« Un gouvernement qui s’élève au-dessus de la nation n’est pourtant pas suspendu dans le vide. L’axe véritable du gouvernement actuel passe par la police, la bureaucratie, la clique militaire. Nous avons affaire à une dictature militaro-policière à peine voilée sous le décor du parlementarisme. Mais un gouvernement du sabre en tant qu’arbitre de la nation – c’est précisément le bonapartisme. »
Le bonapartisme peut se présenter sous différentes formes, mais son essence est en fin de compte la même : une dictature militaire.
Dans son article sur l’Allemagne intitulé « La seule voie », Trotsky explique comment naît le bonapartisme :
« Lorsque la lutte entre les deux camps de la société – entre les possédants et ceux qui n’ont rien, entre les exploitants et les exploités – atteint son paroxysme, les conditions pour la domination de la bureaucratie, de la police et de l’armée sont créées. Le gouvernement devient indépendant de la société. »
Cette explication est claire comme de l’eau de roche. S’applique-t-elle à la situation actuelle aux États-Unis? Soyons clairs. Il n’y a aucune comparaison possible. La classe dirigeante ne se tournera vers la réaction sous forme de bonapartisme ou de fascisme qu’en tout dernier recours. Est-ce vraiment la situation actuelle? De fortes tensions existent sans aucun doute dans la société américaine et elles provoquent une grave déstabilisation de l’ordre en place.
Mais c’est pure fantaisie que de s’imaginer que la lutte des classes a atteint le stade critique où la domination du capital est menacée d’un renversement immédiat et où la seule solution pour la classe dirigeante est de remettre le pouvoir à un régime bonapartiste. Nous n’avons pas encore atteint ce stade, ni rien de semblable.
Bien sûr, il est possible de pointer du doigt tel ou tel élément de la situation actuelle qui peut être considéré comme un élément de bonapartisme. C’est peut-être le cas. Mais des commentaires similaires pourraient être faits sur presque tous les régimes démocratiques actuels.
Dans la Grande-Bretagne « démocratique » de Tony Blair, le pouvoir est passé, en pratique, du parlement élu au cabinet des ministres, et du cabinet à une minuscule clique de fonctionnaires non élus, tous issus de la même bande. Il y avait sans aucun doute des éléments de ce que l’on pourrait appeler un régime de bonapartisme parlementaire.
Cependant, le simple fait de contenir certains éléments d’un phénomène ne signifie pas encore l’émergence effective de ce phénomène. On pourrait bien sûr dire qu’il y a des éléments de bonapartisme présents dans le trumpisme. C’est tout à fait possible. Cependant ces éléments ne constituent pas encore un phénomène pleinement développé.
Comme le remarque Hegel dans la Phénoménologie :
« Quand nous désirons voir un chêne dans la robustesse de son tronc, l’expansion de ses branches et les masses de son feuillage, nous ne sommes pas satisfaits si l’on nous montre à sa place un gland. »
Cette mauvaise méthode conduit à des erreurs sans fin. Cela commence par prendre une définition toute faite et à l’imposer sur un phénomène, en s’y accrochant à tout prix. Puis, on essaie de la justifier de toutes sortes de manières « ingénieuses », mais tirées par les cheveux.
Très vite, aussi sûrement que la nuit succède au jour, quelqu’un d’autre arrive et utilise la même méthode pour prouver que ce n’est absolument pas du bonapartisme, en s’appuyant sur des démonstrations toutes aussi « ingénieuses » et tout autant tirées par les cheveux.
Ces deux approches sont tout aussi fausses. Ce genre de raisonnement circulaire permet d’aller aussi loin qu’un chien qui court après sa propre queue.
S’il est vrai que l’utilisation d’analogies historiques précises peut parfois apporter des éclaircissements, il est tout aussi vrai que la juxtaposition irréfléchie et mécanique de phénomènes essentiellement différents mène à la confusion.
Par exemple, je pense qu’il serait tout à fait juste et approprié de décrire le régime de Poutine en Russie comme un régime bourgeois bonapartiste. C’est un exemple d’analogie utile. Dans le cas de Trump, c’est plus compliqué que cela.
Le problème est que le bonapartisme est un terme très élastique, qui couvre un large éventail de phénomènes, en commençant par le concept classique de bonapartisme, c’est-à-dire le gouvernement du sabre.
L’actuel gouvernement Trump à Washington, malgré ses nombreuses particularités, reste une démocratie bourgeoise.
Ce sont précisément ces particularités que nous devons examiner et expliquer. Comme, en toute honnêteté, nous nous trouvons dans l’incapacité de trouver quoi que ce soit de vaguement similaire dans l’histoire – ancienne ou moderne – qui puisse lui être comparé, et que nous ne disposons d’aucune définition toute faite qui puisse être adaptée, il ne nous reste qu’une seule alternative : RÉFLÉCHIR PAR NOUS-MÊMES.
La crise du capitalisme
Le philosophe Spinoza disait que la tâche de la philosophie n’est ni de rire, ni de pleurer, mais de comprendre. Afin de comprendre Donald J. Trump, il faut laisser de côté la démonologie et commencer par énoncer l’évidence.
Tout d’abord, quoi qu’il puisse être, Trump n’est pas un esprit maléfique doté de pouvoirs surhumains. C’est un mortel ordinaire – dans la mesure où un milliardaire américain peut être considéré comme tel. Comme pour tout autre personnage important de l’histoire, les causes réelles de son ascension au pouvoir doivent en fin de compte être liées à des processus objectifs à l’œuvre dans la société.
Autrement dit, nous devons la comprendre comme inextricablement liée à la situation objective mondiale dans les premières décennies du XXIe siècle.
Le tournant majeur de l’histoire moderne a été la crise de 2008, qui a complètement déstabilisé l’ensemble du système. Le capitalisme s’est retrouvé au bord du gouffre. Lorsque la banque Lehman Brothers s’est effondrée, je me souviens parfaitement du moment où les banquiers exprimaient publiquement leur crainte d’être pendus aux lampadaires d’ici quelques mois.
Ces craintes étaient effectivement fondées. En réalité, toutes les conditions objectives étaient réunies pour une révolution socialiste, et celle-ci n’a été évitée qu’à cause des mesures d’urgence de sauvetage des banques par l’État, qui y a injecté des sommes colossales d’argent public.
Cela contredisait toutes les théories promues par les économistes officiels de la bourgeoisie au cours des trente années précédentes. Tous s’accordaient à dire que l’État ne devait jouer aucun rôle – ou un rôle minime – dans l’économie. Le marché libre, laissé à lui-même, résoudrait tous les problèmes.
La réalité a cruellement démenti cette théorie. Le système capitaliste n’a été sauvé que par l’intervention de l’État. Mais cela a créé de nouvelles contradictions sous la forme de dettes colossales et fondamentalement insoutenables.
Depuis 2008, le système capitaliste traverse la crise la plus profonde de son histoire. Passant sans cesse d’un désastre à l’autre, à chaque étape, les gouvernements ont eu recours à la même politique irresponsable de financement par le déficit – c’est-à-dire la politique de la planche à billets.
Les stratèges myopes du capital, la tribu misérable des économistes bourgeois et les politiciens du système ont tous supposé que cette situation – des réserves infinies d’argent tiré de nulle part, un flux inépuisable de crédit bon marché, de faibles taux d’inflation et de faibles taux d’intérêt – allait durer éternellement. Ils se sont trompés.
Tout cela ne faisait qu’accumuler contradiction sur contradiction, préparant une crise encore plus grande au bout du compte.
J’avais prédit à l’époque que toutes les tentatives de la bourgeoisie pour rétablir l’équilibre économique ne serviraient qu’à détruire les équilibres social et politique. C’est précisément ce qui s’est passé.
Les conditions objectives d’une révolution socialiste étaient clairement réunies. Pourquoi ne s’est-elle pas produite? Tout simplement parce qu’un facteur important manquait dans cette équation. Ce facteur était la direction révolutionnaire.
Pendant toute une période, le pendule a basculé fortement à la gauche dans un pays après l’autre. Cela s’est traduit par la montée de toute une série de mouvements de gauche se donnant une image radicale : Podemos en Espagne, Syriza en Grèce, Bernie Sanders aux États-Unis et, surtout, Corbyn en Grande-Bretagne. Mais cela n’a fait que dévoiler les limites du réformisme de gauche.
Prenons le cas de Tsipras. Toute la nation grecque était derrière lui dans sa tentative de défier l’austérité imposée par Bruxelles. Pourtant, il a capitulé. Le résultat a été un basculement à droite.
L’Espagne a connu une histoire similaire. Podemos présentait à l’origine une image de gauche radicale. Mais ses dirigeants ont décidé d’être « responsables » et ont formé une coalition avec les socialistes, avec des résultats prévisibles.
Aux États-Unis, Bernie Sanders est parti de rien pour créer un mouvement de masse qui cherchait clairement une solution de rechange socialiste. Il avait toutes les chances de créer une solution de rechange de gauche viable aux démocrates et aux républicains. Mais en fin de compte, il a capitulé devant le Parti démocrate, et l’occasion a été manquée.
Le cas le plus clair est celui de la Grande-Bretagne, où, comme Sanders, Jeremy Corbyn est sorti de nulle part et a été propulsé à la tête du Parti travailliste par la vague d’un puissant mouvement de gauche. Corbyn lui-même n’a pas créé ce mouvement, mais il a canalisé la colère et le mécontentement accumulés dans la société.
Le résultat a autant stupéfié que terrifié la classe dirigeante. Elle déclarait publiquement qu’elle avait perdu le contrôle du Parti travailliste. Et c’était vrai. Ou plutôt, cela aurait dû être vrai.
Mais au moment de vérité, Corbyn n’est pas passé à l’action contre la direction de droite contrôlant la faction parlementaire du parti qui, avec le soutien des médias bourgeois, a organisé une campagne vicieuse contre lui.
En dernière analyse, Corbyn a capitulé devant la droite et a payé le prix de sa lâcheté – qui est en réalité une expression de la mollesse organique du réformisme de gauche en général.
Trump et Corbyn
Nous constatons ici un contraste frappant avec Donald Trump, qui a lui aussi fait l’objet d’attaques très virulentes de la part de l’ensemble du système en général et de la direction du Parti républicain en particulier. Il a fait ce que Corbyn aurait dû faire. Il a mobilisé sa base et l’a retournée contre l’ancienne direction républicaine, qui a dû battre en retraite.
Bien entendu, cela ne change rien au fait que Trump est resté un politicien bourgeois réactionnaire. Il faut malgré tout reconnaître qu’il a fait preuve d’un courage et d’une détermination qui ont manifestement fait défaut à Corbyn.
Il a également fait preuve d’un mépris total pour le soi-disant politiquement correct et les politiques identitaires, que les réformistes de gauche ont malheureusement avalés tout crus. Cela a joué un rôle absolument pernicieux dans le cas de Corbyn.
Lorsque la droite l’a attaqué en l’accusant d’antisémitisme (une accusation totalement fausse), il a immédiatement battu en retraite. Il est devenu une victime facile pour le lobby sioniste réactionnaire et l’ensemble de la classe dirigeante britannique et a rapidement été réduit à une soumission abjecte – une victime impuissante de la dépendance à la politique identitaire réactionnaire.
Corbyn aurait dû faire ce que Trump a fait. Il aurait dû répondre à l’accusation d’antisémitisme de manière frontale, mobiliser sa base et la lâchant sur l’establishment de droite du Parti travailliste, procéder à une purge en profondeur de ces éléments nauséabonds.
S’il avait fait cela, il est certain qu’il aurait gagné. Mais il ne l’a pas fait. Cela a permis à l’aile droite du Parti travailliste de passer à l’offensive, d’expulser la gauche – y compris Corbyn lui-même – et de purger le parti de fond en comble. Le résultat a été la victoire de Starmer. L’expérience du Corbynisme s’est soldée par une défaite.
La même expérience s’est répétée à maintes reprises. À chaque fois, les dirigeants de la gauche ont joué un rôle des plus lamentables. Ils ont déçu leur base et donné le pouvoir à la droite sur un plateau d’argent.
C’est ce fait, et ce fait seul, qui explique l’actuel mouvement de balancier vers la droite. C’était tout à fait inévitable, étant donné la lâche capitulation de la gauche.
Laissons les autres déplorer les faits et se plaindre de la montée de Trump et autres démagogues de droite. Nous répondons avec mépris : vous ne pouvez pas vous en plaindre. C’est entièrement de votre responsabilité. Vous avez franchement eu ce que vous méritiez. Maintenant, nous devons tous en payer les conséquences.
Que représente réellement Trump?
Commençons par l’évidence. Nous sommes tous d’accord pour dire que Donald Trump est un politicien bourgeois réactionnaire. Il n’est pas nécessaire de le préciser. Il va aussi sans dire que les communistes ne le soutiennent en aucune façon.
Mais en affirmant l’évidence, nous n’avançons pas d’un pas dans l’analyse du phénomène de Trump et du trumpisme. Par exemple, est-il juste de dire qu’il n’y a pas de différence entre Donald Trump et Joseph Biden ?
Qu’ils soient tous deux des politiciens bourgeois qui défendent essentiellement les mêmes intérêts de classe est une évidence. En ce sens, on pourrait dire qu’ils sont pareils. Pourtant, il devrait être clair, même pour le plus aveugle des aveugles, qu’il existe en fait de très sérieuses différences entre les deux – en fait, un abîme béant.
Le fait que les deux hommes soient en fin de compte des politiciens bourgeois et qu’ils représentent ultimement les mêmes intérêts de classe n’exclut en rien la possibilité de divergences marquées entre les différentes couches d’une même classe. En fait, ce type de conflit a toujours existé.
Le problème central pour la bourgeoisie est que le modèle qui avait apparemment garanti le succès du capitalisme pendant de nombreuses décennies est irrévocablement brisé.
Le phénomène de la mondialisation, qui lui a permis de surmonter les contraintes du marché national pendant longtemps, a maintenant atteint ses limites. À sa place, nous assistons à la montée du nationalisme économique. Chaque classe capitaliste fait valoir ses propres intérêts nationaux contre ceux des autres nations. L’ère du libre-échange fait place à l’ère des tarifs douaniers et des guerres commerciales.
Les éternels nostalgiques déplorent la disparition de l’ordre ancien. Mais Trump l’embrasse avec le zèle d’un religieux nouvellement converti. Il a ainsi bouleversé l’ordre mondial, à la grande colère et à la frustration des nations les plus faibles.
Donald Trump s’attire ainsi les foudres de ses anciens « alliés » en Europe, qui le rendent responsable de tous leurs malheurs. Mais il n’a pas inventé cette situation. Il n’en est que le représentant et le défenseur le plus extrême et le plus conséquent.

La faillite du libéralisme
Depuis de nombreuses années, la classe dirigeante et ses représentants politiques en Occident arborent systématiquement une image pseudo-progressiste afin de dissimuler la réalité de la domination de classe. Ils ont habilement utilisé les politiques identitaires comme arme contre-révolutionnaire.
Et les « gauches », dépourvues de toute base idéologique solide, ont avalé ces foutaises, sans broncher. Cela n’a fait que les discréditer aux yeux de la classe ouvrière, qui les regarde avec incrédulité, à ergoter sans cesse sur des questions de vocabulaire et à répéter des platitudes sur ce qui est soi-disant politiquement correct, au lieu de se battre pour les intérêts réels des travailleurs, des femmes et des autres couches opprimées de la société.
Par conséquent, lorsque Donald Trump arrive et dénonce les politiques identitaires et le politiquement correct, il n’est pas surprenant qu’il touche une corde sensible parmi des millions d’hommes et de femmes ordinaires dont le cerveau n’a pas été irrémédiablement intoxiqué par la maladie postmoderniste.
Les libéraux défendent-ils la démocratie?
Les libéraux ont une vision très particulière de la démocratie. Comme nous l’avons vu, ils soutiennent les élections, mais seulement si le candidat qu’ils préfèrent gagne. Si le résultat n’est pas à leur goût, ils commencent immédiatement à crier à l’injustice, insinuant qu’il y a eu trucage des votes et autres sortes de pratiques louches – généralement, sans produire le moindre élément de preuve.
C’est ce qui s’est passé après la victoire de Trump sur Hillary Clinton lors de l’élection présidentielle de 2016, quand Trump est devenu le premier président de l’histoire des États-Unis n’ayant jamais été élu à un poste politique ni eu d’expérience militaire au préalable.
En effet, Trump était un outsider – quelqu’un qui n’était pas lié à l’establishment existant à Washington, qui détient le monopole du pouvoir politique depuis des décennies.
L’establishment a vu en lui une menace pour son monopole et a agi en conséquence pour contourner la démocratie et renverser le résultat de l’élection. Les démocrates ont lancé le fameux scandale du « Russiagate » contre Trump, avec l’intention manifeste de le chasser du pouvoir.
Cela aurait équivalu à un coup d’État démocratique. Une violation de la démocratie? Bien sûr, mais s’il est parfois nécessaire de violer les règles de la démocratie pour la défendre, qu’il en soit ainsi!
Par la suite, ils se sont donné les moyens les plus extraordinaires pour empêcher Donald Trump de redevenir président. Ils ont lancé un véritable tsunami de poursuites judiciaires, visant à le mettre derrière les barreaux.
Il y a eu quatre procédures judiciaires dirigées contre Trump personnellement, à commencer par la fameuse affaire Stormy Daniels, suivie de l’accusation d’ingérence électorale en Géorgie et enfin de la question de la présence de documents classifiés à Mar-a-Lago.
En outre, plus d’une centaine de procès ont été intentés contre l’administration de Trump.
Les grands médias ont été mobilisés pour tirer pleinement parti de l’assaut. Mais l’échec a été total. Chacune de ces affaires n’a fait que renforcer son soutien dans les sondages. Le résultat final s’est vu lors de l’élection présidentielle du 5 novembre 2024.
Avec le deuxième taux de participation le plus élevé depuis 1900 (après 2020), Trump a remporté 77 284 118 voix, soit 49,8% des voix, le deuxième plus grand total de voix dans l’histoire des États-Unis (après la victoire de Biden en 2020). Trump a également remporté chacun des sept États clés.
Il ne s’agit pas seulement d’une victoire électorale, mais d’un triomphe retentissant, et d’un rejet total de l’establishment libéral démocrate.
Il s’agit également d’un échec cuisant pour les médias prostitués qui ont massivement soutenu Harris. Parmi les journaux quotidiens, 54 ont soutenu Harris et seulement six ont soutenu Trump. Sur l’ensemble des hebdomadaires, 121 ont soutenu Harris et seulement 11 ont soutenu Trump.
Comment expliquer cela?
Trump et la classe ouvrière
Il est frappant de constater la différence de composition de classe des votes exprimés. Alors que Harris a remporté la majorité des électeurs gagnant 100 000 dollars ou plus, Trump a remporté la majorité des électeurs gagnant moins de 50 000 dollars. Il ne fait aucun doute que des millions de travailleurs américains ont voté pour Donald Trump.
Il n’y a là rien de particulièrement surprenant ou « bizarre ». La popularité de Trump auprès de la classe ouvrière repose sur une base matérielle. Selon le Bureau of Labor Statistics, depuis le début des années 1980, les salaires réels des travailleurs américains stagnent, et ont même diminué, notamment en raison de la délocalisation des emplois. De même, l’Economic Policy Institute rapporte que les salaires des ménages à revenus faibles et moyens n’ont connu que peu ou pas de croissance depuis la fin des années 1970, alors que le coût de la vie n’a cessé d’augmenter.
Dans de nombreuses villes américaines, les conditions de misère sordide ressemblent à celles des villes les plus pauvres d’Amérique latine, d’Afrique ou d’Asie. Et cette pauvreté coexiste avec la concentration de richesses entre quelques mains la plus obscène que l’on ait vue depuis cent ans.
Pourtant, tout cela est apparemment invisible pour les « progressistes » de la classe moyenne. L’establishment politique et la tribu des journalistes et commentateurs bien payés ont été tellement obnubilés par le poison pernicieux des politiques identitaires qu’ils ont constamment ignoré les problèmes réels auxquels sont confrontés les travailleurs, qu’ils soient noirs ou blancs, hommes ou femmes, hétérosexuels ou homosexuels.
Un exemple typique est l’insistance des imbéciles du politiquement correct à préconiser des termes tels que « Latinx » pour promouvoir l’inclusion des genres. Pourtant, seuls 4% des latinos utilisent ce terme et 75% d’entre eux estiment qu’il ne devrait jamais être utilisé, selon Pew Research.
La voie était donc libre pour que des démagogues de droite comme Donald Trump canalisent la colère accumulée de millions de gens qui se sentaient à juste titre ignorés par l’establishment libéral de Washington.
C’est ainsi qu’en 2024, Trump a élargi sa base en allant chercher l’appui de nombreux travailleurs noirs et latinos.
C’est la conséquence directe de la trahison de la « gauche » à la Bernie Sanders, qui, en n’offrant pas de solution de rechange claire aux libéraux, a laissé la porte grande ouverte aux démagogues de droite comme Trump.
Jusqu’à récemment, même le terme « classe ouvrière » apparaissait à peine dans la propagande électorale des principaux partis. Même les « gauchistes » à la langue la plus déliée parlaient plutôt de « classe moyenne ». La classe ouvrière américaine, semble-t-il, avait cessé d’exister!
Sauf peut-être quelques exceptions, il n’est pas exagéré de dire que c’est Donald Trump – un milliardaire, démagogue de droite – qui, seul, a prétendu défendre les intérêts de la classe ouvrière dans ses discours. On pourrait dire que c’est à lui seul que l’on doit d’avoir replacé les travailleurs au centre de la politique américaine.
Inutile de nous dire qu’il s’agit là de simple démagogie, d’une rhétorique vide de substance. Nous n’avons pas non plus besoin d’être informés que Trump dit ces choses à ses propres fins, qui sont inévitablement liées aux intérêts de la classe à laquelle il appartient.
Cela est parfaitement clair pour nous. Mais cela n’a rien à voir avec la question qui nous occupe. Le fait est que c’était loin d’être clair pour les millions de travailleurs qui ont voté pour Trump lors des élections présidentielles. Qui ignore cette réalité le fait à ses risques et périls.
Quels intérêts Trump défend-il?
Il ne devrait pas être difficile d’expliquer à toute personne réfléchie notre attitude à l’égard de Trump. C’est vraiment très simple. Nous disons :
Ce milliardaire défend les intérêts de sa propre classe. Tout ce qu’il dira sera en fin de compte dans son propre intérêt et dans celui des riches – les banquiers et les capitalistes. Il s’ensuit, comme la nuit suit le jour, que ces intérêts ne peuvent jamais être ceux de la classe ouvrière.
Cependant, afin de gagner le soutien des travailleurs, il dira parfois des choses qui leur paraîtront logiques. Lorsqu’il parle d’emploi, de chômage, de baisse des salaires, de hausse des prix, il obtient naturellement une oreille attentive.
Et il se peut qu’une ou deux choses qu’il dit soient justes. D’ailleurs, Trump a admis un jour qu’il avait repris plusieurs idées des discours de Sanders et qu’il les avait utilisées pour séduire les travailleurs.
Certes, Trump est un politicien bourgeois réactionnaire, mais cela ne signifie pas qu’il est exactement le même que n’importe quel autre politicien bourgeois réactionnaire. Au contraire. Il a sa propre interprétation des choses, ses propres perspectives, sa propre politique et sa propre stratégie, qui diffèrent en de nombreux points fondamentaux des positions de Joe Biden et de sa clique, par exemple.
À certains égards, ses opinions peuvent sembler coïncider, au moins dans une certaine mesure, avec les nôtres. Par exemple, dans son attitude à l’égard de la guerre en Ukraine, son démantèlement de l’USAID ou son rejet du « wokisme ». Trotsky a déjà commenté sur le fait qu’il arrive qu’il y ait correspondance entre ce que disent les politiciens bourgeois et ce que nous pensons nous-mêmes.
En mai 1938, il a écrit un article intitulé « Il faut apprendre à penser – Conseil amical à l’adresse de certains ultra-gauches ».
On peut y lire ce qui suit :
« Dans quatre-vingt-dix cas sur cent, les ouvriers mettent bien un signe moins là où la bourgeoisie met un signe plus. Cependant, dans dix cas ils sont contraints de mettre le même signe que la bourgeoisie, mais ils le font avec leur propre estampille, exprimant ainsi leur défiance envers la bourgeoisie. La politique du prolétariat ne se déduit pas automatiquement de la politique de la bourgeoisie en mettant le signe contraire, – en ce cas-là, chaque sectaire serait un grand stratège ; non, le parti révolutionnaire doit s’orienter chaque fois de façon indépendante dans la situation tant intérieure qu’extérieure, en prenant les décisions qui répondent le mieux aux intérêts du prolétariat. Cette règle concerne aussi bien une période de guerre qu’une période de paix. »
Même lorsque Trump dit des choses justes, il le fait invariablement du point de vue de ses propres intérêts de classe et à des fins réactionnaires avec lesquelles nous n’avons absolument rien en commun.
L’essentiel est que, dans tous les cas, nous mettons toujours l’accent sur la position de classe. C’est pourquoi il est tout à fait inadmissible de s’identifier aux politiques de Trump. Ce serait une grave erreur.
Mais ce serait une erreur bien plus grave – en fait, ce serait un crime – de se tenir ne serait-ce qu’un instant aux côtés des éléments bourgeois dits « libéraux » et « démocratiques » dont les attaques contre Trump sont entièrement guidées par le point de vue de l’establishment bourgeois réactionnaire contre lequel Trump mène actuellement la guerre.
Le moindre mal?
Dès que l’on fait des concessions aux accusations de fascisme, de bonapartisme et de menace pour la démocratie, on entre sur une pente glissante qui peut conduire – consciemment ou non – à embrasser la politique du moindre mal. Et c’est sans aucun doute le plus grand danger.
Est-il vrai que le régime de Biden représentait quelque chose de progressiste par rapport à Trump ? C’est ainsi qu’il s’est présenté. Et la soi-disant gauche a pris cela pour argent comptant.
L’establishment démocrate affirme que Trump est un ennemi de la démocratie. Mais si l’on examine la conduite monstrueuse de la clique de Biden, on voit le mépris total pour la démocratie dont elle a fait preuve jusqu’au bout.
Pensez au soutien « inébranlable » de Biden à l’invasion israélienne de Gaza, qui lui vaut le surnom « Genocide Joe ». Pensez à comment son administration « démocratique » a réprimé la liberté de réunion, en brutalisant par centaines les étudiants qui manifestaient pacifiquement pour la Palestine, avec 3200 arrestations à l’échelle nationale.
Biden disait être « le président le plus pro-syndicats dans l’histoire américaine », mais il a piétiné le droit de grève des cheminots. Il jurait de mettre fin aux déportations de l’ère Trump, mais il a expulsé encore plus de sans-papiers que son prédécesseur. Et on pourrait continuer ainsi longuement.
Jusqu’au bout, Biden s’est cramponné à son poste, longtemps après avoir été reconnu inapte à la fonction même par son propre parti, qui a dû retirer sa candidature présidentielle pour les démocrates.
Même après le vote de l’écrasante majorité de l’électorat contre les démocrates, il a continué à utiliser ses pouvoirs de président, pour des actes de sabotage éhontés contre le candidat démocratiquement élu, Trump, menant les États-Unis au bord d’une guerre avec la Russie.
Il serait difficile d’imaginer un mépris plus flagrant pour la démocratie et l’opinion de l’écrasante majorité du peuple américain. Pourtant, ce gangster et sa clique ont continué à jouer les défenseurs de la démocratie face à un prétendu risque de dictature!
Biden et sa bande ont fait bien des choses infiniment plus contre-révolutionnaires, désastreuses et monstrueuses que tout ce que Trump aurait pu faire en rêve. C’est un fait. Et l’on trouve encore des gens à gauche prêts à dire qu’il vaut mieux soutenir les démocrates contre Trump, « pour défendre la démocratie ».
Notre tâche n’est pas de nous attacher à un navire qui coule, mais, au contraire, de faire tout ce que nous pouvons qui aide à le couler. Notre politique n’est pas de répandre des illusions vis-à-vis des libéraux et de leur soi-disant démocratie, mais de démasquer leurs mensonges cyniques et leurs tromperies.
Dans Où va la France, Trotsky expliquait que la soi-disant politique du « moindre mal » est un pur crime et une trahison envers la classe ouvrière:
« Le parti ouvrier ne doit pas s’occuper d’une tentative sans espoir pour sauver le parti des faillis ; il doit au contraire accélérer de toutes ses forces le processus par lequel les masses s’affranchissent de l’emprise radicale. » [NDLR : le parti radical était un parti libéral au pouvoir en France dans les années 1930].
C’est un excellent conseil pour nous aujourd’hui. En combattant la réaction trumpiste, nous ne pouvons en aucun cas nous associer aux démocrates « libéraux » en faillite, de quelque manière que ce soit.
Trouvons un chemin vers les travailleurs!
Les périodes de transition, comme celle que nous vivons actuellement, créent toujours la confusion. Nous serons confrontés à divers phénomènes nouveaux et complexes, sans précédents historiques évidents.
Pour ne pas perdre le cap, il nous faudra nous accrocher fermement aux principes fondamentaux du marxisme, et ne pas nous laisser distraire par tel ou tel développement accidentel. Le trait principal de la situation actuelle est, premièrement, que la situation objective exige une solution révolutionnaire.
Le potentiel est là. Mais aujourd’hui il n’existe pas de force capable de saisir ce potentiel. C’est pourquoi, pour l’instant, cela reste un pur potentiel.
Les masses s’efforcent de trouver une issue à la crise. Elles mettent à l’épreuve les chefs de parti les uns après les autres, mais découvrent rapidement les lacunes de toutes les organisations existantes. Cela explique l’instabilité politique générale qui se manifeste par de violentes oscillations sur le plan électoral, de gauche à droite, et vice-versa.
Du fait de l’absence totale de direction à gauche, la voie est libre pour toutes sortes d’aberrations et de démagogues du type de Trump.
Ils peuvent monter très vite, en exprimant la colère et le mécontentement des masses. Mais à terme, ils se heurtent à la réalité et déçoivent, préparant un retour de balancier dans le sens opposé.
Ce serait ne rien comprendre à la situation que de voir ces développements en termes purement négatifs. Les masses sont désespérées et ont urgemment besoin de solutions à leurs problèmes. Des personnes comme Donald Trump leur offrent en apparence ce qu’elles recherchent.
Il faut le comprendre et ne pas se contenter de rejeter ces mouvements comme des aberrations « d’extrême droite » (une expression vide de sens en général). Bien sûr, ces mouvements comportent des éléments réactionnaires. Mais leur caractère de masse indique qu’ils ont une base sociale contradictoire.
Pour trouver un chemin vers les travailleurs de n’importe quel pays, il est nécessaire de les prendre tels qu’ils sont – et non pas tels que nous voudrions qu’ils soient. Pour entamer un dialogue avec les travailleurs, il faut partir du niveau de conscience existant. Toute autre approche n’est qu’une recette pour la stérilité et l’impuissance.
Si on cherche une conversation sensée avec un travailleur qui a des illusions vis-à-vis de Trump, on ne peut pas commencer par des dénonciations stridentes ou des accusations de fascisme et autres sobriquets. En écoutant patiemment ses arguments, on peut trouver de nombreux points d’accord, puis, à l’aide d’arguments habiles, peu à peu introduire des doutes sur le fait que les intérêts de la classe ouvrière puissent vraiment être défendus par un riche homme d’affaires milliardaire.
Bien sûr, à ce stade, nos arguments ne seront pas forcément couronnés de succès. En général, la classe ouvrière n’apprend pas des débats, mais de sa propre expérience. Et l’expérience d’un gouvernement Trump sera un douloureux apprentissage.
Par conséquent, lorsque nous parlons aux travailleurs qui soutiennent Trump, nous devrions avoir une approche amicale, trouver un accord sur les choses où nous pouvons être d’accord, puis souligner habilement les limites du trumpisme et plaider pour le socialisme. Les contradictions finiront par remonter à la surface. Cependant, malgré cela, les illusions envers Trump vont persister un certain temps.
On ne parviendra à rien avec une attitude agressive et hostile à l’égard des nombreux travailleurs honnêtes qui, pour des raisons tout à fait compréhensibles, se sont ralliés à la bannière de Trump. Une telle approche, à la fois stérile et contre-productive, ne mènera nulle part.
L’histoire a montré maintes fois que des travailleurs entrés sur l’arène politique avec des idées très rétrogrades, voire réactionnaires, peuvent rapidement évoluer vers la gauche sous le coup des événements.
Au début de la révolution de 1905 en Russie, les marxistes étaient une minorité très petite et isolée. La majorité des travailleurs russes étaient politiquement arriérés, avec des illusions envers la monarchie et l’Église.
L’écrasante majorité des travailleurs de Saint-Pétersbourg a d’abord suivi la direction du père Gapon, qui collaborait activement avec la police. Quand les marxistes les approchaient avec des tracts dénonçant le tsar, les ouvriers les déchiraient et parfois frappaient les révolutionnaires.
Mais tout cela s’est changé en son contraire après les événements du Dimanche sanglant le 9 janvier. Les mêmes ouvriers qui déchiraient les tracts, allaient désormais voir les révolutionnaires pour leur demander des armes afin de renverser le tsar.
Aux États-Unis, nous pouvons citer un exemple similaire, très symptomatique bien que moins dramatique. Lorsqu’un jeune ouvrier du nom de Farrell Dobbs s’est lancé en politique au début des années 1930, il était alors un républicain convaincu.
Mais à travers l’expérience d’une lutte des classes houleuse, il est passé directement de la droite républicaine au trotskisme révolutionnaire, et a joué un rôle de premier plan dans la rébellion des Teamsters à Minneapolis.
Dans la période turbulente de montée de la lutte des classes qui s’ouvre aux États-Unis, nous verrons beaucoup de cas semblables. Et certains des travailleurs qui aujourd’hui soutiennent avec enthousiasme Trump ou des démagogues similaires pourront être gagnés à la bannière de la révolution socialiste sur la base des événements futurs.
En surface, le mouvement autour de Trump semble très solide, pratiquement indestructible. Mais il s’agit d’une illusion d’optique. En réalité, c’est un mouvement très hétérogène, déchiré par de profondes contradictions. Tôt ou tard, celles-ci se manifesteront.
Les ennemis libéraux de Trump espèrent que l’échec de ses politiques économiques entraînera une déception généralisée et une perte de soutien. Un tel échec est tout à fait prévisible. Les tarifs douaniers qu’il a imposés font déjà l’objet d’inévitables représailles. Cela se traduira par des pertes d’emplois et des fermetures d’usines dans les secteurs concernés.
Mais les prédictions d’un effondrement imminent du trumpisme sont prématurées. Trump a suscité d’immenses espoirs chez des millions de personnes qui n’en avaient plus. De telles illusions sont profondément enracinées et assez fortes pour résister à toute une série de chocs et de déceptions temporaires.
Il faudra du temps pour que le charme hypnotique de la démagogie de Trump se dissipe. Mais tôt ou tard, la désillusion s’installera, et plus les travailleurs mettront de temps à comprendre que leurs intérêts de classe ne sont pas représentés, plus la réaction sera violente.
Donald Trump est déjà assez âgé, et même s’il réussit à éviter une balle assassine, la nature a ses lois d’airain. Quoi qu’il en soit, il est peu probable qu’il se présente à nouveau à l’élection présidentielle – même en changeant les règles pour le permettre.
On ne peut imaginer le trumpisme sans Donald J. Trump. C’est précisément sa forte personnalité et son habileté incontestable à mener les foules et à manipuler la démagogie, qui font le ciment de son mouvement hétérogène. Sans cela, les contradictions qui existent en son sein referont inévitablement surface, provoquant des crises internes et des fractures au sein de la direction.
J. D. Vance semble être le successeur naturel de Donald Trump, mais il n’a ni l’immense autorité ni le charisme de son leader. C’est cependant un homme intelligent, qui pourrait évoluer dans diverses directions selon les événements. Il est impossible de prédire le résultat.
Une loi bien connue de la mécanique dit que toute action a une réaction égale et opposée. Donald Trump est un maître de l’hyperbole. Ses propos démagogiques ne connaissent aucune limite. Tout ce qu’il promet est extraordinaire, formidable, merveilleux, énorme, etc. Et la déception, lorsqu’elle arrivera, sera proportionnellement énorme.
À un moment, son mouvement commencera à se briser sur des lignes de classe. Quand les travailleurs le déserteront, il est probable que les éléments petits-bourgeois enragés se regroupent en l’embryon d’une nouvelle organisation authentiquement fasciste ou bonapartiste.
De cette situation chaotique, le mouvement vers un tiers parti deviendra irrésistible. Par sa nature même, ce sera une affaire confuse – pas nécessairement de gauche ni même clairement progressiste dans un premier temps. Mais les événements auront leur propre logique.
De nombreux travailleurs, après s’être brûlé les doigts en mettant Trump à l’essai, chercheront une autre bannière reflétant plus fidèlement leur colère et leur haine profonde des riches et de l’establishment, qui ne sont qu’un reflet immature de leur hostilité instinctive envers le système capitaliste lui-même. Cela les poussera brusquement vers la gauche.
Il n’est pas farfelu de prédire que certains des militants les plus audacieux et dévoués du futur mouvement communiste aux États-Unis seront précisément des travailleurs passés par l’école du trumpisme et qui en auront tiré les bonnes conclusions. Il y a beaucoup de précédents historiques à de tels développements, comme nous l’avons vu.
Enfin, je tiens à préciser une chose. Ce que je vous ai présenté ici n’est pas une perspective aboutie, et encore moins une prédiction détaillée de ce qui se passera à l’avenir. Pour cela, il faudrait non pas la méthode marxiste, mais une boule de cristal – qui malheureusement n’a pas encore été inventée.
Sur la base de tous les faits observables dont je dispose, j’ai formulé un pronostic prudent qui, toutefois, ne peut être qu’une supposition éclairée. La situation actuelle se présente comme une équation extrêmement compliquée, avec de nombreuses solutions possibles. Seul le temps comblera les lacunes et nous fournira la réponse. L’histoire nous réserve bien des surprises. Toutes ne seront pas mauvaises.