Photo : Daniel Case/Wikimedia Commons

Dans les dernières semaines, on a assisté à une nouvelle édition du débat sur l’immigration au Québec, qui prend une tournure de plus en plus sombre. Devant un nombre grandissant de demandeurs d’asile au Canada, dont une partie importante passent par le Québec à travers le fameux chemin Roxham, le discours xénophobe anti-immigrants prend aussi de l’ampleur. Le mouvement ouvrier doit s’y opposer.

Le chemin Roxham, ce passage frontalier entre le Québec et les États-Unis, par où passent une grande partie des demandeurs d’asile au Canada, est revenu dans l’actualité en janvier, après un reportage de Radio-Canada. Selon le radiodiffuseur public, il existerait des réseaux de passeurs américains qui vendent leurs services à des migrants pour traverser la frontière et se rendre au Canada par le chemin Roxham. 

Il a ensuite été révélé que la Ville de New York et la Garde nationale américaine, dans l’espoir de se débarrasser des demandeurs d’asile, leur paient des billets d’autobus en direction du Canada. De plus, des agents des douanes américaines auraient même reconduit eux-mêmes des migrants à la frontière canado-américaine.

Devant ces révélations, Martineau, Lisée et consorts nationaleux se sont déchaînés. Jean-François Lisée, reprenant les politiques des pires politiciens américains du Parti républicain, a proposé : « On garde tous les francophones et ceux qui ont de la famille immédiate au Québec et les autres on les met dans un bel autobus (…) et on les emmène à Ottawa. » Cette façon de voir les demandeurs d’asile comme rien de mieux que du bétail est typique de Lisée, qui avait aussi déjà proposé de construire une clôture à la frontière, « payée par les Mexicains ».

Mario Dumont, dans les pages du Journal de Montréal, s’en prend aux demandeurs d’asile passant par Roxham, qu’il accuse de ne pas être tous des « véritables réfugiés » et d’être des « gens qui se font passer pour réfugiés [et qui] veulent juste venir améliorer leur sort dans un pays riche ».

Le Bloc québécois aussi s’en est pris aux migrants. Il a publié une image qui présentait le parcours des demandeurs d’asile passant par Roxham comme un « tout inclus », en référence aux billets d’autobus payés aux migrants par les autorités américaines. Le Bloc révélait ainsi tout le mépris qu’il a pour ces gens qui traversent vents et marées dans l’espoir de fuir la misère, l’oppression et la guerre. 

Le Parti québécois s’est aussi joint au concert, en réclamant la fermeture du chemin Roxham et en proposant que la Sûreté du Québec « bloque » le chemin aux migrants, comme s’il suffisait de boucher un trou pour bloquer le flux migratoire. Paul Saint-Pierre Plamondon, le chef du PQ, est même allé jusqu’à affirmer qu’il faudrait réduire l’immigration pour éviter « la montée des extrêmes », pour garantir « la paix sociale ». Fomenter la haine raciale pour éviter la haine raciale, faut le faire!

Le premier ministre du Québec François Legault a quant à lui envoyé une lettre au premier ministre canadien Justin Trudeau. Il demande que le gouvernement fédéral renégocie avec Washington l’entente sur les pays tiers sûrs. Selon cette entente, les demandeurs d’asile entrant au Canada à travers un pays tiers « sûr », comme les États-Unis, seront refoulés vers ce pays, sous prétexte qu’ils auraient dû réclamer asile dans ce pays. Cela fait en sorte que beaucoup de réfugiés choisissent plutôt d’entrer au Canada par un point d’entrée irrégulier, comme le chemin Roxham, avant de déposer leur demande d’asile au Canada. François Legault demande aussi que « les demandeurs d’asile qui entrent de façon irrégulière soient dorénavant tous redirigés vers d’autres provinces ». 

Larmes de crocodiles

Comme les autres opposants à l’immigration, qui n’osent pas encore tenir des propos ouvertement racistes, Legault enveloppe ses demandes d’arguments humanitaires. Il soutient que « la capacité d’accueil du Québec est largement dépassée ». Il affirme que les demandeurs d’asile « peinent à trouver des logements adéquats et sont plus nombreux à se retrouver en situation d’itinérance ». Jean-François Lisée fait de même, lorsqu’il justifie d’envoyer de force les migrants en Ontario en disant que « Nos services communautaires, nos hôtels, nos logements, nos hôpitaux sont surchargés. Nous ne pouvons pas prendre cette charge là ». 

Il y a un fond de vérité dans leurs propos : il est vrai qu’il y a eu une augmentation importante du nombre de demandeurs d’asile au Canada, et au Québec en particulier, dans les dernières années, et que les services d’accueil sont débordés. 

En 2022, 92 175 demandeurs d’asile sont entrés au Canada. C’est un record, qui représente une hausse de 44% par rapport au pic précédent en 2019. Sur ces demandeurs, environ 40 000 sont passés par le chemin Roxham. 

Ces demandeurs d’asile se retrouvent souvent à Montréal, sans le sou, sans emploi et sans logis, à la recherche de soutien. Les organismes communautaires rapportent être dépassés par la demande.  En conférence de presse en janvier dernier, la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes lançait un appel à l’aide. Le gouvernement Legault a répondu par un diachylon, en débloquant 3,5 millions de dollars en fonds d’urgence pour les organismes communautaires.

Il est incroyablement hypocrite de la part de la CAQ et du PQ de s’opposer à la venue de réfugiés en prétextant que le Québec est surchargé. Ces partis ont activement contribué à la détérioration des services publics et du milieu communautaire et à la crise du logement par l’austérité, le sous-financement et l’inaction ainsi que leurs attaques contre les travailleurs du secteur public. Les commentateurs de droite comme Dumont, Lisée et compagnie, qui se font les meneurs de claques de ces partis et de ce genre de politiques, n’ont aucune leçon à donner non plus. 

Ce n’est que lorsqu’on parle d’immigration que les politiciens et commentateurs de droite soulignent la surcharge dans les services publics et le communautaire. Ce n’est pas un hasard. Pour eux, les immigrants et réfugiés sont les boucs émissaires parfaits pour les problèmes qu’ils ont eux-mêmes créés par leurs politiques de destruction des services publics.

Pour souligner cette hypocrisie, quelques jours à peine après avoir envoyé cette lettre à Justin Trudeau pour dire qu’il ne pouvait plus accueillir de réfugiés, François Legault a rencontré des réfugiés ukrainiens et a affirmé « On va continuer à en accueillir », disant que le Québec pouvait leur fournir « toutes sortes d’aides ». Le Québec a accueilli 11 000 réfugiés ukrainiens depuis le début de la guerre en Ukraine. Les mêmes nationaleux qui s’insurgent contre l’afflux de réfugiés d’Haïti, du Mexique, de Colombie et de Turquie ouvrent grands les bras quand il s’agit d’Ukrainiens. L’hypocrisie raciste est renversante : y a-t-il ou n’y a-t-il pas assez de ressources? Comment se fait-il qu’on a les ressources pour accueillir des Ukrainiens, mais pas pour des Haïtiens? Poser la question, c’est y répondre.

Patate chaude

Le gouvernement Trudeau, sous la pression du Québec, semble avoir finalement accepté de transporter les migrants passant par le chemin Roxham hors du Québec depuis le 11 février. Près de 400 d’entre eux ont été envoyés en Ontario. Les provinces des Maritimes ont aussi commencé à accueillir des réfugiés arrivés par Roxham. Si le gouvernement Legault est satisfait de cette décision, en agissant ainsi, Trudeau vient de transformer ce qui était un « problème québécois » en problème du Canada au grand complet.

De façon opportuniste, le chef du parti conservateur Pierre Poilievre s’est ainsi joint à François Legault pour réclamer la fermeture du chemin Roxham. Le gouvernement de la Saskatchewan a envoyé un courriel à Radio-Canada, pour faire connaître son intention de ne pas accueillir plus de réfugiés, étant prétendument déjà trop occupé avec « des milliers d’Ukrainiens déplacés »! Le maire de Niagara Falls, où sont logés une partie des demandeurs d’asile envoyés en Ontario depuis le Québec, s’est plaint que les réfugiés allaient nuire à l’industrie touristique de la ville, parce qu’ils « ne dépensent pas » comme des touristes. Il faut s’attendre à ce que les tensions entre les provinces sur cette question continuent d’augmenter, à mesure que la crise des migrants va s’empirer. 

En effet, la crise des migrants est un enjeu d’envergure planétaire, et il n’était qu’une question de temps avant qu’elle arrive au Canada. En 2022, plus de 100 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur de leur pays ou ont dû chercher refuge dans un autre pays, alors que le nombre tournait plutôt autour de 40 millions annuellement dans les années 2000. La crise multifacettes du capitalisme – crise économique, crise climatique, guerres impérialistes, etc. – cause des déplacements massifs de populations à l’échelle mondiale, qui fuient la misère, la violence et la destruction environnementale. Alors que le système capitaliste continue à s’enfoncer dans la crise, le nombre de migrants va aller en augmentant. 

Les tentatives comme celle de Legault de refiler la patate chaude au reste du Canada vont avoir comme conséquence d’accroître les tensions entre les provinces et avec le fédéral. Mais le « problème » ne pourra pas non plus être réglé en bloquant les frontières. C’est ce que révèle l’expérience de l’Europe.

En effet, de l’autre côté de l’Atlantique, cela fait plus d’une décennie que des vagues d’humains fuyant la guerre au Moyen-Orient viennent s’échouer sur les murs de la « forteresse Europe », où ils sont accueillis par des hommes armés qui les renvoient se noyer dans la Méditerranée. Toute l’expérience de l’Europe montre que toute mesure pour fermer les frontières, comme le proposent PSPP, Legault et Poilievre, ne fait que rendre les chemins des migrants plus dangereux et renforce les réseaux de passeurs clandestins. Encore il y a quelques jours, un homme est mort en tentant d’entrer au Québec depuis le Vermont. Fermer Roxham ne va pas mettre fin à l’arrivée de migrants, mais conduira à la mort de plus de réfugiés.

La crise des migrants ne sera pas réglée par des solutions simplistes comme la fermeture du chemin Roxham, qui reviendrait à boucher un trou dans une passoire. Mais les politiciens comme Legault et cie n’ont aucune autre solution à l’afflux de migrants. En effet, il existe amplement de ressources pour accueillir tous ces réfugiés et mêmes plus. Toutefois, ces ressources se trouvent entre les mains avares des capitalistes, les mêmes que servent Legault et compagnie. Entre les intérêts des capitalistes et ceux des migrants, les nationaleux bourgeois comme Legault choisiront toujours les capitalistes.

Quant aux politiciens libéraux comme Justin Trudeau, ils adoptent une fausse posture pro-migrants pour se donner des airs miséricordieux et humanitaires, alors même qu’ils sont en grande partie responsables des guerres impérialistes et de l’instabilité qui poussent tant de gens à fuir leur pays. On peut penser au coup d’État de 2004 à Haïti contre Jean-Bertrand Aristide, orchestré par les États-Unis avec la participation du gouvernement libéral de Paul Martin, ou à la vente par le gouvernement de Trudeau d’armement à l’Arabie Saoudite, qui s’en sert dans sa guerre criminelle contre le Yémen, ou encore au soutien actuel du gouvernement au régime putschiste du Pérou qui se maintient au pouvoir en tirant dans les foules de manifestants. Ce sont ces mêmes politiciens qui soutiennent les grandes entreprises canadiennes qui siphonnent les richesses des pays pauvres, laissant les populations locales dans la misère, sans autre choix que de suivre le flot d’argent vers les pays impérialistes pour chercher une vie meilleure.

La classe ouvrière doit rejeter la xénophobie!

La classe ouvrière n’a aucun intérêt à se joindre au chœur des politiciens xénophobes qui appellent à la fermeture du chemin Roxham. Le seul effet de ce genre de discours anti-immigration est d’accroître la méfiance et le racisme à l’égard des migrants, et de rendre ainsi plus facile leur discrimination. La précarité ainsi créée permet au patronat d’exploiter ces travailleurs, comme le démontre la révélation récente que l’employeur BRP paye ses employés mexicains quatre fois moins que leurs collègues québécois, à son usine de Valcourt. Ce genre de cas montre bien comment les patrons se servent du racisme pour exploiter les travailleurs migrants comme cheap labour. Le mouvement ouvrier québécois doit absolument s’opposer à un tel traitement discriminatoire, qui fait pression à la baisse sur les salaires de tous les travailleurs.

Le mouvement ouvrier doit aussi se battre pour l’abolition de l’Entente sur les pays tiers sûrs. Les États-Unis ne sont pas un pays « sûr » pour les réfugiés, qui y sont traités comme des criminels et emprisonnés dans des conditions terribles, souvent avant d’être renvoyés dans leur pays d’origine. L’Entente sur les pays tiers sûrs n’est rien de plus qu’un compromis entre bandits impérialistes pour gérer les conséquences (les populations déplacées) de leurs politiques de guerre et de pillage.

Plutôt que de traiter les réfugiés comme un problème à gérer, les travailleurs doivent plutôt se battre pour une société où il y a assez de ressources pour tous et toutes, sans égard au pays d’origine. Ces ressources existent, mais elles se trouvent entre les mains des grands capitalistes. Pour satisfaire les besoins de la population, plutôt que la soif de profits des entreprises, il nous faut exproprier ces parasites milliardaires et bâtir une économie socialiste, planifiée démocratiquement par les travailleurs eux-mêmes. Une telle démocratie des travailleurs n’aurait aucun intérêt à aller envahir et exploiter d’autres pays, forçant leurs habitants à fuir la guerre et la misère. La crise des migrants est un pur produit de la crise du capitalisme. Sa solution exige l’abolition de ce système pourri.