Photo : François Legault/Twitter

Une autre élection québécoise, un autre débat houleux sur l’immigration. Se disputant pour savoir s’il faut augmenter ou diminuer le plafond annuel d’immigration, les principaux partis politiques en lice pour les élections québécoises de 2022 – encouragés par les médias – ont une fois de plus fait de l’immigration un thème central de l’élection.

Dans le dernier épisode de cette saga, le premier ministre Francois Legault, chef du parti nationaliste de droite Coalition avenir Québec (CAQ), a eu le culot d’associer les immigrants à la violence lors d’une mêlée de presse le 6 septembre. Un journaliste lui a demandé ce qu’il pensait de la politique d’immigration de Trudeau (une question qui a fait dévier le thème prévu de la conférence de presse qui devait porter sur l’éducation et l’agriculture), ce à quoi Legault a répondu : « Les Québécois sont pacifiques. Ils n’aiment pas la chicane, ils n’aiment pas les extrémistes, ils n’aiment pas la violence. Donc il faut s’assurer qu’on garde ça comme c’est là actuellement. »

Legault a été contraint de présenter des excuses publiques le soir même, mais cela ne l’a pas empêché de renchérir sur son discours anti-immigrants une semaine plus tard, lorsqu’il a affirmé que l’augmentation du plafond d’immigration représentait une menace pour la soi-disant « cohésion nationale ».

Avant d’aller plus loin, nous devons nous interroger : quel est le véritable enjeu de ce débat sur les seuils d’immigration? Y a-t-il vraiment une différence entre la politique actuelle de la CAQ de maintenir le plafond à 40 000 et la promesse du Parti québécois (PQ) de le réduire à 35 000, ou la proposition du Parti libéral du Québec (PLQ) de le porter à 70 000, ou celle de Québec solidaire à 80 000? Derrière l’écran de fumée des disputes sur le fait de laisser entrer ou non de nouveaux immigrants, se cache la triste vérité que, dans l’ensemble, ce débat ne sert qu’à alimenter la haine anti-immigrants et à diviser la classe ouvrière.

Nationalisme identitaire

Cela fait des années que les débats sur l’immigration sont au cœur de la politique québécoise. Lors de sa campagne de 2018, Legault a fait de cette question un sujet chaud lorsqu’il a juré de limiter l’afflux d’immigrants de 50 000 à 40 000 par an, et a promis que tous les nouveaux arrivants devraient passer un test sur les « valeurs québécoises ». Le PQ appelle également à la réduction du nombre d’immigrants depuis des années.

La plateforme de Legault, à l’époque comme aujourd’hui, reflète une tendance constante du mouvement nationaliste à brandir la menace des croque-mitaines étrangers qui envahissent la province, balayant la minorité francophone qui serait en train de disparaître. Ce nationalisme identitaire a pris racine après le référendum de 1995, le mouvement nationaliste devant se réinventer à mesure que l’intérêt pour le débat sur le fédéralisme et la souveraineté diminuait. Depuis lors, le PQ, puis la CAQ, en tant que principaux partis nationalistes, se sont de plus en plus concentrés sur des questions étroites d’ « identité » québécoise, mettant en garde contre la menace que représenterait pour le Québec l’immigration, afin de renforcer leur soutien auprès des travailleurs francophones.

Le plus bruyant et le plus grossier de ces nationalistes de droite est le commentateur Mathieu Bock-Coté. À en croire son fil Twitter, les politiciens « woke » ont aveuglément ouvert la porte de l’enfer extrémiste, permettant aux démons voilés non francophones d’envahir la province dans le but d’éradiquer tout vestige des vraies valeurs québécoises.

Le cri de guerre sur les « valeurs » et l’« identité » québécoises a également servi de toile de fond au débat sans fin sur les symboles religieux dans la province, qui a culminé avec l’adoption de l’infâme projet de loi 21 en 2019, interdisant aux employés du secteur public comme les enseignants, les juges et les policiers de porter des symboles religieux au travail. À l’époque, comme avec le tapage actuel autour de l’immigration, l’objectif était de détourner l’attention des électeurs des vrais problèmes comme la crise du logement, les coupes dans les soins de santé, l’éducation, et ainsi de suite; des questions qui les uniraient au-delà de l’identité religieuse ou du statut de citoyenneté contre la classe dirigeante dont la politique a été incapable de résoudre le moindre de ces problèmes. Ces débats ont également des conséquences catastrophiques sur les minorités raciales et religieuses qui sont harcelées, intimidées, prises pour boucs émissaires.

Hypocrisie

Nous en sommes venus à nous attendre à des commentaires xénophobes de la part de nationalistes de droite comme Legault, qui détournent l’attention des électeurs en leur disant que les immigrants menacent la « cohésion nationale », alors que ces mêmes immigrants travailleurs ont fait partie du ciment de la société pendant la crise de 2020.

Mais ne vous y trompez pas, les libéraux ne sont pas meilleurs. Dominique Anglade, la chef du PLQ, a misé sur sa propre identité d’enfant d’immigrés pour attaquer Legault, faisant fi du bilan hypocrite de son propre parti sur cette question. Lorsqu’il était au pouvoir, le PLQ a joué avec les questions identitaires en déposant le projet de loi 62, sa propre version de l’interdiction des symboles religieux. Les libéraux aiment se présenter comme les amis des immigrants et des minorités opprimées, surtout pendant la saison électorale, mais une fois au pouvoir, ils n’ont aucun scrupule à utiliser les mêmes méthodes que les nationalistes de droite si cela sert leurs intérêts.

La réponse socialiste

Gabriel-Nadeau Dubois, co-porte-parole du parti de gauche Québec solidaire (QS), a dénoncé à juste titre la rhétorique anti-immigrants de Legault. Il s’est prononcé contre le chef de la CAQ, dénonçant le fait que « Toujours, il nous parle de menaces », lorsque celui-ci parle d’immigration. Quant à lui, QS propose le plafond d’immigration le plus élevé parmi les principaux partis (à 80 000). Mais est-ce bien différent des 70 000 du PLQ?

GND a également déclaré récemment : « On mérite un gouvernement qui n’est pas mal à l’aise quand il parle d’immigration, qui voit ça comme une richesse pour le Québec. » Devinez quel parti a publié un article en ligne intitulé « Pénurie de main-d’œuvre – Les travailleurs étrangers sont une richesse pour nos régions » dans le cadre de sa campagne? GND ne veut sûrement pas dire qu’il souhaite voir les libéraux au pouvoir, et pourtant les voilà qui revendiquent à peu près la même chose que lui. Concrètement, l’augmentation proposée par les libéraux – dans l’espoir de remédier à la pénurie de main-d’œuvre – vise en réalité à mettre en œuvre le programme des patrons, qui ont exhorté tous les politiciens à augmenter les objectifs d’immigration afin d’aider à combler les 220 000 emplois vacants

Pour se distinguer en tant que véritable solution de rechange ouvrière aux libéraux, en tant que combattants solides contre les manœuvres de victimisation et de peur de la droite, QS ne doit pas simplement proposer le plus haut plafond d’immigrants, mais doit refuser les termes du débat, comme s’il s’agissait simplement d’arriver à un nombre correct d’immigrants.

Les capitalistes ont toujours utilisé les divisions et les frontières nationales pour dresser les travailleurs les uns contre les autres et faire baisser nos salaires, que ce soit en exigeant des salaires plus bas en menaçant de délocaliser les usines dans des pays où le niveau de vie est moins élevé, ou en utilisant les immigrants comme source de main-d’œuvre bon marché. Mais la solution ne consiste ni à accepter l’idée de droite de restreindre l’afflux d’immigrants, ni à accepter la proposition « altruiste » des libéraux de plafonner plus haut l’immigration. Ce serait tomber dans le piège de faire reposer nos revendications sur les limites du système capitaliste lui-même. 

En effet, si les partis capitalistes débattent des limites à imposer à la circulation des personnes, ils ne parlent jamais de limiter la circulation des capitaux. Pour eux, les immigrés ne sont qu’une source de main-d’œuvre, à augmenter ou à diminuer selon leurs besoins, et à prendre comme boucs émissaires pour diviser les travailleurs. C’est pourquoi les marxistes s’opposent aux contrôles sur l’immigration dans leur ensemble. Les seules limites à l’accueil des immigrants sont celles imposées par le capitalisme. La vérité est qu’il y a plus qu’assez de richesses pour accueillir tous ceux qui ont besoin de venir ici, mais le problème est que ces richesses restent actuellement dans un petit nombre de mains. Pour lever l’écran de fumée délibérément entretenu par les partis capitalistes, nous avons besoin d’une voix qui explique que le capitalisme est à l’origine du « problème » de l’immigration. Sans cela, les politiciens continueront d’utiliser périodiquement cette question pour nous diviser et marquer des points politiques mesquins en faisant des minorités opprimées des boucs émissaires.