Crise du réseau de la santé : pourquoi ce gâchis, et comment en sortir?

Le système de santé est à la dérive, et la CAQ n’offre aucune solution. Un peu comme un mauvais médecin, la CAQ se contente de mettre des plasters à gauche à droite alors qu’elle a devant ses yeux une jambe cassée. Pendant ce temps, les travailleuses de la santé, celles qui tiennent encore le fort malgré tout, se voient imposer du délestage et continuent de souffrir du temps supplémentaire obligatoire. Les mesures insatisfaisantes du gouvernement n’offrent aucun espoir de s’en sortir. 

  • Sébastien Roy, membre de la FIQ, et Julien Arseneau
  • ven. 22 oct. 2021
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Crédit : André Querry

Le système de santé est à la dérive, et la CAQ n’offre aucune solution. Un peu comme un mauvais médecin, la CAQ se contente de mettre des plasters à gauche à droite alors qu’elle a devant ses yeux une jambe cassée. Pendant ce temps, les travailleuses de la santé, celles qui tiennent encore le fort malgré tout, se voient imposer du délestage et continuent de souffrir du temps supplémentaire obligatoire. Les mesures insatisfaisantes du gouvernement n’offrent aucun espoir de s’en sortir. 

Le réseau en crise

Cela fait des années que le réseau de la santé craque de partout et maintenant il est bien en train de couler. Il manque des milliers d’infirmières et de professionnelles, tellement que des départements entiers doivent fermer, les listes d’attente pour les chirurgies dépassent l’entendement et partout au Québec des urgences ont dû cesser de recevoir des patients pendant l’été.

Devant l’ampleur du problème, avec des sit-in qui se multipliaient et une colère qui grondait dans la population, la CAQ a été forcée à agir.

Le 23 septembre, Legault a annoncé en grande pompe des primes de 15 000 dollars, notamment pour les infirmières retournant travailler à temps plein, une mesure totalisant un milliard de dollars. Mais l’écran de fumée ne prend pas trop d’effort à disperser : ces primes sont non renouvelables et donc temporaires. Après impôt, c’est encore moins que cela, et ces primes, comme toutes les autres, ne sont pas considérées pour les fonds de pension. Ce n’est qu’un petit bonbon afin de faire revenir les professionnelles dans le réseau public et mettre davantage de pression pour que celles à temps partiel acceptent de travailler à temps complet. Et en plus, les primes sont assorties d’un paquet de conditions, et si une seule n’est pas respectée, la prime est retirée et doit être remboursée!

Ces incitatifs passent complètement à côté des besoins des travailleuses de la santé qui sont déjà épuisées et proches du burn-out, et ce ne sont pas quelques milliers de dollars qui vont faire disparaître le fardeau de la surcharge de travail. Et pour celles qui ont quitté, on est loin d’être en mesure de les convaincre de revenir. « Pourquoi j’ai enduré ça aussi longtemps? » C’est la question que s’est posée Caroline Dufour, une infirmière qui a quitté il y a quelques mois, tout en affirmant que les 15 000 dollars ne la feront pas revenir travailler dans le réseau. 

La prime n’est pas la seule mesure annoncée. Il y a aussi eu la promesse d’embaucher 3000 agentes administratives en plus dans le réseau. Il est bien connu que le fardeau de la paperasse sur les professionnelles de la santé gruge sur leur temps disponible pour fournir des soins. Toutefois, c’est l’infirmière qui a fait les évaluations des patients qui a la responsabilité de remplir les innombrables formulaires qui y sont reliés, pas les agentes administratives. Et donc, engager ces personnes ne va pas diminuer le fardeau des infirmières. Voilà une autre mesure complètement déconnectée des besoins réels.

Les objectifs de la CAQ sont d’ailleurs minables. Christian Dubé a mentionné vouloir ramener dans le réseau 4300 infirmières. Ce nombre se limite au nombre d’infirmières qui ont quitté depuis le début de la crise sanitaire alors que même avant la pandémie, le réseau manquait de personnel. 

Une chose frappe cependant : après avoir affirmé pendant des mois qu’il n’y avait pas d’argent pour de vraies augmentations de salaire pour les employés du secteur public, soudainement, la CAQ a trouvé un milliard de dollars à investir en santé! Et pour ajouter l’insulte à l’injure, la CAQ offre un montant forfaitaire de 14% à tous les cadres du réseau. Cela ne fait que montrer au passage qu’il aurait entièrement été possible pour la FIQ et les autres syndicats du secteur de mobiliser leurs membres dans une grève pour obtenir de meilleures conditions de travail et salariales. Ce n’est que par la mobilisation de masse que nous pourrons obtenir quoi que ce soit.

Vaccination obligatoire?

Parmi les zigzags de la CAQ s’ajoute maintenant celui sur la vaccination obligatoire. Le gouvernement donnait jusqu’au 15 octobre pour que tout le réseau de la santé soit pleinement vacciné; cette date a été repoussée au 15 novembre. Plusieurs syndicats se sont directement opposés à cette mesure, mais est-ce vraiment la position que le mouvement syndical devrait défendre? 

Il ne fait aucun doute que la vaccination fonctionne, et nous pensons que tout le monde devrait être vacciné au plus vite. L’extrême majorité des employés du réseau de santé est vaccinée – près de 96%. À la FSSS-CSN, 60% des membres souhaitent que la vaccination soit obligatoire (cela monte à 80% chez les personnes pleinement vaccinées). 

Mais l’approche de la CAQ est entièrement contre-productive et contradictoire, à l’image de sa gestion de la pandémie en général. L’annonce de la date limite du 15 octobre a fait augmenter le taux de vaccination. Mais le rythme de vaccination est clairement insuffisant. En plus des menaces de congés sans solde, la CAQ souhaite maintenant cesser le dépistage pour les non-vaccinés sur les heures de travail, et que celui-ci se fasse aux frais des travailleurs. Ces mesures répressives venant d’un gouvernement déjà discrédité risquent de simplement renforcer la méfiance de beaucoup de non-vaccinés. En plus, rendre moins accessible le dépistage ne peut que nuire à la lutte contre le virus. 

Plutôt que de laisser la CAQ gérer la vaccination et la COVID-19 en général à coup de demi-mesures et de répression, nous devons lutter pour que les syndicats eux-mêmes soient en charge des mesures sanitaires et de la campagne de vaccination. Les travailleuses elles-mêmes devraient décider démocratiquement de ce qu’il advient à leurs collègues non-vaccinés et quelles autres mesures sont nécessaires pour combattre le virus.

Mais le débat sur la vaccination obligatoire occulte le plus important : le fait que le réseau est déjà en manque de personnel. Il y a près de 20 000 employés qui ne sont pas pleinement vaccinés présentement. Même si ce chiffre descend à 5000 par exemple au 15 novembre, cela représenterait tout de même un coup de hache de plus dans un réseau déjà abîmé. Même avec un taux de vaccination de 100%, et donc en gardant tous les employés actuels, le réseau flanche. 

Le vrai problème est le sous-financement chronique du système de santé, l’utilisation abusive et routinière du TSO, les mauvaises conditions de travail en général, et le manque de personnel qui en résulte. La suspension de quelques milliers d’infirmières irresponsables ne serait pas un problème si les gouvernements n’avaient pas passé des décennies à couper à coup de hache dans la santé. Rien de tout cela n’est réglé par les mesures proposées par la CAQ. 

La santé gérée comme une entreprise

Si le réseau de la santé n’avait pas été détruit par l’austérité et la privatisation, nous ne serions pas dans la situation où nous sommes. Le réseau est géré comme une business à coup d’économies de bout de chandelle, avec toutes les conséquences qui viennent avec.

Dans un récent article, Natalie Stake-Doucet, présidente de l’Association québécoise des infirmières et infirmiers, explique en quoi le TSO est lié à cette mentalité capitaliste : 

« Aucune infirmière ne s’est jamais plainte de devoir rester à la suite d’une catastrophe. S’il devait y avoir un gros carambolage ou une catastrophe naturelle comme un tremblement de terre, on n’aurait même pas besoin d’appliquer le principe du TSO, les infirmières resteraient en poste.

Le TSO, tel qu’il est appliqué depuis 25 ans, est une béquille visant à faciliter la dotation la plus minimale possible dans chaque unité. 

On prévoit donc, dans la plupart des milieux, le plus petit nombre possible de personnel soignant dans un esprit d’économie, un concept lancé par le virage ambulatoire de Lucien Bouchard en 1997 et renforcé par la réforme dévastatrice de Gaétan Barrette en 2014. Donc, en planifiant pour le plus petit nombre de soignants possible, une absence imprévue devient difficile à gérer, tout comme un influx de patients. »

L’article explique également comment, avec la COVID-19, les décisions sur la gestion du personnel sont venues du haut, sans consultation des travailleuses elles-mêmes, renforçant l’utilisation des TSO et du délestage. 

Tant qu’il en sera ainsi, les problèmes ne seront jamais réglés. D’ailleurs, les vraies entreprises privées contribuent au problème : les agences de placement ont augmenté leur personnel d’infirmières de 20% en un an, affaiblissant ainsi le réseau public. Le ministre de la Santé, Christian Dubé, a annoncé qu’il voulait s’arranger pour que le privé ait les « quarts défavorables » à remplir (soirs et fins de semaine), pour que ce ne soit pas seulement le public qui s’en occupe. Mais c’est là l’équivalent de replacer les chaises sur le Titanic.

La réalité est que les infirmières vont continuer à quitter pour le privé aussi longtemps que les conditions de travail dans le réseau public ne seront pas significativement améliorées.

Colère à la base

Face à la crise, de nombreuses travailleuses se sont mobilisées pour s’opposer aux mesures répressives comme le TSO. Au cours des dernières années, il y a eu des centaines de sit-in partout dans la province pour refuser ces conditions inacceptables. Les dénonciations et les sorties médiatiques se sont multipliées. Les infirmières ont fait preuve d’un courage exceptionnel en défiant leurs gestionnaires. Elles sont à l’avant-garde de la lutte pour défendre le réseau de la santé. 

Le phénomène a pris tellement d’ampleur récemment que le Tribunal administratif du travail a dû intervenir afin de réprimer les travailleuses de la santé en déclarant qu’il est illégal de refuser de faire du TSO. Encore une fois, l’État utilise des mesures autoritaires pour réprimer celles qui s’opposent à sa gestion. 

Malheureusement, notre direction syndicale a peu fait pour soutenir l’action de ses membres. Les sit-in se multiplient depuis des mois sans qu’ils soient coordonnés ou appuyés par l’exécutif. Ce dernier, sous la pression de la base, a organisé une fin de semaine appelant les membres à refuser le TSO les 16 et 17 octobre derniers. Cette tactique a déjà été essayée par le passé, mais comme avant, il s’agissait d’une petite escarmouche isolée. On compte sur les membres individuelles ou les syndicats locaux pour l’appliquer; il semble que seul un tiers des locaux ont suivi le mot d’ordre. Aucune action commune n’a été organisée en lien avec cet appel. 

L’approche conciliatrice et molle de l’exécutif de la FIQ ne fait d’ailleurs pas l’unanimité dans ses rangs. Dernièrement, la présidente Nancy Bédard n’a reçu que 60% de soutien lors d’un vote de confiance – très proche de l’appui de seulement 54% à l’entente pourrie avec le gouvernement. Avec la pression de la base de plus en plus forte, elle a choisi de démissionner, tout comme sa vice-présidente Kathleen Bertrand.

Cette colère contre la direction et les sit-in incessants démontrent une fois de plus que les travailleuses de la base veulent se battre pour vrai. Nous avons grand besoin d’un syndicalisme combatif. Il est grand temps que notre syndicat organise une large mobilisation du personnel. Il faut appeler à refuser massivement le TSO en tout temps, coordonner les sit-in pour augmenter leur efficacité et exiger dès maintenant de bons horaires de travail et de vraies augmentations de salaires (et non des primes bidons). Des manifestations de masse devraient être organisées pour mobiliser la classe ouvrière plus large. Il n’y a pas de temps à perdre.

Pour le contrôle du réseau de la santé par ses travailleuses

Cela fait des années qu’on dénonce les problèmes du réseau de la santé. L’enjeu n’est pas d’être entendus. La crise actuelle était complètement prévisible. La CAQ était bien au courant des problèmes lorsqu’elle a été élue. Malgré cela, elle poursuit la même logique capitaliste que tous les autres gouvernements qui ont les uns après les autres détruit le réseau à coup de contre-réformes et de coupes. 

Pour régler la crise, il faut lutter pour un réseau de la santé entièrement public et véritablement accessible et universel. Il faut améliorer les conditions de travail en imposant des ratios de soins sécuritaires décidés par les infirmières elles-mêmes. Il ne faut pas de primes, mais des augmentations de salaire. Il faut diminuer les heures de travail sans perte financière afin de faciliter la conciliation travail-famille.

Le recrutement d’infirmières et de personnel est absolument nécessaire – et aux grands maux, les grands moyens. À l’été 2020, le gouvernement a offert des formations de préposé aux bénéficiaires payées afin de soulager la crise des CHSLD. Bien que limitée, cette mesure montre ce pour quoi nous devons lutter. Le mouvement syndical devrait revendiquer la gratuité scolaire et des bourses d’études suffisantes afin d’attirer davantage de gens vers les professions en santé.

Les travailleuses de la santé connaissent les solutions et sont les mieux placées pour mettre fin au manque de personnel. Ce sont elles qui devraient avoir le contrôle sur le réseau public et décider démocratiquement comment le gérer! 

Mais sous le capitalisme, le contrôle par les travailleurs et travailleuses eux-mêmes n’est pas toléré, et la menace de l’austérité et des privatisations plane constamment sur les services publics. Un changement radical de société s’impose. Notre mouvement a désespérément besoin d’une perspective socialiste si nous voulons mettre fin une fois pour toutes au système capitaliste qui nous rend tous et toutes malades.