Source: Catholic News Service

Du 24 au 30 juillet, le pape François, chef de l’Église catholique, était au Canada pour une « tournée d’excuses » pour le rôle joué par l’Église dans le système des pensionnats autochtones du Canada. Il s’agit de la première visite papale au Canada depuis des décennies, et elle a été saluée comme un grand moment de vérité, de réconciliation et même d’unité nationale. Même si les grands médias sont unis dans ce sentiment, le reste du pays ne l’est pas.

Après la découverte de tombes non marquées sur les sites des pensionnats à l’été 2021, il a fallu près d’un an pour que le pape présente des excuses. Finalement, le 1er avril 2022, le pape a déclaré : « Pour la conduite déplorable de ces membres de l’Église catholique, je demande le pardon de Dieu » (nous soulignons). La formulation de ces excuses donne l’impression que le problème n’était que quelques pommes pourries, plutôt que la politique explicite de l’Église elle-même, qui était responsable de l’administration d’environ 70% des pensionnats.

De nombreux Autochtones sont profondément insatisfaits. Le 28 juillet, près de Québec, des manifestants ont brandi une banderole sur laquelle on pouvait lire « Rescind the doctrine » (« Révoquez la doctrine ») directement devant le pape, le 28 juillet. Il s’agit de la « doctrine de la découverte », justification idéologique de la colonisation des Amériques, invoquée par les puissances impérialistes européennes pour s’emparer des terres habitées par des non-chrétiens. D’autres demandes ont également été présentées au pape, notamment la divulgation de documents et une réparation financière, ce qui montre que pour beaucoup, les pensées et les prières ne suffisent pas.

La coiffe et le clivage qui se développe dans les communautés autochtones

Malgré l’indignation de larges couches de la population autochtone, certains chefs autochtones n’ont pas hésité à dérouler le tapis rouge pour sa sainteté. Après les excuses du pape François à Maskwacis, en Alberta, le grand chef des Premières nations du Traité 6, Wilton Littlechild, lui a offert une coiffe. Le bonnet de guerre est un objet sacré pour de nombreuses Premières nations des prairies. Le fait d’en recevoir un est un énorme signe de respect, et il faut généralement le mériter en accomplissant de grandes choses dans une communauté donnée. Un aîné autochtone de Maskwacis a expliqué qu’en lui donnant le bonnet de guerre, Littlechild a adopté François comme leader de la communauté et membre de la tribu. 

Beaucoup de voix se sont élevées pour souligner le caractère scandaleux de cette décision. Comment peut-on accorder un si grand honneur au chef de l’Église catholique, une institution qui a causé des dommages incalculables aux communautés autochtones? L’étendue des crimes commis par l’Église au Canada n’a pas encore été révélée. Accepter des excuses, même s’il s’agit d’excuses vides et hypocrites, est une chose, mais célébrer le pape comme une sorte de héros pour les peuples autochtones est tout simplement odieux. Le grand chef du Traité 8, Arthur Noskey, a immédiatement condamné le coup d’éclat, déclarant : « Les excuses, c’est une chose, mais là on célèbre cette personne, alors que faites-vous? Êtes-vous en train de célébrer les atrocités infligées à notre peuple? »

Ce que cela représente réellement, c’est un clivage croissant au sein des populations autochtones. Beaucoup de travailleurs et de pauvres autochtones sont de plus en plus fatigués des gestes symboliques vides et des fausses excuses de la part de personnalités comme le pape, Stephen Harper ou Justin Trudeau. Ces personnes représentent des institutions qui nous ont opprimés pendant des siècles. Ces excuses vides ne s’accompagnent d’aucune mesure sérieuse pour inverser les dommages causés par des siècles d’oppression. Elles visent simplement à absoudre ces institutions oppressives de toute responsabilité.

D’un autre côté, nous avons assisté à la montée d’une élite autochtone petite mais grandissante, dont les intérêts se détachent rapidement du reste de la communauté. Elle veut s’allier avec des représentants de la classe dirigeante (comme le pape) car, ce faisant, elle devient un pôle de soutien fiable pour le capitalisme canadien dans les communautés autochtones, et cherche à gagner un joli pécule ce faisant. Elle souhaite s’élever au rang de classe dirigeante autochtone aux dépens des autochtones pauvres et de la classe ouvrière. Le chef Littlechild est un parfait représentant de cette élite. Il a déjà été député du Parti progressiste-conservateur, ce qui devrait montrer exactement où se situent ses intérêts de classe.

Pas d’argent

Si le pape ne tarit maintenant plus d’excuses, il n’a pas encore pris d’engagements concrets. Et ce n’est pas parce que l’église est à court d’argent. L’Église catholique romaine est une institution incroyablement riche. Par exemple, elle est le plus grand propriétaire foncier non gouvernemental au monde. La superficie des terres appartenant à l’Église est supérieure à la superficie totale de la Saskatchewan. Et pourtant, chaque fois que des survivants des pensionnats demandent des réparations pour les crimes commis par l’Église, la tirelire est mystérieusement vide.

En 2005, l’Église catholique a accepté de collecter 25 millions de dollars pour les survivants des pensionnats dans le cadre d’un règlement de la cour provinciale de l’Ontario. Mais au lieu de payer, l’Église a confié la collecte de fonds à ses membres, qui n’ont récolté qu’environ 4 millions de dollars. L’Église a ensuite contesté l’ordonnance du tribunal et s’est soustraite à l’obligation légale de verser les 21 millions de dollars restants en 2015. Dans ce même laps de temps, elle a réussi à trouver près de 300 millions de dollars pour la construction et la rénovation de nouvelles églises. Rien qu’à Windsor, en Ontario, l’Église a dépensé autant d’argent que pour les survivants des pensionnats. Pendant ce temps, 81% des Canadiens croient à juste titre que l’Église catholique est responsable des dommages causés par les pensionnats.

Ouvrir les archives

Une autre demande clé adressée à l’Église catholique est la divulgation de tous les documents relatifs aux pensionnats, qui contiennent très certainement des informations compromettantes susceptibles d’entraîner des poursuites pénales contre des membres de l’Église. Des allégations de dissimulation d’abus sexuels ont récemment secoué l’Église aux États-Unis, et certains de ses membres font maintenant l’objet d’accusations. L’Église s’était montrée inflexible sur le fait de ne pas divulguer de documents, mais elle a récemment changé d’avis sous la pression. L’archiviste en chef du Centre national pour la vérité et la réconciliation est récemment rentré de Rome, où il a eu accès à certains dossiers, mais rien n’indique qu’il y aura un « accès complet aux dossiers et documents de l’Église » comme cela a été demandé.

Un représentant de l’Église a invoqué la « réglementation gouvernementale » pour expliquer pourquoi les archives ne pouvaient être ouvertes. La politique de l’Église stipule que les dossiers personnels sont protégés jusqu’à 50 ans après la mort d’un prêtre, ce qui permet à toutes les « pommes pourries » d’échapper aux conséquences de leurs crimes. Cette situation contraste fortement avec la manière dont l’État agit à l’encontre des populations autochtones pour le simple « crime » de s’opposer à l’intrusion capitaliste sur leurs terres.

Révoquer la doctrine

La demande de « révoquer la doctrine » a pris une place prépondérante dans le sillage de la visite du pape. Comme nous l’avons mentionné, des manifestations à Québec ont affiché une bannière demandant à l’Église de révoquer la doctrine, littéralement au visage du pape. L’une de ces manifestantes a déclaré à Radio-Canada : « Les Autochtones veulent de l’action et il reste très peu de temps à nos aînés pour voir cette action. » Tout comme les excuses papales, les tentatives pour faire pression sur l’Église pour qu’elle annule la doctrine peuvent être comparées à de l’arrachage de dents – long, laborieux et douloureux.

La raison pour laquelle le Vatican a tant hésité à agir, même de façon symbolique, est que personne ne sait quelles forces pourraient être déchaînées si la doctrine de la découverte était révoquée. Après tout, toute la propriété privée, toutes les terres de la couronne et tout le capitalisme canadien sont fondés sur la doctrine de la découverte. L’établissement du Canada, d’abord comme colonie de la Grande-Bretagne, puis comme pays indépendant, est fondé sur la confiscation des terres habitées par les peuples autochtones, leur confinement dans des réserves et leur génocide. Le fait de rejeter purement et simplement les fondements initiaux de toutes ces choses ferait apparaître des contradictions flagrantes dans la société canadienne. Après tout, si les terres sur lesquelles se trouvent toutes les églises catholiques ont été prises au nom d’une fausse doctrine, ces terres ne devraient-elles pas être rendues?

L’impact que cela aurait sur le système juridique canadien, en particulier dans le cas des revendications territoriales, pourrait être extraordinaire. Historiquement, les tribunaux ont rendu des décisions intentionnellement vagues lorsqu’il s’agit de droits ou de titres liés à des revendications territoriales autochtones. Par exemple, dans l’arrêt Delgamuukw c. Colombie-Britannique, la Cour suprême du Canada a statué que le peuple Wet’suwet’en n’avait pas renoncé à ses droits et à son titre sur une grande partie de son territoire traditionnel, qui n’a jamais été cédé par traité, jamais acheté par l’État et jamais conquis lors d’une guerre. Pourtant, l’État prétend toujours que les terres en question sont en fait des terres publiques. La décision de la cour laisse à l’avenir le soin de définir les droits ou les titres que les Wet’suwet’en ont sur ces terres.

En fin de compte, les tribunaux et le système juridique de tout pays capitaliste sont des institutions du droit bourgeois. Ils existent pour servir la classe dirigeante et son système. Ils servent notamment de médiateurs dans les conflits entre capitalistes, établissent des normes juridiques dans lesquelles le capitalisme peut opérer, et limitent les pires excès de la société pour maintenir un vernis de justice et d’équité sur la réalité de l’oppression et de l’exploitation. Parfois, lorsque les contradictions de la société de classe se sont accumulées et que la crédibilité du capitalisme ou de l’État est menacée, le système juridique peut servir de valve de sûreté pour la pression d’une classe ou d’un groupe luttant contre un autre. Un exemple récent de cela a été le rejet par un juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique d’une demande de prolongation d’une injonction contre les bloqueurs de Fairy Creek au nom d’une société forestière. Cela s’est produit parce que la police était trop effrontée et violente envers les manifestants, alors que le souvenir du mouvement Black Lives Matter de 2020 n’était pas trop lointain. Lorsqu’il s’agit du mouvement autochtone, les tribunaux marchent sur une corde raide. D’une part, une décision reconnaissant le titre des Wet’suwet’en sur leur territoire traditionnel mettrait fin à de multiples projets de pipelines, mais d’autre part, une décision niant le titre pourrait provoquer la mobilisation du mouvement autochtone et déclencher des forces incontrôlables. Si l’on incorpore à cette équation un rejet total de la doctrine de la découverte, l’injustice du système judiciaire à l’égard des Autochtones n’en sera que plus évidente.

Mettre fin au capitalisme

Sans compter qu’une révocation purement symbolique de la doctrine de la découverte susciterait des demandes d’actions concrètes, comme l’ont fait les excuses papales. Les gens sont fatigués des bons mots et des prières. Ni les bons mots ni les prières ne permettent de nourrir, d’habiller ou d’abriter qui que ce soit. Alors que les Autochtones souffrent toujours de taux absurdement élevés de pauvreté, d’itinérance, de dépendance et d’incarcération, un changement réel et concret est nécessaire.

Il est clair que l’Église catholique, en traînant les pieds, en refusant d’ouvrir les archives, en ne dédommageant pas les survivants malgré ses promesses et en ne révoquant pas la doctrine de la découverte, n’est pas une institution qui peut jouer un rôle positif dans la libération des Autochtones. Les excuses du pape doivent être considérées pour ce qu’elles sont : une tentative de l’establishment capitaliste de se sauver la face sans rien faire de concret pour atténuer les souffrances qu’il a causées. Le fait est que, quoi que dise le pape, les conditions de vie dans les réserves ne s’améliorent pas, la pauvreté dans les communautés autochtones ne s’améliore pas et le traitement des peuples autochtones par l’État canadien ne s’améliore pas.

Il est possible que, sous la pression des masses, le pape et l’Église catholique renoncent symboliquement à la doctrine de la découverte. Mais les mots ne sont que des mots. Historiquement, la doctrine de la découverte a représenté la justification idéologique de la spoliation matérielle des peuples autochtones. En termes marxistes, la doctrine de la découverte a été la justification idéologique de l’accumulation primitive du capital qui a représenté la naissance du système capitaliste lui-même.

Comme Marx lui-même l’a expliqué :

« La découverte des contrées aurifères et argentifères de l’Amérique, la réduction des indigènes en esclavage, leur enfouissement dans les mines ou leur extermination, les commencements de conquête et de pillage aux Indes orientales, la transformation de l’Afrique en une sorte de garenne commerciale pour la chasse aux peaux noires, voilà les procédés idylliques d’accumulation primitive qui signalent l’ère capitaliste à son aurore. »

Si la doctrine de la découverte est tout à fait réactionnaire et doit être abrogée, nous ne devons pas perdre de vue le fait qu’elle n’était que la justification idéologique de la naissance du capitalisme. Pour qu’il y ait un véritable changement, nous devons nous attaquer aux fondements matériels très réels de l’oppression des Autochtones, tant dans l’histoire qu’aujourd’hui : le système capitaliste.