Les défenseurs de l’eau Gidimt’en expulsent Coastal GasLink du territoire Wet’suwet’en

Des membres du clan Gidimt’en de la nation Wet’suwet’en ont exécuté un ordre d’expulsion contre Coastal GasLink (CGL) le dimanche 14 novembre, ordonnant à la société de cesser ses activités et de quitter le territoire Wet’suwet’en. L’ordre d’expulsion avait été initialement émis par les chefs héréditaires des cinq clans des Wet’suwet’en en janvier 2020. En février de la même année, la GRC a appliqué une injonction du tribunal lors d’un raid militarisé, démantelé violemment des barrages et arrêté des défenseurs de la terre afin de s’assurer que la construction du pipeline de CGL puisse se poursuivre.

  • Rob Lyon
  • ven. 26 nov. 2021
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Photo : Layla Staats

Des membres du clan Gidimt’en de la nation Wet’suwet’en ont exécuté un ordre d’expulsion contre Coastal GasLink (CGL) le dimanche 14 novembre, ordonnant à la société de cesser ses activités et de quitter le territoire Wet’suwet’en. L’ordre d’expulsion avait été initialement émis par les chefs héréditaires des cinq clans des Wet’suwet’en en janvier 2020. En février de la même année, la GRC a appliqué une injonction du tribunal lors d’un raid militarisé, démantelé violemment des barrages et arrêté des défenseurs de la terre afin de s’assurer que la construction du pipeline de CGL puisse se poursuivre.

En réponse aux actions de la GRC, des manifestations de solidarité et des occupations ont éclaté dans tout le Canada en février et mars 2020. Dans une magnifique démonstration de solidarité d’un océan à l’autre, des chemins de fer ont été bloqués en Colombie-Britannique, en Alberta, au Manitoba, en Ontario et au Québec. Les ports ont été fermés à Vancouver. Les députés n’ont pas pu entrer dans l’assemblée législative provinciale à Victoria. Des routes et des ponts, y compris le pont de la Confédération à l’Île-du-Prince-Édouard, ont été bloqués dans tout le pays.  

Expulsion

Cette année, les défenseurs de l’eau ont donné huit heures à CGL le 14 novembre pour évacuer les chantiers et les campements aux petites heures du matin avant que la route d’accès principale ne soit bloquée plus tard dans l’après-midi. Les médias ont d’abord indiqué que CGL respectait l’ordre d’expulsion, mais l’entreprise a depuis précisé que ce n’était pas le cas et que quelque 500 travailleurs étaient bloqués derrière les barrages sur la route d’accès.

À l’expiration du délai, sans preuve que les travailleurs avaient quitté le territoire, les défenseurs de la terre et de l’eau Wet’suwet’en et leurs alliés Haudenosaunee ont saisi une excavatrice de Coastal GasLink et ont fermé définitivement la route de service de la forêt de la rivière Morice.

Les chefs héréditaires et les défenseurs de la terre ont maintenu leur opposition au pipeline depuis les raids du début de 2020, et l’ordre d’expulsion est resté en place malgré les raids de la police. La lutte contre CGL a été mise en veilleuse à cause de la COVID-19, la priorité ayant été donnée à la sécurité de la collectivité pendant la pandémie. Mais avec l’allègement des restrictions liées à la pandémie et la poursuite de la construction du gazoduc, la lutte est de nouveau à l’ordre du jour.   

L’exécution de l’ordre d’expulsion intervient près de deux mois après la mise en place du camp Coyote, créé par les défenseurs de la terre et de l’eau Gidimt’en pour empêcher Coastal Gaslink de forer sous le cours supérieur de la Wedzin Kwa (rivière Morice).

La construction du gazoduc CGL est à moitié terminée. Le gazoduc doit transporter le gaz naturel issu des activités de fracturation dans le nord-est de la Colombie-Britannique jusqu’à un terminal de gaz naturel liquéfié de 40 milliards de dollars situé à Kitimat, en vue de son exportation vers l’Asie. L’étape actuelle de la construction du gazoduc nécessite le forage et le creusement de tunnels sous la Wedzin Kwa, qui est considérée comme une source sacrée par les Wet’suwet’en. La rivière est une source vierge d’eau potable et est importante pour le frai du saumon. La construction du gazoduc crée un risque important de pollution de la rivière. Les défenseurs de la terre et de l’eau ont juré de défendre cette précieuse ressource. 

Sleydo’, la porte-parole du poste de contrôle Gidimt’en, a expliqué dans un communiqué de presse que « les chefs héréditaires Wet’suwet’en n’ont jamais cédé, abandonné ou perdu en guerre le titre de propriété de ce territoire. Cela signifie que leurs paroles ont force de loi. L’ordre d’expulsion de 2020 stipule que CGL doit se retirer du territoire et ne pas y revenir. L’entreprise viole cette loi depuis trop longtemps. »

Dans le même communiqué de presse, Sleydo’ poursuit : « Les zones humides ont été détruites. Nos animaux sont malades. Nous devons protéger ce qui reste pour toutes les générations futures. La loi Wet’suwet’en est antérieure à la loi coloniale. Elle existe depuis le début des temps dans nos territoires, et nous avons cette même combativité que nos ancêtres se sont efforcés de maintenir en vie en nous afin que nous puissions défendre nos générations futures, cette terre et cette eau. »

La tension monte entre CGL et les chefs héréditaires Wet’suwet’en depuis la fin septembre, lorsque des entrepreneurs de CGL et la GRC ont détruit un site archéologique avec de la machinerie lourde utilisée dans la construction du pipeline.

Après plusieurs jours de harcèlement de la part de CGL et de la police, il a été découvert que le site de forage de CGL sur la Wedzin Kwa avait été autorisé et que le forage allait commencer sous peu. En réponse, le 25 septembre, la route d’accès de CGL au site de forage a été bloquée et la zone a été occupée par des défenseurs de la terre et de l’eau afin d’empêcher le forage sous les cours supérieurs.

Depuis la création du camp, deux défenseurs de la terre ont été arrêtés pour avoir enfreint une injonction visant à empêcher le blocage de l’accès de CGL au territoire Wet’suwet’en. L’une des arrestations a eu lieu en pleine Journée de la vérité et de la réconciliation, lorsqu’un militant sous un bus bloquant une route menant au site de forage a été violemment agressé par la GRC. Utilisant la « contrainte par la douleur », ils ont tiré sur les jambes du militant pendant qu’il hurlait de douleur. Ils ont continué à l’agresser jusqu’à ce que le bus soit retiré. Le chef héréditaire Dsta’hyl du clan Likhts’amisyu a également été arrêté à la fin du mois d’octobre alors qu’il remplissait son rôle d’agent d’exécution de la loi sur leur territoire.

Protocole d’entente

À l’arrière-plan de la lutte des Wet’suwet’en contre le pipeline CGL se trouve le protocole d’entente signé entre les chefs héréditaires Wet’suwet’en, le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial de la Colombie-Britannique.

Un accord de principe a été conclu fin février 2020 alors que les blocages ferroviaires étaient levés par la police. L’accord a ensuite été rendu public en mai 2020 après avoir été signé par les différentes parties.

Selon l’accord, les gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique reconnaissaient les droits et titres autochtones sur l’ensemble du yintah (territoire) Wet’suwet’en, ces droits et titres étant détenus par les Maisons Wet’suwet’en dans le cadre de leur système de gouvernance. La question de savoir à quoi ressemblera cette gouvernance n’est toujours pas tranchée. Il existe un désaccord entre les conseils de bande et les chefs héréditaires qui doit encore être résolu. Cependant, c’est au peuple Wet’suwet’en lui-même de décider de son système de gouvernance, et non au gouvernement ou au National Post.

L’accord énonce également une série d’autres questions de compétence qui doivent faire l’objet d’une décision et d’un accord, notamment concernant le bien-être des enfants et des familles, l’eau, une stratégie de réunification de la nation Wet’suwet’en, la faune, le poisson, l’utilisation des terres, les ressources, le partage des revenus, les questions d’indemnisation, la prise de décision en toute connaissance de cause et d’autres thèmes proposés par les Wet’suwet’en.

Les principaux éléments de l’accord, notamment les droits, les titres et la gouvernance, devaient être négociés dans les trois mois suivant la signature officielle en mai 2020. Plus d’un an plus tard, il y a eu très peu de progrès en ce qui concerne l’accord et rien n’a été finalisé. Le gouvernement fédéral affirme que la pandémie et la complexité de l’accord ont retardé les progrès. Cela peut très bien être vrai, mais pendant ce temps, la construction du gazoduc CGL se poursuit et la question du titre et des droits des Wet’suwet’en n’est pas résolue, ce qui est exactement ce que le gouvernement veut depuis le début. 

À bien des égards, l’accord était typique du gouvernement et de la façon dont il a traité les questions de droits et de titres autochtones au cours de l’histoire. Le gouvernement fédéral a promis toutes sortes de choses aux Wet’suwet’en dans le but de sortir de la crise aiguë et de faire lever les blocages ferroviaires. Au moment de l’annonce de l’accord, de nombreux blocages avaient déjà été levés par la police, et la pandémie avait coupé l’herbe sous le pied du mouvement de solidarité.

Jusqu’à présent, le gouvernement fédéral et les entreprises ont obtenu tout ce qu’ils voulaient de l’accord, et les Wet’suwet’en n’ont rien reçu. Le gouvernement a obtenu la fin des blocages ferroviaires et du mouvement de solidarité, et CGL a pu poursuivre la construction du pipeline. Les droits, les titres et la gouvernance des Wet’suwet’en n’ont toujours pas été établis ou reconnus.

En outre, le protocole d’entente ignore également la question la plus urgente en ce qui concerne les droits, les titres et la gouvernance des Wet’suwet’en : la question du pipeline lui-même. Proposer un accord qui évite précisément le principal point de conflit, voilà qui est très typique du gouvernement fédéral. Le protocole d’entente ne restreint pas les actions en justice ou les manifestations contre le gazoduc Coastal GasLink, mais il stipule spécifiquement qu’il « n’y aura aucune incidence sur les droits et intérêts existants relatifs aux terres jusqu’au transfert de compétence aux Wet’suwet’en ».

Il serait dans l’intérêt du gouvernement et de CGL que l’accord ne soit pas finalisé avant la fin de la construction du segment du pipeline qui traverse le territoire Wet’suwet’en. Si l’accord est finalisé avant que cela ne se produise, il serait en théorie possible pour les chefs Wet’suwet’en d’utiliser leurs droits et leurs titres pour arrêter la construction du pipeline. Cela sera beaucoup plus difficile à faire si la construction du pipeline est déjà terminée.

Solidarité

L’un des développements les plus importants accompli par la lutte des Wet’suwet’en est le renforcement des liens de solidarité entre les communautés autochtones ainsi qu’avec leurs alliés. La solidarité dans la lutte ne peut que renforcer la lutte autochtone et la lutte des classes en général. Cela a été démontré lors des manifestations de solidarité et des blocages de l’année dernière.

Pendant les blocages de solidarité de février 2020, les chefs héréditaires Wet’suwet’en ont rendu visite aux chefs Haudenosaunee des Six Nations de la rivière Grand en Ontario. Ces derniers avaient créé 1492 Land Back Lane dans le cadre d’une lutte contre un projet immobilier commercial qui empiétait sur leurs terres. Les Wet’suwet’en et les Haudenosaunee ont exprimé leur solidarité et leur soutien mutuels dans leurs luttes respectives.

Avec la récente lutte autour du forage sous la Wadzin Kwa, cette solidarité a été mise en pratique. En octobre, le Conseil des chefs de la Confédération des Haudenosaunee a publié une lettre de soutien et de solidarité avec les Wet’suwet’en.

Après la publication de la lettre, le militant et révolutionnaire autochtone Skyler Williams et d’autres défenseurs de la terre de 1492 Land Back Lane se sont rendus sur le territoire Wet’suwet’en pour manifester leur soutien et leur solidarité. Pendant leur séjour, les défenseurs de la terre Haudenosaunee ont aidé à repousser les empiètements de la GRC et à les faire sortir du territoire Wet’suwet’en. Ils étaient également présents lorsque la route d’accès a finalement été bloquée après l’ordre d’expulsion du 14 novembre.

Dans une déclaration en octobre, Williams a expliqué :

« Le peuple Haudenosaunee est ici en solidarité avec les Wet’suwet’en, pour faire écho, pour soutenir, pour faire tout ce que nous avons à faire pour nous assurer que notre peuple est protégé, et que la GRC ne continue pas à brutaliser des gens qui, vous savez, font ce qu’ils peuvent pour protéger leurs terres pour les générations futures… Nous en avons assez de voir nos enfants arrachés de leurs maisons, nos terres détruites et notre eau empoisonnée. Et le fait que nous n’ayons pas le droit d’être qui nous sommes parce que nous risquons d’être jetés en prison simplement pour avoir essayé d’être qui nous sommes en tant que peuple autochtone. Malgré tous les policiers, les tribunaux, les armes et les prisons, il n’y a rien qui puisse dissuader les gens de comprendre ce lien avec la terre. Pour nous, ce lien avec la terre est quelque chose que vous ne pouvez pas faire disparaître en prison. Vous ne pouvez pas le faire disparaître par la force. Vous ne pouvez pas le faire disparaître à coups de pensionnat, ce lien que nous avons les uns avec les autres. Il n’y a rien qu’ils puissent faire pour nous enlever cela… Lorsque nos chefs de la Confédération adoptent une loi qui dit que nous allons soutenir le peuple Wet’suwet’en, cela signifie que c’est pour toujours… Il doit y avoir une certaine solidarité. Il doit y avoir une certaine unité au sein des communautés autochtones du pays… Si vous ne pouvez pas venir ici pour mettre des bottes sur le terrain… alors nous devons nous assurer que nous sommes sur chaque parcelle de l’infrastructure coloniale. »

La lutte des Wet’suwet’en et des Haudenosaunee est la même. Alors que les Wet’suwet’en sont confrontés aux empiètements d’une société pétrolière et gazière et que les Haudenosaunee sont confrontés aux empiètements d’une société immobilière, tous deux luttent pour défendre un territoire non cédé contre l’empiètement du capital soutenu par l’État, les tribunaux et la police. Le capitalisme ne peut tolérer les droits et les titres autochtones parce qu’ils font obstacle aux profits.

Les Wet’suwet’en et les Haudenosaunee ont démontré dans la pratique que la victoire s’obtient par la lutte combative. Après une année de lutte intense contre Foxgate Developments, 1492 Land Back Lane a remporté la victoire et a stoppé le développement immobilier sur ses terres. La lutte des Wet’suwet’en a inspiré l’un des mouvements de contestation les plus importants et les plus significatifs de l’histoire récente du pays, qui a coûté des centaines de millions de dollars aux capitalistes et a suscité une prise de conscience considérable. En conséquence, la sensibilisation à la lutte des Autochtones n’a jamais été aussi forte, tout comme le potentiel de solidarité.

L’État canadien et son appareil de sécurité s’inquiètent de la lutte des Wet’suwet’en depuis des années. L’État craint que celle-ci ne devienne le point de convergence de la lutte des Autochtones pour leurs droits et leurs titres dans tout le pays. Les défenseurs du capital s’inquiètent d’une « convergence » de la lutte autochtone.

Une lutte unie pour les droits et les titres autochtones pourrait être l’étincelle déclenchant une lutte généralisée au Canada, comme on l’a vu aux États-Unis l’année dernière avec le mouvement Black Lives Matter après la mort de George Floyd. La solidarité entre les peuples Wet’suwet’en et Haudenosaunee dans leur lutte commune nous montre la voie à suivre. La convergence et l’unité de ces différentes luttes est précisément ce qui est nécessaire pour vaincre le capital et mettre fin à l’oppression des peuples autochtones.

La lutte autochtone a été à l’avant-garde de la lutte des classes au Canada dernièrement. Tous les exemples de lutte dont nous avons été témoins ces dernières années ont été des actions menées par des Autochtones contre une société privée empiétant sur leurs terres. Cela démontre que ce combat est intrinsèquement anticapitaliste et fait partie intégrante de la lutte des classes au Canada.

Ce sont ces mêmes capitalistes contre lesquels la classe ouvrière en général se bat. Toute intervention de la classe ouvrière et de ses organisations contre ces milieux d’affaires ne peut que renforcer la lutte contre l’exploitation et l’oppression continues des peuples autochtones. Le mouvement ouvrier doit soutenir la lutte menée par les peuples autochtones.

Les défenseurs de la terre et de l’eau Wet’suwet’en ont appelé à la présence de volontaires sur le terrain pour les aider dans la lutte sur leurs terres, et ont appelé à des manifestations de solidarité à travers le pays pour les soutenir dans leur lutte. Le mouvement syndical doit répondre à l’appel et se tenir aux côtés des Wet’suwet’en dans la solidarité et la lutte. Grâce à l’unité, nous pouvons gagner!