C’est dans un local rempli de l’Université Concordia que, le 18 mai dernier, Fred  Weston, rédacteur en chef du site web In Defence of Marxism (www.marxist.com), a donné une conférence intitulée From Mélenchon to Corbyn : Lessons from the European left. L’auditoire de près de 40 personnes, principalement composé d’étudiant-es, eut l’occasion d’écouter et de discuter avec le militant italien de la montée en popularité des partis de gauche en Europe et ailleurs dans le monde. L’essentiel de la présentation portait sur les causes de ce phénomène et des leçons qu’il faut en tirer. La période de discussion permit d’approfondir la question du réformisme et de réitérer l’importance de construire une organisation révolutionnaire.

À l’aide de nombreuses citations tirées de la presse bourgeoise, Fred a mis en évidence que les bourgeois les plus éclairés constatent la même chose que nous, soit que de plus en plus de gens souhaitent une rupture radicale avec tout ce qui représente le statu quo capitaliste. La cause première de cet état de fait est sans conteste la crise profonde dans laquelle se trouve le capitalisme.

Depuis la fin des Trente glorieuses, et surtout depuis la crise de 2008, les conditions de vie de la classe ouvrière se détériorent : les salaires stagnent, les soins de santé et l’éducation coûtent plus cher, l’âge de la retraite est repoussé, les infrastructures sont de moindre qualité, etc. Face au taux de croissance anémique des économies occidentales, les gouvernements, quelle que soit leur orientation politique, attaquent les acquis des générations précédentes. Ainsi, pour la vaste majorité de la population, et pour les jeunes en particulier, l’avenir ne semble plus promettre de progrès, mais plutôt une précarisation toujours croissante. Il n’y a rien que nous puissions attendre de l’establishment face à cette situation; l’intransigeance de la Troïka à l’endroit du peuple grec depuis 2010 illustre à merveille cette déconnexion.

Dans ce contexte de crise et d’appauvrissement, les masses rejettent de plus en plus les partis de l’establishment et cherchent chaque jour davantage une solution de rechange qui puisse les sortir de la misère. Les partis traditionnels de la classe ouvrière, quant à eux, à force de trahir les travailleur-euses et de servir les intérêts des plus riches, ont été complètement discrédités; le PASOK en Grèce et le PS en France en sont deux récents exemples.  Il ne faut donc pas se surprendre du succès de nouveaux partis ou de politiciens de gauche comme  SYRIZA en Grèce, Podemos en Espagne et Bernie Sanders aux États-Unis. À ces exemples s’ajoutent maintenant le succès de Jean-Luc Mélenchon et de la France Insoumise lors des récentes élections françaises,  de même que celui de Jeremy Corbyn au Royaume-Uni. Promettant de s’attaquer aux privilèges des riches, de rompre avec l’austérité et de mettre en place des réformes progressistes, ces personnalités ou ces nouveaux partis catapultés à l’avant-scène comblent le vide à gauche créé par le discrédit des formations traditionnelles ou, dans le cas de Corbyn, du discrédit complet de l’aile droite du Labour Party.

Ainsi, contrairement à ce que certains médias et politiciens véhiculent, l’idée d’une rupture radicale avec l’austérité et le statu quo n’effraient pas les électeurs, mais les attirent de plus en plus. À ce titre, Fred cita les résultats d’un sondage mené après la fuite du manifeste du Labour Party indiquant que des mesures telles que l’abolition des frais de scolarité universitaires et la « renationalisation » de secteurs clés de l’économie (chemins de fer, services postaux, distribution de l’électricité et de l’eau), présumées trop radicales pour être populaires,  ont en fait le soutien de la majorité des répondants, voire de plus de leur moitié. En France, l’intérêt croissant envers une solution radicale à gauche se constate en comparant les rassemblements tenus par Mélenchon et ceux tenus par Macron : le premier réunissait des dizaines de milliers de personnes, alors qu’il arrivait au second de discourir devant des salles à moitié vides.

L’enthousiasme que suscitent Mélenchon et Corbyn exprime la radicalisation croissante de la classe ouvrière et des jeunes vers la gauche. En effet, comme le mentionnait quelqu’un au cours de la discussion, «la situation a fondamentalement changé». Néanmoins, il est impératif de se poser la question qu’adressa Fred à l’assistance: « Est-ce que cette gauche est à la hauteur de la tâche? »

À cette question, en tant que marxistes et à la lumière des expériences passées, nous devons répondre que si ces partis se résignent au cadre qu’impose le capitalisme, ils ne réussiront pas à appliquer leur programme et auraient à le trahir à un moment ou à un autre. En effet, un gouvernement de gauche qui tenterait d’appliquer des réformes progressistes se verrait immédiatement attaqué par les capitalistes qui, pour donner l’exemple et protéger leurs profits, saboteraient les réformes et l’obligeraient à continuer l’austérité.

L’exemple de SYRIZA en Grèce, souligné par Fred, est fort éloquent à ce titre. Bien que la population grecque se soit nettement manifestée contre les mesures d’austérité exigées par la Troïka lors d’un référendum en juillet 2015, et que SYRIZA avait promis de mettre fin à l’austérité, Alexis Tsipras, le chef du parti, flancha sous le chantage des créanciers de la Grèce et renonça complètement à son programme, trahissant de la sorte ses promesses et ceux qui l’avaient mené au pouvoir.

À ce sujet, une camarade de La Riposte socialiste signala au cours de la discussion que cela montrait bien que l’austérité, contrairement à ce qu’une partie de la gauche soutient, n’est pas le fruit de l’idéologie « néolibérale », mais constitue une exigence de la société le capitalisme en crise. Enfin, Fred rappela la fragilité des réformes sous le capitalisme : ces acquis sont constamment attaqués lorsque le système subit une secousse, ce qui ne cesse de se produire depuis la crise de 2008.

L’expérience de Syriza en Grèce a bien montré ce qui arrive lorsqu’un parti qui se dit de gauche refuse de rompre avec le capitalisme. Il est donc important que les marxistes interviennent dans les mouvements comme ceux autour de la France Insoumise et de Jeremy Corbyn et entrent en dialogue avec les millions de travailleur-euses et de jeunes qui se radicalisent, et puissent défendre auprès d’eux un programme authentiquement socialiste.